Pourquoi un accord de coopération militaire ?
Pourquoi cet article ? Pour remettre les pendules à l’heure face aux réactions de gens qui ne connaissent rien ni à la logistique portuaire ni aux enjeux internationaux du contrôle de l’Atlantique sud mais qui adorent donner doctement leur avis sur tout et sur n’importe quoi sans chercher à se renseigner sérieusement. Il est clair que certains commentateurs (dont évidemment nombre de journaleux qui ne cherchent même pas à ‟investiguer”) ne savent pas de quoi ils parlent lorsqu’ils énoncent de façon péremptoire : « Que veut prouver la Russie en allant dans ce pays minuscule et sans aucun intérêt ? » (sic !)
Lomé est devenu le 4eme port d’Afrique et est noté en 2024 comme 92eme port mondial pour le trafic containers.
Après l’indépendance du Togo, un accord de coopération économique et technique entre la République Fédérale d’Allemagne et la République Togolaise est signé pour la construction du Port de Lomé le 20 juillet 1960. Les études de faisabilité sont confiées au Cabinet Lackner.
Le port comportait initialement un môle unique a deux quais qui permettent l’accostage simultané de 4 cargos.
Les marchandises alors étaient essentiellement transportées en vrac, sacs, etc.

Le développement du trafic par containers a changé la donne et a révolutionné localement la manutention dès le début des années 80.
Un troisième quai, dédié aux porte containers de grande taille, à fort tirant d’eau, et un triplement des surfaces de stockage ont donc été décidés et ont été finalisés fin 2013.
Pour un investissement total estimé à 300 milliards de F CFA et entièrement financé par BAL, le troisième quai, réalisé par Vinci, a une longueur de 450 mètres avec un tirant d’eau porté de 12 à 16 mètres de profondeur, ceci afin de pouvoir accueillir des porte-conteneurs de 7 000 équivalent vingt pieds (EVP). Il est équipé de cinq portiques de déchargement.
Mais le développement du port de Lomé a continué depuis.
En 1919, le MSC JOSSELINE a accosté : c’était alors le plus grand porte containers (366 m – 14 300 containers) jamais venu à Lomé. Son tirant d’eau est de 16 m !

Les responsables de la compagnie Mediterranean Shipping Company (MSC) veulent faire du Port autonome de Lomé, une zone d’interface unique, privilégiée par sa position spatiale et ses infrastructures de communication Il sera le seul arrêt en Afrique de l’Ouest pour ses navires en provenance d’Asie.
Si le transbordement a le vent en poupe, Lomé semble avoir pris quelques longueurs d’avance sur ses voisins, concurrents directs, que sont : Abidjan, Cotonou, Tema et bien sûr Lagos (Nigeria).
Passé de 380 000 EVP en 2014 à un peu moins de 1,4 millions d’EVP en 2018, la capitale togolaise la principale plateforme à conteneurs de la sous-région, le trafic conteneur est fortement dominé par les opérations de transbordement ou reprise de charge par containers entiers qui permet de transférer les marchandises sur des navires de moindre tirant d’eau et donc de rallier les ports côtiers moins équipés…
Autrement dit faute de liaison terrestre routière ou ferroviaire opérationnelle adaptée, le cabotage permet de ventiler les cargaisons venant ici essentiellement d’Asie : c’est le pari de MSC…
Le Port de Lome couvre aujourd’hui une superficie de 900 hectares et son bassin atteint une profondeur de 16,60 m à l’accostage du troisième quai.
Il est répertorié avec 16, 60 m de fond comme le port de le plus profond d’Afrique de l’Ouest…
Ce port a donc un rôle essentiel pour le désenclavement des pays du Sahel (Burkina Fasso, Niger, Mali, et même le Tchad) qui étaient jusqu’à l’implantation ces équipements nouveaux uniquement desservis par Dakar, Abidjan, Tema et Cotonou voire Lagos, tous notoirement saturés.
Mais Lomé n’est pas bien desservi sur le plan logistique :
- tant sur le plan ferroviaire (la ligne du nord Togo devait être reprise depuis Anié et prolongée jusqu’à Ouagadougou ce qui ne se fera pas car le barrage de Nangbéto a créée une zone de lacs et marécages rendant l’installation de la voie vers le nord impossible [ tracé pointillé rouge entre Anié et Issati]). C’est donc l’option béninoise, le tracé béninois Parakou -Namey qui sera mise en œuvre.


