Tout processus de normalisation avec l’ennemi israélien se doit être accompagné d’une campagne d’apprivoisement de l’opinion publique dans le pays visé. ‘Israël’ ayant été imposé au Moyen-Orient à l’insu de la volonté de ses peuples, toute une stratégie est concoctée pour la leur confisquer à jamais, avec l’aide tacite de certains régimes arabes.
Appliquée dès lors le projet sioniste a été mis en exécution, elle s’est révélée dans sa duplicité avec l’ancien secrétaire d’état américain Henry Kissinger, lorsque le raïs égyptien Anouar Sadate a décidé de conclure un accord avec ‘Israël’, après avoir succédé à Nasser à sa mort.
Majdi Hammad, le politologue égyptien l’explique très bien dans son ouvrage « Sadate et Israël. Le conflit des mythes et des illusions ». Il y expose ce que le renard sioniste de la diplomatie américaine avait inculqué au premier président signataire des accords de capitulation avec l’ennemi sioniste, pendant toute une décennie, comme tactiques destinées à neutraliser le peuple égyptien, de sorte que sa réaction n’affecte pas la conclusion des accords.
La terminologie « accords de paix » en est un cas représentatif.
Mais la plus primordiale est sans doute le slogan « Egypte d’abord », selon M. Hammad. Pour tout simplement désolidariser le peuple égyptien du peuple palestinien. Dans le prolongement, figure aussi celui de promettre une embellie économique. Elle n’a jamais vu le jour.
Sans jamais oublier les campagnes d’élimination des plus récalcitrants.
Aujourd’hui, quand bien même le peuple égyptien est farouchement hostile à la normalisation, cette dernière ne s’en porte pas aussi mal. Les transactions entre les hommes d’affaires des deux côtés n’en souffrent nullement. Les desideratas israéliens sont exaucés. Aucune pression n’est exercée pour alléger la fermeture imposée côté égyptien à la bande de Gaza. Lorsque les Frères musulmans ont accédé au pouvoir, dans la foulée du Printemps arabe, ils n’ont pu annuler les accords.
« L’Egypte d’abord » n’a pas quitté les esprits.
Même procédure dans le camp jordanien avec quelques spécificités certes. Le peuple jordanien, étant lui aussi anti-normalisation, sans léser l’application des termes des accords, quand bien même au détriment de ses intérêts.
Majoritairement originaire de la Palestine historique, il a le confort d’avoir son chez-soi. Contrairement à ses concitoyens de la Palestine occupée, qui le voient filer jour après jours d’entre leurs mains.
Ainsi l’emporte « la Jordanie d’abord ! »
Les processus que nous vivons depuis le mois de septembre avec d’autres pays arabes ne devraient excepter à la règle.
Durant ces deux dernières décennies, on constatait une intensification des contacts et de rencontres entre dirigeants bahreïnis et israéliens d’un côté, émiratis et israéliens de l’autre, et saoudiens et israéliens également.
Inversement aux cas de l’Egypte et de la Jordanie, le processus semblait s’inverser, en voulant cette fois-ci faire passer la normalisation des relations avant la conclusion des accords. Ce fut la normalisation d’abord !
Pour ce faire, un travail sur l’opinion publique était plus que nécessaire, allant au-delà de la récupération du slogan de Sadate, avec une substitution : les EAU d’abord ! Le Bahreïn d’abord !
Dans le cas émirati, a été opérée une occidentalisation poussée de la société dans le sens qu’elle a corrélé tous ses domaines à l’Occident. Le tout assorti d’une campagne menée par le régime des ben Zayed pour réprimer et museler toute voix contestatrice. C’est là où on voit les scènes les plus macabres de normalisation, qu’on n’a jamais vues ailleurs, lorsque des familles émiraties invitent chez elles des familles israéliennes. Sans aucune empathie pour le peuple palestinien. C’est là aussi que les visas sont interdits aux Arabes, et accordés avec générosité aux Israéliens.
La répression a été aussi le mot d’ordre pour le régime bahreïni des Khalifat.
Pour cette raison, et pour d’autres, politico-communautaires, un changement démographique a été opéré en naturalisant des milliers d’étrangers. Il s’est couronné par une répression dans le sang, et une campagne de dénaturalisations et d’expulsions à l’encontre d’une opposition bahreïnie qui affiche son rejet de toute normalisation avec ‘Israël’, dans la foulée de ses revendications de réformes politiques. Or, au plus fort de cette répression, l’Arabie saoudite était présente.
Justement, le rôle saoudien excelle dans cette manipulation sournoise pour imposer la normalisation aux peuples. Elle devient de plus en plus claire au fil des processus qui se succèdent.
L’une d’entre elles, la plus récente, est ce jeu de rôles entre le roi Salmane et son fils et prince héritier Mohamad ben Salmane, le premier répétant de temps à autre que Riyad ne normalisera jamais en dehors du cadre de l’initiative arabe de l’an 2002. Le second, dans sa quête effrénée au trône, supervise tous les processus de normalisation avec les autres pays arabes et islamiques.
Aussi bien pour les EAU, que le Bahreïn, le Soudan, et dernièrement pour le Maroc, la participation de MBS est incontestable.
Avec le Soudan, il s’est engagé à payer les indemnités réclamées par les Américains aux Soudanais pour mener à terme le processus de normalisation.
