IL EST des défaites apparentes qui sont de véritables victoires politiques et stratégiques. A première vue, Emmanuel Macron a perdu son pari d’arriver en tête des européennes. A 0,9 % près. A 205 000 voix près sur plus de 23 millions de votants. Sa liste obtient en effet 22,41 % des suffrages et se voit très légèrement devancée par celle du RN de Jordan Bardella qui récolte 23,31 %. Mais ce n’est là qu’une analyse superficielle. Car non seulement le parti présidentiel résiste mieux que prévu, réalisant un score voisin de celui réalisé par Macron au premier tour de la présidentielle de 2017 (24 %), mais il règne sur un champ de ruines, toutes les formations politiques traditionnelles étant laminées. Le PS et le parti de Mélenchon sont à 6 %, les Républicains connaissent une déculottée sans précédent dans leur histoire avec 8 % et sont même menacés de disparition de l’échiquier politique s’ils ne parviennent pas à se ressaisir et à trouver des solutions, le Parti communiste continue sa descente aux enfers avec 2,5 % des voix. L’UDI qui est dans les faits le successeur de l’UDF centriste et libérale plafonne également à 2,5 %. Les quatre grands partis (PS, PC, RPR et UDF) qui structuraient la vie politique sous la Ve République depuis soixante ans sont en agonie, en coma dépassé. Cet effondrement, certes totalement mérité au vu de leur bilan, est toutefois saisissant.
Le naufrage de ces partis, tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique, est objectivement une aubaine pour Emmanuel Macron. Car il apparaît plus que jamais comme le seul rempart face au populisme et a donc tout intérêt à installer dans la durée un duel très médiatisé entre la République en marche et le Rassemblement national. C’est pour lui une assurance-vie, la certitude de son maintien à l’Elysée et la promesse d’une confortable réélection. On peut d’ailleurs se demander si ce dimanche 26 mai 2019 ne constitue pas la première étape de la chronique d’une réélection annoncée. Depuis l’instauration du quinquennat, aucun président sortant n’a pu jusque-là être réélu. Ni Nicolas Sarkozy battu en 2012. Ni François Hollande qui n’a même pas pu se représenter en 2017, les sondages le donnant perdant dès le premier tour, avec moins de 10 % des voix. Mais là où Sarkozy et Hollande ont échoué, Macron pourrait bien réussir. Et c’est là un paradoxe, surtout si l’on se souvient à quel point, il y a quelques mois encore, Macron était détesté, conspué, hué. On a tous en mémoire ces images saisissantes d’un président blême et apeuré jetant quelques pièces jaunes en décembre 2018 pour sauver sa place et sa peau et apaiser une colère populaire se transformant en révolte quasiment insurrectionnelle. Si on avait prédit à ce moment-là à ce président si affaibli, claquemuré à l’Elysée, malmené voire insulté dès qu’il se déplaçait en province que sa liste six mois plus tard ferait quasiment jeu égal avec celle du Rassemblement national et qu’elle enverrait autant d’élus que le RN à Bruxelles (23 eurodéputés chacun), il aurait sans doute été sceptique. Comme quoi en politique les impopularités les plus fortes, les plus violentes ne durent pas nécessairement, et il n’est pas de défaites, d’affaiblissement, de crises dont on ne puisse se relever.
Ce qui vaut pour Macron vaut également, mais dans une moindre mesure, pour Marine Le Pen. Beaucoup d’analystes avaient enterré la présidente du FN après son débat calamiteux et indigne du 3 mai 2017 où elle avait fait étalage deux heures durant de son incompétence, de sa vulgarité, de son agressivité et de sa désinvolture. Eh bien voilà que le FN, rebaptisé RN, retrouve à peu de choses près les scores qu’il atteignait entre 2014 et 2017. Comme quoi en politique, sauf à disparaître physiquement ou à quitter définitivement la vie publique, on n’est jamais mort. François Mitterrand qui avait organisé le faux attentat de l’Observatoire en 1959 pour se victimiser (c’est RIVAROL qui avait sorti le scoop à l’époque !) a finalement été le seul chef de l’Etat à accomplir deux septennats successifs en entier. Marine Le Pen peut avoir le sourire : le RN a réussi à marginaliser complètement Dupont-Aignan qui plafonne à 3,5 % — mais il est vrai que le président de Debout la France a multiplié les erreurs et les bourdes dans cette campagne —, Philippot qui est scotché à 0,65 % malgré son alliance avec des Gilets jaunes et Asselineau qui, comme à chaque élection, malgré un discours très construit et cohérent, ne dépasse pas les 1 à 1,2 % des voix.
