La période trouble de l’unification du Dahomey sous l’égide de la reine Hangbé et sur fond de politique d’expansion hégémonique liée à l’enrichissement par la traite, vient de servir de trame à un film très « hollywoodien » qui relate le début de l’épopée des Agodjiés : « The Woman King », traduit par « la femme roi ». Une fiction sur les célèbres Amazones béninoises au temps du roi Genzo… Mais le monde médiatique a été finalement très circonspect et le film, qui ne cache pas le rôle prépondérant des Béninois dans la traite intra-négrière (acheminement et commercialisation des esclaves), a été un échec programmé !
Préambule : les femmes combattantes agodjiés
On pourrait dire qu’en Afrique de l’ouest, des entités politiques organisées existent dès avant le XVIeme siècle dans cette zone dominée par les Yorubas (très présents au sud à l’ouest de l’actuel Niger encore aujourd’hui dans l’actuel Nigéria) et les Fons proches des Ewes, populations côtières majoritaires au sud au Togo…
L’histoire qui nous intéresse plus directement est celle des Fons dont l’activité économique sera florissante dès le XVIeme siècle grâce à l’arrivée de marranes portugais qui vont enrichir considérablement la zone côtière notamment par le commerce très spécifique de la traite négrière à l’exportation appuyée par les chefferies locales…
Au XVIIeme siècle cette zone compte trois royaumes politiquement organisés, tous issus de tribus de Fons où les occidentaux fondent des comptoirs :
• Danxomé (nom qui sera traduit par les occidentaux en « Dahomey ») au nord, de capitale Abomey
• Allada ou Adanwssa (en dialecte Fon) de capitale Savi
• Xweda enclave indépendante côtière du sud-ouest, de capitale homonyme qui sera traduite par les occidentaux en « Ouidah »
Vassal alors du royaume d’Allada, le royaume de Xweda est très souvent mentionné dans les récits d’expéditions européens. Il entre dans l’histoire en 1671, quand les Français fondent un comptoir à Savi, sa capitale.
Aho Houegbadja , est considéré comme le fondateur du royaume dit du Dahomey.
De teint clair, grand et fort, le prince Aho arrive au pouvoir sous le nom de Houegbadja. Il succède à son oncle, Dakodonou, et règne de 1645 à 1685. Houegbadja fonda la cité d’Abomey et y construit son palais (nommé Agbome qui signifie « au milieu des remparts ») près de Guedevi, à quelques kilomètres au nord-ouest de Bohicon. Il annexe les petites chefferies de la région et commence à développer le commerce des esclaves avec des traiteurs venus de la côte.
Son fils Houessou Akaba (ou Hwesu Akaba), considéré comme le quatrième roi d’Abomey, régna de 1685 à 1708, date à laquelle il succombera à une épidémie de variole la veille d’une importante bataille. Les combattants décident alors de cacher sa mort et le remplacent à la tête des troupes en déguisant sa sœur jumelle Hangbé . Le combat est gagné, et Hangbé remplace son frère comme reine du royaume mais cette fois sous son vrai nom.
La reine Hangbé fondatrice du corps des agodjiés
Ce sera la seule reine du Danxomé qui règnera de 1708 à 1711. C’est elle qui va créer une troupe de femmes combattantes, initialement montée pour pallier le manque d’hommes soit par ce qu’ils ont été massivement tués au combat, soit surtout parce qu’ils ont été vendus comme esclaves. Elle s’appuie alors sur un noyau de femmes chasseresses spécialisées depuis déjà des décennies dans la chasse à l’éléphant.
Elle sera écartée du trône par Dossou Agadja (ou Agaja) qui règnera de 1711 à 1740. Agadja attaque et conquiert Allada en 1724, puis Savi (Xweda), déjà vassal d’Allada, en 1727 ; il prend ainsi le contrôle de la principale route commerciale menant à la côte, et il érige la traite des esclaves en monopole royal, renforçant son Etat centralisé à Abomey, la capitale du Royaume.
Sa puissance militaire est déjà le fait d’une troupe d’élite d’amazones qui ont enflammé l’imaginaire européens au temps de Béhanzin et de la colonisation – dénommées les Agodjiés. Ce qui signifie en langue fon « Ote-toi de là.. » (Aujourd’hui on dirait « Dégage »). Ce groupe de femmes guerrières est aussi appelé Mino (Mi-No), ce qui signifie « nos mères » en langue fon, par l’armée masculine du Danxome.
