Inscrire le chant des cigales ou l’effluve des bouses de vache au patrimoine français ? La proposition du député Pierre Morel-A-L’Huissier est très sérieuse, au point d’être débattue ce jeudi au Sénat.
L’élu de Lozère, défenseur de la ruralité, porte une proposition de loi visant à « définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes », alors que des bruits et des odeurs ruraux se sont retrouvés au centre de nombreux litiges pour nuisances.
Depuis quelques années, Pierre Morel-A-L’Huissier tiquait en lisant dans la presse des histoires de conflits ruraux bien particulières. « Le déclencheur, ça a été cet épisode dans la commune des Bondons, en Lozère », raconte l’élu centriste à 20 Minutes, à propos d’un fait divers au début du mois d’août 2018. « Le maire s’est fait harponner par des gens venus loger dans un gîte, qui se plaignaient de la cloche de la chapelle ».
Quelques jours plus tard, à quelques centaines de kilomètres au sud, dans le Var, le maire du Beausset reçoit des plaintes de touristes contre les cigales. « Ils lui demandaient de les éradiquer avec des insecticides ! », s’indigne cet avocat qui a été maire du village de Fournels pendant dix-sept ans. « Je me suis dit qu’on attaquait les fondamentaux », se souvient-il. Il se lance alors dans la rédaction d’une proposition de loi.
Ce texte vise à définir un « patrimoine sensoriel » campagnard et à l’inscrire dans le code de l’environnement, comme faisant partie des milieux naturels. Une protection que le député espère dissuasive en matière de plaintes pour nuisances, dont certaines ont eu un écho national. A l’été 2019, le coq Maurice était devenu un symbole des traditions rurales face à l’urbanisation à cause de poursuites judiciaires lancées par des voisins se plaignant des cocoricos matinaux.
Selon le député de Lozère, il y a des milliers de procédures judiciaires du même type, « environ 18.000 », un nombre que les services du ministère de la Justice n’ont pu confirmer à 20 Minutes. Pour Pierre Morel-A-L’Huissier, ce phénomène est symptomatique d’une « inacceptation croissante de l’autre » et de l’évolution de la sociologie de la campagne. « Des gens viennent s’y installer alors qu’ils ne savent pas ce que c’est la ruralité. C’est un art de vivre, et la campagne a ses odeurs et ses sons. Chez moi, c’est le crottin, les tracteurs, le lisier, ce mélange d’urine et d’excréments d’animaux qu’on utilise pour faire pousser l’herbe. »
Un projet qu’on a d’instinct envie de soutenir ; ce n’est pas tous les jours en effet que la France charnelle – littéralement – est défendue au Sénat. D’autant plus que la perspective de faire fermer leurs claques-merdes à ces bobos qui prennent nos campagnes pour des retraites où ils auraient le droit de disposer des lieux et des coutumes comme on change le mobilier n’est pas pour déplaire.
Mais en y réfléchissant, cette loi est encore un symptôme de cette société qui veut tout légiférer, coder, classer… asphyxier. Ce qui est naturel est sacré et devrait rester immaculé de ce genre de mesure « humaine, trop humaine ». Mais que faire ? C’est ainsi. L’envie de pénal dont parlait Philippe Muray sans doute. Une nouvelle douce amère donc.
Je profite de cet article pour conseiller à nos lecteurs l’ouvrage de Jean-Pierre Le Goff, « La fin du village – Une histoire française ». À travers la description et l’analyse de la vie quotidienne d’une ancienne collectivité villageoise provençale, ce livre s’attache à décrire la mentalité et le style de vie de ses habitants en soulignant les mutations et les bouleversements que cette collectivité a subis depuis la dernière guerre jusqu’aux années 2000. Histoire de comprendre comment on en est arriver là.
Source : 20minutes.fr