L’occupation ottomane
En ce mois d’avril 1822, l’île de Chios est occupée depuis 255 ans déjà. Les Ottomans se sont établis dans l’île en 1566, à la fin de la première grande période d’invasion de l’Europe du sud-est par les musulmans. Chios est l’un des derniers territoires grecs conquis par les Turcs, qui ont commencé à attaquer l’Europe depuis le XIVe siècle. L’invasion islamique a conduit de nombreux Grecs à fuir les villes et les massacres :
« Dans les villes et les plaines habitent les esclaves qui vivent avec les Turcs.
Les hommes courageux préfèrent être logés dans les gorges et les déserts.
Vivre plutôt près des fauves que près des Turcs. »
proclame un chant populaire.
La riche île de Chios n’est pas celle qui subit le plus les dommages de l’invasion, mais en quatre siècles, l’esprit de résistance demeure. Les Grecs se révoltent à plusieurs reprises durant l’occupation, parfois avec le soutien des puissances européennes : des révoltes éphémères et désordonnées qui ne mettent pas en péril le pouvoir de l’occupant. Mais ces insurrections fortifient le sentiment national grec et la volonté de se débarrasser du joug ottoman. Elles conduisent au soulèvement de 1821.
Le soulèvement de 1821
En coordination avec les Grecs présents dans provinces danubiennes, la Grèce se soulève en mars 1821. Les premiers combats se déroulent dans le Péloponnèse, tandis que des villes se soulèvent peu à peu sur tout le territoire. Les garnisons ottomanes sont assiégées et parfois rapidement défaites. À l’inverse, comme à Patras, la réaction des musulmans est impitoyable : la ville est incendiée et quasi totalement détruite. Les Ottomans y résisteront jusqu’en 1828, date à laquelle les troupes françaises délivreront la ville.
Enhardis par de premières victoires, les chefs grecs proclament le 12 janvier 1822 l’indépendance de la Grèce : une constitution et un drapeau national sont adoptés. Mais les chefs s’opposent sur la direction à donner à la Grèce libre et les tensions conduisent à une première guerre civile. Les Ottomans profitent de ces luttes intestines pour accentuer la répression dans les régions où leur pouvoir est le plus fort. De nombreux Grecs sont massacrés à Salonique, Smyrne ou Constantinople. Dans cette dernière cité, le patriarche Grégoire V avait été pendu dès le 10 avril 1821, au moment des célébrations de Pâques. Son corps fut exposé durant trois jours à la vue du public avant d’être livré aux Juifs qui jetèrent son corps dans le Bosphore après l’avoir profané à travers la ville.
Dans les provinces danubiennes, Alexandre Ypsilántis avait levé une armée et déclenché l’insurrection en Moldavie et en Valachie en mars 1821. Mais les insurgés grecs sont abandonnés par la Russie dès l’annonce des premiers combats ; Alexandre Ypsilántis est limogé de l’armée russe ; l’Église orthodoxe condamne également l’insurrection par peur de subir les représailles des Ottomans. Après la Bataille de Drăgășani, le 19 juin 1821, les troupes d’Alexandre Ypsilántis sont écrasées et ce dernier doit se réfugier en Autriche, où il mourra en 1828 après sept années de prison.
Le massacre de Chios
Figurant parmi les communautés ayant le moins souffert de l’occupation, les Chiotes sont assez réservés concernant l’insurrection nationale. La population de marchand craint notamment que les nombreux citoyens de la ville se trouvant dans empire ottoman ne subissent les représailles des musulmans. Ces derniers craignent que la ville ne participe au soulèvement. Des troupes ottomanes sont mobilisées dans la ville et le chef des Turcs prend quarante otages parmi les plus importantes familles de la ville.
Les renforts envoyés par le gouvernement ottoman font régner la terreur dans l’île. Ils pillent les biens des Grecs ; plusieurs Chiotes sont assassinés. Ce sont bientôt près de 5 000 turcs qui occupent l’île, à la charge de la communauté grecque.