À l’époque du roi Ghézo (qui sera installé avec le soutien du traiteur d’origine brésilienne Felix de Souza, gouverne de 1818 à 1858), le Dahomey se militarise de plus en plus. Ghezo donnera une grande importance à l’armée, augmente son budget et améliore sa structure. Il intégra officiellement les mi-nos dans l’armée du Danxomé.
Primitivement, elles sont équipées d’une lance, d’un gourdin ou d’une hache, d’un coutelas ou d’un sabre d’abattis, à la lame souvent ouvragée et élargie vers l’extrémité d’une cinquantaine de centimètres de long.
Les Mino seront des recrues très entraînées ; elles obtiendront très vite des uniformes à rayures bleues et blanches et seront équipées avec des fusils danois (obtenus via la traite des esclaves). Les Mino seront entre 4 000 et 6 000 femmes et représenteront environ le tiers des effectifs de l’armée.
Réparties en trois brigades de plusieurs régiments chacune, cette armée comprenait des officières (gahou), des sous-officières (awhouangan) et de simples guerrières. Chaque régiment était dirigé par la guerrière qui s’était le plus illustrée au combat. Un monde où seul le mérite existait !
• La première unité, qui représentait la fraction la plus importante, était celle des « fusilières », au nombre de trois mille environ. Vêtues de tuniques bleues, serrées à la taille par une ceinture, et de pantalons bouffants tombant jusqu’aux genoux, elles disposaient de fusils et de sabres courts à lame dentelée, redoutables dans les corps à corps. Le crâne rasé couvert d’une calotte blanche ornée sur le côté d’une petite applique de tissu bleu en forme de caïman, elles portaient, accrochées à leur ceinture, des cartouchières en feuilles de bananiers séchées et tressées. Certaines utilisaient en outre des lances, des coutelas ou des haches.
• Le second régiment, composé des chasseuses ou éclaireuses, comptait environ 400 femmes. Leur tenue était identique aux premières mais de couleur plus foncée. Un bandeau en fer surmonté de deux cornes d’antilopes enserrait leur crâne rasé, ce qui permettait de tromper l’ennemi lorsqu’elles se déplaçaient furtivement dans la brousse, à travers la végétation, pour aller espionner les positions adverses.
• Les « faucheuses », pour leur part, inspiraient une grande terreur avec leurs impressionnants rasoirs d’environ 50 cm d’envergure, fixés sur un manche en bois. Une arme étonnante que l’on maniait des deux mains, et qui s’ouvrait et se fermait en un mouvement de ciseaux.
• La quatrième unité regroupait les artilleuses, armées de tromblons, et vêtues de tuniques bleues et rouges. Elles s’occupaient aussi des canons et des pièces d’artillerie acquises à la fin du XIXeme siècle
Les jeunes recrues s’entraînaient aussi à l’arc mais ce n’était pas une arme de prédilection des agodjiés !
Conditionnées à tuer sans hésiter, elles entretenaient une forte solidarité de corps et faisaient aussi montre d’un certain orgueil face aux autres sujets de la société. Lorsqu’elles sortaient du palais, où elles étaient cantonnées par privilège royal, elles étaient précédées de fillettes qui leur ouvraient le chemin en agitant des clochettes pour avertir les passants qui s’écartaient aussitôt. Il était interdit de frôler une agodjié ou de la fixer du regard.
Seules les princesses et les femmes de sang royal avaient ces privilèges…
« The woman king »
Certes, l’orientation très féministe et antiraciste de la thématique du film qui effleure sans les approfondir les heurts avec les troupes esclavagistes des royaumes rivaux de la côte, notamment au début de Xweeda (qui donnera Ouidah) était prometteuse, mais la rigueur historique n’a pu ou su éviter – à la grande fureur des wokistes – la mise en évidence du rôle prépondérant des béninois dans l’acheminement et la commercialisation des esclaves expédiés au nouveau monde depuis cette zone !
Hollywood a effectivement soigneusement respecté le contexte historique (une fois n’est pas coutume !) et nous présente les amazones comme une troupe d’élite, soutien du régime et fer de lance de l’hégémonie dahoméenne, pas du tout représentatives d’un « mouvement de libération des femmes » à l’image de ces « walkyries noires » chères à l’idéologie des blacks Panthers…
C’est ce qui a valu au film le boycott assumé de la bien-pensance hollywoodienne qui se souciait beaucoup plus de l’exaltation de la présence des acteurs tous africains ou afro-américains, que du respect de la rigueur historique que le film a pourtant voulu partiellement respecter.
L’héroïne du film suit d’ailleurs la destinée de la mino Tata Adatche qui finira reine consort du Dahomey.
