Nous publions ci-dessous un article du professeur Kevin MacDonald consacré aux manœuvres de guerre contre la Syrie aux États-Unis. Il met en lumière et en perspective l’action du Lobby juif à travers ses multiples structures au plus haut sommet de l’État. L’article a été publié dans sa version originale en anglais le 1er septembre sur le site The Occidental Observer.
Le professeur MacDonald est l’un des meilleurs experts de l’organisation d’Israël en terme d’action communautaire et l’un des plus clairvoyant observateur de son impact négatif sur les sociétés européennes. Il a publié notamment Comprendre l’influence juive : étude d’un activisme ethnique et L’Activisme juif et ses traits essentiels. Ce dernier ouvrage est disponible en français aux Editions Akribéia.
Le président Obama dit maintenant que son administration a décidé d’attaquer la Syrie mais demandera l’approbation du Congrès avant de le faire. Ceci créera une situation vraiment intéressante si le Congrès n’est pas d’accord, ce qui semble tout à fait possible1.
L’idée d’Obama ordonnant un acte de guerre contre la Syrie sans un soutien international significatif et sans un mandat du Congrès a toujours été un casse-tête. Voici notre président d’extrême gauche préconisant une nouvelle guerre au Moyen-Orient après s’être opposé à la guerre en Irak quand il était sénateur. Le même président qui est en froid2 avec Benjamin Netanyahu et a maintes fois déçu3 les exigences du lobby pro-israélien.
Bien sûr, le raisonnement est formulé dans une terminologie morale – comme toutes les guerres américaines, mais il y avait une touche supplémentaire dans la période qui a précédé la guerre en Irak. Ici, le cas est rendu plus difficile pour les faucons parce que l’histoire des ADM [Armes de destruction massive] s’est avérée être fausse. N’oublions pas que cette histoire a été fabriquée par des agents clairement identifiés comme ethniquement juifs, pro-israéliens, liés au Bureau des moyens spéciaux du ministère de la Défense4, dont Paul Wolfowitz, Douglas Feith, Abraham Shulsky, Elliott Abrams, David Wurmser, Michael Ledeen, David Schencker, et Michael Rubin, avec l’étroite collaboration des services secrets israéliens.
Les suspects habituels du néocon5 Weekly Standard – comprenant en grande partie les mêmes personnes qui ont promu la guerre en Irak – font pression pour un très large engagement américain en Syrie. Il est surréaliste de lire dans la déclaration de ces pseudo-“experts” que le président doit agir « pour s’assurer que les armes chimiques d’Assad ne menacent plus l’Amérique ». Écho au comment l’Irak de Saddam Hussein allait détruire les États-Unis avec ses armes de destruction massive. Comment Assad lâcherait ses armes chimiques sur l’Amérique est une autre question.
Compte tenu du fort soutien des néocons pour une action contre la Syrie, nous devons supposer qu’Israël est entièrement partie prenante à une campagne américaine. Il n’est donc pas surprenant que, comme ce fut le cas de la période qui a précédé la guerre en Irak, les services secrets israéliens se trouvent au centre : « La majeure partie des éléments prouvant le déploiement d’armes chimiques par le régime d’Assad – qui donneraient des motifs juridiques déterminants pour justifier une action militaire occidentale – a été fournie par le renseignement militaire israélien, comme l’a rapporté le magazine allemand Focus »6. Cela comprend l’appel téléphonique très discuté intercepté entre des officiers syriens évoquant l’utilisation des armes chimiques7 et l’affirmation selon laquelle des armes chimiques ont été déplacées vers le site de l’attaque8.
Je ne possède pas les preuves d’une forte implication des agents du lobby pro-israélien du côté américain chargés de vérifier ce renseignement, comme ce fut le cas lorsque le lobby pro-israélien fabriquait les preuves pour le désastre en Irak – sans doute le pire épisode de l’histoire américaine marqué des sceaux de la trahison et de la corruption. Néanmoins, il faudrait être naïf pour ne pas suspecter l’implication israélienne.
