IL FAUT SE PINCER pour y croire. Jamais depuis les débuts de la Ve République en 1958 nous n’avions connu une situation analogue. Nous sommes manifestement au bout d’un cycle. La IIIe République avait duré près de soixante-dix ans, du 4 septembre 1870 au 11 juillet 1940, au lendemain du vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. La Ve République née le 4 octobre 1958 avec le retour au pouvoir du général De Gaulle puis le vote par référendum d’une nouvelle Constitution dépassera-t-elle les septante années ? Rien n’est moins sûr tant sa décomposition voire sa putréfaction atteignent des niveaux jusque-là inégalés et tant elle est désormais incapable d’assurer une quelconque stabilité, ce dont pourtant elle se faisait fort, à l’inverse de la défunte Quatrième République. Que voit-on, médusés, ébaubis, stupéfaits ? Des gouvernements qui ne sont même plus des contrats à durée déterminée mais des contrats d’intérim. L’avant-dernier a duré 14 heures seulement, du dimanche 19h40 au lundi 9h40, un record historique ! Un Premier ministre démissionnaire le lundi qui est à nouveau missionné par le chef de l’Etat le vendredi après que ce dernier eut pourtant accepté immédiatement sa démission et après que Lecornu eut expliqué, deux jours plus tôt, au journal télévisé de 20 heures de France 2, la main sur le cœur, et avec une mine contrite de premier communiant, que sa mission était désormais terminée et que le président pourrait nommer sous quarante-huit heures un nouveau Premier ministre. Donc sous-entendu qui ne serait pas lui. Un chef du gouvernement démissionnaire le lundi, renommé le vendredi, difficile de ne pas constater là une forme de duplicité, de cynisme et de manipulation de la part des deux hommes qui sont des intimes. A moins que Lecornu, une nouvelle fois, n’ait fait qu’obéir aux ordres de Macron, son patron, en « moine soldat ». Lors de la renomination de son Premier ministre, le président de la République avait dit qu’il donnait désormais « carte blanche » à Lecornu mais l’on a appris qu’avant de s’envoler pour l’Egypte afin d’assister à la conférence internationale sur l’avenir de Gaza tard dimanche soir, Macron était resté avec Lecornu trois heures à l’Elysée, précisément pour composer dans le détail la nouvelle équipe gouvernementale et imposer ses choix.
Que voit-on encore ? Un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, qui sera emprisonné le mardi 21 octobre à la prison de la Santé dans le quatorzième arrondissement de la capitale, à la suite de sa condamnation à cinq ans de prison ferme, le 25 septembre dernier, par le tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire libyenne pour « association de malfaiteurs », ce qui porte objectivement un coup dur à l’image de notre pays et de ses dirigeants dans le monde. Des chefs politiques comme Bruno Retailleau qui s’emploie pendant quarante-huit à convaincre ses troupes de rentrer dans le gouvernement Lecornu I contre l’avis de son rival Laurent Wauquiez, puis qui, une semaine plus tard, exige tout à coup des parlementaires LR qu’ils renoncent à participer au gouvernement Lecornu II au point d’annoncer et de prendre des sanctions disciplinaires contre les six responsables LR (Vincent Jeanbrun, Rachida Dati, Annie Genevard, Philippe Tabarot, Nicolas Forissier, Sébastien Martin) qui ont passé outre, avec la bénédiction de Laurent Wauquiez qui, soudainement, ne semble plus opposé à la participation d’élus LR à l’exécutif alors qu’il avait dénoncé jusque-là, et pendant toute la campagne interne pour la présidence de LR, les compromissions voire la fusion avec le macronisme qu’impliquait, selon lui, la présence de ministres LR au gouvernement. Deux ex-Premiers ministres de Macron, Edouard Philippe et Gabriel Attal, qui demandent à un président auquel ils doivent tout et sans lequel ils ne seraient rien, pour l’un, le 7 octobre sur RTL, de démissionner avant la fin de son mandat, une fois le budget adopté, affaiblissant ainsi la fonction présidentielle à laquelle il aspire, pour l’autre, le 6 octobre sur TF1, de ne plus chercher à garder la main et donc de se mettre en retrait alors même qu’il est aux responsabilités pour encore dix-neuf mois. Ce qui n’empêche pas les deux hommes de permettre à leurs maigres troupes de participer au gouvernement Lecornu II qui compte onze ministres Renaissance, le parti d’Attal, quatre Modem, le parti de Bayrou, bien silencieux depuis son renversement, trois ministres d’Horizons, le parti de Philippe, et donc six ministres LR (et bientôt peut-être ex-LR s’ils sont exclus du mouvement, comme le souhaite le président des Républicains).
