Quatre mois après le déclenchement de l’affaire Bygmalion, deux mois après sa lourde mise en cause, plusieurs semaines après les déclarations des dirigeants UMP laissant entendre qu’il serait limogé du parti et qu’il quitterait son siège, Jérôme Lavrilleux est toujours député européen.
Un rescapé de Bygmalion toujours député et toujours UMP
Sa fiche parlementaire1 fait état de son appartenance à l’UMP (Union pour un mouvement populaire), comme au Parti populaire européen (PPE), la structure européiste des libéraux-conservateurs. Les députés européens avaient voté à la quasi-unanimité la levée de l’immunité parlementaire de Jean-Marie Le Pen pour un délit d’opinion. À l’inverse, de l’extrême gauche à l’extrême droite, la présence d’une personne soupçonnée de graves faits de corruption et qui a reconnu avoir violé la loi ne dérange aucun de ces élus.
Ainsi, non seulement Jérôme Lavrilleux n’a pas démissionné, mais il est entré à la Commission de l’emploi et des affaires sociales (!), à la Délégation pour les relations avec le Canada, à la Commission des pétitions et à la Délégation pour les relations avec l’Afrique du Sud, comme suppléant pour ces deux dernières, et poursuit sa carrière sans problème.
Si l’UMP tente de masquer les traces de sa présence dans ses rangs, le PPE lui consacre une fiche sur son site2. Il a même, au nom du PPE, publié un communiqué sur « l’emploi des jeunes ». Un sujet pourtant bien étranger à ce quadragénaire au parcours d’apparatchik et aux revenus exorbitants. Début juillet, l’UMP avait fait semblant d’agir pour parvenir à son éviction du PPE.
« Je souhaite que les procédures soient respectées et selon les procédures et le statut du Parti populaire européen, que quelqu’un qui n’est plus membre d’un parti constitutaire, n’est plus membre du PPE »
avait déclaré Alain Lamassoure. À l’époque, l’UMP faisait croire qu’une procédure d’exclusion était en cours contre Jérôme Lavrilleux. François Fillon regrettait que Jérôme Lavrilleux n’ait pas démissionné de lui-même. « Si cela avait été le cas, nous nous serions épargné ce débat ».
« Il y a trahison des valeurs et des engagements de l’UMP et, à ce titre, la question de l’appartenance politique se pose »
affirmait Éric Ciotti. Mais les menaces de Jérôme Lavrilleux ont ramené l’UMP à ses pratiques habituelles : conserver dans ses ranges les corrompus. La trahison des valeurs et des engagements de l’UMP n’est pas susceptible d’engager une exclusion du parti.
« Je ne serai pas le type qui paiera pour tous » avait lâché à cette époque Jérôme Lavrilleux, rappelant les cas de « Juppé, Alliot-Marie, Woerth ou, bien sûr, Copé et Sarkozy ».
« Si l’UMP devait exclure quelqu’un dès qu’une enquête est ouverte, il n’y aurait plus grand monde. Et que je sache, les Balkany n’ont jamais été inquiétés malgré leurs condamnations »
Près de deux mois plus tard, Jérôme Lavrilleux est toujours député européen et toujours membre de l’UMP comme du PPE. À l’intérieur comme à l’extérieur du parti, tout le monde a préféré l’oublier.
Près de 700 000 euros de salaire en 4 ans
Selon ses propres déclarations aux autorités de l’UE3, Jérôme Lavrilleux a touché entre 2010 et 2012 au moins 15 900 euros par mois en tant que directeur de cabinet de l’UMP et conseiller de « grupe » (sic) de l’UMP à l’Assemblée dite, sans doute par dérision, nationale (plus de 10 000 euros par mois, et entre 1 000 et 5 000 – Christian Jacob avait évoqué un salaire de 3 500 euros), revenus auxquels il faut ajouter ses indemnités de conseiller général de l’Aisne : 2 400 euros par mois.
À partir de 2012, il s’est contenté du premier poste et de ses indemnités de conseiller général, soit plus de 12 400 euros par mois « seulement ». En quatre années, Jérôme Lavrilleux a empoché un minimum de 679 200 euros quand un honnête ouvrier au SMIC atteignait péniblement 53 760 euros, plus de douze fois moins. Étonnant pour un individu possédant un simple BTS et, pour ce qui est connu de sa vie, n’ayant jamais réellement travaillé de sa vie et toujours vécu de l’argent public par la politique, d’une manière ou d’une autre, par le financement public des partis politiques ou direct comme collaborateur parlementaire4.
Arion-Bygmalion, même combat ?
Jérôme Lavrilleux fait enfin financer par le contribuable deux collaborateurs, Quentin Bataillon, un jeune élu de Fers, près de Saint-Étienne, et Frédéric Baptista, un fervent militant copéiste de Meaux.
Quentin Bataillon était jusqu’en 2014 le collaborateur de Françoise Grossetête, députée européenne de l’UMP pour la région sud-est. À l’image de Guillaume Peltier, Quentin Bataillon s’était engouffré dans la brèche Bygmalion : sur le créneau porteur pour tous les profiteurs à l’époque, il a créé en 2012 sa propre société de communication, Arion Communication & Formations. La société avait d’ailleurs pour créneau les questions « de stratégie, de conseil, d’événementiel », exactement comme Bygmalion. Comme Bygmalion, Arion com’munication avait reçu du gouvernement l’agrément pour dispenser des formations aux élus locaux. Étrangement, le site de la société a été mis en sommeil et est désormais inaccessible, moins de deux ans après la création de la société qui avait pris pour nom celui d’un cheval immortel. En août 2013, parmi ses références, Arion Com’munication se réclamait de http://www.feurs.org/, le site de la mairie de Feurs, où désormais siège Quentin Bataillon.
Ce dernier n’a en aucun mal à travailler pour un homme qui a avoué avoir mis en place une double comptabilité lors de la campagne électorale des élections présidentielles en 2012 pour violer les lois de leur démocratie, sans compter les lourds soupçons d’enrichissement personnel.
Des faits qui ne préoccupent pas plus les 750 collègues de Jérôme Lavrilleux au Parlement européen.
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1 Disponible ici : http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/124731/JEROME_LAVRILLEUX_home.html.
3 La déclaration est disponible au format PDF ici : http://www.europarl.europa.eu/mepdif/124731_DFI_rev0_FR.pdf.
4 Il fut directeur de cabinet du maire de Saint-Quentin (1995-2004), conseil général de l’Aisne (2002-), en tant que conseiller général du canton de Saint-Quentin Nord, salarié de l’office HLM de Meaux puis directeur de cabinet du maire de la ville, Jean-François Copelovici dit Copé (2004-2007), qu’il assiste alors partout : présidence du groupe UMP à l’Assemblée (2007-2010), au secrétariat général de l’UMP (2010-2012) puis à la présidence de l’UMP (2012-2014) tout en ayant été secrétaire du groupe UMP à l’Assemblée. Il fut bien entendu le directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sárközy en 2012.
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