Comme beaucoup l’ont noté, l’usage par Assad d’armes chimiques n’aurait aucun sens dans un conflit qu’il est en train de gagner ; inutile de tuer des femmes et des enfants ; inutile d’attaquer au moment où les enquêteurs de l’ONU arrivaient en Syrie ; inutile d’encourir la colère des moralisateurs américains en franchissant la stupide ligne rouge d’Obama – stupide puisqu’elle est une claire invitation à une opération sous faux drapeaux menée par les opposants au régime Assad.
Uri Avnery prétend9 que « pratiquement tous les dirigeants politiques et militaires israéliens » veulent que la guerre civile syrienne « continue éternellement ». L’autre motif évident d’Israël et de sa cinquième colonne aux États-Unis est de frapper un grand coup contre l’Iran, comme beaucoup l’ont noté. L’argument anti-Iran est mis en avant sur le site de l’AIPAC10 (« La Syrie prouve l’urgence d’arrêter l’Iran »11). Cet article suppose comme avérée l’utilisation par Assad d’armes chimiques :
« L’utilisation d’armes chimiques par le régime Assad met en évidence le danger de laisser les régimes les plus dangereux du monde posséder des armes de destruction massive. Alors qu’Israël prépare ses citoyens aux possibles conséquences d’une attaque chimique de la Syrie, les États-Unis doivent considérer les conséquences potentiellement catastrophiques si l’Iran, qui soutient activement Assad, acquiert une capacité d’armement nucléaire […]. Nous ne pouvons pas permettre à Assad d’agir avec l’aide de son grand allié Téhéran avec le soutien d’un armement nucléaire. La République islamique étend déjà son influence dans toute la région, déplaçant des équipements et des ressources militaires en Syrie et au Liban. »
Dans une déclaration de juin 201312, l’Institut juif pour les affaires de sécurité nationale13, comme l’AIPAC, met l’accent sur les conséquences de l’inaction en Syrie dans une perspective élargie à l’Iran :
« Plutôt que de dissuader la Syrie ou l’Iran d’utiliser ou de se doter d’armes illicites, les lignes rouges de l’administration semblent éroder la crédibilité américaine et la sécurité nationale. La leçon à tirer de la Syrie, c’est que prévenir la volonté nucléaire de l’Iran nécessitera une ligne rouge incluant action et contrôle. Cela devrait comprendre un mécanisme crédible pour évaluer les avancées de l’Iran vers la ligne rouge et l’alerte une fois franchie. »
Un article14 sur le site de la JINSA par Michael Makovsky et Blaise Misztal préconise une réponse « asymétrique » dans laquelle les États-Unis causerait beaucoup plus de dommages à la Syrie que ceux provoqués par des armes chimiques : « Si Washington ordonne une opération contre le régime d’Assad, on ne devrait pas s’abstenir de casser quelques œufs sur le chemin vers la Syrie afin d’assurer un accès plus facile à l’avenir. Cette approche permettrait d’envoyer un message crédible et menaçant au régime pour modifier son comportement ou prévenir de nouvelles actions ».
La déclaration de l’ADL contient un double langage concernant le responsable de l’utilisation des armes chimiques (« Utiliser des armes chimiques en Syrie “un crime immoral de premier ordre” »15). D’une part, il est dit que l’attaque a été « rapportée » comme ayant été effectuée « par le gouvernement syrien ». D’un autre côté, Abe Foxman accuse clairement le gouvernement syrien pour « les événements horribles de la semaine dernière » une affirmation qui va beaucoup plus loin. Et comme d’habitude, l’Holocauste est invoqué comme offrant une posture morale juive spécifique, utile à la réalisation des intérêts juifs :
« Depuis plus de deux ans, le monde a pu voir le président Bachar al Assad massacrer ses propres citoyens. Suite aux événements tragiques de la semaine dernière il n’y a plus aucun doute sur la nature brutale et diabolique d’Assad et de son régime.
Nous nous félicitons de la déclaration claire du secrétaire Kerry condamnant l’utilisation d’armes chimiques en Syrie et l’engagement américain à travailler avec nos alliés pour assurer que les responsables rendent des comptes. Le monde n’a pas agi pendant l’Holocauste ni concernant les génocides au Cambodge et au Rwanda. C’est un impératif moral que la communauté internationale agisse maintenant pour empêcher de nouvelles atrocités en Syrie. »
Selon le point de vue de Foxman, il est difficile de déterminer comment « prévenir de nouvelles atrocités » pourrait se produire avec un changement de régime rapide.