Mais, évidemment, on essaye pudiquement, sans y parvenir, de masquer la politique de fond, première mission des Agodjiés dans la traite intra-négrière : la protection des circuits d’acheminement des esclaves jusqu’à la cote.
Car l’esclavage en Afrique de l’ouest et la traite à destination des Amériques n’a jamais été dû à de vilains européens (sauf quelques armateurs anglais ou français pour le très marginal commerce triangulaire à destination des Antilles soit environ 500 000 transportés ; contre un minimum de 11 millions envoyés aux Amériques continentales : USA, au Brésil et en Colombie) : la traite a toujours été le fait de tribus et de personnalités africaines et afro-américaines installées localement qui réalisèrent là des fortunes colossales1 !
Deux familles issues d’aventuriers de souche marrane hispanique, métis brésiliens, ont dominé la traite sur la « cote des esclaves » au XIXeme siècle et y ont amasser des fortunes reconverties dans des plantations notamment de Cocotiers et des palmeraies.
• Felix de Souza au Bénin, qui sera fait vice-roi de Ouidah où il a sa statue est présenté comme bienfaiteur, et à la cinquième génération, sa petite fille Chantal de Souza fut « première dame » du pays, épouse de l’ancien président de l’État (devenu béninois) Thomas Boni Yayi.
• Francisco Olympio au Togo dont le petit fils Sylvanus sera le premier président élu lors de l’indépendance avant d’être assassiné et dont la famille jouit toujours aujourd’hui un rôle essentiel dans la vie économique et politique du pays étant leader dans l’opposition.
Le royaume du Danxomé dès le début du XVIIIeme siècle était empêtré dans des guerres incessantes, ce qui entraîna un déclin de la population masculine et une opportunité (ou plutôt une nécessité) d’utiliser des femmes pour combler cette lacune sur le champ de bataille. Ghezo était dans une situation difficile dans les années 1830 et 1840.
Même si les prix des esclaves baissaient, on pouvait encore gagner beaucoup d’argent en vendant des esclaves, ce qui était toujours plus rentable que la vente d’huile de palme !
D’autant que la production d’huile de palme nécessitait elle aussi l’utilisation d’Africains capturés. Ce n’est qu’en 1852 que le roi Ghezo déclara accepter de mettre un terme à la participation du Dahomey à la traite négrière, après des années de pression de la part du gouvernement britannique, qui avait aboli l’esclavage dans ses colonies en 1833. Cependant rien ne fut mis en pratique car si la traite disparaissait des Antilles, elle restera largement pratiquée cinquante ans encore au Brésil et en Colombie.
Les Agodjiés sont restées une force militaire essentielle jusqu’en 1892, lorsque les Français ont conquis le royaume du Dahomey et y ont démantelé son armée.
Hommage au Bénin en juillet 2022
Jeune Afrique y consacrant un article, n’hésitera pas à évoquer dans une formule lyrique particulièrement imbécile « la traite européenne des esclaves » (sic !). Elle qui fit la richesse du pays !
« De par son positionnement, en face de la présidence de la République, c’est une statue qui est appelle à symboliser le peuple des amazones, une statue qui est appelée à marquer la ville. Une ville a besoin de repères et les deux participent au récit national il y aura la stèle qui va raconter ce à quoi cette statue est destinée. Cela nous amène à apprendre l’épopée des amazones et enfin la place de la femme », expliqua l’architecte béninois Luc Gnacadja.
Les Amazones ont joué un rôle prépondérant dans le royaume de Dahomey, l’actuel Bénin. Protectrices du roi Ghezo, qui a régné sur le Dahomey de 1818 à 1858, elles ont formé une troupe d’élite, lui jurant fidélité jusqu’à la mort. Ces redoutables gardes du corps féminins étaient souvent recrutées à l’adolescence par le roi pour leur force et leur beauté mais aussi parce que la main-d’œuvre était de plus en plus rare en raison de la traite européenne des esclaves. »

C’est à ce royaume fon du Danxomé francisé en « Dahomey » couvrant alors pratiquement la moitié sud de l’actuel Bénin que va se heurter le colonisateur français à la fin du XIXeme siècle, et singulièrement à Béhanzin qui en sera le dernier empereur régnant…
Ce prince, dénommé Kondo, est couronné sous le nom de roi Béhanzin le 6 janvier 1890 – après la mort de son père le 28 décembre 1889, au terme de près de quarante années de règne – son demi-frère Ahanzo, héritier direct du trône, étant mort mystérieusement (sans toute empoisonné par Kondo lui-même).
