Il ne faut pas confondre Waze et Wiz, mais de toute façon, les deux entreprises sont israéliennes, fondées et dirigées par des anciens de l’Unité 8200, la célèbre agence du renseignement électromagnétique israélienne, et les deux sont maintenant aux mains de Google. Waze avait été rachetée en 2013 pour 1,1 milliard de dollars. WIZ est en cours d’acquisition pour 29 milliards d’euros, 65 fois le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. Ces acquisitions ne s’analysent pas comme un accroissement de l’emprise de Google sur les renseignements israéliens, mais au contraire comme l’infiltration complète de Google et de vos données personnelles par Israël.
Dans son communiqué, le géant de la Silicon Valley prétend que cette acquisition « améliorera considérablement la façon dont la sécurité est conçue, exploitée et automatisée – en offrant une plateforme sécurisée de bout en bout pour les clients de tous types et de toutes tailles, à l’ère de l’IA ».
Quand on connaît le « passif » de la 8200 en matière de surveillance globale des populations arabes et de l’utilisation des données personnelles à des fins d’extorsion et de chantage, ça fait peur.
La surveillance israélienne du réseau mondial
Wiz a été créée il y a seulement cinq ans, et ses quatre cofondateurs – Yinon Costica, Assaf Rappaport, Ami Luttwak et Roy Reznik – étaient tous des dirigeants de la 8200. Une étude récente a révélé que près de cinquante de ses employés actuels sont en fait des anciens de l’Unité 8200. Pas de panique, c’est aussi le cas de nombreuses technologiques israéliennes.
Le nom d’Assaf Rappaport, en particulier, fait tiquer, il rappelle le nom d’un des six architectes du Goulag dénoncé par Soljenitsyne : Yakov Davydovich Rapoport, on trouvera son pédigrée complet ici, non pas en cherchant son nom sur Google (amusant comme Google est proche de Goulag), mais en cherchant sur Yandex, le moteur de recherche russe. Et c’est cet Assaf Rappaport qui nous déclare aujourd’hui benoîtement :
« Cette expérience m’a montré l’impact que l’on peut avoir lorsque l’on associe un grand talent à une technologie extraordinaire ».
C’est ce genre d’agents, qui bien sûr n’ont pas oublié leur service d’origine, qui ont ensuite conçu les plus fameux logiciels malveillants et outils de piratage au monde, dont Pegasus, le logiciel espion utilisé par des gouvernements du monde entier pour surveiller et traquer les opposants politiques. Il s’agit notamment de l’Inde, du Kazakhstan, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, cette dernière ayant utilisé l’outil pour espionner le journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi avant de le faire assassiner par ses agents en Turquie.
Au total, ce sont plus de 50 000 journalistes, défenseurs des droits de l’homme, diplomates, chefs d’entreprise et hommes politiques qui sont connus pour avoir été secrètement surveillés, dont Emmanuel Macron, Imran Khan le premier ministre pakistanais, et le président irakien Barham Salih. Toutes les ventes de Pegasus devaient être approuvées par le gouvernement israélien, qui se réservait en outre un droit d’accès aux données ainsi récoltées par les clients étrangers.
La 8200 espionne aussi les Américains. Edward Snowden a ainsi révélé que l’Agence nationale de sécurité partageait régulièrement les données et les communications des citoyens américains avec la sphère du renseignement israélien.
« Je pense que c’est incroyable… C’est l’un des plus grands abus que nous ayons vus », a-t-il déclaré.
Pour les Israéliens, l’intérêt de ces sociétés privées, truffées d’anciens membres des services de renseignement de Tsahal, c’est qu’elles permettent d’opposer un démenti plausible lorsqu’un scandale d’espionnage éclate. Comme l’explique Haaretz :
« L’identité des propriétaires [de ces sociétés] est opaque, mais officiellement, leurs employés ne sont pas des militaires ».
Le plus fort, c’est que les dispositifs de sécurité qui prétendent protéger contre la surveillance indésirable sont aussi créés par ces sociétés.Une enquête de MintPress révèle que trois des six plus grandes sociétés de VPN au monde sont détenues et contrôlées par une société cofondée par un vétéran de l’Unité 8200.