De toute évidence, la communauté juive organisée ne se contentera pas d’un simple geste contre Assad, mais veut quelque chose comme un changement de régime. L’Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient16 a publié de nombreux articles dont le message est qu’une attaque américaine doit être liée aux objectifs stratégiques. Robert Satloff17 (l’un des plus méprisables néoconservateurs18) affirme sans crainte du ridicule que le changement de régime en Syrie est dans l’intérêt des Américains :
« Compte tenu des enjeux stratégiques concernés en Syrie, qui touchent à tous les intérêts américains majeurs dans la région, la solution la plus sage à adopter est de saisir l’occasion des flagrantes violations par le régime d’Assad des normes internationales pour prendre des mesures qui précipitent la fin du régime d’Assad. Contrairement à l’opinion des chefs militaires américains, cela renforcera la crédibilité de l’engagement du président pour empêcher l’acquisition d’une capacité d’armement nucléaire par l’Iran, et n’amoindrira pas la capacité de l’Amérique à faire respecter cela. »
De même, les néocons comme Charles Krauthammer19 (tout aussi bien placé sur la liste des néo-conservateurs les plus méprisables20) veulent que la campagne américaine modifie l’équilibre du pouvoir – « une campagne soutenue visant à modifier l’équilibre des forces en supprimant un avantage militaire décisif du régime syrien – la puissance aérienne ». Ce que les néo-conservateurs ne veulent pas, c’est d’une attaque brève qui servirait seulement à montrer le mécontentement américain, laisserait Assad au pouvoir, et ne changerait pas la situation militaire
Donc, du point de vue des Israéliens et (ce qui est la même chose) des néocons, c’est gagnant-gagnant. Une importante intervention américaine prolongerait a minima une guerre qu’Assad est en train de gagner, ce qui affaiblirait la Syrie et le Hezbollah pour longtemps. Et cela conduirait peut-être à la chute d’Assad et du gouvernement sunnite coupé de l’Iran. L’Iran et ses alliés sont considérés21 comme un ennemi d’Israël bien plus dangereux que les nations arabes22 et les rebelles sunnites principalement opposés au gouvernement Assad ; peu importe combien ils se révèlent être des islamistes fanatiques, haïssant Israël, et faisant le lit d’al-Qaïda.
La décision prise par Obama de consulter le Congrès peut effectivement bénéficier au lobby pro-israélien, car il est très possible qu’il donne un mandat bien plus important que pour une brève attaque symbolique – comme Bill Clinton lançant23 quelques missiles de croisière en Afghanistan pour protester contre les attaques d’ambassades américaines en Afrique. Sans un mandat du Congrès et sans le soutien du Royaume-Uni, Obama aurait peu de chances de mener à bien ce genre d’attaque souhaitée par le Lobby. Maintenant, il a une chance.
Le retard fournit une opportunité au lobby pro-israélien de passer à la vitesse supérieure afin de gonfler les chiffres des sondages et d’exercer son pouvoir sur le Congrès. À cette heure24, il n’existe manifestement aucun mandat populaire25 pour une guerre, seuls 42 % des sondés sont en faveur d’une « réponse militaire large », et seulement 16 % veulent le changement de régime souhaité par le lobby pro-israélien. Un pourcentage beaucoup plus élevé, mais encore loin d’un mandat (50 %) est favorable au type d’action rejeté par le lobby pro-israélien – une réponse limitée impliquant uniquement des navires de guerre des États-Unis contre les armes chimiques.
L’approbation par le Congrès est également incertaine. Le sénateur Rand Paul (Républicain, élu du Kentucky) a déclaré26 que les possibilités que la Chambre approuve la force sont de « 50/50 », mais que le Sénat « devrait avaliser ce que [ Obama ] veut ». D’autres pensent que, même au Sénat, ce sera une « bataille difficile »27.