IL FAUT DIRE que depuis des mois les médias et le chef de l’Etat évoquent de manière permanente voire obsessionnelle un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. De ce point de vue, disons-le tout net, il y a une alliance objective entre le RN et la République en marche qui s’épaulent l’un l’autre et marginalisent tous les autres. Plus Marine Le Pen est haute, plus Macron apparaît comme la seule digue à même de résister à la vague populiste. Et plus il incite tous ceux qui ne veulent pas de Marine Le Pen à voter utile en se prononçant pour son parti. Et à l’inverse, comme les instituts de sondage placent depuis des mois le RN et LREM au coude à coude, tous ceux qui ne voulaient pas que Macron arrivât en tête ont été fortement incités à voter pour le RN et donc à faire gonfler mécaniquement le score du parti de Marine Le Pen. La question était toutefois de savoir si les électeurs allaient cautionner par leur vote la mise en scène de ce duel ou de ce duo ou s’ils allaient s’affranchir de ce schéma préfabriqué et médiatisé à outrance. Eh bien, au nom du vote utile, et par réflexe grégaire, ils ont fait exactement ce que le Système attendait d’eux : placer en tête dans un mouchoir de poche le RN et LREM. Comme quoi le martelage auquel tous les grands media se sont livrés constamment ces derniers mois (qui va arriver en tête du RN et de LREM ? qui va gagner de Macron ou de Marine Le Pen ? qui des deux aujourd’hui progresse ou recule d’un demi-point ?) a parfaitement fonctionné. Et cela marche à chaque fois : l’électeur se croit fin stratège et ne comprend pas qu’à tous les coups, le dindon de la farce, c’est lui !
Car, si l’on regarde les choses avec un peu de hauteur, ces élections sont un vrai motif de réjouissance pour Macron. Le RN est à un niveau très honorable, mais sans plus. Avec la crise des gilets jaunes, il eût pu atteindre ou dépasser les 30 % comme Salvini en Italie et Farage au Royaume-Uni. Il en est loin. Il fait deux points de plus que Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2017, mais deux de moins qu’aux européennes de 2014, trois de moins qu’aux départementales de mars 2015 et cinq de moins qu’aux régionales de décembre 2015. Si le RN se redresse et sauve les meubles, il n’y a quand même pas de quoi pavoiser : dans un contexte extrêmement favorable il fait moins qu’aux dernières européennes en pourcentage et en nombre d’élus, de même qu’aux législatives de 2017 il avait fait un peu moins qu’à celles de 2012. S’il reste à des niveaux élevés, sa dynamique s’est quand même en partie cassée. Et le plafond de verre est toujours là. D’ailleurs, en trente-cinq ans, il est passé de 11 % (européennes du 17 juin 1984) à 23 %. Gagner une douzaine de points en presque deux générations, et compte tenu de la considérable aggravation de la situation dans tous les domaines, ce n’est quand même pas mirobolant !
Malgré l’effondrement de tous les partis du Système, malgré le Grand Remplacement qui progresse silencieusement, malgré le mouvement des gilets jaunes, malgré la dilution de la nation et de la famille, il ne parvient toujours pas à dépasser les 20 à 25 % des suffrages exprimés. Pis, si l’on remonte dans le temps et que l’on se souvient des européennes des années 1990 avec les listes Pasqua-Villiers, celles de Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) et celles du FN de Jean-Marie Le Pen, on s’aperçoit que, toutes listes confondues, le courant souverainiste et défenseur de la ruralité est depuis une trentaine d’années resté relativement stable autour de 25 à 28 % des voix. Dans ce secteur de l’opinion les masses n’ont donc pas bougé. Malgré la dégradation continue de la situation. Et cela est particulièrement frappant.
AU FOND, c’est toujours la même France rurale, périphérique, celle des cols bleus et des gilets jaunes, celle de la boutique, de l’atelier, de la ferme et de l’usine qui s’oppose par son vote, son ressenti, ses préoccupations, son mode de vie et ses revenus à la France d’en haut, celle des gagnants de la mondialisation, celle de la bourgeoisie libérale et cosmopolite qui n’est pas attachée au terroir, aux racines, à l’être historique de la nation et qui se reconnaît logiquement en Macron ou dans les Verts et les socialistes.
