Quand on entend ce mot l’on songe à la seconde Terreur de notre Histoire, et celle-ci se réveille comme pour déterrer les corps et les jeter à la voirie d’une opinion publique intoxiquée. Ce mouvement a contaminé les Eglises chrétiennes, s’attaque à l’Islam auquel l’on demande d’expurger le Coran de tout ce qui pourrait fâcher ou discréditer les soutiens de Netanyahou, et maintenant le flot épurateur verse sur la philosophie universitaire en clouant au pilori le fameux Alain Chartier (1868-1951), connu par son prénom, qui enseigna la philosophie en Normandie et aux lycées parisiens Condorcet et Henri IV.
Parmi ses élèves fut un célèbre épurateur de l’université, George Canguilhelm, dont un geste resté dans mes souvenirs dira tout : en 1967, ce colérique, mort du reste, isolé car il n’était entouré que de flatteurs, d’écrire à la craie sur le tableau noir de l’amphithéâtre Richelieu, de l’ancienne Sorbonne : « Moi, vivant, Heidegger ne rentrera jamais à la Sorbonne ! »
Il bloqua la carrière de Jean Beaufret, qu’il fit sortir d’Henri IV pour le consigner à Condorcet, et devenu le confident de ce même ancien combattant, comme Alain, de la première guerre, Heidegger, et c’est de lui que je tiens cet aveu. Ce Jean Beaufret était entré, avec son père, dans la Résistance, me dit-il aux funérailles du philosophe juif converti au christianisme, Jean Wahl, mais l’épuration sanglante, qui était une lutte civile excitée par le Parti Communiste et au bénéfice d’un pouvoir occulte, lui fit changer d’avis.
Ce défunt Alain est maintenant accusé du pire des maux présents par son compatriote normand Onfray, qui l’accuse d’avoir été « antisémite » ; la même accusation, très utile à ceux qui cherchent la faveur du pouvoir ou une promotion médiatique, sera portée, n’en doutons guère, contre le Christ, contre Mahomet, contre Kant, contre Spinoza devenu chrétien libéral, contre Fichte, contre Hegel, contre Schopenhauer, contre Heidegger national-socialiste, sauf si l’inculture progressive tient ces grands hommes dans l’oubli. Elle l’est déjà contre Voltaire en plus taxé d’esclavagisme, de racisme etc…, et le mouvement va si loin que le secrétaire de la société des Amis d’Alain, mon ancien collègue du lycée français Carnot de Tunis, et fils d’un de mes professeurs d’Henri IV, exprime son dégoût devant un mot aimable en 1940 d’Alain Chartier pour le Chef de l’Allemagne. Combien savent que le cinéaste Jean Renoir eut le même sentiment qu’Alain et l’exprima en partant pour les USA ?
Alain comptait dans ses relations Léon Blum et ne le supportait guère. Il l’écrit noir sur blanc dans ses Carnets intimes.
Mais comment peut-on ainsi s’acharner en ce siècle de décadence physique et morale, et d’invasion des peuples, quand nous supportons activement ou passivement que des terroristes soient armés contre un gouvernement légitime et populaire, bouclier de sa population chrétienne, la Syrie, contre un Alain, qui fut grand blessé de guerre, soldat courageux, mais qui comprit que cet affrontement inter-européen était, selon l’avertissement de Lyautey déjà en 1914, le suicide de l’Europe ? Onfray et notre collègue évoquent l’approbation des Accords de Munich qui furent la fin de la tyrannie exercée par le Nouvel Ordre établi à la Paix de Versailles, et le refus du bellicisme ! Mais que ne savent-ils que la déclaration matinale de guerre anglaise au secours d’une Pologne chauffée par Londres, mit des heures à être approuvée, l’après-midi, à Paris, sans le vote des Chambres – ce qui rendait la décision illégale – et ne le fut que par l’intervention du fils naturel de Clémenceau, Georges Mandel, qui assura ses collègues de l’intervention prévue de Roosevelt, lequel appartenait à la même secte secrète que lui, déclaration que nous fîmes porter par l’ambassadeur Robert Coulondre à l’Empire allemand.
Je tiens du beau-frère de cet ambassadeur que Robert Coulondre répétait qu’il aurait accepté de témoigner, à Nuremberg, en faveur de Goering si la défense le lui avait demandé !
Les anciens combattants français, tel mon propre père, avaient compris l’inanité du premier conflit qui était au profit des puissances étrangères à la France et à l’Allemagne, et entraînerait la catastrophe humaine et sociale que nous voyons se développer.
Le pire dans ce procès typiquement stalinien que fait le secrétaire de l’association des amis d’Alain est son accusation portée envers celui dont il devrait défendre la mémoire, d’avoir exalté les paysans de sa région natale du Perche. Ce serait antiprogressiste, en effet, pour notre collègue, que d’ignorer la fin inéluctable de la paysannerie sous les coups du progrès, comme on désigne l’endettement bancaire, l’emploi des pesticides, et malaise traduit par un nombre constant de suicides d’agriculteurs.
Pierre Dortiguier