Une étrange réunion Jouyet-Fillon
En milieu de semaine, deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont publié un livre très à charge contre Nicolas Sárközy, mais pas seulement. Selon les deux journalistes, François Fillon a demandé à être reçu à l’Élysée par Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée pour une réunion secrète dont personne ne connaissait l’existence jusque-là.
Le but de la réunion ? Pousser l’Élysée à faire pression sur la justice pour hâter les enquêtes contre Nicolas Sárközy. François Fillon aurait évoqué deux cas : l’affaire Bygmalion et les pénalités liées au dépassement du plafond des dépenses de la campagne présidentielle de 2012 et qui ont été illégalement prises en charge par l’UMP.
« À la question : “Il ne s’est pas interrogé devant vous devant la lenteur de la justice par rapport à tout ça ?”, M. Jouyet nous a répondu : “Mais si ! En gros, son discours c’était de dire : ‘Mais tapez vite ! Tapez vite !’ […]”
M. Jouyet poursuit, à propos de M. Fillon : “Et puis il me dit : ‘Mais Jean-Pierre, t’as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir ?’ Alors moi, je reviens voir le président, je lui dis : ‘Voilà ce qu’a dit Fillon, c’était très intéressant, tout le machin…’ Puis je lui dis : ‘Ce qu’il demande, c’est taper vite.’ Il me dit : ‘Oui mais, taper vite, comment ? On peut pas, c’est la justice.’”
rapportent Le Monde.
Ces révélations ont fait l’effet d’une bombe : immédiatement, François Fillon a démenti. Il a confirmé avoir rencontré Jean-Pierre Jouyet, mais a affirmé que c’était à l’initiative de l’Élysée, et a nié avoir abordé ce sujet durant la réunion.
Jean-Pierre Jouyet a fini également par nier.
Le secrétaire général de l’Élysée pris en flagrant délit de mensonge
Jean-Pierre Jouyet est un énarque issu de la même promotion que François Hollande. Malgré sa grande proximité avec ce dernier, il l’a « trahi » en 2007 en rejoignant Nicolas Sárközy. Il a servi ainsi successivement sous un gouvernement libéral-conservateur, comme sous-ministre, avant d’être récompensé par divers postes : direction de l’Autorité des marchés financiers (AMF), de la Caisse des dépôts et consignations puis de la Banque publique d’investissement (BPI), avant d’être réembauché par François Hollande.
Il a démenti avoir tenu ces propos et a maintenu sa position jusqu’à dimanche. De leur côté, les journalistes du Monde ont non seulement confirmé qu’il leur avait précisément déclaré cela, mais ont rappelé que la conversation avait été enregistrée. La polémique, d’une possible intervention de François Fillon auprès de la gauche pour faire abattre son opposant s’est recentrée sur Jean-Pierre Jouyet. Poussé dans ses retranchements, il a avoué hier avoir menti : il a confirmé avoir tenu ces propos et affirme désormais que François Fillon lui a bien dit d’attaquer Nicolas Sárközy.
« François Fillon m’a fait part de sa grave préoccupation concernant l’affaire Bygmalion. Il s’en est déclaré profondément choqué […] Il a également soulevé la question de la régularité du paiement des pénalités payées par l’UMP pour le dépassement des dépenses autorisées dans le cadre de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. »
a précisé Jean-Pierre Jouyet évoquant des propos nettement moins tendancieux que ceux évoqués par Le Monde.
Le complot
Selon François Fillon, tout cela est un « complot » contre lui. Il a dénoncé « une forme de déstabilisation et de complot ». Pendant qu’à l’extrême droite Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan comptent les points – comme à l’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, tous reprenant en choeur le thème du tous pourris – de nombreux cadres de l’UMP ont saisi l’occasion du mensonge avéré de Jean-Pierre Jouyet pour attaquer la gauche ; plusieurs exigent la démission du menteur. Celle de François Hollande, sachant décidément aussi mal gouverner que se choisir des conseillers et des ministres, a moins été évoquée.
Mais à l’UMP, nombreux sont ceux qui s’interrogent encore sur les véritables propos tenus par François Fillon, et sur le réel contenu de cette étrange réunion secrète entre le chef d’un parti d’opposition et le secrétaire général de celui qui est censé être son adversaire principal. Et, alors qu’entre la BPCE et l’affaire du dépassement de son compte de campagne il devrait être au cœur de l’actualité, ces petits mensonges et magouilles qui font beaucoup de bruit son plutôt à l’avantage de Nicolas Sárközy. Ces proches peuvent à bon compte faire part de leur suspicion vis-à-vis de François Fillon tout en dénonçant un « cabinet noir » installé à l’Élysée.
Quand le mensonge devient « maladresse »
À gauche, l’Élysée a fait savoir à tous qu’il fallait défendre Jean-Pierre Jouyet et minimiser les faits.
« Ce n’est pas ce déjeuner qui a pu provoquer la moindre intervention sur la justice, d’abord, parce que le secrétaire général n’en a pas le pouvoir. Il n’y a pas de possibilité de faire pression sur la justice, il n’y a pas de possibilité d’intervenir sur la justice »
a ainsi prétendu Claude Bartolone, ajoutant :
« Il n’y a pas de cabinet noir. Qu’il puisse y avoir des haines entre François Fillon et Nicolas Sarkozy, tout le monde le sait ; qu’il puisse y avoir des échanges entre le secrétaire général de l’Élysée et un responsable de l’opposition, c’est normal et c’est sain pour la démocratie. Mais qu’il puisse y avoir le moindre doute sur l’indépendance de la justice, non »
Interrogé sur le fait très grave que l’un des plus proches collaborateurs de François Hollande ait menti durant plusieurs jours, il a affirmé qu’il ne s’agissait que d’une « maladresse ». En ajoutant qu’il pensait que Jean-Pierre Jouyet voulait « essayer de garder une dimension secrète dans cet échange ».
Le secret comme base de leur démocratie saine et normale…