Après l’échec d’une tentative d’insurrection communiste le 23 septembre 1923, en Bulgarie, qui conduit à l’interdiction du Parti communiste bulgare (PCB), le 2 avril 1924, par la Cour d’appel suprême, et après l’arrestation de nombreux activistes communistes, les représentants du Komintern en Bulgarie sont dans une situation difficile. Passant de 38 000 à 3 000 membres, l’existence du parti est de plus en plus menacée. L’Internationale communiste décide de riposter à l’interdiction par des actions sanglantes, espérant décapiter le pouvoir au cours d’un de ces actes, créant une situation critique dans le pays dont aurait pu profiter le PCB pour se hisser au pouvoir.
Le Comité central du PCB décide alors d’établir un « service d’action », incluant Jako Dorosiev, le capitaine Ivan Minkov et Valko Tchervenkov. Ce sera l’Organisation Militaire (OM) du PCB, menée par le commandant Kosta Jankov et le capitaine Ivan Minkov. Elle s’organise en petites cellules clandestines terroristes qui effectuent des attentats isolés mais dont la police arrive à être informée lui permettant de démanteler la plupart de ces petits groupes communistes.
Mais, en décembre 1924, le PCB réussi à recruter un certain Petar Zadgorski ; c’est le bedeau, le sonneur de cloche de la cathédrale Sveta Nedelya (cathédrale du Saint Dimanche) en plein centre de la capitale Sofia. Dimitar Hadzidimitrov et Dimitar Zlatarev, chefs de la section armée de l’OM, suggèrent alors d’assassiner le chef de la police, Vladimir Nacev, et de piéger son enterrement. Ils espèrent, de cette manière, éliminer un grand nombre de hauts fonctionnaires de la police, et ainsi relâcher la pression exercée par les autorités sur les communistes.
La direction de l’OM charge de cette mission l’unité d’actions de Petar Abadziev, qui avait lui-même recruté le sonneur de cloche Petar Zadgorski. Avec son aide, Abadziev et Asen Pavlov transportent et stockent clandestinement pendant plus de deux semaines, 25 kilos d’explosifs dans le beffroi-dôme de la cathédrale. Les explosifs sont installés dans un paquet, au-dessus d’une des colonnes du dôme principal, située à l’entrée sud de l’édifice. Le système de détonation est équipé d’une mèche d’une longueur de 15 mètres, permettant ainsi aux terroristes de s’éclipser avant l’explosion.
Le 14 avril 1925 à 20h, Konstantin Georgiev (un général devenu député et membre d’une organisation patriotique la Ligue militaire) est assassiné par Atanas Todovicin (un des terroristes de l’Organisation militaire communiste), devant l’église des Sept Saints où il se rendait pour la messe du soir, avec sa petite-fille.
La cérémonie funèbre du général Georgiev est fixée deux jours après, pour le Jeudi Saint, à la cathédrale du Saint Dimanche à Sofia. Le coup est monté, les terroristes communistes prévoient de passer à l’action contre les autorités qui seront présentes à l’enterrement. Afin d’augmenter le nombre des victimes, les communistes envoient de faux faire-part au nom de l’association des officiers de réserve de l’armée bulgare…
Le 16 avril 1925, à 7 heures, Zadgorski mène Nikola Petrov au grenier, où Petrov doit allumer la mèche sur son signal. Le cortège funèbre entre dans la cathédrale à 15 heures. La cérémonie est célébrée par l’évêque Stefan, futur exarque de Bulgarie. Le cercueil, initialement placé à côté de la colonne devant exploser, est avancé dans la nef du fait de l’affluence à l’enterrement du général. Conformément au plan des terroristes, Zadgorski donne le signal de mise à feu à Petrov, quand les fidèles sont rassemblés et que la célébration commence. Puis, tous deux, quittent l’édifice à 15h20.
L’explosion démolit le dôme principal de la cathédrale qui s’effondre avec une partie de la charpente et de la toiture ensevelissant et blessant la foule nombreuse à l’intérieur de la cathédrale.