Il est frappant de constater que le RN a obtenu ses scores les plus modestes dans les grandes métropoles et qu’en revanche il a réalisé comme toujours d’excellents résultats dans les campagnes, les villages et les petites villes. A l’inverse, Macron et les Verts ont obtenu des scores souvent impressionnants dans beaucoup de communes de plus de cent mille habitants, et singulièrement à Paris. Deux France se font donc face plus que jamais, avec deux sociologies très différentes et des intérêts fort divergents. Celui qui travaille dans une start-up, qui est sans cesse sur les tarmacs des aéroports internationaux n’a forcément pas la même vision, les mêmes soucis et centres d’intérêt que les gilets jaunes de province qui se demandent souvent dès le 10 du mois comment ils vont pouvoir boucler leur budget mensuel. Cette fracture sociologique et politique qui ne cesse de s’accroître, et qui se surajoute à une fracture ethnique entre les Français de souche et les autres (il était remarquable de voir à quel point le mouvement originel des gilets jaunes était composé quasi exclusivement de leucodermes !) est très inquiétante pour l’avenir car elle démontre que notre nation ne repose plus sur une certaine homogénéité et n’est plus vécue comme une communauté de destin dans l’universel, selon la belle formule de feu Jose Antonio Primo de Rivera.
Le RN, on l’a dit, retrouve des couleurs mais il est plus que jamais isolé, sans alliés et sans réserves de voix. L’effondrement de Dupont-Aignan, l’inexistence de Philippot et de ses Patriotes qui meurent avant d’avoir existé, mais aussi la quasi-disparition des Républicains lui ôtent toute possibilité de bénéficier de larges reports de voix dans le cadre d’un scrutin à deux tours, comme le sont toutes les élections en France, à l’exception des européennes. Il faut voir la réalité en face : bien qu’il soit arrivé d’un cheveu en tête de ce scrutin, non seulement il n’a pas écrasé Macron — ce qui eût été le cas s’il l’avait emporté avec 5 à 10 points d’écarts, en 2014 le FN était en tête avec près de 5 points d’avance sur la liste arrivée en deuxième position, celle de l’UMP —, non seulement il plafonne à 23 %, assez loin de ses records historiques, mais le naufrage de la droite parlementaire (ou de ce qui en tient lieu) n’est pas une bonne nouvelle pour lui dans le cadre d’un second tour. Il ne fait guère de doute en effet que l’essentiel de l’électorat des Verts, du PS, de Mélenchon votera Macron par réflexe antifasciste en finale de la présidentielle. La disparition de la droite en France est d’ailleurs un phénomène politique non négligeable et qui devrait donner à réfléchir : à force de s’aligner sur la gauche dans tous les domaines, la droite perd son utilité et sa raison d’être. Il est triste que tous les partis dits de droite, au lieu de défendre des convictions fermes et des principes intangibles, naviguent à vue et cèdent à peu près tout à l’adversaire : immigration, avortement, euthanasie, peine de mort, “mariage” homosexuel, lois liberticides, etc.
Hormis chez les abstentionnistes, on ne voit pas vraiment où le RN pourrait bénéficier de fortes réserves de voix indispensables au franchissement de la barre des 50 % des suffrages exprimés. Il n’est donc pas excessif de dire que, sauf effondrement économique et social total, sauf chaos généralisé, le RN ne peut conquérir l’Elysée non plus que la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Il en va du RN comme du Parti communiste de la grande époque qui a obtenu, seul, jusqu’à 28 % des voix. Au premier tour il est incontestablement une force considérable mais au second il ne peut l’emporter faute d’alliés et faute de susciter un consensus assez large. Macron l’a très bien compris et en joue avec cynisme et efficacité : pour assurer sa réélection, il a besoin d’avoir Marine Le Pen face à lui en 2022. Bien malgré lui, le RN est une machine à faire réélire les sortants. En votant RN, les électeurs veulent manifester sincèrement leur opposition à la politique menée, leur colère, leur volonté de changement mais à l’arrivée cela aboutit à la réélection des mêmes, à la perpétuation d’un système mortifère. On le voit, les dés sont pipés, le système est verrouillé, complètement bloqué. La démocratie est décidément l’univers clos du mensonge et des manipulations en tous genres.
