En ce jeudi 23 février 1933, il est trois heures de l’après-midi et je suis à bord de l’avion d’Hitler.
Si cet avion devait s’écraser, c’est toute l’histoire de l’Europe qui s’en trouverait bouleversée. C’est que je suis installé à quelques sièges derrière Adolf Hitler, le chancelier à l’origine de la plus forte éruption nationaliste que le monde ait jamais connue.
Deux mille mètres plus bas, masqué par une mer ondoyante de nuages blancs, se trouve un pays porté à pleine ébullition. Partis de Berlin, nous fonçons à trois cents kilomètres heures vers Francfort où Hitler doit démarrer une campagne éclair en vue des élections législatives.
Les occupants de l’avion constituent une véritable cargaison de dynamite humaine. J’aperçois Hitler étudier une carte puis parcourir des esquisses de rapports. Il n’a pas l’air si impressionnant. Lorsque je l’ai vu émerger de sa voiture il y a une demi-heure, que j’ai vu sa frêle silhouette coiffée d’un chapeau mou et enveloppée d’un pardessus léger saluer mollement les personnes qui s’étaient massées pour le voir, je suis resté assez perplexe.
Sa garde rapprochée
Comment un homme à l’aspect aussi banal avait-il réussi à être déifié par quatorze millions de personnes ? Il était plus naturel et moins poseur que je ne m’y serais attendu. Il y avait en lui quelque chose du petit garçon devant une voiture neuve. Il serra la main des dignitaires nazis et de ceux qui comme moi devaient le suivre dans ce voyage à bord du fameux « Richthofen », le plus rapide et puissant trimoteur d’Allemagne.
Sa poignée de main était ferme, mais, tandis qu’il me saluait, ses grands yeux un peu exorbités n’exprimaient rien. Autour de nous, se tenant dans la neige, il y avait ses gardes du corps sanglés dans leurs uniformes noirs aux insignes argentés. Leurs casques étaient ornés d’une tête de mort argentée aux cavités orbitales d’un rouge vif.
J’ai été présenté à cette élite des troupes nazies, puis à un homme replet et souriant, le capitaine Bauer, pilote personnel d’Hitler, héros de l’aviation durant la guerre. Nous sommes alors montés à bord du grand avion et nous voilà à présent au-dessus des nuages.
L’éminence grise du parti
Derrière Hitler, était assis un petit bonhomme qui riait tout le temps. Il avait une tête étroite d’aspect un peu ibérique avec des yeux marron brillants d’intelligence. On aurait dit un de ces petits Gallois sombres à la silhouette effilée et aux tempes serrées qu’on trouve si communément dans la vallée de la Glamorgan. Mais lui, c’était un Rhénan, il s’agissait du docteur Goebbels, le cerveau du Parti national-socialiste et, après Hitler, son plus fougueux orateur. C’est un nom à retenir car il sera amené à jouer un grand rôle dans un proche avenir.
À la gauche d’Hitler, le faisant paraître pour un nain, se trouvait un grand blond à la silhouette massive : son adjudant. Le reste des passagers se composait de secrétaires et de gardes du corps dans leurs uniformes noirs et argents avec brassards rouges à croix gammées. Les deux seuls à ne pas être nazis, invités qu’ils étaient par Hitler pour l’accompagner sur ses vols depuis qu’il était devenu chancelier, c’était moi et un autre correspondant de journal.
À mes côtés, il y avait un solide gaillard balafré, un garde du corps boute en train qui n’arrêtait pas de faire enrager son voisin qui essayait de dormir. Il m’avait déjà offert deux œufs durs, deux barres de chocolat, une pomme et des biscuits. Il n’y avait rien de la raideur prussienne parmi mes compagnons de voyage. Ils n’auraient pas été plus amicaux et prévenants à mon égard si j’avais été un fervent nazi.
Le chef de la garde buvait à présent à ma santé un grand verre d’eau pétillante. Dans un grand sourire, il pointe du doigt l’insigne en argent qu’il porte sur sa poitrine et qui atteste qu’il est un compagnon de la première heure du Führer. Il est manifestement fier de son uniforme et me montre des photos de lui dans un hebdomadaire.
Les monarchistes
Les nuages avaient à présent disparu, et on pouvait voir serpenter l’Elbe sous l’aile de l’avion. Hitler s’était endormi. Tandis que les reflets du soleil jouaient sur le moteur gauche, j’attrapais un journal nazi et je tombais sur un titre en gras :
« Demain soir, Goebbels et le prince August Guillaume adresseront un discours au palais des sports de Berlin ».
Le Prince August Guillaume, le fils du Kaiser ! Où en étaient les relations, me demandais-je, entre la monarchie et Hitler ? Je me rappelais d’une information que j’avais glanée à Berlin. L’impératrice s’était rendu à Berlin pour tenter un rapprochement avec Hitler. La rencontre était prévue dans un salon. Hitler avait laissé la Kaiserin patienter vingt minutes dans la pièce tandis qu’il devisait tranquillement dans le couloir. Ils ont fini par se voir, mais l’impératrice a échoué dans sa mission et Hitler ne s’est pas rallié à la monarchie.
Sur un autre article, on pouvait voir : « cinquante mille personnes sont venus entendre le docteur Goebbels à Hanovre ». Et je pouvais justement voir ce petit homme vif tout près de moi, il était en train de lire les Quatorze points de Wilson. Son sourire avait disparu, il avait le menton déterminé, on aurait dit qu’il brûlait intérieurement de venger l’affront de ce que les nazis appellent la trahison de 1918. Vengeance, vengeance.
