Le 30 avril 1961 était dissous l’un des plus beaux et des plus prestigieux régiments de l’armée française et particulièrement de la Légion Étrangère : le 1er Régiment Étranger de Parachutistes. Les circonstances de cette disparition sont encore vivaces dans la mémoire des plus anciens d’entre nous, pour nos jeunes l’histoire et les parents leur ont appris que c’était à la suite du putsch des généraux, ou putsch d’Alger, qui a eu lieu dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 et qui a échoué 4 jours plus tard.
Historique de la création du 1er REP
– Créé au lendemain de la seconde guerre mondiale, le 1er juillet 1948, le BEP (Bataillon Étranger de Parachutistes), appellation originelle de l’unité, avait été deux fois sacrifié en Indochine. Une première fois au Tonkin, en septembre 1950, où 17 légionnaires seulement revinrent d’une mission suicide sur la RC 4, puis à Diên Biên Phu où il a vécu le cauchemar que l’on sait : sur le millier d’hommes qui reconstituèrent le BEP, moins d’une douzaine survécurent.
– Reconstitué le 1er septembre 1955 à Zéralda pour les besoins de la guerre d’Algérie sous l’appellation de REP, il mit hors de combat 8.000 HLL, récupéra plus de 5.000 armes mais compta également 300 tués dont le lieutenant-colonel Jeanpierre (mai 1958) et 500 blessés.
Pour son seul séjour en Algérie, le 1er REP avait reçu pour ses légionnaires parachutistes, plus de 3.000 citations. Son drapeau portait cinq palmes et la fourragère aux couleurs de la médaille militaire.
Contexte du putsch des généraux
– Le 8 janvier 1961, par un référendum sur l’autodétermination en Algérie organisé sur tous les territoires, les électeurs s’étaient prononcés à près de 75% en faveur de l’autodétermination (En Nouvelle-Calédonie, l’UC recommanda l’abstention et seuls 35% des inscrits s’étaient prononcés en faveur du gouvernement du général de Gaulle). C’est alors que des négociations secrètes avaient été ouvertes entre le gouvernement français de Michel Debré et le G.P.R.A.
– C’est ainsi que beaucoup d’Européens s’inquiètent de leur sort et ne croient pas à une coexistence possible avec la majorité musulmane dans le cadre d’un état souverain. Leur désespoir rejoint celui des nombreux militaires qui entrevoient un nouveau recul de la France après le lâchage de l’Indochine. Ils s’indignent d’avoir vaincu pour rien l’ennemi sur le terrain ; une partie des cadres de l’armée, qui avaient mené sept années de durs combats sous la direction de plusieurs gouvernements depuis la guerre d’Algérie, se sentit trahie par le général de Gaulle, et voulut s’opposer par un coup de force aux projets d’indépendance de l’Algérie. Le pouvoir gaulliste était bien informé par la police judiciaire d’Alger et les services de renseignements.
– Le général d’aviation Maurice Challe, 55 ans, qui fut nommé commandant en chef en Algérie par le président de Gaulle est à l’origine de cette victoire militaire incontestable sur le FLN : du 6 février 1959 au 6 avril 1961 : 26.000 adversaires tués, 10.800 prisonniers et 20.800 armes récupérées. Après la conférence de presse du général de Gaulle du 11 avril 1961 qui considérait la solution d’indépendance d’un cœur parfaitement tranquille, Challe, amer, se décide de franchir le Rubicon et convainc l’ancien général d’aviation Edmond Jouhaud et le général d’artillerie André Zeller de le rejoindre dans une nouvelle « Révolution ». Pour ce faire il va s’appuyer sur le fleuron de l’armée : le 1er Régiment Étranger de Parachutistes, basé à Zéralda.
