Rédigé avant l’entrée des troupes russes au Donbass, cet article de Bruno Guigue garde néanmoins le mérite d’exposer les projets et ambitions de chacun des belligérants dans le conflit.
En Ukraine, seul l’hégémonisme des Etats-Unis a intérêt à la guerre
Que veut la Russie ?
Principalement, deux choses.
Premièrement, elle veut un traité international garantissant la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cet accord en bonne et due forme mettrait un coup d’arrêt à la politique d’encerclement orchestrée par Washington depuis la chute de l’URSS et offrirait à la Russie de véritables garanties de sécurité. Après l’extension ininterrompue de l’alliance militaire occidentale, une telle limitation de ses ambitions aurait pour effet d’instaurer un climat de confiance en rassurant Moscou quant aux relations futures avec le monde occidental. Elle dissiperait aussi le fantasme des ultras de Kiev qui s’imaginent qu’ils vont reconquérir la Crimée alors que 96% de sa population a choisi la Russie.
Deuxièmement, la Russie veut l’application des accords de Minsk et notamment la fédéralisation de l’Ukraine, laquelle permettrait de concilier les intérêts des deux parties en présence : l’octroi effectif de l’autonomie qui avait été promise garantirait les droits de la minorité russophone du Donbass tout en préservant l’intégrité territoriale ukrainienne, comme le demande à juste titre le gouvernement de Kiev.
Il est évident que pour atteindre ce double objectif, Moscou ne veut surtout pas d’une escalade militaire qui en compromettrait au contraire la réalisation. Car seul un processus politique est de nature à ménager une sortie de crise respectant les desiderata des uns et des autres. La guerre ou la paix, il faut choisir. En demandant à l’OTAN de ne pas s’étendre davantage, la Russie a fait le choix de la paix par la négociation, et non d’un affrontement militaire qui justifierait, précisément, la mise en place d’un bouclier occidental destiné à soutenir l’Ukraine.
Mais le problème vient de ce que les objectifs de Washington ne sont pas du tout de même nature, et c’est pourquoi la crise prend des proportions alarmantes.
Que veulent les Etats-Unis ?
On l’a compris depuis le début : leur propagande fabrique de toutes pièces une guerre imaginaire qui joue le rôle de prophétie auto-réalisatrice. Ils annoncent une conflagration imminente en faisant passer cette fiction pour la réalité, et cette supercherie fonctionne : il suffit de circuler sur la Toile pour s’apercevoir qu’une partie de l’opinion occidentale croit que la Russie a déjà attaqué l’Ukraine.
Si la méthode employée par cette propagande est grossière, l’objectif poursuivi par Washington est parfaitement transparent. Il s’agit de justifier de nouvelles sanctions contre Moscou, de saboter la mise en place du gazoduc Nord Stream 2 et de ressouder l’Europe autour de l’OTAN sous la direction hégémonique des Etats-Unis. Dans ce scénario cousu de fil blanc, l’Ukraine sert d’appât et de maillon faible : en la colonisant, Washington y exerce une influence délétère qui menace la sécurité de la Russie à ses propres frontières, tout en ayant l’air de voler au secours d’une pauvre petite nation qui risque de se faire dévorer par l’ours russe.
Dans cette conjoncture, seul l’hégémonisme des Etats-Unis a intérêt à la guerre. Si jamais un conflit de grande ampleur éclatait dans la région, aucun soldat de l’armée des Etats-Unis n’y participerait. Ceux qui étaient présents en Ukraine ont d’ailleurs déjà été évacués. Bien sûr, Moscou serait immédiatement désigné comme l’agresseur même et surtout si c’est totalement faux : l’imputation à autrui des guerres américaines est un classique des relations internationales depuis deux siècles. Enfin le bénéfice économique d’un tel conflit, pour Washington, serait considérable : la Russie serait punie par l’Union européenne et le projet Nord Stream 2 définitivement torpillé.
Mais les dividendes géopolitiques de cette nouvelle guerre par procuration seraient beaucoup plus larges que le théâtre d’opérations russo-ukrainien : l’augmentation démentielle du budget militaire de l’OTAN, qui fait déjà 16 fois celui de la Russie, serait justifiée, aux yeux d’une opinion occidentale manipulée, par l’abominable «menace russe». Cerise sur le gâteau, l’acharnement contre la Russie affaiblirait le principal allié de la Chine, qui est considérée par les Etats-Unis, conformément à la doctrine Pompeo confirmée par Biden, comme «l’ennemi numéro Un du peuple américain».
Que les Etats-Unis aient intérêt à la réalisation d’un tel scénario, heureusement, ne signifie pas qu’il verra le jour. Il est plus que probable qu’aucune guerre de grande ampleur n’éclatera, et pour une raison très simple : pour qu’elle ait lieu, il faut que deux camps soient résolus à y participer. Or la Russie n’en veut pas, et les Etats-Unis n’en veulent que si elle est faite par les autres. Washington s’en accommoderait fort bien, mais l’Ukraine est-elle prête à en payer le prix ? Certes, le conflit de basse intensité qui frappe le Donbass risque de s’accentuer, et c’est déjà le cas. Mais lorsque Donetsk et Lougansk évacuent les populations civiles pour les soustraire au feu roulant des bombardements ukrainiens, qui est l’agresseur et qui est l’agressé ? Qui refuse l’application des accords de Minsk et l’instauration d’un système fédéral comme solution politique ?
Corrompus par Washington et Bruxelles, certains dirigeants ukrainiens s’imaginent peut-être qu’ils vont tirer profit de la situation pour régler leur compte aux résistants du Donbass. Commettront-ils la folie d’une attaque massive contre les deux Républiques ? Si cette catastrophe survenait, l’invasion militaire ukrainienne ne pourrait être longtemps déguisée en riposte légitime à une «provocation séparatiste», comme le répète aujourd’hui la propagande occidentale. Il suffira de constater où se trouvent les blindés et les fantassins ukrainiens. L’agression dûment constatée, la Russie prendra ses responsabilités et réagira de manière proportionnée afin de défendre les populations russophones. On souhaite bien du plaisir aux ultras de Kiev engagés dans cette opération hasardeuse. Secourus par Moscou, les combattants du Donbass se battront pour leur liberté, tandis que les soldats de Kiev se battront pour l’OTAN. Il suffit alors de considérer l’Histoire.
Washington trahit toujours ses alliés. Moscou n’abandonne jamais les siens.
Bruno Guigue
Bruno Guigue est ex-haut fonctionnaire, ancien élève de l’Ecole normale supérieure (Ulm) et de l’Ecole nationale d’administration, chercheur en philosophie politique, analyste politique et observateur de la vie internationale.
Source : RT France
L’avantage de notre armée par rapport à celle de 1940, c’est qu’elle n’est même plus en état de subir une défaite.
Pour subir une défaite, il faut quand même aligner un ordre de bataille, ce qu’avec trois pions, on peut difficilement faire.
Mais le plus grave, ce n’est pas tant le manque de moyen, ça peut toujours se rattraper et on n’a pas forcément besoin d’être à l’équilibre pour gagner, Cf l’Afghanistan, mais c’est le fait que nous ne soyons plus rien: et ça, ça ne peut pas se remonter.