Cent cinquante personnes trouvent la mort et on dénombre près de cinq cents blessés. Par chance, tous les membres du gouvernement survécurent. Le tsar Boris III, qui quant à lui devait pourtant assister aux obsèques, ne se trouvait finalement pas dans la cathédrale : cible d’une autre attentat deux jours auparavant au col d’Araba-Konak, dans les montagnes Stara Planina, il a finalement décidé de se rendre aux funérailles des victimes de cet acte : son garde-chasse et le préparateur du Musée d’histoire naturelle.
L’armée perdit plus d’officiers supérieurs qu’il n’en était tombé pendant les guerres balkaniques : 12 généraux, 9 colonels, 3 commandants et beaucoup d’autres militaires.
Le soir même, le gouvernement d’Alexandar Cankov proclame la loi martiale. Les forces de l’ordre vont arrêter environ 3 000 personnes dont 1 182 seront inculpées et 268 condamnées à mort pour leur participation ou soutien à des groupes communistes clandestins ou agissants. Toutefois très peu de sentences seront exécutées.
La Ligue militaire participe à la riposte anti-communiste et à la vague de répression contre les séditieux représentants du Komintern dans le Royaume de Bulgarie avec l’approbation tacite du gouvernement. Pendant les deux semaines qui suivent, près de quatre cent cinquante militants et soutiens du PCB et de son organisation militaire sont définitivement mis hors d’état de nuire.
Le procès des responsables de l’attentat se tient devant le tribunal militaire de Sofia du 1er au 11 mai. Petǎr Zadgorski, le lieutenant-colonel Georgi Koev, et Marko Fridman, un des chefs de l’OM, furent condamnés à mort. Stanke Dimitrov, Petar Abadziev, Dimitar Grancarov, Nikolaj Petrini et Hristo Kosovski sont condamnés également à la peine capitale par contumace, bien que les trois derniers eussent été déjà exécutés durant les semaines précédentes.
Marko Fridman, le chef des accusés au procès, avoue que l’organisation fut soutenue financièrement et militairement par le Komintern et donc le Parti communiste d’Union soviétique.
Quant aux organisateurs de l’attentat, Dimitar Zlatarev, Petar Abadziev et Nikola Petrov – ils parviennent à s’enfuir en Union soviétique en passant par la Yougoslavie…
L’attentat de la cathédrale Sveta-Nedelya de Sofia, appelé les « Pâques rouges », demeurent l’attentat le plus meurtrier jamais enregistré sur le continent européen ! Mais sa répression sévère démantèle le bolchevisme dans le pays et écarte, pour quelques années au moins, tout risque sérieux d’une nouvelle tentative de prise du pouvoir par le Komintern.
Malheureusement pas définitivement, puisqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de l’effondrement des armées du Reich, l’Armée rouge présente en Roumanie envahit le pays – aussi sous la menace de la flotte soviétique en mer Noire – le 5 septembre 1944. La Bulgarie bascule dans la nuit communiste pour plus de 45 ans avec son cortège de massacres, persécutions, tortures, goulags, police politique dont le bolchevisme est toujours familier.
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Pour se dédouaner de ce qui fut peut-être la plus meurtrière des actions clandestines sanglantes du bolchevisme en Europe dans l’entre-deux-guerres, le Komintern élabora une tentative d’attribuer l’attentat à la France et plus particulièrement à son état-major !
Le communiste yougoslave Ante Ciliga qui séjournait en URSS lors de l’affaire de l’attentat de la cathédrale de Sofia rapporte dans son livre Au pays du grand mensonge (Gallimard, 1938) écrit à l’initiative de Boris Souvarine (membre du Praesidium du Komintern) :
« Un autre cas particulièrement tragique est celui du radical-socialiste français Mallet. Voici son histoire. Il était attaché à l’ambassade de France à Sofia. Pendant la période qui suivit le coup d’État de Tsankov en 1923, la révolte de septembre 1924 et l’explosion de la cathédrale de Sofia en 1925, l’ambassadeur de France s’efforça, comme on sait, d’adoucir le sort des victimes de la terreur dirigée contre le Parti paysan et contre les communistes. De retour en France, Mallet, que ces efforts avaient profondément intéressé, se mit en relation avec le MOPR (Secours rouge). Il tint des conférences sur la terreur en Bulgarie et parut aux réunions du MOPR. Cette organisation l’envoya en Russie, où il fit une tournée de conférences. Il était si confiant qu’il fit même venir sa mère en URSS.