- que sur le plan routier la route bitumée depuis cinquante ans doit être refaite et élargie à 4 voies. (La distance routière de raccord Lomé – Cotonou est de 150 km.)
Bolloré avait prévu un maillage ferroviaire sur toute l’Afrique de l’Ouest. Mais la corruption qu’il avait mise en place a conduit les différents pays concernés à se désengager du projet Bolloré, à commencer par le Bénin où le président Achilles Talon à commencer le détricotage pour en confier finalement la réalisation en totalité aux entreprises chinoises.
Que va désormais faire MSC de ce projet de boucle ? « La Chine est extrêmement efficace dans la construction des infrastructures, observe Bernard Aritua. En revanche elle est beaucoup moins performante sur l’opérationnel, sur la gestion des lignes. »
Par ailleurs il ne faut pas oublier que ce « fond » du Golf du Bénin a toujours été considéré comme une zone privilégiée de surveillance internationale ! Poutine ne peut pas pu l’ignorer en un temps où le Venezuela appelle à l’aide face aux rodomontades américaines.
C’est ce qui a conduit au déploiement d’un porte avion chinois dans les eaux atlantiques où Trump menace tous azimuts le Canada, le Groenland, Panama, etc.
Trump cherche par ailleurs à reprendre pied en Afrique de l’Ouest où les ex-colonies françaises ont toutes choisi – à tort ou à raison – de se débarrasser de la tutelle française.
C’est là que Poutine s’est rappelé visiblement rappelé les leçons de l’Histoire : la station de Kamina
Lorsque les Allemands ont entrepris la colonisation de l’Afrique (vers 1875) ils ont compris d’emblée le rôle stratégique de surveillance internationale qui devait être associée notamment aux côtes.
Les colonies allemandes, en 1910 en Afrique, recouvraient le Togoland ghanéen, l’actuel Togo, le Cameroun, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie et la Namibie… C’est l’époque où la communication est assurée par le télégraphe et où la radio commence à se développer… L’armée bien entendu s’en empare et partout les ondes radio sont traquées pour le renseignement militaire.
L’Atlantique sud est un immense terrain de jeu où chaque bâtiment sur l’océan constitue un problème pour le suivre et le détecter. L’Empire allemand comprend très vite qu’il faut disposer d’une station télégraphique centrale pour toute l’Afrique. C’est ainsi que le choix d’implantation s’est porté sur la zone littorale du Togo. Le site choisi fut celui de Kamina (à 10 Km d’Atakpamé) et la réalisation en fut confiée à Telefunken.
Beaucoup plus que la surveillance de l’Afrique, le premier rôle de Kamina était donc le contrôle de l’Atlantique sud !
Le début des travaux remonte à février 1911 et la mise en service au 20 juillet 1914. Kamina était en liaison avec la station de Windhoek au Sud-Ouest africain, avec celle de Tabora (Tanzannie), et en liaison prévue avec celle du Cameroun : une plaque tournante donc de la communication du Reich colonial.
Sa mission était de renseigner Berlin, à 3 450 miles de distance, par l’entremise de la station de Nauen (aux environs de la capitale allemande), et aussi de servir de relais aux bâtiments allemands croisant dans l’Atlantique sud.
Cette station, incroyable prouesse technique à l’époque, fut détruite par les Allemands eux-mêmes après seulement un mois de fonctionnement, le 25 août 1914, afin qu’elle ne tombe pas entre les mains des Britanniques, ou pire, entre celles des Français.

Que veut donc faire Poutine à Lomé ?
Appréciant la stabilité politique du pays (acquise parfois au prix d’une répression féroce) Poutine entend :
- S’assurer d’une base logistique potentielle pour sa flotte (et/ou celles de ses alliés) dans l’océan atlantique grâce à un port, disposant d’un bassin en eau suffisamment profonde pour accueillir les navires de guerre en cas de besoin, et promis à moyen terme à une desserte ferroviaire ralliant toutes les capitales d’Afrique de l’ouest. [Des prolongements de ce réseau ferroviaire international vers Bamako (Mali) et N’Djamena (Tchad) sont déjà à l’étude ainsi qu’un projet de liaison ferroviaire côtière Abidjan – Cotonou via Lomé.]
- Pouvoir par-là assurer un approvisionnement stratégique des pays enclavés du Sahel
- ‟Occuper le terrain” pour y interdire une nouvelle colonisation américaine de ces territoires par débarquement et éviter à terme toute velléité d’occupation de l’OTAN par l’intermédiaire d’instances africaines locales telles la CEDEAO voire l’OUA qui pourraient risquer de céder à de nouvelles sirènes atlantistes…
En résumé, pour ceux qui s’en étonnent encore de cette démarche de Poutine :
– Le port de Lomé est aujourd‘hui classé parmi les tous premiers ports de l’Afrique, et présente un tirant d’eau permettant l’accueil de navires militaires d’assez grande taille.
– L’initiative d’une implantation militaire de Poutine est pour le TOGO un gage d’indépendance vis-à-vis de la menace d’opérations américaines voire d’une colonisation/occupation comme on en a vu les effets dévastateurs récents en Syrie, Irak, Afghanistan, etc…
L’auteur Claude Timmerman est ancien chargé de mission du ministre togolais du Développement Rural du Togo.




























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