… c’est de faire croire qu’elle n’existe pas.
Ainsi, l’affaire Dreyfus (1894) est aujourd’hui plus connue de nos collégiens et lycéens que n’importe lequel des quarante-deux rois qui ont fait la France. Mais pour les élèves c’est une page de l’histoire de France et ils seraient probablement stupéfaits d’apprendre qu’il existe à peu près la même page, à la même époque en Allemagne : l’Antisemitismusstreit (1879). Ils ont des excuses, si à la rigueur on peut trouver des choses sur le protocole des sages de Sion (Russie 1903), le terme Antisemitismusstreit ne remonte même pas d’article sur le net français et on ne trouve qu’une note Wikipédia en allemand. Pourtant c’est une affaire colossale qui a notamment opposé l’historien (et futur prix Nobel de littérature en 1902) Theodor Mommsen à un autre historien, Heinrich von Treitschke, l’auteur de la célèbre formule « Die Juden sind unser Unglück» (les Juifs sont notre malheur) reprise plus tard comme devise du journal Der Stürmer de Julius Streicher durant les années trente.
Équivalent contemporain de l’affaire Dreyfus en matière d’antisémitisme, l’AntisemitismusStreit est une controverse entre des universitaires et des personnalités qui a fait irruption sur la scène publique en Allemagne en 1879 mais qui couvait déjà depuis longtemps dans des cercles plus confinés et qui a une histoire qui remonte en fait à Martin Luther.
Le journal juif de référence, le New York Times, commentait la controverse en ces termes dans son éditorial du 27 février 1880 :
« la guerre qui fait maintenant rage depuis un certain temps en Allemagne entre les autochtones et les Juifs, semble plutôt aller en s’aggravant qu’en s’apaisant. C’est plus qu’un simple préjugé populaire, c’est une passion nationale et les plus grands talents, les plus hautes personnalités, les plus grands savants se sont rangés dans l’un ou l’autre des deux camps. Vu d’ici il peut nous sembler étrange qu’une telle confrontation de races puisse avoir lieu dans un pays de si grande intelligence et prétention intellectuelle, qui plus est, en 1880. Le crime des Juifs semble principalement se circonscrire à leur réussite financière. Il n’y a pas de pécher plus grand que le succès aux yeux de ceux qui ne réussissent pas. Les accusateurs font remarquer que parmi les 600 000 israélites que compte l’Empire 1, quasiment aucun n’est dans l’agriculture ou l’industrie mais qu’ils contrôlent le commerce, font la loi sur les marchés financiers et saignent le pays par leur avarice et l’usure.»
Toutefois, la jalousie par rapport à la réussite sociale et financière n’était qu’un aspect secondaire, le cœur de ce débat allemand concernait la critique de l’enseignement juif sur la manière de considérer les Gentils et d’interagir avec eux tel qu’on le trouvait consigné dans les écritures juives comme le Talmud et le Shulchan Aruch, chose dont le New York Times se gardait bien de parler2.
Mais même avec ces omissions, on voit que l’Antisemitismusstreit est une affaire suffisamment importante pour que le New York Times, de l’autre côté de l’Atlantique, en parle. Tellement importante qu’elle a peut-être valu un Nobel à l’un des protagonistes : bien qu’historien et non pas écrivain, Theodor Mommsen aura obtenu le prix Nobel de littérature en 1902, ce n’était pourtant que le deuxième dans l’histoire du Nobel de littérature et déjà une entorse : on l’attribue à quelqu’un qui n’est pas un écrivain, pourquoi ? La note Wikipédia de Mommsen en français parle, bien sûr, de son prix Nobel mais ne relate pas son intervention dans la controverse donc impossible de faire le lien entre la position de Mommsen dans le débat et le prix Nobel, est-ce voulu ?
C’est comme si on faisait une note sur Zola sans mentionner son « J’accuse ». Pour le lecteur français, on note en tout cas qu’une nouvelle occasion de tomber sur l’Antisemitismusstreit par le biais d’une note sur Mommsen est perdue : une nouvelle fois, est-ce voulu ? Comme si on cherchait absolument à maintenir étanches les deux compartiments « Dreyfus » « Antisemistismusstreit ».
Et Zola justement, si on fait le parallèle avec l’affaire Dreyfus en France, Zola aurait dû avoir le Nobel puisqu’il a défendu Dreyfus, on ne comprend vraiment pas pourquoi il ne l’a pas eu, mais Wiki donne l’explication : lors des premières années de l’attribution du prix Nobel, le critère d’« idéalisme », fixé par le testament d’Alfred Nobel est la principale cause de l’oubli d’écrivains et de dramaturges importants mais dont les œuvres sont jugées trop pessimistes.
Pas question, en revanche, de prix Nobel pour l’autre historien, von Treitschke, et sa formule « Die Juden sind unser Unglück », là, pas d’hésitations, ça ne risquait pas. Petite consolation l’Antisemitismusstreit sera finalement appelé le TreitschkeStreit par dérision, évidemment, mais c’est astucieux aussi : ainsi, il n’y a plus de soi-disant question juive mais plutôt un problème purement allemand, de certains Allemands comme Treitschke.
