L’idée que Jack l’Éventreur serait juif n’a rien d’une nouveauté, c’est même la première qui était venue à l’esprit du public et de Scotland Yard, mais déjà à l’époque elle était jugée antisémite et, comme on s’en doute, ça ne s’est pas arrangé depuis. On peut même facilement retrouver sur le net un article du Jewish Chronicle de 2017 faisant la promotion du livre d’un journaliste Australien, Stephen Senise, qui n’hésitait pas à soutenir l’idée passablement tordue selon laquelle le tueur était en fait un antisémite carabiné qui voulait dresser le public contre l’immigration juive alors en plein essor dans l’est de Londres.
Dommage pour lui, son livre n’aura tenu que deux ans, le temps qu’un test ADN vienne mettre toute sa belle théorie par terre. Mais même avant l’étude ADN, un universitaire Anglais, Paul Knepper, dans The Invention of International Crime, paru en 2010, avançait des arguments par eux-mêmes tout à fait convaincants, en dépit du fait que le docte professeur faisait tout son possible pour s’en tenir à distance, une attitude particulièrement hypocrite de sa part étant donné qu’il aurait accepté l’ensemble du raisonnement sans sourciller s’il avait été question d’Irlandais par exemple.
Ci-après, nous donnons la traduction d’un article du Jerusalem Post qui rend compte de l’étude ADN, puis, un extrait du livre de Paul Knepper se rapportant à l’affaire, il est frappant de voir comme la situation du coupable identifié, Kosminski, correspond en tout point à ce qui est prévu par les arguments récapitulés par Knepper, sauf sur un point dont le lecteur moderne reconnaîtra facilement le caractère ad hoc toujours en vigueur de nos jours : le coupable était fou, enfin, schizophrène – mais il résistait aux interrogatoires, ne se coupait pas, ne se trahissait pas et n’avouait rien.
Jack l’Éventreur était-il Juif ? L‘article du Jerusalem Post de mars 2019
Plus de 130 ans que le halo de mystère entourant la figure mythique de Jack l’Éventreur subsiste. 130 ans qu’on se casse les dents pour démasquer le sinistre sire qui a lacéré et assassiné au moins cinq prostituées dans les rues de l’East London en 1888, à l’aube du XXe siècle. Et voilà qu’une étude ADN sensationnelle va peut-être réussir à mettre un terme au suspense.
Le résultat est tombé, paru dans le Journal of Forensic Sciences, le coupable, c’est Aaron Kosminski. Il s’agit d’un Juif Polonais, un barbier récemment installé à Londres et qui figurait en bonne place sur la liste des 300 suspects de la Metropolitan Police. Détenu pendant deux ans, il s’en sortira faute de preuves définitives.
Et c’est là que l’analyse ADN moderne intervient.
Des spécialistes ont procédé à l’examen de l’ADN mitochondrial extraits des taches de sang et de sperme retrouvés sur un châle abandonné à côté du corps de Catherine Eddowes, la quatrième victime. Selon les auteurs de l’étude, Jari Louhelainen et David Miller, cet ADN est du même groupe que celui d’un parent en vie de Kosminski. De plus, le sperme aurait appartenu à un homme aux yeux et aux cheveux bruns, tout comme ceux du suspect.
Né à Klodawa en Pologne, il est arrivé à Londres en 1882 avec ses trois frères et s’était installé à Greenfield Street, à moins de 200 mètres de l’endroit où a été retrouvé le corps décapité d’Elizabeth Stride, la troisième victime.
