La bataille de Denain, le 20 juillet 1712, est un tournant de la guerre de Succession d’Espagne. Ce conflit opposa plusieurs grandes puissances européennes, notamment la France, et ses alliés, la Castille, le Léon, la Bavière, Cologne, contre le Saint-Empire, l’Autriche, la Prusse, la Grande-Bretagne, la Savoie, les Provinces-Unies, l’Aragon et le Portugal. La guerre, qui fit plusieurs centaines de milliers morts dans plusieurs de ces pays, s’acheva après treize ans de lutte (1701-1714), laissant les différentes puissances en grande difficulté financière. Elle s’acheva par les traités d’Utrecht et de Rastatt. Ils confirment l’union des différents territoires à la France, qui cède l’Acadie et Terre-Neuve en Amérique du Nord. Louis XIV obtient le maintien sur le trône d’Espagne de son petit-fils, Philippe V, premier roi de la dynastie des Bourbons d’Espagne qui règnent toujours aujourd’hui. Ci-dessous, le général de Partouneaux évoque la bataille de Denain, dans le nord de la France, qui vit le relèvement des armées françaises jusque-là dominées.
Le nom de Denain ne figure pas sur nos drapeaux, pas plus que ceux de Rocroy et de Fontenoy. Et pourtant, ces victoires, pour ne citer que les plus grandes, par les résultats qu’elles ont obtenus, mériteraient qu’on les connût mieux, et qu’on célébrât leur souvenir. Mais pour le régime républicain, la France ne commence qu’en 1789, et les victoires de l’ancien régime, pour glorieuses et fructueuses qu’elles aient été, sont lettre morte. C’est à nous de combler cette lacune et de rendre à ceux qui ont contribué à la grandeur de la France le juste tribut qui leur est dû.
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Parmi ces victoires, Denain brille au premier rang, pour de multiples raisons : parce que tous les moyens diplomatiques et militaires y ont été employés pour assurer le succès ; parce que l’art suprême du chef d’année est de réunir sur le champ de bataille, au point capital qu’il a choisi, des moyens supérieurs à ceux de l’adversaire, même si cet adversaire dispose dans l’ensemble de forces plus nombreuses, en un mot, parce que le chef a bien manoeuvré ; parce qu’une armée longtemps et patiemment préparée a montré dans l’action toute sa valeur faite d’enthousiasme et d’esprit de sacrifice.
Enfin, parce que la manœuvre de Denain donne la plus heureuse solution de la question si grave des rapports entre le gouvernement et le commandement des troupes. Question qui ne se pose pas, quand un Roi peut à la fois gouverner et commander, mais qui se posait alors, parce que le Roi, trop âgé pour faire campagne, devait laisser à Villars, commandant en chef, sa liberté d’action, tout en lui donnant des directives.
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En 1713, la situation générale est angoissante : depuis 12 ans la Guerre de Succession d’Espagne est engagée ; l’Angleterre, la Hollande, l’Empereur, la Prusse, puis le duc de Savoie sont coalisés contre nous, et leurs généraux, d’ailleurs souvent formés en France, le Prince Eugène et Marlborough, sont de rudes adversaires. Les premières années, nous avons lutté, non sans succès. Mais en 1704, la défaite d’Hochstedt nous a fait perdre l’Allemagne ; en 1706, après Ramillies, nous perdons les Pays-Bas et l’Italie ; en 1708, nous sommes battus à Audenarde et Lille, quoique fortifiée par Vauban et défendue par Bouffiers, tombé aux mains de l’ennemi. Nous en sommes réduits à nous défendre sur nos frontières, et à lutter péniblement en Espagne.
L’année 1709 a pourtant montré un revirement de la fortune. L’hiver a été terrible ; les vivres et l’argent manquent, et l’armée est dans une extrême détresse. Le Roi, entouré de défaitistes, essaie de négocier, mais devant les exigences inacceptables de l’ennemi, les négociations sont rompues. À l’appel du Roi, les volontaires affluent, l’armée se reconstitue, et si la bataille de Malplaquet est une défaite, il s’en est fallu de peu qu’elle tournât en victoire. En tout cas, elle donne à réfléchir à l’ennemi, et sur notre frontière du nord, Marlborough et le prince Eugène se bornent au siège des petites places qui barrent la route de Paris, épiant l’occasion favorable pour livrer une bataille décisive.