Implication du 1er REP dans le putsch d’Alger
– A la veille du putsch d’avril 1961, le régiment est commandé par intérim par le commandant Hélie Denoix de Saint Marc (le lieutenant-colonel Guiraud étant en permission). Le 20 avril 1961 au soir, Challe reçoit discrètement à Alger, le commandant Denoix de Saint Marc et l’invite à participer activement au complot. Après une heure d’entretien, Saint Marc rentre à son PC de Zéralda, convoque ses sept commandants de compagnie et leur dit : « Ce que nous allons faire est très grave. Nous y risquons notre peau. Si jamais ça tourne mal, c’est moi qui prendrai la responsabilité de cette aventure. »
– C’est ainsi que dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, les légionnaires parachutistes de Denoix de Saint Marc s’emparent en trois heures des points stratégiques d’Alger : le Gouvernement général, l’Hôtel de ville, la Radio et l’Aéroport. Il est à noter qu’il y eut qu’une seule victime de l’opération, le M d L Pierre Brillant, abattu en défendant le transmetteur radio d’Ouled Fayet.
– Les chances de réussite sont toutefois minces car le REP ne représente que 1.000 hommes, soit à peine 0,3% des effectifs présents en Algérie et que le général Gouraud, commandant le corps d’armée de Constantine, se ravise et se retire du complot. Le coup n’est pas assez préparé pour rallier d’autres régiments ou les fonctionnaires civils, policiers et administratifs préfectoraux. De plus, le pouvoir à Paris est au courant des préparatifs du putsch par trois réseaux de renseignements : la préfecture de police de Paris de Maurice Papon, la sécurité militaire et le SDECE. Une cellule de crise est créée immédiatement autour de de Gaulle.
– Samedi 22 avril : La population d’Alger apprend à 7 h du matin que l’armée a pris le pouvoir de l’Algérie et du Sahara. Les trois généraux rebelles, Challe, Jouhaud et Zeller, en accord avec les colonels Godard, Argoud et Lacheroy, font arrêter le délégué général du gouvernement, Jean Morin et un certain nombre d’autorités civiles et militaires. Quelques régiments se mettent sous les ordres des généraux.
– A Paris, la police arrête dès 6 h du matin le général Jacques Faure, six autres officiers et quelques civils impliqués dans le « Complot de Paris » censé relayer en métropole le putsch. A 17 h le général de Gaulle, serein, déclare : « Ce qui est grave dans cette affaire, messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse ».
– A Alger, vers 19 h, Challe s’exprime à la radio d’Alger : « Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment, le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts ».
– Dimanche 23 avril : Salan arrive d’Espagne, mais Challe est de plus en plus isolé et refuse d’armer les activistes civils.
– A 20 heures, le président de Gaulle vêtu de son uniforme de général, paraît à la télévision et prononce son fameux discours dénonçant un « quarteron de généraux en retraite… ». Conformément à l’article 16 de la Constitution de la Ve République, il se saisit alors des pleins pouvoirs qui seront mis en œuvre jusqu’au 30 septembre 1961.
Pendant ce temps-là, en Algérie, des unités d’appelés refusent d’obéir aux ordres des mutins, se soulèvent à leur tour et arrêtent les officiers putschistes en leur sein.
– A 00h 45, le Premier ministre Michel Debré appelle la population à se rendre sur les aéroports par tous les moyens pour repousser les putschistes et dramatise ridiculement la situation en faisant croire à des parachutages et à des atterrissages de troupes factieuses ! Douze vieux chars Sherman de la 2nde Guerre Mondiale, non armés, tournent dans Paris et prennent position devant l’Assemblée nationale !
– Lundi 24 avril : les syndicats organisent symboliquement une grève générale d’une heure qui est massivement suivie. A Alger, la situation s’enlise. Les généraux putschistes se font acclamer une dernière fois par les algérois : ils exhortent la population d’Alger de les soutenir dans leur combat. Mais la situation en Oranie et dans le Constantinois est au point mort. En même temps, il règne chez les appelés du contingent une grande agitation : manifestement ils s’opposent ouvertement aux insurgés. Les généraux se sentent de plus en plus isolés, c’est le chant du cygne….
