Article publié par l’avocat Jacques Trémolet de Villers dans Présent du 15 janvier 2014.
« Forum et Jus » ! Le débat public et le droit ! Ces deux mots latins qui formaient la devise du grand Berryer s’imposent à la plume et à la parole pour l’avocat qui contemple, saisi, le mélodrame Valls-Dieudonné.
Quand il s’agit de liberté publique, et du rire, du droit de rire – qui, comme chacun le sait, étant « le propre de l’homme », est, au plus haut point, celui du Français – ce n’est pas dans le catimini d’une décision administrative dont tout juge vous dira qu’à cette vitesse-là elle était, bien sûr, rédigée à l’avance, que se mène la discussion et que se prend la décision. C’est au grand jour du débat public, dans la salle d’audience d’un tribunal ou d’une Cour de l’ordre judiciaire. « Forum et Jus » !
« Aujourd’hui, la République, elle a gagné », a répété deux fois, devant les micros et les caméras, un ministre de l’Intérieur qui parle le français comme un Valls espagnol. « La République, elle a gagné ! » Il faudra bien lui apprendre qu’en français, au contraire du catalan qui est une belle langue que je respecte comme un parler-frère d’une province sœur, l’emploi du substantif sujet évite l’usage du pronom qui suit, on dit « la République a gagné », ou, peut-être, si l’on veut faire une figure oratoire, « Elle a gagné, la République » ! Mais pas « La République, elle… »
Contre qui a-t-elle gagné, la République ?
L’exemple est trop beau, et pourtant l’exemple, il est vrai, comme dit le ministre de l’Intérieur, la République, c’est contre le rire et contre la liberté qu’elle a gagné !
On dira : le rire n’était pas de bon goût. Et puis, la liberté, ce n’est pas la possibilité de tout dire ! (en syntaxe approximative, signée Valls).
Deux propositions parfaitement exactes. L’un des morceaux comiques de Dieudonné M’bala, M’bala, sur son père au Cameroun et sur les Pygmées, m’a paru, surtout dans la fin, proprement insupportable. J’aurais été au théâtre, j’aurais sifflé… je pense – ou du moins j’espère – qu’il aurait compris et accepté ma protestation. Il paraît qu’il en a d’autres, touchant à la foi et à l’Église catholique…, il paraît aussi qu’il y en a qui sont douloureux, des propos comiques (comme dirait la syntaxe à la Valls), pour des oreilles juives. Et alors ? Si c’est le cas, on peut ne pas aller au spectacle, déconseiller de s’y rendre, dire son opposition à l’histrion en allant lui rendre visite et même, à la rigueur, si on ne craint pas le ridicule, lui faire un procès devant le tribunal. « Forum et Jus » !
Mais une interdiction administrative, a priori, sur tout le territoire national, par la mise en mouvement des préfets de la République ! Cela ne signifie pas que la République, elle a gagné, mais bien, en réalité que, la République, elle est en danger.
Quand la République, elle est en danger, ça va mal pour le rire et pour la liberté. Nous le pressentions depuis la répression des manifestations du Printemps français. Nous allons le sentir avec celles qui viennent. Ces gens-là, ils sont dangereux, pas pour la République, elle s’en nourrit, mais pour la liberté et pour le rire qui va avec la liberté.
Nous apprenons, grâce à la plume savante d’Yves Chiron, que sainte Jeanne de Lestonnac, la nièce du charmant Montaigne, était très attentive à ce que le service de Dieu se fît dans l’allégresse. (Présent, samedi 11 janvier 2014).
« Qui ne danse pas fait l’aveu tout bas de quelque disgrâce », disait Louis-Ferdinand. On peut en dire autant de celui qui ne rit pas.
Le rire, comme la liberté, qui marche avec lui, nécessite toujours une marge de tolérance. Il y a une crainte, raisonnable, devant le rire. Il peut être allégresse. C’est le rire sain, et saint. Celui de Jeanne de Lestonnac. Celui de Jeanne d’Arc, jusque dans les moments les plus durs du procès de Rouen, quand le greffier note qu’il y a chez elle des accès de rire et de sourire « surprenants et insolents ». Et puis il y a le rire méchant, sardonique, qui peut être aussi le rire sinistre. Entre les deux, les nuances sont innombrables. On peut en dire tout autant pour la liberté. Il y a « la sainte liberté » des enfants de Dieu, et puis il y a celle au nom de qui on commet tant de crimes. Mais, voilà, nous le savons depuis le début. En faisant l’amour, Adam et Eve prennent le risque d’enfanter Caïn. Par principe de précaution, ils peuvent tenter de limiter les naissances à la venue du gentil Abel. Ils n’auront ni l’un, ni l’autre. La liberté, comme le rire, comme la vie, ne se divisent pas. Il faut, a priori, assumer le risque, et puis, a posteriori, ne pas hésiter à choisir.
Mais l’État, et le Conseil d’État, le ministre de l’Intérieur, même si c’est un Catalan espagnol, n’ont aucune compétence pour juger du rire.
Et puis, puisque nous sommes dans le rire, le président normal sur sa petite vespa, à la rencontre, façon vacances romaines, de sa jolie Julie, c’est bien rigolo, non ? J’entends les grandes consciences, auxquelles même notre Marine nationale a joint sa voix, nous dire que, la vie privée, il ne faut pas y toucher ! Doucement, Messieurs, Mesdames,… Doucement… on ne touche pas à la vie privée d’un homme privé… mais un président de la République… c’est-à-dire un homme qui a été candidat, sans qu’on lui demande rien, pour être élu, ce qu’il a obtenu, à une fonction qui consiste à présider aux destinées publiques de toute la nation, il aurait droit à une vie privée ? Et puis quoi encore ? La vie privée, ça se paie, avec l’argent gagné dans une activité privée. Quand on vit, soi et ses concubines régulières ou passagères, de l’argent public, ceux qui paient ont le droit de savoir où va l’argent. Rien n’est gratuit, pépère, et tout se paie, même la vespa et le studio de la demoiselle.
Mais, pépère, qui ne l’est pas tant que ça, a bloqué toutes les informations. Ordre supérieur !
Je vous le dis, ces gens sont dangereux.
Donc, nous allons marcher, les trois dimanches qui viennent, dans la rue, en chantant, en priant, en riant (*). Cet incident que Dieu nous a donné nous met en éveil, plus encore que nous ne l’étions, au cas où notre attention serait retombée. Avec de tels hommes au gouvernement, il ne faut pas hésiter. Marcher dans la rue, manifester, s’opposer devient un devoir d’état. Je ne sais pas si la poule au pot du dimanche doit, obligatoirement, se doubler de la quenelle, sauce nantua, le vendredi, mais il me semble qu’une telle résolution, outre qu’elle viendrait au secours de certains artisans de la cuisine injustement atteints dans leur gagne-pain, serait un acte de liberté gastronomique adapté aux circonstances.
« Allons, enfants de la patrie », chantaient les spectateurs du Zénith de Nantes, à l’annonce de la suppression du spectacle dont ils avaient payé le billet. Je ne sais si les paroles de notre hymne national, avec « le sang impur qui abreuve nos sillons », sont vraiment celles qui conviennent, mais, au-delà des mots, il y a du rythme, et puis, c’est bien vrai que Valls, le ministre, il a levé, « contre nous, l’étendard de la tyrannie ».
Jacques Trémolet de Villers
(*) Me Trémoet de Villers évoque la Marche pour la Vie ce dimanche, le Jour de colère le 26 janvier et la Manif pour Tous le 2 février à Paris et à Lyon.