« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude… » (Aldous Huxley)
Le Journal Officiel de la République Française du 1er avril 2025 (p. 2159) – et ce n’est pas un poisson d’avril – publie la question écrite n°5618 d’Hadrien Clouet (député LFI de la Haute-Garonne) au ministricule pseudo-droitiste de l’Intérieur Bruno Retailleau (dont la crédibilité n’est plus réfugiée que chez les éternels droitards cocus-contents) sur « la littérature antisémite en France ».
Nous la reproduisons in extenso :
« M. Hadrien Clouet alerte M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, sur l’accessibilité inquiétante de la littérature antisémite en France, soit plusieurs milliers d’ouvrages imprimés, distribués et vendus par une trentaine d’officines d’extrême droite repeintes en maisons d’édition. Ces officines mettent en circulation des ouvrages ou des revues appelant à la discrimination, à la haine, à la violence ou à l’extermination des compatriotes juives et juifs.
Elles s’inscrivent soit dans une tradition catholique traditionnaliste, soit dans une perspective ultranationaliste, soit dans une perspective néonazie, qui ont toutes les trois des relais dans les mouvances d’extrême droite contemporaines. Leurs réseaux de diffusion contournent naturellement les institutions publiques et les obligations de dépôt légal. Souvent imprimés à la demande, les ouvrages sont adressés à la clientèle par voie dématérialisée ou postale, Amazon jouant un rôle décisif à cet égard, puisque son algorithme propose d’office ce type de lectures.
Le pôle catholique intégriste antisémite regroupe notamment un groupe en Vienne, des éditions en Gironde, en Ille-et-Vilaine, dans les Pyrénées-Atlantiques, dans les Bouches-du-Rhône, en ligne et à l’étranger.
Le pôle ultranationaliste et nazi, fournisseur de publications collaborationnistes, hitlériennes, révisionnistes ou négationnistes agglomère quant à lui des maisons d’édition situées dans le Rhône, en Seine-Saint-Denis, à Paris, en ligne ou encore à l’étranger.
Bien sûr, l’ensemble de ces textes, dont la plupart tombent sous le coup de la loi par leur contenu original ou leurs préfaces, sont parrainés par des revues ou des médias. Pourtant, les politiques publiques et les déclarations ministérielles portant sur la lutte contre l’antisémitisme ignorent largement la littérature en circulation dans le pays. Alors que ses propagateurs agissent au plus haut niveau. Cette passivité entretient ainsi des réseaux violents de milliers de personnes éduquées à la haine des compatriotes juives et juifs, réunis autour d’ouvrages contraires aux principes républicains, sanctionnant les crimes contre l’humanité, leur promotion, la provocation à la haine ou la violence raciale, la discrimination ou l’injure publique ou non publique à caractère raciste ou en fonction de la religion réelle ou supposée.
Aussi il lui demande quel plan d’action il entend déclencher pour mettre fin à la production et à la diffusion d’une littérature totalement illégale car antisémite.
Par ailleurs, afin d’éviter sa reproduction incessante, il lui demande si les groupes d’extrême droite qui animent ces réseaux de vente seront utilement dissous pour des raisons d’ordre public et de respect des principes républicains. »
Défilé-hommage à Sébastien Deyzieu
Nous n’attendons pas avec impatience la réponse du ministre Retailleau dont le dernier exploit en matière d’anti-libertés publiques n’est pas plus ancien que la semaine dernière, lorsque son Préfet de Police à Paris a tenté d’interdire l’un des hommages traditionnels à une victime française, blanche et nationaliste de la répression républicaine (arrêté 2025-0549 du 7 mai 2025) .
Il s’agit en l’occurrence du défilé-hommage à Sébastien Deyzieu, organisé par le Comité du 9 Mai, qui se tient dans les rues de Paris, dans le calme et la discipline, sans heurt, ni émeute, ni violence depuis plus de 20 ans.
Mais le Tribunal administratif de Paris a à nouveau administré un camouflet aux autorités (l’an dernier l’interdiction du défilé-hommage avait également été suspendue in extremis par la justice administrative).