– Mardi 25 avril : Le gouvernement français ordonne la mise à feu de la 4e bombe pour les essais nucléaires à Reggane afin que l’engin ne tombe pas dans les mains des putschistes. Le général Challe fait le constat d’échec et prend alors la décision de mettre fin au soulèvement.
A 22h, les parachutistes commencent à se retirer alors que la ville est investie par les forces de l’ordre. Les généraux Challe, Jouhaud et Salan se replient sur Zéralda avec le 1er REP. Le général Zeller préfère disparaître anonymement dans la foule.
– Mercredi 26 avril : C’est depuis le cantonnement du 1er REP que les généraux Salan et Jouhaud choisissent de passer dans la clandestinité afin de rejoindre l’OAS créée deux ans auparavant.
Dissolution du 1er REP
– Les légionnaires du REP se replient en ordre vers le camp de Zéralda le 25 avril vers 22 h.
– Le 26 avril Hélie Denoix de Saint Marc, leur commandant séditieux, négocie la reddition du général Challe qui est emprisonné le soir-même à la prison de la Santé à Paris. Il sera rejoint le 6 mai par André Zeller qui s ‘est constitué prisonnier.
– Le 27 avril, le régiment était aux arrêts, tous les officiers devaient se constituer prisonniers. Certains légionnaires refusaient la reddition mais l’état était trop puissant : les blindés de la gendarmerie mobile encerclaient le camp et la flotte était là à quelques encablures, les canons pointés sur eux. Une dernière fois, ils traversèrent en camion leur bonne ville de Zéralda en entonnant le refrain d’Edith Piaf : « Non, je ne regrette rien… ».
– Le 30 avril 1961 : est officiellement annoncé la dissolution du 1er REP ainsi que les 14e et 18e RCP, du groupement des commandos de l’Air. La tenue « Léopard » disparaît.
Épilogue
– Les sanctions : les condamnations des principaux auteurs du putsch ne se font pas attendre : au total 220 officiers sont relevés de leur commandement, 114 traduits en justice, 83 condamnés : les généraux Challe et Zeller à 15 ans de réclusion, le général Gouraud à 7 ans, le commandant Hélie Denoix de Saint Marc à 10 ans. Salan et Jouhaud qui s ‘étaient enfuis sont arrêtés et condamnés, le premier à la détention à perpétuité et le second qui était pied-noir, à la peine de mort. Il est à noter que 3% des officiers d’active, environ 1 millier, démissionneront, par solidarité avec les putschistes.
– Les amnisties : Cinq ans plus tard, Challe et Zeller sont amnistiés et réintégrés dans leurs dignités militaires. Salan et Jouhaud sont amnistiés en novembre 1982.
En tout cas, les conséquences du putsch d’Alger sont importantes et « l’armée française sort brisée de la crise qu’elle vient de traverser » (Yves Courrière 2001)
Cas du commandant Hélie Denoix de Saint Marc
Il est intéressant de s’arrêter sur l’homme et le soldat qu’a été le commandant Hélie Denoix de Saint Marc : Entré dans la résistance à l’âge de 19 ans, arrêté et déporté en 1943 et libéré mourant par les américains il effectue à l’issue de la 2nde Guerre Mondiale sa scolarité à l’ESM de Saint-Cyr – Coëtquidan et servira comme lieutenant en Indochine dans les rangs de la Légion Étrangère en 1948 (l’affectation au poste de Talung au milieu de la minorité Tho l’aura particulièrement marqué par l’abandon des villageois qui seront massacrés). Un autre séjour en Indochine le verra commander une compagnie indochinoise parachutiste du 2e BEP.
– Nous avons vu son rôle dans le putsch des généraux alors qu’il commandait, par intérim, le 1er REP. Il fut condamné à 10 ans de réclusion criminelle, il passera 5 ans dans la prison de Tulle avant d’être gracié le 25 décembre 1966. En 1978 il est réhabilité dans ses droits civils et militaires.