Le règne de Kondo, dit Béhanzin, commence rituellement dans le sang des sacrifices humains…
Or, deux ans avant, le 13 mai 1888, le gouvernement impérial brésilien, dernier état esclavagiste des Amériques avait promulgué la Loi d’or qui supprimait l’esclavage, et du même coup le dernier client de la traite atlantique.
La tradition rapporte qu’au-delà des 14 garçons et 14 filles rituellement sacrifiés lors des couronnements à Abomey, des centaines de captifs – destinés à la traite, mais ne trouvant plus alors preneur vers l’Amérique – furent alors égorgés en l’honneur de l’avènement du souverain…
Béhanzin s’opposa violemment à la colonisation française (et est aujourd’hui devenu symbole de la résistance nationale)
Après de nombreux combats, dont certains parfois victorieux, Béhanzin fut finalement vaincu et déporté en Martinique en 1894 ; il mourra, toujours exilé, mais ramené en Algérie, en 1906 …
Depuis cette date les rois d’Abomey, par l’entremise des « régents des maisons royales », ont conservé un important statut coutumier et religieux, durant toute la période coloniale… Et même aujourd’hui !
Ils sont aussi les garants de la religion, le vaudou dont tous les dignitaires font allégeance au roi.
[Rappelons à ce sujet – aussi mystérieuse et angoissante que puisse apparaître cette religion – que le vaudou, religion animiste côtière essentiellement togolaise et béninoise, toujours localement très présente, apportée par les esclaves aux Antilles, n’a pratiquement rien à voir avec la version dégénérée, présentée là-bas aujourd’hui à des touristes naïfs, notamment à Haïti, à travers des cérémonies ˝folkloriques˝ forgées de toutes pièces…]
Les « amazones » dites de Béhanzin
Les marchands européens notent leur présence au Dahomey ainsi que celle d’autres femmes guerrières notamment parmi les Ashantis (peuple occidental de l’est Togo anglais, aujourd’hui au Ghana).
En 1890, le roi Behanzin commence à combattre les forces françaises au cours de la Première Guerre du Dahomey. Les heurts seront violents notamment en 1892. Les agodjiés seront de tous les combats et infligeront de sévères revers aux troupes françaises.
Finalement, renforcés par la Légion étrangère et disposant de meilleures armes dont des mitrailleuses ainsi que de l’infanterie de marine, les Français infligent aux Dahoméens des pertes dix fois supérieures aux leurs. Après plusieurs batailles, ils finirent par l’emporter.
Les Légionnaires décriront plus tard à propos de la campagne coloniale du Dahomey « l’incroyable courage et audace » des Amazones.
Les agodjiés ne résistèrent pas aux armes automatiques les plus récentes et furent décimées par les troupes françaises.
Les vétérantes
La dernière survivante connue des Mino était nommée Nawi. En 1978, lors d’un reportage dans le village de Kinta, un historien béninois rencontra Nawi, qui disait avoir combattu les Français en 1892. Nawi est morte en novembre 1979, âgée donc de plus de 100 ans.
Note :
1 Voir le dossier de Strategika particulièrement mal reçu par les wokistes de tout poil et antiracistes enragés qui n’ont jamais foutu les pieds en Afrique… Mais ceux-là, qui évidemment savent tout sans rien connaître, et bénéficient étrangement du secours d’historiens français plus soucieux de porter l’idéologie antiraciste qu’ils veulent obstinément servir plutôt que de rechercher la réalité, seraient très étonnés de savoir que l’esclavage notamment des enfants existe toujours dans l’actuel Bénin ! … Ailleurs aussi !
Pour aller plus loin :
L’ennemi de l’africain est l’africain lui-même disait kemi Séba. Une histoire passionnante et très cruelle. Super article merci
Dame ou Homme?
Disons « Dahomey »
Pour le défilé du 14 juillet 2010, des détachements militaires africains qui représentent les pays de l’ancien Empire colonial, ont été invités par Nicolas Sarkozy à célébrer le 50e anniversaire de l’accession de chacune de leur nations à l’indépendance.
En tête du défilé, la compagnie des « Amazones » du Bénin, intégralement féminine, devrait faire sensation. « La participation des femmes aux missions militaires est chez nous une tradition héritée du royaume d’Abomey », commente la colonelle Aminata Quenum. À l’instar de ses collègues masculins, cette officière béninoise voit, dans la participation de son unité au défilé du 14-Juillet, non seulement « un hommage » aux sacrifices pour la France des anciens combattants de la « force noire », mais aussi « une reconnaissance » des armées africaines actuelles.