BREF, c’est la débandade générale. Et le vaudeville permanent. L’Elysée envoie le vendredi 10 octobre à deux heures du matin (1h53 très exactement) un courriel aux différents chefs de partis politiques et de groupes parlementaires à l’Assemblée nationale, à l’exception de LFI et du RN, pour les convoquer, toutes affaires cessantes, le jour même, à 14h30, à l’Elysée, sans donner de motif à cette convocation, sans dévoiler un ordre du jour, même si l’on comprend en filigrane qu’il s’agit de trouver une solution pour éviter absolument la dissolution, ce qui est inouï. On n’a jamais été aussi loin dans le régime des partis ! Le Premier ministre qui devait être nommé le 10 octobre avant 20 heures l’est finalement à 22 heures, Edouard Philippe ayant fait des difficultés quant à la question d’une probable suspension de la réforme Borne des retraites pour obtenir la non-censure des socialistes. Le gouvernement Lecornu II est nommé, lui, le dimanche à 22 heures. Elisabeth Borne, autre ancien Premier ministre de Macron, qui a donné son nom à la réforme de 2023 qui a mis des millions de personnes dans la rue et qui n’a pu être adoptée au Palais-Bourbon qu’au forceps, grâce au 49-3, déclare tout à coup qu’on pourrait la suspendre, que ce ne serait finalement pas si grave. Alors qu’on avait présenté jusque-là cette novation comme la réforme essentielle et incontournable du second quinquennat d’Emmanuel Macron ! Le seul texte d’envergure de son deuxième mandat ! Alors que faut-il croire ? Et qui faut-il croire ?
Bruno Retailleau qui avait acquis une notoriété et une popularité incontestables en occupant pendant un an sans discontinuité la place Beauvau et en multipliant avec habileté les prises de parole apparemment musclées a beaucoup perdu en l’espace d’une semaine. En crédibilité, en sérieux, en “présidentialité”. Il a manifestement manqué de sang-froid, de maîtrise de soi. Le tweet qu’il a envoyé moins de deux heures après la formation du gouvernement Lecornu I, le dimanche 5 octobre au soir, à 21h22, agacé par le retour de Bruno Le Maire, pourtant issu de LR, qu’apparemment on lui avait caché, et par le nombre insuffisant de ministres LR, dénotait davantage l’attitude d’un adolescent attardé ou d’un politicien sous pression et émotif que celle d’un homme d’Etat. On pouvait penser qu’en ayant largement remporté l’élection interne aux Républicains, le 18 mai 2025, face à son principal rival Laurent Wauquiez (avec 74,31 % des voix contre 25,69 %), il avait assuré durablement sa domination sur le parti. Manifestement il n’en est rien. Ce parti sans colonne vertébrale ne cesse décidément de se déchirer à intervalles réguliers depuis des décennies. On a connu du temps du RPR le putsch Pasqua-Séguin contre Juppé en 1990, le conflit Chirac-Balladur en 1995, la bataille fratricide entre Fillon et Copé en 2012-2013, Copé l’emportant de justesse à la présidence de l’UMP le 18 novembre 2012 avec 50,28 % des suffrages contre 49,72 % pour Fillon qui l’a longtemps accusé d’avoir triché. Puis il y eut l’affaire Fillon en 2017, qui fut absolument désastreuse pour l’image des Républicains et qui conduisit beaucoup de cadres LR à rejoindre Macron, l’incapacité de Wauquiez à tenir le parti malgré son élection triomphale à la présidence de LR le 10 décembre 2017 avec 74, 64 % des voix, le score calamiteux de Valérie Pécresse en 2022, en dessous du seuil de remboursement fixé à 5 %, l’alliance de Ciotti en juin 2024 avec le Rassemblement national et désormais ce conflit fratricide entre Retailleau et Wauquiez, entre les sénateurs et les députés LR. Ce parti qui n’a aucune doctrine, aucune ligne politique claire, est en voie d’affaissement et peut-être, à moyen terme, de disparition. Il y a ceux qui entendent s’allier avec la Macronie agonisante pour retarder une dissolution de crainte d’être balayés en cas de législatives