Le juge administratif a donc annulé en urgence l’arrêté d’interdiction aux motifs, entre autre, que « la même manifestation organisée l’année dernière n’avait donné lieu à aucune poursuite de manifestants » contrairement aux affirmations préfectorales arguant de risques importants « de confrontations avec des troubles à l’ordre public et des dégradations matérielles sur des artères parisiennes très fréquentées » ou que « des propos appelant à la haine et à la discrimination soient prononcés à l’occasion de la manifestation » ou « de propos ou gestes incitant à toute forme de haine portent atteinte à la dignité de la personne humaine, alors même qu’ils ne provoqueraient pas de troubles matériels ».
Aucun trouble dans les éditions passées, aucune poursuite de manifestants mais une tentative d’interdiction sur des motifs fantasmatiques jamais avérés, virtuels et « immatériels ». Police de la pensée quand tu nous tiens…
D’ailleurs, cette année encore, il s’est déroulé ce 10 mai, dans l’ordre et le recueillement, avec plus de 2 000 militants et sympathisants défilant de Port-Royal à la Rue des Chartreux aux sons des tambours et des slogans traditionnels.
Antisémitisme – Antisionisme
Revenons donc aux appels à censurer et interdire « la littérature antisémite ».
Notons d’abord que ce Hadrien Clouet est peut-être bien imprudent et sa question bien inopportune. LFI et ses amis sont en ce moment l’objet d’une campagne d’accusation d’antisémitisme en lien avec leur dénonciation de la réaction israélienne au « 7 octobre ».
Car on constate depuis quelques années le glissement pas seulement sémantique – mais également pénal – qu’un certain lobby tente d’imposer pour englober dans la définition de « l’antisémitisme » tout propos à caractère « antisioniste » au sein de délits fourre-tout.
L’objectif étant d’étendre la protection générale contre toute critique (dont jouit déjà la petite communauté) aux politiques menées par l’État sioniste en Palestine occupée. Un combat de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) relayé en France par la LICRA, le CRIF et autres officines et personnalités médiatico-politiques qui réclament de pénaliser :
- « la production d’affirmations fallacieuses, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les Juifs ou le pouvoir des Juifs en tant que collectif comme notamment, mais pas uniquement, le mythe d’un complot juif ou d’un contrôle des médias, de l’économie, des pouvoirs publics ou d’autres institutions par les Juifs;
- le reproche fait au peuple juif dans son ensemble d’être responsable d’actes, réels ou imaginaires, commis par un seul individu ou groupe juif, ou même d’actes commis par des personnes non juives;
- le reproche fait au peuple juif ou à l’État d’Israël d’avoir inventé ou d’exagérer l’Holocauste;
- le reproche fait aux citoyens juifs de servir davantage Israël ou les priorités supposés des Juifs à l’échelle mondiale que les intérêts de leur propre pays
- le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste;
- le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique;
- et tutti quanti… ».
Et, la nouvelle définition pénale de « l’antisémitisme » serait – roulements de tambours – :
« Toute perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. » (holocaustremembrance.com)
« Reproche », « perception », « haine »… plus une once minimale d’objectivité et de réalité tangible qui ne relèverait pas de la sensibilité, de l’humeur ou du sentiment d’appartenance ethno-communautaire blessé de celui qui entend ou reçoit un propos (et pourquoi pas issus de ses rêves ou cauchemars ?) On n’en est pas encore officiellement à la définition humoristico-ironique (« tous ceux que des juifs n’aiment pas »), mais pas loin.
Exit tout débat et discussion historique ou politique sur ou autour du thème devenu le dernier tabou de leur République. On connaissait le célèbre proverbe de Coluche : « La dictature c’est « ferme ta gueule » ; la démocratie c’est « cause toujours » » ; il est dorénavant dépassé et pourrait-il encore faire rire avec : « La dictature c’est « ferme ta gueule » ; la démocratie c’est aussi « ferme ta gueule » »… ?