Âgé de 23 ans au moment des meurtres, Kosminski avait été diagnostiqué schizophrène par les spécialistes et admis dans un centre où il est décédé trente ans plus tard. […] [FG: dès qu’il a été arrêté puis enfermé en asile psychiatrique, les meurtres ont cessé…]
The Invention of International Crime de Paul Knepper
[…] À partir du début des années 1880, des centaines de navires chargés de migrants juifs originaires de Russie et de Pologne font vapeur vers les ports anglais. Manchester, Leeds et Glasgow connaissaient un afflux significatif de populations, mais la part du lion – environ les deux tiers – revenait à Londres. Entre 1880 et 1914, la communauté juive de Londres passait de 20 000 à 400 000, la plupart se concentrant dans un secteur d’à peine 5 km2 allant de la City à Mile End Road, et de Bethnal Green à Cable Street. […] […] L’agitation xénophobe se focalisait rapidement sur les Juifs, surtout à la suite de l’affaire de Jack l’Éventreur en 1888. En trois mois un monstre se faisait un nom dans la presse britannique et pour la postérité par une série de meurtres particulièrement repoussants. The Lancet en profitait pour faire remarquer que les atrocités de l’éventreur se produisaient justement dans le district pour lequel sa commission avait demandé l’entrée en vigueur du Sanitary Act. «Il est incontestable que la grande pauvreté, la surpopulation, l’insalubrité sont propices aux déchaînements des instincts brutaux et rendent plus probable que de tels crimes soient commis». Robert Anderson, responsable des enquêtes criminelles à Scotland Yard, faisait un lien entre Whitechapel, les Juifs et les meurtres. Il s’était convaincu que le meurtrier vivait à proximité immédiate et soupçonnait ouvertement que sa communauté le protégeait : « l’Éventreur était connu des siens, mais ils ne le donneraient pas, parce qu’en aucun cas ces gens-là ne se résoudraient à livrer un des leurs à la justice des Gentile». En septembre, des attroupements avaient lieu dans les rues pour dire que ça ne pouvait être qu’un Juif, aucun Anglais n’étant susceptible de se livrer à de telles ignominies.Les rumeurs d’un ‘Jacob the ripper’ proliféraient. L’une d’elles prétendait qu’il s’agissait des mêmes crimes rituels qu’on connaissait en Europe Orientale. On trouvait des similitudes entre le meurtre d’une des prostituées avec un cas qui s’était produit en Galicie, près de Cracovie, et pour lequel un Juif avait été poursuivi pour le meurtre d’une chrétienne accompagné d’actes de barbarie. Hermann Adler, le Grand rabbin de Londres, envoyait des lettres aux grands journaux pour tenter d’éteindre les accusations : «aucun des livres sacrés ne fait allusion à la notion de meurtre rituel des chrétiens et jamais aucune condamnation n’a pu être mise en évidence à ce sujet quel que soit le pays». Une autre rumeur suggérait que les mutilations trahissaient les pratiques de l’abatage casher. La rumeur était suffisamment prise au sérieux pour qu’on aille jusqu’à faire examiner les couteaux de boucherie par le médecin légiste qui avait autopsié les cadavres, ce dernier finissant par assurer qu’aucun n’avait pu servir pour les meurtres. Et puis, il y avait encore la rumeur de l’anarchiste Juif. En octobre1888, une victime était retrouvée dans la Berner Street, déclenchant aussitôt les spéculations sur une permanence de socialistes juifs qui avait le malheur de se trouver dans cette rue. Le cadavre avait été trouvé dans une cour attenante à l’International Workingmen’s Club par Louis Diemschütz, le tenancier du club. Il reconnaissait que l’endroit était une cellule socialiste, mais déclarait qu’elle était ouverte à tout le monde et pas seulement aux Juifs.
Ce qu’on avait en définitive en tête en parlant de «criminalité juive», c’est qu’on avait massivement importé dans l’East End de Londres la criminalité particulièrement violente qui avait cours dans les contrées occidentales de la Russie. […]
Traduction et adaptation : Francis Goumain
Source : Was Jack the Ripper Jewish ? sur The Jerusalem Post et The Invention of International Crime de Paul Knepper (p.70 et s.)
Voir aussi :
Jack l’Éventreur serait bel et bien le barbier polonais, Radio Canada, 19 mars 2019
L’ADN a parlé, Jack l’Éventreur enfin démasqué, Ouest France, 19 mars 2019
Jack l’Eventreur trahi par son ADN, Les Echos, 27 juillet 2015
Le tueur en série Jack l’éventreur démasqué ?, Le Temps, 8 septembre 2014
En somme, Jack l’Eventreur a survécu à un pogrom, et ça laisse des traces…
Pauvres femmes, quelle mort atroce pour ces Anglaises.
C’est comme pour Mary Phagan en Géorgie, mais là, au moins, le coupable a été pendu.
C’est son ADN qui l’a poussé à faire ça, aujourd’hui, c’est son ADN qui le trahit.
La loi intérieure d’un homme n’est pas écrite dans les livres sacrés.