anticipées et il y a ceux qui regardent de plus en plus du côté du Rassemblement national qui caracole en tête des sondages autour de 35 % et qui sont donc tentés d’imiter Ciotti dont le petit parti n’est au fond qu’une annexe, qu’un satellite du RN qui n’apporte objectivement aucune valeur ajoutée et ne dispose d’aucune véritable indépendance. Ciotti savait qu’il ne sauverait son siège de député à Nice lors des législatives de l’été 2024 qu’en s’alliant avec le RN, c’est-à-dire en faisant en sorte que le parti de Jordan Bardella le soutienne dès le premier tour en ne présentant pas un candidat contre lui. Mais Ciotti n’est en rien un homme de convictions. Il avait auparavant cherché en vain à devenir un ministre de Macron. Il ne s’est rapproché du RN que par intérêt électoral, par pur carriérisme, pour sauver sa peau et sa place. Il n’y en a décidément pas un pour rattraper l’autre dans ce panier de crabes.
AU POINT OÙ EN SONT les choses aujourd’hui, tout laisse à penser que s’il y avait prochainement une élection présidentielle, on s’orienterait au second tour vers un duel RN-LFI, vers une finale entre Jordan Bardella — ou Marine Le Pen, si elle était à nouveau éligible, ce qui est peu probable — et Jean-Luc Mélenchon. Entre le plus jeune (30 ans à peine, depuis le 13 septembre 2025) et le plus âgé des candidats (74 ans). Entre un juvénile chef de parti qui triomphe sur TikTok en jouant d’abord sur son image, sa jeunesse, son côté propre sur lui, calme et lisse, inodore et incolore, et un vieux politicien bouillant et chevronné qui fait encore de la politique à l’ancienne, avec des discours structurés et sans notes et qui harangue les foules, sans commettre la moindre faute de français. Notre dernier tribun depuis le retrait puis la mort de Jean-Marie Le Pen mais hélas à son opposé sur l’échiquier politique et quant à la plupart de ses idées et prises de position. Bref, un duel entre deux partis, RN et LFI, qui n’ont jamais été au pouvoir, même si Jean-Luc Mélenchon a été ministre délégué à l’Enseignement professionnel, de 2000 à 2002, dans le gouvernement rose-rouge-vert de Lionel Jospin, mais à l’époque où il était encore au parti socialiste, avant de se grimer en héraut de la gauche populiste et radicale. Cette finale au sommet, et qui promet du spectacle, entre le RN et LFI, est le souhait nullement caché des dirigeants de ces deux formations. Mélenchon souhaite parvenir enfin en finale de la présidentielle — ce qu’il a manqué de peu en 2017 et plus encore en 2022 —, face au représentant du Rassemblement national, en jouant à fond la carte de l’antifascisme afin de se placer au centre de l’attention et du jeu politique et afin d’obtenir une forme de consécration à la fin de sa très longue carrière politique. Il est en effet convaincu que, dans un débat de l’entre-deux-tours, du fait de son expérience militante, de sa culture politique et historique, de son maniement du verbe, de son amour des joutes verbales, il ne fera qu’une bouchée de son juvénile adversaire. A condition toutefois de ne pas faire preuve d’une agressivité qui parfois le dessert, comme on l’a encore vu ce lundi 13 octobre au matin face au journaliste Benjamin Duhamel sur France Inter. Quant à Jordan Bardella, il est convaincu qu’il l’emportera largement face à Mélenchon au second tour (les sondages sont actuellement sans appel, ne créditant le chef de la France insoumise que de 35 % des voix dans cette configuration). D’abord parce que la gauche radicale, même soutenue par les autres composantes des forces dites abusivement de progrès, est largement minoritaire dans le pays. D’autre part, parce que Mélenchon ne pourra pas bénéficier d’un large front républicain dans la mesure où il s’est mis à dos le lobby juif du fait de ses positions pro-palestiniennes et de sa dénonciation publique depuis deux ans du génocide à Gaza.