Dans le cas marocain, il a participé aux pourparlers avec le roi du Maroc Mohamad VI, et l’a influencé afin qu’il l’entreprenne, rapporte le quotidien israélien Yediot Ahronot.
Force est de constater que durant ces deux dernières décennies et jusqu’à nos jours, les médias israéliens étaient friands de divulgations sur les rencontres secrètes entre les responsables arabes, émiratis, bahreïnis, soudanais, … et leurs homologues israéliens ou pro israéliens.
Concernant le Maroc, ce sont eux qui ont parlé des premières rencontres entre Moshe Dayan et le roi précédent Hassan II, de la transaction sur l’élimination Ben Barka en échange d’espionner la rencontre de la ligue arabe en 1965, pour savoir si les Arabes se préparaient à la guerre. Etc…
Or, ces divulgations israéliennes sont loin d’être motivées par le seul souci de scoop médiatique. La graduation avec laquelle elles sont exfiltrées, -tout en sachant qu’elles seront copieusement relayées par les médias arabes, mêmes ceux des oppositions-, conjuguée au timing soigneusement choisi, sans compter leur contenu bien étudié, permettent de deviner que ces fuites sont bien calculées. Escortées par le silence des médias arabes officiels ou des démentis timides, -complice certes car plus que tout il installe le doute-, ces tactiques médiatiques assoient insidieusement « l’habitude à la normalisation ».
Elles apprivoisent les opinions publiques, jusqu’à neutraliser toute réaction de leur part, ou la rendre inefficace pour les plus engagés. Elle est désormais confinée dans les domaines des sentiments, des larmes, de la colère, des déclarations, des communiqués de presse, des prises de positions, sans qu’elles ne puissent aller au-delà. D’ailleurs, il semble que cet au-delà n’existe plus dans l’inconscient de nos peuples manipulés.
Les Saoudiens ont eux aussi besoin de procédés aussi sournois, pour franchir le cap de la normalisation. Pour cela, il leur faut amadouer non seulement leur population mais aussi celles du monde arabo-islamique, car plus que jamais, c’est leur leadership qui est en jeu. Ils savent très bien que 90% des réactions arabes sur les réseaux sociaux sont hostiles aux accords avec ‘Israël’.
Toujours selon le même journal israélien, citant un conseiller du roi de Maroc, « MBS dispose d’une liste d’Etats qui vont normaliser », dont le sultanat d’Oman, l’Indonésie (le pays islamique qui compte le plus grand nombre de musulmans), Djibouti, et le Pakistan.
« Ce n’est qu’après avoir fermé la boucle que l’Arabie saoudite va normaliser avec Israël », s’attend le Yediot Ahronot.
On en déduit que l’Arabie s’attelle pour créer un consensus arabo-islamique en faveur de cette normalisation. Elle en a besoin pour justifier la sienne au nom de ce sacro-saint consensus arabe et islamique par extension.
Ainsi tout simplement devrait l’emporter le principe du « consensus d’abord !» …
C’est aussi dans la même logique qu’il faut questionner les visées de président sortant Donald Trump, qui en annonçant le jeudi 10 décembre, l’accord de normalisation israélo-marocain, a proposé en échange une reconnaissance de Washington de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
De même pour l’autre contrepartie signalée par trois sources américaines citées par l’agence Reuters, selon lesquelles « les Etats-Unis négocient avec le Maroc la vente de drones super sophistiqués de type MQ9B du nombre de quatre au moins », et qui peuvent survoler une distance de 11.000 kilomètres d’affilée.
Une transaction qui n’est pas sans rappeler celle des F-35 qui devraient être accordés aux EAU en échange aussi de leur adhésion au processus de normalisation. En faisant penser entre autres aux trois îles qu’ils revendiquent à l’Iran. Ou à une menace iranienne présumée.
Là aussi, ces promesses alléchantes devraient entre autres, persuader les opinions publiques respectives des deux pays que la normalisation pourrait leur être bénéfique, sur des dossiers sécuritaires considérées sensibles pour elles.
Consacrant la considération de la « Sécurité d’abord » !
Autre élément aussi sournois dont il faut détecter les effets sur ces opinions publiques. Lorsque le site israélien Israel Hayom conclut sur l’accord israélo-marocain qu’il «confirme l’importance de l’influence et du poids géopolitique de l’axe régional qui est tissé entre Israël et les Etats arabes sunnites ».
Il attise ce sentiment de rivalité intrinsèque à l’histoire des musulmans dans leurs relations intercommunautaires. Il va sans dire que « l’axe chiite », est le premier concerné. Il constitue selon les stratèges israéliens le plus important danger depuis l’implantation de leur entité au cœur du Moyen-Orient.
Ils ne cachent plus leurs intentions malveillantes de faire éclater ces relations. Et qu’ils exploitent les moyens les plus perfides pour ce faire. Suggérant hypocritement un « Sunnites d’abord ».
Les Palestiniens, les premiers concernés en sont pleinement conscients. Certains d’entre eux étaient tombés dans le piège, à un certain moment, dans la foulée de la guerre en Syrie. Depuis, la leçon est bien apprise.
Plus que jamais, pour ce peuple abandonné à son sort, c’est « Palestine d’abord ! ».
Ça devrait l’être pour tous les autres aussi !…
Leila Mazboudi
Source : almanar.com.lb