Reste que si l’Antisemitismusstreit en Allemagne, le protocole des sages de Sion en Russie et l’affaire Dreyfus en France sont des affaires si semblables aussi énormes les unes que les autres et contemporaines, pourquoi ne sont-elles jamais présentées toutes les trois ensemble par nos professeurs d’histoire d’aujourd’hui à leurs élèves ? C’est quand même troublant toutes ces histoires semblables en même temps dans toute l’Europe. On serait tenté d’y voir, selon sa sensibilité, soit un complot juif soit un complot antisémite.
On parle parfois de complot tsariste à propos du protocole des sages de Sion, mais le problème, c’est qu’un complot, c’est le fait du numéro deux qui veut devenir numéro un, or, à l’époque, les Français, les Allemands et les Russes sont encore maîtres chez eux et n’ont pas besoin de comploter. Et puis, un complot, cela suppose une entente entre les participants or, en 1900, l’entente entre les Français et les Allemands n’était pas vraiment d’une évidence éclatante.
Reste la théorie du complot juif ce n’est pas très sérieux diront notamment les mêmes qui soutenaient la théorie du complot tsariste, et pourtant, que voit-on dans les années qui suivent immédiatement : 1911 aux USA abrogation du traité américano-russe (en fait premier lobbying réussi par les Juifs aux États-Unis voir « Jacob et la toute première hystérie médiatique antirusse »), 1917 déclaration de Balfour et surtout, évidemment, prise de pouvoir en Russie par les Judéo-bolcheviks3..
À défaut de complot dans un sens ou dans l’autre, ce qui saute aux yeux c’est qu’il y a eu en Europe à la fin du 19e et au début du 20e une énorme vague d’antisémitisme… parce qu’il y avait une énorme vague de sémitisme. C’est peut-être ce qu’on ne veut pas que nos écoliers comprennent.
Et, plus généralement, il serait quand même enfin temps de faire sauter les cloisons qu’on nous impose et de comprendre que l’affaire Dreyfus n’est pas, organiquement, un épisode de l’histoire de France, c’est un épisode de l’histoire juive, à replacer comme tel aux côtés de l’Antisemitismusstreit et du protocole des sages de Sion.
Rendons à l’histoire juive ce qui appartient à l’histoire juive, on y verra plus clair.
1 On relèvera au passage une nouvelle occurrence du nombre magique « six » dans un texte juif: eh oui, pour estimer la population israélite en Allemagne à cette époque, pas besoin d’étude démographique, soixante milles ce n’est pas assez, six millions … sans commentaire, donc ce sera six cent mille (comme le nombre de Juifs accompagnant Moïse lors de l’exode au début d’une histoire qui doit durer six mille ans et dont le peuple phare a pour emblème une étoile à six branches et dont les guerres durent six jours).
2 Nous empruntons cette citation du NYT ainsi que le commentaire qui suit à la préface de Rudolf Germar du livre de Carlo Mattogno sur les Einsatzgruppen : de même que nous n’avions jamais entendu parler de l’AntisemitismusStrait, Rudolf Germar semble parfaitement ignorer l’affaire Dreyfus.
3 Le terme Judéo-bolchevik n’est généralement pas apprécié, mais il est parfaitement justifié, au moins autant que le terme de Judéo-chrétien qui, lui, ne semble pas poser de problèmes : pas sûr pourtant que Martin Luther et son « Von den juden und ihren lügen » (des Juifs et de leurs mensonges) soit très en phase avec. Idem pour le Pape Innocent IV et son interdiction du Talmud (parce qu’il contient des blasphèmes contre la Vierge Marie et Jésus-Christ) ….
De premier ordre!
En particulier les observations sur l’attribution du second (! – en termes de chronologie) prix Nobel de littérature à un « écrivain » prétendu… qui s’apparente étonnamment, pour le procédé, au hissage d’une future panthéonisée (la récemment défunte « Immortelle » Veil, Simone – sans doublevé…) à un strapontin littéraire (on cherche encore une quelconque contribution à la défense et au développement de la langue française…), quai Conti. Jamais la boutade « faire le trottoir quai Conti » n’a été aussi bien justifiée.
Corréler les trois affaires: l’„Antisémitismusstreit”; Dreyfus et Les « Protocoles » (au sujet desquels un chercheur suisse avait fort pertinement relevé que le fait que le tableau aurait été un faux supposé – le « procès de Berne » n’ayant pas conclu à une telle falsification – avait peu d’importance, si le paysage décrit était authentique) est tout simplement un trait de génie on se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt!
Enfin pour cette énième occurrence du chiffre « magique » je me demande si une piste – à ma connaissance jamais évoquée – ne serait pas le nombre de branches du « Mogen David »… Là également… travailler sur une chronologie ne serait peut-être pas inutile…
Un vers de Baudelaire en titre:
La plus belle des ruses du Diable, c’est de vous persuader qu’il n’existe pas.
Nous avons la réponse de Rudolf Germar à propos de la note 2:
« Everybody knows the Dreyfuss case. After all, we Germans triggered it, and Émile Zola’s » J’accuse » is a timeless classic. Why do you bring it up? Am I missing something? »