On est d’ailleurs là à fronts renversés : autrefois c’était Jean-Marie Le Pen et tout le Front national qui étaient violemment combattus par la coterie juive. Aujourd’hui le Rassemblement national, avec la politique dite de dédiabolisation mise en œuvre par Marine Le Pen depuis une bonne vingtaine d’années — on a oublié qu’elle a été prise en mains très tôt par les milieux néo-conservateurs américains qui l’avaient par exemple invitée dès 2003, alors qu’elle n’était encore rien, à visiter les ruines du World Trade Center ! —, c’est-à-dire en réalité de soumission à la synagogue, d’approbation sans réserve de la politique criminelle de Netanyahu, de condamnation sans appel du Maréchal Pétain et de Vichy, de diabolisation du révisionnisme historique, a en partie au moins, réussi à neutraliser les oppositions de ce côté-là. Les Klarsfeld, père et fils, le soutiennent désormais ouvertement, eux qui étaient pourtant des adversaires résolus de l’ancien Front national. Serge Klarsfeld avait d’ailleurs poursuivi Jean-Marie Le Pen et l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne pour les propos du Menhir sur l’occupation allemande en France dans nos colonnes le 7 janvier 2005. Vingt ans plus tard, Klarsfeld dit le plus grand bien de Marine Le Pen qui a participé à la marche contre l’antisémitisme, c’est-à-dire de soutien à Netanyahu et à sa politique génocidaire, le 12 novembre 2023 à Paris — contrairement à Mélenchon et à… Macron, absents ce jour-là, ce qui leur a été amèrement reproché par la communauté ! —, le président (depuis 1979) des Fils et filles de déportés juifs de France est allé à Perpignan recevoir un prix mémoriel de la Ville des mains du sépharade Louis Aliot. N’oublions pas non plus que, les 26 et 27 mars 2025, deux mois et demi seulement après la mort de Jean-Marie Le Pen et au moment où les bombes de Tsahal s’écrasaient sur Gaza et où la famine orchestrée par l’entité sioniste était déjà là, Jordan Bardella et Marion Maréchal ont participé à Jérusalem à une conférence contre l’antisémitisme organisée par le gouvernement de Netanyahu auquel ils ont apporté un entier soutien, ont visité des kibboutz et ont rallumé la flamme de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah. Enfin, et on ne l’a pas suffisamment noté, pour la première fois, le 16 septembre 2025, le Rassemblement national a été officiellement invité à un dîner du CRIF, celui de Marseille-Provence. Donc les digues sont actuellement en train de céder. Au moins partiellement. Et c’est notamment tout le travail de la sphère Bolloré, de CNews, d’Europe 1, du Journal du dimanche, mais aussi de Valeurs actuelles, de L’Incorrect, de Frontières, voire du Figaro et de personnalités communautaires comme Gilles-William Goldnadel ou la directrice de Causeur Elisabeth Lévy. Soutenir un génocide qui a fait au bas mot des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de blessés et d’amputés à Gaza, défendre les lois Pleven, Gayssot, Perben et Taubira, voter la constitutionnalisation du « droit à l’avortement », rester dans le cadre de l’euro et de l’Union européenne, diaboliser le Maréchal Pétain sont manifestement les conditions sine qua non pour que le Rassemblement national puisse enfin être agréé, pour qu’il n’y ait plus d’objection dirimante à son arrivée au pouvoir. Et encore il n’est pas sûr au final que cela suffise, car les autres partis n’ont aucune envie de perdre ou de devoir partager leur gamelle.
