Réputé sérieux, Guerre & Histoire donne dans la fiction. Le magazine appartient pourtant au groupe Science & Vie. Il a été fondé et est dirigé par le journaliste Jean Lopez, ancien rédacteur en chef de Science & Vie Junior et auteur d’ouvrages sur la Deuxième Guerre mondiale : nous donnons en annexe un extrait d’une préface qu’il avait faite d’un livre passionnant sur Koursk, disons qu’il sait vendre et être attractif. Sa rédaction est composée d’historiens reconnus comme Michel Goya, Laurent Henninger, Benoist Bihan ou Pierre Grumberg. Mais le numéro de décembre annonce en Une : « Exclusif ! Émeric Valloy, un ex-para chez les Karens de Birmanie », et fait la promo sur 8 pages d’un guerrier de carnaval. Un debunkage s’impose…
Olivier Vence, le rédacteur qui a recueilli les « exploits » du héros, ouvre son papier avec cette présentation alléchante : « Faute de pouvoir prendre les armes contre les Khmers rouges, l’ex-para d’origine vietnamienne connu sous le pseudonyme d’Émeric Valloy monte, avec l’appui du SDECE, un stage d’instructeur commando chez les guérilleros karens en lutte contre la dictature birmane. Il nous livre le premier volet d’une odyssée aussi touffue que la jungle de ses exploits ».
Ça commence mal car pour faire encore plus vrai, G&H précise que l’entretien a été réalisé « en visiophonie depuis Pnom Penh », où l’intéressé parisien n’a jamais résidé.
Débunké dès 1994 par Le Crapouillot
Émeric Valloy est un communicant expérimenté. Il a construit son personnage en publiant en 2022, Actions clandestines 1985-1990, les opérations des volontaires français en Asie du Sud-Est (Amazon Publishing, 379 pages). Il s’est avantageusement présenté en 4e de couverture comme un «compagnon indirect du reliquat du SDECE », le service de renseignements extérieur et de contre-espionnage. Il a même obtenu une préface par Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).
En novembre 2022, l’auteur était invité sur TVLibertés. Il y était interrogé par le rédacteur en chef de la Revue d’Histoire Européenne, qui n’est pas historien de formation. En 2023, on trouve aussi une interview sur Radio Courtoisie, une prestation inécoutable qui suffirait à le discréditer, une erreur de la Radio. On ne comprend pas non plus la sorte de caution apportée par sa présence par un journaliste sérieux du Figaro Magazine, Jean-Louis Tremblay ; contacté, ce dernier n’a pas répondu mais dans la vidéo, il regarde au plafond, quant à Clémence Houdiakova, elle confirme que le mensonge le plus difficile, c’est de faire croire à quelqu’un qui vous ment qu’on le croit : toutes les ressources de sa bande passante sont utilisées. Si le récit peut tromper, aucun éditeur n’en a voulu, le livre est publié à compte d’auteur.
En fait, le personnage qui se cache derrière le pseudo a un tout autre profil. Il avait déjà été repéré en 1994 par Le Crapouillot. Dans son numéro (117, janvier-février 1994) consacré aux mercenaires, il était présenté en page 58 : « certains n’auront été que des comètes happées par d’autres aventures plus rémunératrices et plus faciles, comme le “petit franco-vietnamien au prénom bigoudain” qui croyait pouvoir créer, au milieu de la jungle avec des paysans analphabètes, un service concurrent à l’Intelligence Service… » Derrière ce portrait transparent, les familiers reconnaissent Yann Tran-Long.
« Un des cinq meilleurs au monde dans son domaine »
L’individu traîne une lourde réputation de mythomane et d’escroc, car il faut bien assurer un train de vie qui l’a mené de la République Centrafricaine où il a vu briller les diamants d’Ange-Félix Patasséa, en Turquie avec un parc d’attractions à la frontière syrienne, en Corée avec le parc Dragonnaly qui est resté dans les cartons, et encore à Hong Kong où il espérait mener une deuxième vie à l’abri des investigations.
En France, les projets impliquant des élus sont tout aussi mirobolants que sulfureux : le parc Heroic Land à Calais pour faire oublier la “jungle” ou la Surf Academy à Fréjus.