Ainsi, le lobby pro-israélien a un défi à relever, mais qui est à sa portée. Attendez-vous à une avalanche de propagande émanant des médiats d’élite aux États-Unis, et beaucoup de bras de fer au Congrès. Le lobby pro-israélien considère cela comme un combat préliminaire à la campagne vraiment sérieuse d’une guerre contre l’Iran. Si le Lobby perd ce test, ce serait une indication claire que les États-Unis n’ont pas la volonté d’attaquer l’Iran.
La pression sera intense. Ne pariez pas contre le Lobby.
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3 http://www.theoccidentalobserver.net/2012/12/obama-versus-the-israel-lobby-act-2/.
4 NDT : L’Office of Special Plans (OSP), Bureau des moyens spéciaux, a été mis en place par Paul Wolfowitz et Donald Rumslfed après le 11 septembre 2001. Il était dirigée par Douglas Feith et Abraham Shulsky. Ses membres l’appelaient « La Cabale ».
5 http://www.weeklystandard.com/blogs/experts-obama-here-what-do-syria_751267.html.
6 Voir ici : http://www.theguardian.com/world/2013/aug/28/israeli-intelligence-intercepted-syria-chemical-talk.
7 Ibidem.
8 Voir ici : http://www.timesofisrael.com/us-officials-weve-established-how-syrian-chemical-attack-occurred/.
9 http://www.avnery-news.co.il/english/.
10 NDT : l’un des plus puissants lobbys juifs aux États-Unis.
11 http://www.adl.org/press-center/press-releases/israel-middle-east/adl-use-of-chemical-weapons-immoral-crime-first-order.html.
12 http://www.jinsa.org/jinsa-media/lessons-syria-iran#.UiNsK0rZlCB.
13 NDT : Le Jewish Institute for National Security Affairs, JINSA, est un organisme juif œuvrant sur le territoire américain. Fondé en 1976, il regroupe des militaires, des hommes politiques et diverses personnalités influentes pour imposer au gouvernement américain le point de vue d’Israël. Richard Perle et l’ancien vice-président Dick Cheney en sont membres par exemple.
14 http://www.jinsa.org/jinsa-media/lessons-syria-iran#.UiNsK0rZlCB.
15 http://www.adl.org/press-center/press-releases/israel-middle-east/adl-use-of-chemical-weapons-immoral-crime-first-order.html#.UiJ4MtKFGSo.
16 Le Washington Institute for Near East Policy, WINEP, est un « laboratoire d’idée » fondé en 1985 par Martin Indyk, membre de l’AIPAC, le puissant et violent lobby juif précédemment évoqué ; http://www.washingtoninstitute.org/.
17 http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/bombing-syria-whats-the-goal.
18 http://www.theoccidentalobserver.net/2010/04/kevin-macdonald-robert-satloff-and-the-jewish-culture-of-deceit/.
19 http://www.washingtonpost.com/opinions/charles-krauthammer-shamed-into-war/2013/08/29/b97a67a8-10cb-11e3-b4cb-fd7ce041d814_story.html.
20 http://www.theoccidentalobserver.net/2010/06/kevin-macdonald-charles-krauthammers-those-troublesome-jews/.
21 http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/bombing-syria-whats-the-goal.
22 http://www.reuters.com/article/2013/08/27/us-syria-crisis-league-idUSBRE97Q0NI20130827.
23 http://en.wikipedia.org/wiki/Cruise_missile_strikes_on_Afghanistan_and_Sudan_%28August_1998%29.
24 L’article date du 1er septembre 2013.
25 http://www.washingtonpost.com/blogs/post-politics/wp/2013/08/30/half-of-americans-oppose-broad-military-action-in-syria-poll-finds/.
26 http://www.washingtonpost.com/blogs/post-politics/wp/2013/09/01/rand-paul-james-inhofe-peter-king-skeptical-congress-will-approve-syria-strike/.
27 http://www.washingtonpost.com/politics/as-obama-takes-syria-decision-to-congress-approval-for-attack-is-far-from-clear-cut/2013/08/31/ec0a9c08-1272-11e3-85b6-d27422650fd5_story.html?tid=pm_politics_pop.