AU MOMENT OÙ nous bouclons ce numéro, nous ignorons si le gouvernement Lecornu II sera ou non censuré par les députés à l’issue du discours de politique générale du Premier ministre qui devait être prononcé le mardi 4 octobre dans l’après-midi à la tribune de l’Assemblée nationale. En dehors de la France insoumise et du Rassemblement national, qui appellent explicitement à de nouvelles élections, présidentielle anticipée pour la première, dissolution et nouvelles législatives pour le second, aucun des autre groupes et partis politiques ne souhaitent actuellement repartir en campagne. Ils n’y ont en effet aucun intérêt. C’est pourquoi il est difficile de savoir si le nouveau gouvernement sera ou non censuré cette semaine. Si l’on applique la logique politique, il devrait l’être, tellement il est décrié et failli et tellement ses soutiens sont minces. Mais l’instinct de conservation des députés pourrait être plus fort. Au moins à court terme. Tout dépend en réalité du vote des socialistes (69 élus en tout sur un total de 577 députés) qui se montrent jusque-là très ambigus sur le sujet et qui pourraient se contenter de quelques miettes pour ne pas avoir à appuyer sur le bouton de la censure. Toute la question est de savoir s’il vaut mieux pour eux sauver temporairement leur siège quitte à apparaître comme les alliés objectifs et la roue de secours du macronisme désormais honni et agonisant, quitte à le payer ultérieurement au prix fort dans les urnes et à exaspérer leur base militante et une bonne part de leur électorat, déjà fort restreint, ou s’il vaut mieux pour eux se diriger vers la censure afin de tenter de se démarquer d’un gouvernement très minoritaire et impopulaire et essayer ainsi de limiter la casse lors de législatives anticipées. C’est un vrai dilemme.
Est-ce que l’instinct de survie à court terme l’emportera, et dans ce cas ils ne censureront pas — en tout cas pas tout de suite — le nouveau gouvernement ? Ou est-ce que la volonté de ne pas être emporté à leur tour dans la débâcle électorale du bloc central et de ses alliés sera à l’arrivée plus forte, et dans ce cas ils mêleront leurs voix à celles de LFI et du RN ? Mais de toute façon, quoi qu’il advienne, et quel que soit le choix fait cette semaine par les élus socialistes qui pourraient d’ailleurs se diviser, trois députés de l’aile gauche du parti ayant déjà fait savoir qu’ils voteraient la censure du gouvernement Lecornu II quoi qu’il arrive, on voit mal lors d’un prochain scrutin législatif qui pourrait être gagnant en dehors du Rassemblement national. Les LR sont en effet divisés et affaiblis, sans ligne stratégique claire entre ceux qui veulent encore gouverner avec la Macronie finissante et ceux qui lorgnent de plus en plus vers le Rassemblement national ; le bloc central est, quant à lui, à l’agonie. Le fameux « socle commun » de 210 députés allant de Renaissance aux Républicains n’existe plus ou en tout cas a pris du plomb dans l’aile. La gauche elle-même est scindée, les socialistes refusant désormais toute alliance dès le premier tour avec les Insoumis. Et on ne sait toujours pas si les communistes et les écologistes feront aux élections législatives le choix de s’allier avec les socialistes ou avec LFI, à moins que ce ne soit du cas par cas. De sorte que ce camp politique partira en ordre dispersé en cas de dissolution, ce qui risque de l’empêcher d’accéder au second tour dans un assez grand nombre de circonscriptions. Aujourd’hui l’écart est immense, à en croire les intentions de vote, entre un Rassemblement national situé entre 35 et 36 % des suffrages — près de 40 % avec Reconquête ! — et les autres formations politiques, toutes situées en dessous des 15 %. Le bloc central, les Républicains et même la gauche pourraient donc être absents d’un grand nombre de seconds tours en cas de législatives anticipées. Dans ces conditions, on conçoit que les uns et les autres n’aient absolument aucune envie de la censure. Et dans une présidentielle qui aurait lieu dans les semaines qui viennent, ce qui reste en l’état une hypothèse d’école, Macron refusant e démissionner et la destitution n’ayant aucune chance d’être votée, le seuil d’accession à la finale est actuellement très bas, situé là aussi autour de 15 %, le candidat du RN caracolant en tête avec quelque 35 %.