Avec un culot de bonimenteur, le masterplanner se présente comme «un des cinq meilleurs au monde dans son domaine », et engrange de substantiels frais d’études pour des projets qui n’aboutissent jamais. En 2012, il rebondit dans le caritatif. Profitant du désastre du logiciel Louvois, il veut venir en aide aux épouses de militaires dont les soldes ne sont plus réglées par le Ministère. Elles en sont réduites à montrer leur dos sur Facebook (Un paquet de Gauloises), enflammant les médias et faisant transpirer Le Drian. Exploitant leur détresse, Tran-Long organise la collecte de dons « Solidarité au drapeau ». Le montage s’effondre quand le bureau de l’association découvre que les fonds auraient abouti sur un compte à Hong Kong…
Mercenaire ou influenceur ?
Sans pression, il se reconvertit dans l’écriture de ses « exploits » guerriers. Pour justifier ses fréquentations politiques, il s’invente des relations avec l’ambassadeur du roi du Cambodge. Ses enfants auraient été tués par les Khmers rouges, servant de justification à une haine des communistes. Il cite des noms reconnus, Alexandre de Marenches, le colonel Sassi qu’il se vante d’avoir rencontré, ainsi que le colonel Rouvrois de Saint-Simon (Chroniques de la coloniale : 1941-1987, sous le pseudo de Guinarou). Au hasard d’une rencontre et de la projection d’un film (dixit), il opte pour les Karens et le voilà officieusement missionné pour monter un maquis anticommuniste. Il n’a pas de difficultés à recruter car il a «des amis dans quasiment tous les régiments paras de France, sans exception ». D’après ses dires, le voilà à la tête d’une équipe d’instructeurs commando, alors qu’il n’a pas le brevet, sans ordre de mission ni financement, mais quand même à la demande du SDECE.
S’il est bien allé chez les Karens, il a surtout porté des armes sur les photos, sans quasiment participer aux opérations, un mercenaire de réseaux sociaux. Pour faire crédible, il cite ceux qui ont mis leur peau au bout de leurs idées, Jean-Philippe Courrèges (tué le 04/10/1985) et Guillaume Oillic (tué le 09/11/1990), les morts ne risquent pas de le contredire.
Yann Tamagotchi, alias Yan Valloy et maintenant Émeric Valloy sont les masques d’un pro de la com’. L’intarissable conteur a séduit la rédaction, le 2e volet de ses “exploits” a été annoncé. Au final, les historiens professionnels de Guerre & Histoire ont validé les fanfaronnades d’un imposteur, du genre de ceux qui hantent les commémorations bardés de décorations achetées sur les brocantes. La cause du peuple karen méritait mieux.
Références :
Ces actions clandestines menées par des volontaires français en Asie du Sud-Est – Emeric Valloy
Émeric valloy, Un Ex-para Français Chez Les Karens – Guerres & Histoires | Everand
Annexe
Début d’une préface rédigée par Jean Lopez d’un livre de Roman Töppel, un docteur en histoire, sur la bataille de Koursk – celle de 1943, évidemment, pas celle qui se déroule actuellement. Le livre était paru aux éditions Perrin avec le soutien du SGA, Direction des Patrimoines, de la Mémoire et des Archives, un service du Ministère des Armées. C’est Jean Lopez qui avait assuré la traduction de l’allemand vers le français, assurément, un grand talent de présentateur qui, en cette occasion, servait un authentique historien, le livre était excellent:
« Eu égard à sa brièveté et aux dimensions limitées de son théâtre, la bataille de Koursk est la plus sanglante de la Seconde Guerre mondiale, et sans doute de toute l’histoire. Rarement autant d’hommes, autant de matériels ont été détruits en si peu de jours. Koursk offre ainsi un échantillon concentré de la virulence du conflit germano-soviétique. Depuis un demi-siècle, la bataille suscite, dans tous les pays, un flot de publications qui répondent à l’intérêt d’un public fasciné par certains de ses épisodes, au premier chef, la « plus grande bataille de blindés de tous les temps, … et pourtant, malgré tous ces livres et ce fort intérêt, la bataille de Koursk demeure mal connue… »
Émeric Valloy: on voit bien au physique que le type descend en droite ligne des Valois,
on admirera sa modestie qui lui a fait changer légèrement l’orthographe en Valloy.
Je confirme tous les propos évoqués et les faits cités dans l’article. J’ai fait partie des « arnaquées » croyant à sa bonne foi et ses bobards. C’est tout simplement un escroc qui s’est inventé une vie, qui s’est attribué les exploits des autres, et n’a jamais mené à bonne fin un seul des ses « parcs d’attractions » tout en empochant de très substantiels acomptes, pour certains provenant de fonds publics français.
Arrêtez cette hémorragie de mensonges qui discréditent votre journal et salissent des mémoires de VRAIS combattants.