Le vieux Roi est frappé dans ses plus chères affections. En un an, le Grand Dauphin, le duc et la duchesse de Bourgogne et leur fils aîné sont morts, et toute la descendance de Louis XIV se réduit à un enfant de quelques mois. Pourtant le Roi ne perd pas courage. Il mène de front les négociations avec l’Angleterre, qu’il essaie de détacher de la coalition, et la conduite des opérations. En quittant Villars, au mois d’avril 1712, il lui a dit : « Je vous remets les forces et le salut de l’État », et depuis, jour par jour, un courrier des Flandres le renseigne sur la situation. Il a prescrit à Villars une attitude défensive jusqu’à ce que les négociations avec l’Angleterre aient abouti. Mais il entend qu’à cette défensive momentanée succède, au moment voulu, une offensive résolue.
Le moment de cette offensive approche au mois de juin, quand l’Angleterre retire ses troupes. Le prince Eugène dispose encore de 100 000 hommes contre les 80 000 de Villars. Mais il commet la faute de s’attarder au siège des petites places, au lieu de profiter de sa supériorité numérique pour livrer une bataille décisive.
Le Roi a clairement indiqué à Villars quel est son devoir : faire lever le siège de Landrecies, car c’est la dernière place qui couvre la route de Paris. Au-delà, c’est la vallée de l’Oise et le terrain libre. Dans une lettre à Villars, le 1er juillet, le Roi, tout en laissant entière l’initiative de Villars, lui indique même une attaque sur les communications de l’ennemi, avec la coopération de la garnison de Valenciennes.
« Que d’intelligence et d’énergie, dans cette appréciation des choses de la guerre et dans cette décision du Roi »,
écrit, à ce propos, le maréchal Foch, dans son discours de réception à l’Académie française.
L’essentiel de la manœuvre de Denain, c’est une feinte sur Landrecies, puis une brusque conversion à gauche, et après une rapide marche de nuit, l’attaque par surprise sur Denain. Comme pour la bataille de la Marne, on a contesté au vainqueur le mérite de la victoire, mais, avec le maréchal Foch, nous pensons que si Montesquiou, si Lefébre d’Orval ont quelque part à l’idée et à la réalisation de la manœuvre, les véritables vainqueurs, sont le Roi d’abord qui a fixé le but et suggéré la manœuvre, et Villars qui l’a conçue et exécutée.
Le 20 juillet, la situation est la suivante :
Le prince d’Anhalt assiège Landrecies, avec le gros de son armée, le prince Eugène est derrière l’Écaillon, entre Landrecies et Denain, prêt à se porter vers l’un ou l’autre de ces points.
À Denain, Albemarle, avec 10 bataillons et 23 escadrons, couvre les communications avec Marchiennes, base de ravitaillement des coalisés. Denain est couvert de retranchements, et les communications également fortifiées ; l’ennemi les appelle le « Grand chemin de Paris ». De son côté, Villars est derrière l’Escaut, près de Cambrai, avec le gros de son armée. Nous tenons encore Valenciennes, avec 18 bataillons, sous le prince de Tingry, au milieu des lignes ennemies. Mais le Quesnoy vient de tomber.
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Le 20 juillet, on bat la générale et on sonne le boute-selle1 à la pointe du jour.
« Nous quittons nos terriers avec la plus grande joie du monde »,
écrit le chevalier de Quincy, capitaine du régiment de Bourgogne.
« La joie était répandue sur les visages des soldats et des officiers. Il y avait un pressentiment unanime que nous marchions à une victoire certaine. »
L’armée s’ébranle en neuf colonnes, en bel ordre, en direction de Landrecies.
Le 23 au matin, l’armée est devant la Sambre. On y fait du bruit, on y jette des ponts. Mais en même temps, Villars envoie ses houzards battre l’estrade entre la Sambre et l’Escaut, et tendre, sur la Salle, un réseau qui empêche les reconnaissances de l’ennemi.
Subitement, à la tombée du jour, on sonne la retraite.