Il est à noter que Bardella fait autant, voire légèrement mieux, que Marine Le Pen, ce qui, là non plus, n’est pas anodin. Mais 35 %, ce n’est toujours pas 50 %. Ces quinze points manquants ne sont pas si faciles à gagner d’un tour à l’autre, surtout que, pendant quinze jours, pourrait se mettre à nouveau en branle une artificielle diabolisation politico-médiatique, sauf bien sûr si Bardella se retrouvait face à Mélenchon, ce qui est aujourd’hui une hypothèse forte. Et en cas de dissolution, laquelle aura lieu selon toute vraisemblance très rapidement si le nouveau gouvernement est renversé, peut-être dès la mi-novembre, le front républicain sera-t-il encore efficace ? Empêchera-t-il à nouveau in extremis le RN d’obtenir une majorité, au risque de déboucher une nouvelle fois sur une assemblée ingouvernable ? C’est là encore une question à laquelle il est bien difficile actuellement de répondre. Il ne faut pas sous-estimer entre les deux tours la puissance de l’antifascisme. On dit toujours avant chaque scrutin qu’il est en recul, que cela ne marchera plus, mais force est de constater que, depuis quarante ans, il a toujours fonctionné avec une redoutable efficacité avant-hier contre le FN et hier encore contre le RN, pas plus tard qu’à l’été 2024, entre les deux tours des législatives anticipées. En ira-t-il autrement la fois prochaine ? Bien malin qui peut le prédire.
CE QUI EST CERTAIN en revanche, c’est la nocivité du nouveau gouvernement annoncé le dimanche 12 octobre au soir. On nous avait promis un gouvernement resserré. Or, il compte 34 membres. On avait parlé de renouvellement. Or, on retrouve Dati à la Culture, Darmanin à la Justice, Barrot au Quai d’Orsay, Amélie de Montchalin aux Comptes publics et Aurore Bergé chargée comme auparavant de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les Discriminations ! L’ancien préfet de police de Paris, Laurent Nunez, a été nommé à l’Intérieur en lieu et place de Retailleau. C’est une très mauvaise nouvelle. Ainsi que le maintien de Darmanin à la Justice. Les deux hommes ont en effet multiplié de manière arbitraire et liberticide les interdictions et dissolutions depuis plusieurs années, singulièrement depuis la circulaire Darmanin du 9 mai 2023 interdisant de manière préventive et systématique toute manifestation, tout événement « de l’extrême droite ou de l’ultra-droite », notions très vagues, jamais définies et extensives à l’infini. Des interdictions tout à fait scandaleuses de colloques, de banquets, de conférences, d’hommages à Jeanne d’Arc, de dépôt de fleurs pour un défunt — Pierre Sidos — dans un cimetière, de spectacles, notamment ceux de l’humoriste Dieudonné, se sont ainsi enchaînées ces dernières années.
Une foultitude de mouvements et d’associations politiques ont ainsi été dissous de manière tout à fait arbitraire, sans aucune raison objective, à la demande de Darmanin et Nunez s’est fait à chaque fois le bon petit soldat de ces interdictions et dissolutions parfaitement abusives. Il a multiplié les arrêtés pour interdire un très grand nombre de manifestations, pourtant pacifiques, de la droite nationale et nationaliste, avec des attendus grotesques et dignes de la défunte Union soviétique ou d’une République bananière. Le voir accéder à la place Beauvau n’a donc rien de rassurant. Dans le même ordre d’idées, le maintien de la très macroniste Aurore Bergé, qui a toujours été d’un total à-plat-ventrisme devant le CRIF et la LICRA, et qui s’est engagée à un énième renforcement — encore un ! — de l’arsenal répressif contre le racisme et l’antisémitisme — on sait ce que cela veut dire dans leur jargon ! — n’a non plus rien de réjouissant. Il faut donc espérer que ce nouveau gouvernement ne passera pas la semaine et sera censuré. Mais cela ne dépend pas de nous. Espérons en tout cas que de cette crise de régime, absolument inédite sous la Ve République par son ampleur, sa durée et son accélération, sortira quelque chose de bon et de salutaire pour notre peuple et notre nation. Même si, dans le chaos actuel, il est bien difficile d’y croire. […]
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Source : Éditorial de Rivarol