“In Memoriam”
Je lisais ensuite une notice de la rubrique nécrologique dans laquelle on pouvait trouver l’explication de la vague d’indignation qui avait parcouru tout le pays. Sous la photo placée dans un cadre noir en gras d’un jeune homme splendide dans son uniforme nazi, on lisait : « Le père de Gerhard Schlemminger était l’un de ces deux millions d’hommes tombés au champ d’honneur pour l’Allemagne. L’épouse qu’il a laissée derrière lui a poursuivi avec courage sur le chemin du devoir et, au milieu de toute la confusion, du vice et de la décadence d’après-guerre, a élevé son fils dans l’amour de la patrie et la droiture,. Mais Gerhard, qui avait consacré toute son énergie à la libération du pays, est tombé hier, frappé d’une balle bolchévique assassine »
Ceci donne une idée du climat passionnel qui règne en Allemagne. Je regardais de nouveau Hitler : lui et ses partisans pensent que les centaines de nazis qui – comme ce jeune garçon – sont morts au cours des batailles de rue, devaient être vengés et que l’opposition communiste devait être écrasée sans ménagement.
Mais pour l’instant, Hitler se tournait vers son adjudant, il était souriant et détendu : est-ce qu’il pouvait s’agir de l’ennemi juré du bolchévisme ? On était en droit de se le demander.
Les deux Hitler
Quoi qu’il en soit, l’avion entame à présent sa descente vers Francfort qui s’étale sous nos yeux. En bas, une foule s’est massée, des milliers de visages scrutent le ciel dans notre direction, puis, c’est l’atterrissage en douceur. Les dignitaires nazis, certains en marron, d’autres en noir et argent, tous avec le brassard à croix gammée, attendent leur chef. Hitler descend les marches de l’avion. Mais c’est maintenant un homme transfiguré qui apparaît, les yeux rivés vers un horizon à lui seul accessible.
Il y a deux Hitler, l’un naturel et désinvolte, presque enfantin, et il y a l’autre, tiré par une force nationaliste d’une puissance qui le dépasse, le grand Hitler. C’est le deuxième qui a sorti l’Allemagne de sa torpeur.
GARETH JONES
Note : Diagnostic tout fait et complètement faux d’un observateur qui n’observe rien mais plaque les idées préconçues qui l’arrangent, Hitler pensait au contraire que les six millions de communistes d’Allemagne étaient avant tout des patriotes, qu’ils allaient tous revenir à la patrie et qu’il ne fallait donc pas chercher à les écraser, seuls quelques irréductibles devaient être isolés. Ce n’est pas par hasard s’il n’y a pas eu de guerre civile en Allemagne, c’est Hitler qui l’a évité : sitôt arrivé au pouvoir, Hitler a d’ailleurs relégué au second plan les SA et s’est attaché avec succès, au moyen d’une politique keynésienne, à surmonter la crise économique. C’est comme ça que les communistes sont redevenus des Allemands.
Contrairement à ce que suggère le journaliste, Hitler ne s’est pas non plus fait l’ennemi des aristocrates, pour la même raison : ils faisaient eux aussi parti du peuple allemand . Pour lui, contrairement à la vision marxiste, le peuple ne se limite pas à la couche populaire, c’est un ensemble racial organique qui va du paysan au noble, de l’ouvrier au capitaine d’industrie, les différentes parties du peuple doivent coopérer au bien général : la nation.
Le journaliste n’aborde pas la question de la religion, il aurait pu dire que c’était un autre titre des revues de l’avion, mais à force, le procédé aurait fini par apparaître un peu gros, quoi qu’il en soit, de la même façon, Hitler n’a pas non plus persécuté les religions, mais imposé le primat de la nation sur la religion : avec lui, l’Église ne pourrait certes pas dire qu’il faut accueillir des vagues de migrants.
Mais ce journaliste a au moins une excuse, tout ceci, reprise économique, pacification de la société allemande, concordat avec l’église, s’est produit après qu’il ait rédigé son papier : nos professeurs d’histoire qui nous enseignent qu’Hitler s’est vengé des Juifs pour une crise économique qu’il a pourtant surmontée avec brio n’ont plus cette excuse.
Cela dit, l »article, avec ses erreurs, reste néanmoins intéressant, on voit bien que le journaliste sent le vent de l’histoire dans le sillage d’Hitler, que ce dernier fascinait le monde entier bien au-delà des frontières de l’Allemagne. Ce vent de l’histoire, qui est peut-être même plus que de l’histoire, se lèvera peut-être de nouveau un jour.
Traduction et note : Francis Goumain
Source : garethjones.org
Pour aller plus loin :
Le « Discours Souche » de la campagne électorale d’Adolf Hitler en 1932
Il n’est sans doute pas vrai non plus que Gareth Jones ait vu Goebbels lire les 14 points pile au moment de ce voyage, ça aussi c’est un peu gros.
Mais on voit qu’Hitler traversait le pays en avion dès 1933, à l’époque, même aux USA, personne ne le faisait.
Gareth Jones exploite à fond cette image d’Hitler au-dessus des nuages et proche du soleil.
Aujourd’hui, bien entendu, cette image ne fait plus effet.
[Commenté depuis Bergamo, Italie du nord (je suis un italien du nord)]
Je vais vous l’écrire en langue galloise :
Mae Winston Churchill yn sothach ac mae’n llosgi yn Uffern!*
* Winston Churchill è spazzatura e brucia all’Inferno! / Winston Churchill est une ordure et il brûle en Enfer ! / Winston Churchill is garbage and he burns in Hell! …
On peut se demander pourquoi et comment les mechants » nazis » pouvaient tolérer la presence de tels journalopes à côté d’Hitler… à moins que ça aussi ce ne soit pas vrai.