– A 89 ans, le 28 novembre 2011, il est fait Grand-croix de la Légion d’honneur par le président de la République, Nicolas Sarkozy.
– Il meurt le 26 août 2013 et inhumé au cimetière de la Garde-Adhémar dans le Drôme.
Il fut aussi un écrivain très apprécié et est l’auteur de plusieurs ouvrages (Les champs de braises. Mémoire, Les sentinelles du soir, entre autres etc.). Je vous livre sa déclaration devant le Haut Tribunal Militaire, le 5 juin 1961 :
« Monsieur le président, depuis mon âge d’homme, j’ai vécu pas mal d’épreuves, la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, 3 séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez et puis encore la guerre d’Algérie…
En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avons reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique.
On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes.
Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains.
Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette révolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger. Alors, nous avons pleuré ! L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir ! Alors j’ai suivi le général Challe. Et aujourd’hui je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er Régiment Étranger de Parachutistes, car ils ont agi sur mes ordres.
Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer.
Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis 15 ans, je me bats. Depuis 15 ans, j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur que j’ai fait, devant le général Challe, mon libre choix. » (Déclaration du Commandant Hélie Denoix de Saint Marc commandant le 1er Régiment Étranger de Parachutistes lors du putsch d’Alger devant le Haut Tribunal Militaire, le 5 juin 1961)
Source : Daniel WEIMANN, médecin capitaine au 2e REP-Calvi 1970-1974 (Texte écrit le 28 avril 2014, revu et mis à jour le 20 avril 2021)
1er REP en Algérie:
a gagné toutes les batailles,
a perdu la guerre.
Ceux qui veulent revoir Le Chacal
https://ok.ru/video/2285615385337
ou, autre frisson OSA, Le Complot
https://ok.ru/video/1788700265210
Pourquoi faire revivre de tels évènements, si ce n’est pour en déduire des enseignements, évitant de réitérer les mêmes erreurs si devaient se présenter des circonstances analogues ?
La manifestation la plus évidente de cet échec du putsch ? En premier lieu, comme le révèle le texte ci-dessus, l’opposition des appelés du contingent allant dans certains cas, jusqu’à la rébellion contre les officiers de carrière…
La cause profonde de cette rébellion du contingent ?
Une fois de plus, comme en 1870 comme en 1914, comme en 1940, les cadres de l’armée avaient une guerre de retard !
Ils n’avaient pas compris la nécessité d’assurer la protection des jeunes qui leur étaient confiés contre les spécialistes de l’« agit-prop » marxiste.
Lesquels, mettant à profit la multiplication de ces vecteurs de propagande, qu’étaient les radios à transistors, répandaient leur poison dans chaque chambrée militaire.
Pourtant, les cadres militaires disposaient de quatre mois de formation en métropole pour motiver les jeunes appelés, avec à leur disposition le cinéma aux armées, la revue militaire « Bled », et nombre d’instructeurs qui ne demandaient qu’à motiver ces jeunes.
Le croiriez-vous ? Pas un mot n’était dit…
– Ni pour leur expliquer que ce n’étaient pas les Algériens mais les Turcs occupant Alger que les Français avaient attaqués en 1830…
– Ni pour leur révéler que la nécessité de mettre fin à ce crime contre l’humanité qu’était la traite des chrétiens par ces esclavagistes Turcs avait obligé la France à intervenir, avec l’accord de toutes les puissances européennes…
– Ni pour leur démontrer par les chiffres que la population musulmane était passée de 3 millions à 10 millions grâce à la présence française…
Que penser d’une armée ne s’avérant même pas capable de MOTIVER SES PROPRES SOLDATS ?
Mais que penser de chefs de partis n’ayant toujours pas compris qu’on ne prend pas le pouvoir pour contrôler l’opinion, MAIS QUE C’EST LE CONTROLE DE L’OPINION QUI CONDITIONNE DE LA PRISE DU POUVOIR !