Claude Guéant, un de plus
Y a-t-il un politicien dans leur République qui sera épargné par les affaires ? La présence dans leurs parlements d’innombrables corrompus déjà condamnés ou ayant avoué différents nouveaux crimes et délits (Serge ‘Dassault’ Bloch, Patrick Balkany-Smadja, Jérôme Lavrilleux, Thomas Thévenoud, tous députés avec l’appui non seulement du système, mais de tous leurs collègues), la mise en cause de plusieurs ministres ou hauts cadres du régime depuis l’arrivée de François ‘République exemplaire’ Hollande dans diverses affaires (Kader Arif, Yamina Benguigui, Jérôme Cahuzac, Aquilino Morelle, Thomas Thévenoud, sans parler de la récente grave mise en cause de Dominique Bertinotti, ancienne ministre déléguée à la Famille de François Hollande par la chambre régionale des comptes) laissent à penser que non. Il s’agit d’un record inégalé sous François Hollande, bien que les démissions de ministres mis en cause dans des affaires politico-financières ne soient pas récentes : et les mêmes mésaventures étaient arrivées à Bernard Tapie en 1992, à Alain Carignon, Gérard Longuet et Michel Roussin en 1994, à Dominique Strauss-Kahn en 1999, à Pierre Bédier en 2004 ou à Georges Tron en 2011).
Mise en examen « seulement » pour faux et blanchiment : une demi-victoire
Après trente heures de garde à vue, l’ancien ministre de l’Intérieur Claude Guéant a été mis en examen pour faux et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. La justice l’accuse de ne pas avoir déclaré la vente de deux peintures qui lui avaient rapporté 500 000 euros, somme avec laquelle il s’était immédiatement acheté, cash, un appartement à Paris. Il a été remis en liberté et sera jugé ultérieurement.
L’ancien secrétaire général de l’Élysée de Nicolas Sárközy, qui a échoué à se faire élire député en 2012, semble quasiment assuré d’être condamné dans cette affaire, dans laquelle il a commis un autre délit, la vente d’un tableau à l’étranger sans certificat du ministère de la Culture, rappelant tout le mépris pour le patrimoine national et l’histoire de France des politiciens UMP, y compris les prétendument plus « patriotes ».
Pourtant cette mise en examen a réjoui son avocat, Me Philippe Bouchez el-Ghozi. Jusqu’ici, seuls ces faits de blanchiment et fraude sont poursuivis, alors que les juges soupçonnent des faits d’une tout autre importance : le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sárközy, des faits présumés pour lesquels une enquête a été ouverte en avril 2013 pour corruption active et passive et trafic d’influence, faux et usage de faux, abus de biens sociaux, blanchiment, et complicité et recel de ces délits.
Libye, Malaisie, Arabie séoudite
C’est en enquêtant sur le présumé financement illégal de la campagne de 2007 que les juges ont découvert l’existence d’un virement suspect de 500 000 euros sur les comptes de Claude Guéant.
Selon Claude Guéant, les deux tableaux du peintre flamand Andries van Eertvelt ont été rachetés par un avocat malaisien. Mais selon les enquêteurs, la société de l’avocat malaisien n’a servi que d’intermédiaire. C’est l’affairiste séoudien Khalid Ali Bugshan qui aurait versé les 500 000 euros en Malaisie, où l’avocat se serait contenté de basculer l’argent vers les comptes de Claude Guéant.
Khalid Ali Bugshan a été mis en examen samedi également, pour les mêmes chefs d’accusation que Claude Guéant. Il a été libéré contre une caution d’un million d’euros avec interdiction de quitter le territoire français. Ce n’est pas la première fois que la justice française voit apparaître son nom : Khalid Ali Bugshan a été impliqué dans l’affaire de l’attentat de Karachi, elle aussi liée au financement d’une campagne électorale dans laquelle Nicolas Sárközy était déjà impliquée, celle d’Édouard Balladur en 1995.
Mais cette « simple » mise en examen pour faux et blanchiment n’explique pas la coïncide de calendrier – les faits se sont déroulés en 2008, quelques mois après l’élection présidentielle, la très nette surévaluation des tableaux constatée par tous les experts ; l’énormité de la somme laisse également perplexe les juges et les enquêteurs.
Le financement libyen
Ce qu’ils soupçonnent, c’est que Claude Guéant puisse être le chaînon manquant dans les soupçons de financement occulte de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sárközy par le régime libyen. Plusieurs personnalités ont repris ses informations, notamment parmi les hauts cadres du régime de Mouammar Kadhafi qui, jusqu’à la fin des années 2000, était en très bons termes avec le président de leur République. Les accusations des Libyens n’ont jusqu’ici été étayées par aucune preuve. C’est à cette époque que Claude Guéant tentât de faire blanchir le terroriste libyen Abdallah Senoussi, responsable d’un attentat contre le DC-10 d’UTA qui fit 170 morts, dont 54 Français.
Les soupçons sont renforcés par les liens privilégiés de Claude Guéant avec les autorités libyennes : entre 2005 et 2007, il a effectué plusieurs voyages dans ce pays alors qu’il était directeur de cabinet de Nicolas Sárközy quand ce dernier était ministre de l’Intérieur. Outre les cadres du régime, il rencontrait fréquemment le trafiquant international Ziad Takieddine, impliqué dans de nombreuses affaires politico-financières, mais qui n’a jusqu’ici été condamné que pour diffamation et abandon de famille.
En mars 2011, pour tenter de dissuader l’attaque de la Libye par la France, Mouammar Kadhafi avait évoqué publiquement un « grave secret » qui allait « entraîner la chute de Sarkozy, voire son jugement en lien avec le financement de sa campagne électorale ». Son fils Saif al-Islam Kadhafi avait de son côté précisé :
« Il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. C’est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve. »
Si les preuves n’ont jamais été montrées, les accusations ont également été reprises par Ziad Takieddine.
« M. Guéant donnait des indications bancaires à M. Bachir Saleh [directeur du cabinet de Mouammar Kadhafi] qui faisait des comptes rendus écrits de ses visites en France, destinés à M. Kadhafi »
Ziad Takieddine a depuis affirmé sa préférence pour François Hollande. Un autre personnage, l’ancien chef des secrets extérieurs libyens Moussa Koussa, a confirmé lors d’une audition l’existence de 50 millions d’euros versés à Nicolas Sárközy pour la campagne de 2007.
« C’est M. Claude Guéant, qui était mon interlocuteur. On se suivait »
avait-il ajouté.