UN MOT quand même sur l’effondrement des Républicains. Ce parti croyait avoir atteint le fond avec les 20 % de Fillon à la présidentielle de 2017 et son élimination dès le premier tour. Eh bien non, maintenant il creuse ! Lorsqu’un parti ne sert plus à rien, n’a plus d’utilité, il finit par disparaître. L’aile libérale de l’électorat républicain s’est reportée sur Macron et l’aile identitaire et droitière sur le Rassemblement national. LR est dans une impasse : s’il se recentre, il ne se distingue plus du macronisme dans lequel il se dilue et se dissout, s’il se radicalise, il ne se distingue plus du Rassemblement national mais pourquoi alors les électeurs choisiraient la copie plutôt que l’original, surtout quand la copie fait trois fois moins de voix que l’original ? C’est pourquoi la plupart des électeurs traditionnels de la droite dite modérée votent désormais Macron. Ce n’est pas un hasard si la République en marche a réalisé un de ses meilleurs scores dans le XVIe arrondissement de Paris ! Le chiraquisme, le balladurisme et le juppéisme se dissolvent, assez naturellement, dans le macronisme qui est, comme eux, libéral, européiste, atlantiste et fermement opposé à la droite nationale et au populisme. Plus le temps passe, plus il apparaît que l’électorat macroniste se superpose de plus en plus à l’ancien électorat de LR (sauf la partie minoritaire la plus radicalisée qui vote RN) tandis que l’électorat socialiste de Macron tend à prendre en partie ses distances devant une politique jugée trop libérale. D’où la forte progression des Verts et d’autres listes écologistes. D’où le maintien, fût-ce à un niveau modeste, du Parti socialiste qui, contrairement aux Républicains, ne régresse plus par rapport à la présidentielle de 2017. Mais son socle, il est vrai, était plus bas. Quant à Mélenchon, il n’a nullement profité, malgré ses espérances, du mouvement des gilets jaunes et retrouve l’étiage habituel du Front de gauche. Son comportement inouï face à la police lors de ses démêlés judiciaires lui a très fortement nui et la dynamique qu’il avait réussi à insuffler pendant sa campagne présidentielle semble bel et bien morte. Ce n’est pas nous qui nous plaindrons de la dégringolade de ce Robespierre au petit pied. La forte poussée des Verts qui n’est pas une première (rappelons-nous les 16 % de Cohn-Bendit en 2009) est en revanche une claque pour les gilets jaunes qui se sont mobilisés contre la taxe carbone, contre l’excessive taxation des carburants. C’est bien la preuve là aussi qu’il existe deux France irréconciliables aux visions antagonistes. Les Verts sont le parti le plus toxique : antinationaux, pro-migrants à fond, ils sont pour toutes les perversions morales et sociétales, de la légalisation des drogues au soutien actif aux pires folies du lobby LGBT. Leur forte progression en France et en Allemagne est donc une catastrophe puisqu’elle va accroître leur influence particulièrement nocive dans les deux principaux pays et économies de l’Union européenne.
DUPONT-AIGNAN et Marine Le Pen nous avaient vendu pendant toute la campagne l’idée d’un Parlement européen dirigé ou orienté par les populistes, à la suite des victoires en Italie et en Autriche et des réalisations gouvernementales en Hongrie et en Pologne. Il n’en a évidemment rien été. Les populistes, toutes tendances confondues, sont très largement minoritaires à Bruxelles. Ils n’auront aucune influence sur les grandes décisions et ne pèseront nullement. Ils sont une centaine à peine sur 751 eurodéputés. De surcroît ils sont divisés en trois groupes antagonistes, s’excommunient les uns les autres, par souci de modération et de respectabilité. Bref, il n’y a rien à attendre de ce côté-là. Les immigrés continueront à entrer en France et en Europe, les impôts et taxes à flamber, la police de la pensée se renforcera et les lois immorales se multiplieront. Mais, ne soyons pas sévères, grâce au contribuable européen, les heureux eurodéputés élus pourront déguster les meilleurs crus, les bouteilles de champagne les plus prestigieuses et voyager à l’œil dans les plus grands palaces avec leur maîtresse, leur harem ou leur concubin du moment. Rien que pour ça, avouez que ça valait vraiment le coup de prendre un papier, de se cacher et d’urner !
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Jérôme BOURBON.
Editorial du numéro 3379 de RIVAROL daté du 29 mai 2019.