Brusquement, on exigea de lui qu’il « témoignât » que l’explosion de la cathédrale de Sofia était l’œuvre des autorités françaises … Mallet refusa avec indignation. La Guépéou fit arrêter sa mère et le prévint que leur sort à tous deux dépendait de ses « aveux ». Mallet refusa de plus belle. On le condamna à dix ans de détention à Solovki [un des camps du Goulag sociétique]. On lui refusa toute information sur le sort de sa mère. Mais Mallet ne se tint pas pour vaincu, fit la grève de la faim, exigea sa libération. Alors qu’il était déjà affaibli et malade, on le mit « au secret » à Iaroslav. Grâce à sa ténacité et à une chance heureuse, il put, en 1931-1932, informer quelques autres prisonniers de son sort.
Pour comprendre le cas Mallet, il faut savoir qu’à cette époque le gouvernement soviétique accusait ses victimes (en particulier au procès du « parti industriel » de préparer l’intervention armée de l’étranger de connivence avec l’État-major français. Sans l’honnêteté et le courage de Mallet, le monde aurait « appris » que l’explosion de Sofia était l’œuvre de la police et de l’État-major français… »
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Quant à l’imputabilité de l’attentat au Komintern, Pierre Broué lui consacre un passage dans son Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943 :
« Après avoir pendant des décennies accusé la police d’avoir elle-même commis l’abominable attentat pour en accuser « les communistes », Georgi Dimitrov, le leader historique du PCB, a assuré le 19 décembre 1948 devant le Ve congrès de son parti que celui-ci avait été à son origine et que c’étaient bien des hommes de l’organisation militaire, agissant sur ordre, qui avaient déposé la machine infernale. Il expliquait pour sa part qu’il s’était agi d’une « déviation ultragauchiste » un « acte de désespoir » (…) Un ancien membre du Comité central émigré en Israël, Petar Semerjeev, qui eut accès aux archives de la police en Bulgarie, présente une version différente. Selon lui, la décision fut prise à Vienne par Georgi Dimitrov au début de l’année 1925. La version de l’émigré ne diffère guère du témoignage donné par Aïno Kuusinen selon laquelle tout le monde savait au Komintern que la responsabilité de cet attentat revenait à Georgi Dimitrov ».
Jean-Louis Panné et Tontcho Karaboulkov commentent :
« Les communistes auraient-ils ici dérogé à leur règle habituelle de ne reconnaître que leurs succès ? Rien n’est moins sûr. Les communistes bulgares n’ont pas avoué, officiellement du moins, leur responsabilité dans cet attentat qu’ils ont préféré attribuer à une fraction « gauchiste » de leur Parti. L’attentat n’ouvrit pas la voie à l’instauration d’un régime communiste et se solda en ce sens par un échec. Leur attitude eut évidemment été différente si l’attentat les avait grandement rapprochés du pouvoir. Nul doute que ses auteurs seraient aujourd’hui couverts de gloire et que de nombreux monuments auraient immortalisé leur mémoire dans la Bulgarie communiste. (…)
Dans son livre, Broué évoque aussi celui de Petar Semerdjiev, un ancien membre du Comité central du parti bulgare, consacré à Dimitrov. Évoquant une conférence tenue à Moscou en 1925, c’est-à-dire après l’attentat, Semerdjiev rappelle la brève altercation qui éclata lors de cette réunion entre Georgi Dimitrov et Stanké Dimitrov (« Marnk », le « courrier » du Parti à l’époque). Or cet homme insistait sur le fait que c’était bien Dimitrov en personne qui avait donné l’ordre de commettre l’attentat de la cathédrale. Sans doute, Dimitrov n’a-t-il jamais oublié la menace que représentait pour lui ce témoignage. Et Marck mourut opportunément en 1944, alors qu’il avait pris la décision de quitter l’URSS où il résidait depuis de nombreuses années, pour entrer en Bulgarie… »
Très bien. A rapprocher, du lundi de la semaine sainte de 2019, en France.
Et aussi de l’église d’Oradour avec son toit crevé et ses murs intacts.