Les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, construits pour fournir du gaz à travers la mer Baltique de la Russie à l’Europe, ont été partiellement détruits par des explosions le 26 septembre 2022. Le journaliste américain Seymour Hirsch a publié une enquête selon laquelle Nord Stream 1 et 2 ont été détruits par la CIA avec l’aide du Danemark. Et on apprenait il y a quelques jours qu’un discret financier et investisseur américain, Stephen Lynch, avait exprimé son intérêt pour l’achat des gazoducs dans l’hypothèse où ils seraient mis aux enchères en Suisse.
Les gazoducs sont formellement la propriété des consortiums « Nord Stream AG » et « Nord Stream 2 AG » qui ont tous deux leurs sièges en Suisse à Zoug. Les actionnaires des deux consortium sont Gazprom (51 %), Wintershall, PEG Infrastruktur AG, filiale d’ E.ON Beteiligungen, NV Nederlandse Gasunie, Engie et GdF Suez. Tous des groupes européens et russes…
Les deux consortiums se sont déclarés en faillite peu après le déclenchement de l’opération militaire russe et le sabotage des deux gazoducs a constitué la « neutralisation » à long terme du projet. Dans le cadre de la procédure de faillite en Suisse, un tribunal du canton a de nouveau étendu le moratoire sur la faillite jusqu’au 10 janvier 2025 : l’exploitant du pipeline a jusqu’à cette date pour restructurer sa dette… ou entamer sa liquidation et les actifs des deux consortiums pourraient être vendus aux enchères.
Le financier américain s’y prépare. Lynch s’est déclaré résolu à acheter le gazoduc Nord Stream 2, d’une valeur de 11 milliards de dollars, et a demandé aux autorités une licence pour négocier son exemption dans les sanctions américaines car il faudrait interagir avec des entités sanctionnées par les États-Unis. C’est ce qu’écrit le Wall Street Journal, qui a obtenu une lettre envoyée par les avocats de Lynch au département du Trésor en février :
« Un investisseur américain ayant des antécédents de transactions en Russie a demandé au gouvernement américain de lui permettre de soumissionner sur le gazoduc Nord Stream 2 saboté s’il est déclaré aux enchères dans une procédure d’insolvabilité suisse ».
Au passage, les compagnies fondatrices des deux consortium, toutes européennes et russes, y laisseraient gravement des plumes, perdant leurs investissements et la rentabilité qui en était escomptée.
Lynch a fait valoir sa demande aux responsables et aux législateurs américains au motif que l’acquisition du gazoduc donnerait aux États-Unis un outil puissant dans les pourparlers de paix avec la Russie pour résoudre le conflit en Ukraine, tout en soutenant un des objectifs stratégiques plus larges des États-Unis :
« Il s’agit d’une occasion unique pour le contrôle américain et européen des approvisionnements énergétiques européens à la fin de l’ère des combustibles fossiles ».
L’hypothèse n’est pas farfelue : Lynch, qui a vécu à Moscou pendant 20 ans, a une longue histoire d’achat d’actifs russes à bas prix. Le Trésor américain lui a déjà accordé en 2022une autorisation pour racheter la filiale suisse de la banque russe Sberbank. Et Stephen Lynch est un proche de Trump, en tout cas un donateur de sa campagne pour plusieurs centaines de milliers de dollars…
Le message est clair. Après avoir considérablement dévalué la valeur des gazoducs en les sabotant, les Yankee s’apprêtent à les acquérir à vil prix pour en faire un levier possible de contrôle énergétique, économique et d’influence géopolitique sur l’Europe et la Russie… Qui fait la guerre à qui ?