Comment la 8200 tient les Palestiniens à l’œil
Il faut dire que la 8200 dispose d’un immense laboratoire à ciel ouvert : la Palestine. C’est le terrain de jeu par excellence du Big Data : suivi du moindres mouvements des Palestiniens grâce à des caméras de reconnaissance faciale, surveillance de leurs appels, de leurs courriels et leurs données personnelles, c’est tout un filet numérique tendu pour espionner, traquer et éliminer.
Elle monte des dossiers sur pratiquement tous les habitants de Gaza : antécédents médicaux, vie sexuelle, recherches Google, bref, tout ce qui peut être utilisé à des fins d’extorsion ou de chantage. Si, par exemple, quelqu’un trompe son conjoint, a un besoin urgent d’une opération médicale ou est secrètement homosexuel, ces informations peuvent être utilisées pour convertir des civils en indicateurs pour le compte d’Israël.
Un ancien de la 8200 déclarait au FT que, dans le cadre de sa formation, on lui avait appris à mémoriser différents mots arabes pour « gay » afin de pouvoir les repérer dans les conversations téléphoniques.
L’agence serait également derrière Lavender, un projet encore plus contestable : l’établissement par l’IA d’une liste de dizaines de milliers de Gazaouis que Tsahal cible ensuite en plein milieu de la population civile environnante.
Chaque Gazaoui (y compris les enfants) se voit attribuer une note de 1 à 100 en fonction de sa proximité avec le Hamas, proximité établie sur la base de tout un ensemble de critères, comme le fait de vivre ou de travailler dans le même immeuble ou de faire partie d’un groupe WhatsApp avec un membre connu ou suspecté du Hamas.
Ensuite, c’est simple, si le score de la personne atteint un certain seuil, elle est automatiquement rajoutée à la liste des personnes à abattre. Un gradé de Tsahal explique comme cela permet de faire sauter le « goulot d’étranglement » des effectifs qu’on peut affecter au ciblage et de mener des dizaines de milliers de frappes au cours des seules premières semaines de l’attaque qui a suivi le 7 octobre.
Enfin les agents de la 8200, qui n’ont certainement pas l’impression d’avoir du sang sur les mains, ne faisant que travailler sur ordinateur, sont également soupçonnés d’être derrière l’affaire des pagers piégés au Liban, une opération qui selon beaucoup, dont l’ancien directeur du CiA, Leon Panetta, relève purement et simplement du terrorisme.
Et c’est sur ces gens-là que Google prétend se baser pour assurer la sécurité de nos données.
Google et l’espionnage israélien
Comme vu plus haut, l’acquisition par Google de Wiz intervient après celle de Waze qui, déjà, était fondée par trois anciens de la 8200. Mais Google procède aussi par recrutement direct : une enquête der MintPress News de 2022 révèle qu’au moins 99 anciens agents de l’unité 8200 travaillaient pour le géant de la Silicon Valley.
Par exemple, l’actuel responsable de la stratégie et des opérations de Google Research : Gavriel Goidel. Ce dernier a rejoint Google en 2022 après six ans passés dans le renseignement militaire ; il finira responsable de la formation à la 8200. Selon ses propres dires, il y dirigeait toute une équipe d’agents qui passaient au crible des données pour « comprendre les schémas des activistes hostiles ».
Certes, Facebook, Microsoft et Amazon ont aussi embauché des ex de la 8200 – même TikTok, censé être un virulent foyer d’antisémitisme. On peut aussi y ajouter des médias – et pas de moindres – comme CNN et Axios.
Mais Google a en outre énormément investi en Israël où elle a ouvert ses premiers bureaux en 2006. Son PDG de 2001 à 2011, Eric Schmidt, est bien connu pour être un fervent défenseur d’Israël. Lors d’une réunion en 2012 avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, il déclarait sans ambages que « la décision d’investir en Israël a été l’une des meilleures que Google ait jamais prises ».
Avec l’énorme prix payé pour Wiz, 0,6% du PiB, Google est carrément à la limite du soutien actif à l’économie israélienne, encourageant par son exemple d’autres entreprises à venir investir, c’est-à-dire à soutenir l’effort de guerre en évitant récession et austérité.
Alors, demain, tous Palestiniens ? C’est en définitive la question posée par cette intense coopération entre Google et le renseignement israélien.
Alan MacLeod
Traduction et adaptation : Francis Goumain
Source : Wiz Acquisition Puts Israeli Intelligence In Charge of Your Google Data