Le 22 mars 1822, plusieurs centaines de Grecs débarquent dans l’île pour délivrer leurs compatriotes. Avec l’aide de troupes locales, ils contraignent dans un premier temps les Ottomans à se replier. Les violents combats cessent quand les Grecs n’ont plus de munitions. L’aide promise par les cités grecques ne put être mobilisée avant la contre-attaque ottomane. La Porte envoie alors plusieurs dizaines de milliers d’hommes sur l’île.
Après une brève résistance, les combattants grecs sont défaits et quittent l’île en hâte. Les troupes musulmanes commencent alors le massacre des habitants. Chora, la capitale de l’île est pillée ; les Grecs sont torturés, les femmes sont violées. Tous sont tués. Les musulmans décapitent les victimes et les têtes sont envoyées au Sultan, qui les exposera.
Les Ottomans se répandent alors dans les campagnes et y poursuivent méthodiquement le massacre de tous les Grecs. Certains trouvent refuge au monastère de Néa Moní ; 2 000 Grecs y perdront la vie. Au monastère d’Aghios Minas, ce sont 3 000 réfugiés qui sont massacrés, tandis que les bâtiments religieux sont incendiés et détruits. Les Ottomans promirent alors une amnistie aux survivants. Ceux qui se rendirent furent également assassinés. Les otages subissent le même sort : ils sont pendus ou décapités.
Tous les Européens présents sur l’île ne furent pas massacrés : environ 45 000 Grecs, femmes et enfants compris, sont réduits en esclavage par les musulmans et seront vendus sur les marchés à travers tout l’empire. Les riches marchands grecs et quelques courageux Européens ne pourront en sauver que quelques centaines en les rachetant. Quelques milliers d’autres réussirent à fuir l’île, grâce aux bateaux affrétés par les cités grecques et par les puissances européennes.
Le 18 juin, la flotte grecque attaque les Ottomans dans le port de Chora. Le navire du commandant turc est coulé et plusieurs centaines de marins musulmans meurent noyés. En représailles, les Turcs massacrent les derniers habitants de l’île, ceux qui produisaient le mastic qui avait fait la fortune et l’intérêt de l’île.
En deux mois, les Ottomans ont tué plusieurs dizaines de milliers de Grecs sur l’île de Chios, et réduit environ 50 000 personnes en esclavage. L’économie de l’île est réduite à zéro : la culture du mastic est abandonnée, aucune récolte ne peut être effectuée. De nombreux bâtiments culturels et religieux sont totalement rasés, comme la bibliothèque de la ville dont il ne reste pas un ouvrage.
La délivrance
Jusqu’au massacre de Chios, le soutien des Européens avait été très timoré, sinon inexistant, quand ils n’avaient pas tourné le dos aux insurgés. Le massacre de Chios indigne l’ensemble des gouvernants ; rapidement les artistes, journalistes, écrivains, peintres s’emparent du sujet et sensibilisent l’Europe à la cause grecque. La solidarité culturelle, raciale, religieuse devient peu à peu une réalité.
Le tableau d’Eugène Delacroix, Scène des massacres de Scio, est à ce titre le plus symbolique : le roi Charles X l’achète pour le faire exposer au Louvre, montrant l’intérêt du monde politique et artistique pour la cause de l’indépendance grecque. Vitor Hugo, dans Les Orientales, consacre un poème au massacre de Chios, et plus particulièrement à la nécessité de venger ce crime : « L’enfant grec ».
Le soutien aux Grecs s’amplifia encore à partir de 1824 et la mort de l’écrivain Lord Byron. Le soutien général de l’opinion publique européenne et des gouvernants apporta un soutien clair de l’Europe aux combattants grecs. La France, la Russie et la Grande-Bretagne furent les principaux artisans de l’indépendance grecque. La Grèce est reconnue en tant que nation par l’ensemble des grandes puissances à la conférence de Londres en 1830.
L’indépendance demeure partielle cependant et les Chiotes durent attendre 1912 pour être définitivement délivrés de l’occupation musulmane.
Le problème avec les récits historiques, écrits par les vainqueurs et les adeptes de ces versions, dont je ne conteste pas les éléments ; c’est qu’ils sont toujours à sens unique, dans le sens du ”méchant musulman » attaquant « d’innocents Roumis ». On oublie aussi que parmi ces » méchants Ottomans », il y avait beaucoup d’Européens.