Ceci dit, nous n’avons jamais été convaincus de l’honnêteté de tout ceux qui se clament « démocrates » et « républicains » se référant à leurs grands ancêtres révolutionnaires proclamant un jour la « Déclaration droits de l’homme », et un autre la « Loi des suspects »(1), la Terreur, le Tribunal révolutionnaire…
Une révolution – pas vraiment « française », en réalité véritablement cosmopolite mais c’est un autre sujet – qui servit de modèle, plus tard, à d’autres révolutionnaires qui s’en réclameront (certains étant même venus l’étudier en France), que ce soient les léninistes dans l’ancien empire tsariste à partir de 1917, les maoïstes chinois et tous les autres affidés de l’Angkar khmer, de Pol-Pot, d’Hô Chi Minh…
Une révolution de 1789 et des révolutions bolcheviques que le « lider maximo » d’Hadrien Clouet encense régulièrement en y reliant indéfectiblement la « République », affirmant : « Je pratique ardemment ce qu’il faut bien nommer la religion républicaine (…) L’exemplarité révolutionnaire de 1789 est le cœur de notre « récit national » (Melenchon, 15 juillet 2022). Tout un programme…
Comme leurs prédécesseurs révolutionnaires de 1789 et de 1917 dont beaucoup finirent révolutionnairement le cou tranché par le fait de plus révolutionnaires qu’eux, leurs héritiers qui appellent à la censure, la dissolution, l’interdiction des antisémites, seront-ils dévorés par le rouleau compresseur de la répression qui s’étend petit à petit aux antisionistes ? Nous le verrons bien.
Réponse de Retailleau et censure
En attendant, concernant la réponse éventuelle de Retailleau, laissons la parole au Courrier du Continent (dans son n°668 de mai 2025) qui commente ainsi :
« Poser la question du sort qui attend cette littérature, c’est y répondre. Monsieur le ministre du Salut public va-t-il risquer sa peau en faisant l’apologie des « hitlériens de service » pour garantir leur liberté d’expression, du moment que la Cour européenne des Droits de l’homme a déjà jugé que l’on ne pouvait se réclamer de la liberté d’expression pour nier les Droits de l’homme et diffamer les valeurs républicaines. Comme le disait Saint-Just pour justifier la Terreur, pas de liberté pour les ennemis de la liberté !
La répression des dissidents de la Pensée unique étant passée comme une lettre à la poste, c’est maintenant le tour des éditeurs dissidents de passer au tourniquet. Jusqu’à présent, l’éditeur était responsable par défaut d’auteur, et l’imprimeur responsable par défaut d’éditeur. Si l’on pousse le raisonnement de Monsieur le ministre de la Censure jusqu’à son terme, il apparaît que tout lecteur en puissance est un hitlérien en puissance dont il conviendrait de prévenir l’avènement en le privant de lecture.
Ce raisonnement nous mène tout droit au scénario du film Fahrenheit 451 (1966) du cinéaste François Truffaut, où l’on voit, dans un futur dystopique, des pompiers pyromanes entrer de force chez les gens à la recherche de livres, pour s’en saisir et les brûler sur la place publique. Ceux coupables de lire étaient emmenés sous le regard terrorisé des voisins. (…)
A l’évidence, ce monde parfait ne supporte pas le moindre coup de griffe : la baudruche a la peau délicate. Mais comme ce meilleur des mondes n’arrive guère à convaincre par ses propres mérites, il faut l’imposer par le biais d’une fable cruelle faisant office de repoussoir, autrement dit un mythe fondateur ayant valeur de dogme.
Ce dogme prend-il quelque liberté avec le possible, il devient impossible d’en douter quand, pour convaincre les incrédules, il suffit d’appeler la police, à moins que ce ne soient des pompiers pyromanes ! »
Lire rend libre et aussi, un peu, intelligent, donc peu obéissant. Il n’est donc finalement pas étonnant que, même ça, leur régime tyrannique républicain héritier de 1789 essaie de nous l’enlever. « La démocratie est la dictature de l’ignorance. » (Platon)
Note :
(1) Pour « mettre en état d’arrestation tous les contre-révolutionnaires et les hommes suspects » que l’on définit juridiquement comme incluant « non seulement les aristocrates » mais aussi « leurs familles », et « les prêtres réfractaires » et encore les « boutiquiers, les gros commerçants, les agioteurs […] les ennemis de la Révolution ». Il n’y manquera finalement personne, pas mêmes les révolutionnaires eux-mêmes, jusqu’à ce que Napoléon viennent mettre fin à cette poussée pustulante d’irrationalité sanguinaire.