« J’aperçus un découragement et parmi l’officier et parmi le soldat »,
écrit encore Quincy.
« On se disait, les uns aux autres : “Quels diables de généraux avons-nous donc aujourd’hui ? Que sont devenus les Turenne, les Condé, les Luxembourg, les Catinat et les Vendôme ? Nous allons voir les alliés pénétrer en France. Quelle désolation et quels ravages !” »
Mais la retraite n’est qu’une feinte, et bientôt le bruit court dans les rangs que nous marchons sur Denain.
Villars, en effet, a pris sa décision. Il l’a tenue secrète ne s’en ouvrant qu’à son état-major.
Sur la Sambre, il ne laisse que 30 escadrons de dragons, pour entretenir le prince Eugène dans l’idée que l’attaque sur Landrecies continue.
Tout le reste de l’armée marche sur Denain.
En tête Vieuxpont et Broglie, avec 40 escadrons et 40 bataillons, les portent en tête de colonne. Derrière, le gros de l’armée.
Dans la nuit et en silence, on fait les huit lieues qui séparent la Sambre de l’Escaut.
À 7 heures du matin, l’avant-garde arrive sur l’Escaut ; les ponts sont jetés ; de Broglie, avec son avant-garde, passe sur la rive gauche, franchit le marais qui borde la rivière, et d’un seul bond, enlève le « Grand chemin de Paris », capture un convoi de 500 chariots de pain, et vient se placer devant Denain, face au sud.
Albemarle est surpris. Il fait tirer le canon d’alarme ; son infanterie garnit les retranchements de Denain ; ses escadrons, dont les chevaux paissaient dans les prairies, montent à cheval en toute hâte. Mais il est trop tard. Ils sont refoulés, et de l’est, on aperçoit déjà dans le lointain la garnison de Valenciennes qui approche de Denain. ?
Le prince Eugène, prévenu à 8 heures, envoie 7 bataillons au secours d’Albemarle ; mais le gros de son armée est à trois lieues, trop loin pour pouvoir intervenir.
Villars, laissant le gros de son armée sur la rive droite de l’Escaut, prêt à intervenir, forme en bataille face au sud, les 52 bataillons qui ont passé sur la rive gauche ; 40 bataillons en 14 colonnes espacées de 200 pas, l’artillerie dans les intervalles. En arrière, une réserve de 2 brigades, couverte sur ses arrières et protégée sur ses flancs par la cavalerie.
Alors, Villars donne l’ordre d’attaque. La troupe s’agenouille pour recevoir l’absolution, puis se relève, et lançant leurs chapeaux en l’air, les hommes partent à l’attaque, l’arme au bras, baïonnette au canon, sans tirer un coup de fusil, aux cris de : « Vive le Roi ! »
Les retranchements sont enlevés d’un seul bond, et nous entrons dans Denain, poursuivant l’ennemi en fuite.
Sur la rive gauche, le prince Eugène, déchirant de rage ses manchettes, assiste impuissant au désastre.
La bataille de Denain était gagnée.
Le soir même, nous étions devant Marchiennes, qui tombe en trois jours ainsi que Saint-Amand. Le prince Eugène perd ses magasins, puis en quelques semaines, les dernières places qui lui restent. Douai, Bouchain et le Quesnoy. Quelques mois après, le Roi pouvait traiter en vainqueur.
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Ainsi se terminent, par une victoire foudroyante, une longue guerre, un long règne. La manœuvre de la bataille de Denain, porte au plus haut point le caractère du génie français. Chacun à sa place y a contribué, depuis le Roi jusqu’au dernier soldat : le Roi par la hauteur et la justesse de ses vues, par sa constance au milieu du malheur ; Villars par l’ingéniosité, l’audace et la rapidité de sa manœuvre ; l’armée enfin, par son héroïsme que rien, ni les difficultés, ni même les revers, n’avaient pu abattre, donnant ainsi une fois de plus, l’exemple que nous retrouvons souvent dans notre histoire, du ressort dont l’armée française est capable, quand elle est bien commandée.
Général de Partouneaux.
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1 Dans l’armée, sonnerie de trompette pour annoncer l’ordre pour les cavaliers de seller et de monter leurs chevaux.