Abou Mohammed al-Joulani – qui se fait appeler Ahmed al-Charaa aujourd’hui – a rejoint Al-Qaëda en Irak après l’invasion américaine du pays en 2003. Arrêté par les Américains, il est emprisonné plusieurs années à Abou Ghraib et Camp Bucca. Relâché, il devient l’adjoint d’Abou Bakr al-Baghdadi, lorsque le groupe Al-Qaëda en Irak change d’affiliation et devient l’État islamique en Irak.
En 2011, Abou Mohammed al-Joulani est envoyé par Baghdadi en Syrie afin d’y étendre le djihad. En 2012, il fonde le Front al-Nosra, qui s’allie aux rebelles et participe activement aux combats contre le régime de Bachar el-Assad. Il fut responsable d’attentats suicides meurtriers contre des membres des forces de sécurité et des civils.
Il se sépara ensuite du groupe de Baghdadi et fonda son propre groupe, le Front Al-Nosra. Après plusieurs campagnes de « rebranding » sponsorisées par le Qatar, le Front Al-Nosra devint Hayat Tahrir al-Sham en 2017, inscrit sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et l’ONU. Les États-Unis offrirent même une récompense de 10 millions de dollars pour la capture d’al-Joulani.
Aujourd’hui, celui qui passa plus de 15 ans à combattre avec Al-Qaëda puis l’État islamique est désormais au pouvoir en Syrie. Depuis décembre dernier al-Joulani est passé du statut de chef jihadiste terroriste à celui d’homme politique voire de chef d’État reconnu par l’Europe et les États-Unis. En mai, l’UE et Washington ont levé les sanctions contre la Syrie après que l’ancien commandant jihadiste a pris le pouvoir à Damas. La récompense américaine contre sa capture a été annulée.
Le 7 mai 2025, Emmanuel Macron a chaleureusement reçu Al-Joulani, « Président intérimaire des autorités syriennes de transition », en France, au Palais de l’Élysée « dans la continuité de l’engagement historique de la France en soutien des Syriennes et Syriens qui aspirent à la paix et à la démocratie » (Élysée, 07.05.2025).
Mais, l’ascension d’al-Sharaa n’a pas été spontanée : elle a été soigneusement orchestrée dans le cadre d’une stratégie à long terme soutenue par l’Occident, dans laquelle le Royaume-Uni a joué un grand rôle parmi les puissances occidentales (The Syrian Observer).
Une organisation non gouvernementale anglo-saxonne, affiliée au gouvernement britannique, est ainsi à l’origine du changement d’image et de la formation politique d’Ahmad al-Sharaa, l’ancien chef d’Al-Qaïda en Syrie, anciennement connu sous le nom d’Abou Muhammad al-Julani.
L’ancien ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford, a déclaré lors d’une conférence au Council on Foreign Relations à Baltimore qu’il avait été invité il y a deux ans par une ONG britannique spécialisée dans la « résolution des conflits » à participer à un plan visant à « sortir Sharaa, alors connue sous le nom de Julani, du monde du terrorisme et à l’intégrer à la politique régulière » (Harici.com, 22.05.2025)
Ford a déclaré qu’il était « hésitant » au début et qu’il « s’imaginait dans une combinaison orange avec un couteau posé sur son cou. Mais après avoir parlé à des gens qui l’avaient rencontré auparavant, j’ai décidé de saisir l’opportunité ».
L’ancien ambassadeur américain raconte deux conversations avec al-Joulani, tenues dans la province syrienne d’Idlib en 2023. Au cours de l’une de ces conversations, al-Joulani lui a dit que ses convictions idéologiques et les tactiques qu’il utilisait en tant que membre d’Al-Qaïda ne pourraient plus être appliquées alors qu’il gouvernerait des millions de personnes, soulignant qu’il serait contraint de faire des « compromis ».
C’était à l’époque où l’organisation Sharaa Hayat Tahrir al-Sham dirigeait la province d’Idlib, dans le nord de la Syrie. Ford a déclaré que sa deuxième visite à Idlib avait eu lieu en septembre dernier, deux mois avant l’assaut sur la capitale Damas qui a renversé le gouvernement de l’ancien président syrien Bachar al-Assad.
L’ONG mentionnée par Ford est une organisation non gouvernementale basée à Londres, appelée « Inter Mediate ». Celle-ci, discrètement, opère toujours aujourd’hui dans le palais d’al-Joulani à Damas.
Inter Mediate a été fondée en 2011 par Jonathan Powell, ancien chef de cabinet de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Powell a démissionné de son poste à Inter Mediate l’an dernier, après avoir été nommé conseiller à la sécurité nationale auprès du Premier Ministre britannique Keir Starmer. Dans ses nouvelles fonctions, il supervise la coordination de la politique étrangère, de la sécurité, de la défense, des relations européennes et des affaires économiques internationales pour le cabinet du Premier ministre britannique.
Jonathan Powell est également l’auteur d’un livre avec un titre que certains qualifiaient de prémonitoire Parler aux terroristes…
Un autre cofondateur d’Inter Mediate est le diplomate britannique Martin Griffiths, ancien envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen et, jusqu’en juillet de l’année dernière, secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence.
Après le départ de Powell, le conseil d’administration d’Inter Mediate a annoncé la nomination de Claire Hajaj comme nouvelle directrice exécutive, à compter du 2 décembre 2024. Hajaj, d’origine palestinienne et juive, a rejoint l’organisation en 2018, en tant que directrice des politiques, puis en tant que directrice générale adjointe. Elle a débuté sa carrière dans la « résolution des conflits et la négociation » en 2002 au sein du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité des Nations Unies (Liban, Kosovo, Irak, Myanmar, Nigéria, Afghanistan, Pakistan).
Officiellement, l’organisation sert de plateforme de communication pour les parties impliquées dans des conflits à travers le monde en s’appuyant sur l’expertise et les connaissances de personnalités politiques, de diplomates et de spécialistes de haut niveau, partageant les expériences des processus de paix antérieurs pour répondre aux besoins spécifiques des parties en conflit. Son site web annonce qu’elle intervient comme médiatrice dans des conflits « complexes et dangereux » et contribue aux négociations grâce à sa « petite équipe flexible ».
En pratique, c’est une excellente structure discrète permettant aux services spéciaux et aux gouvernements de tisser des liens, soudoyer, recruter, « coacher » des personnalités et groupes officiellement infréquentables pour servir leurs intérêts.
Visiblement, tout ce petit monde néo-conservateur friand de « rebranding » et « regime changing » n’a rien appris depuis le soutien apporté à un certain Ben Laden pour créer « la Base » (al-Qaëda), en Afghanistan, dans les années 80 du siècle précédent, et qui leur péta au visage un certain 11 septembre…