« Etrange destin, quand on y songe, que celui de ce peuple ukrainien, à l’histoire chatoyante et bariolée, où se succèdent comme une série de tableaux contrastés, les bulbes dorés des églises de Kiew, les tentes de feutre des maréchaux mongols, les fortins des républiques cosaques, les palais de Potemkine et les usines géantes, surgies du cerveau fiévreux des ingénieurs soviétiques. Histoire intermittente et discontinue, où les époques de splendeur alternent avec les périodes de ruine et de carnages, où le galop de Mazeppa réveille, à travers la steppe, l’écho des innombrables cavalcades qui l’ont sillonné sans arrêt depuis les escadrons tartares jusqu’aux cavaliers de Staline »
« Qu’est au juste l’Ukraine, ce pays dont ni le nom ni les frontières ne sont tracés sur les cartes de l’Europe »
« Rome succéda à la Grèce, et après le partage de l’Empire romain, la civilisation de Byzance rayonna sur ces contrées où venaient d’arriver de nouveaux peuples slaves. Puis vers la fin du VIIIe siècle, des conquérants descendus du nord-ouest s’emparèrent du pays situé entre le Dniestr et la Dniepr. C’étaient les « Konungs » scandinaves, ou varègues (du mot Varingas qui veut dire soldats). »
« En 1340, l’État polonais grandissant s’empara de cette région et luis imposa sa tutelle. L’union de Lublin fit passer définitivement sous la domination polonaise le territoire lithuanien avec toutes ses dépendances. De ce fait la grande Pologne s’étendit de la Baltique à la mer Noire, et de la Vistule au Dniepr, englobant Lwow et Kiew, dont les Mongols s’étaient retirés et qui fut reconstruite. »
« A l’ouest, la Pologne s’étendait jusqu’au Dniepr. Au nord, un État nouveau prenait son essor : la Moscovie. Au sud s’étendait à perte de vue la grande steppe eurasiatique, dont la Pologne et la Russie allaient se disputer la souveraineté. Cependant cette steppe méridionale n’était pas vide. Lors de l’invasion mongole, une partie de la population s’était réfugiée en Galicie. L’autre avait résisté tant bien que mal aux envahisseurs. Paysans, pêcheurs et chasseurs s’étaient groupés spontanément pour défendre leurs foyers. Telle fut, pense-t-on, l’origine des Cosaques. Ceux-ci formaient au début du XVIe siècle de vastes groupements militaires, dénommés d’après la région qu’ils habitaient : cosaques Zaporogues – c’est-à-dire les cosaques vivant au-delà des cataractes du Dniepr è cosaques du Don, cosaques du Boristhène, cosaques du Kouban de l’Oural, du caucase, etc… »
« Les successeurs d’Ivan allèrent plus loin encore. Ils appelèrent leurs sujets de ce même nom de « Russes » qui avait appartenu jadis aux habitants de la principauté de Kiew. C’est alors que commença à apparaître le nom « d’Ukraine » pour désigner l’espace qui s’étendait au sud de la Moscovie jusqu’à la mer Noire. Ukraine, en russe, veut dire, en effet, « les confins » – c’est-à-dire dans l’esprit des tsars, els terres situées « aux confins de la Grande Russie ».
« Les trois partages successifs de la Pologne consommèrent la disparition de l’État polonais contre lequel els Ukrainiens avaient combattu si longtemps. Mais les Ukrainiens ne profitèrent pas de la défaite de leur ennemi. L’Ukraine resta scindée en deux parties inégales. La Russie conserva toute la portion orientale qui formait environ les trois quarts du pays. La Galicie, ou Ukraine occidentale qui était restée sous la domination polonaise passa entre les mains de l’Autriche-Hongrie. Cette situation devait durer jusqu’en 1918 ».
« En novembre 1918, les Ukrainiens de Galicie ont proclamé la république occidentale de l’Ukraine avec capitale à Lwow. Le 22 janvier 1919, la rada de Kiew ratifie l’union des deux républiques ukrainiennes : l’occidentale (ancienne Ukraine autrichienne) et l’orientale (ancienne Ukraine russe). Mais ni les Polonais, ni les Russes ne l’entendent ainsi. Sans perdre un jour, les rouges déclenchent une deuxième offensive sur Kiw. Le 5 février 1919, les régiments soviétiques s’emparent de la ville. Une deuxième fois, le Directoire s’enfuit et cherche un refuge dans l’ouest du pays. De son côté l’État polonais réclame la Galicie sous prétexte qu’elle fait partie de la Pologne de 1559 jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les légions polonaises se précipitent sur Lwow et en chassent le gouvernement de l’Ukraine occidentale ».
« La guerre [Première Guerre mondiale] est terminée. L’Ukraine y est entrée, partagée entre l’Autriche et la Russie des Tsars. D’autres nations sont nées, par la volonté des alliés : la Pologne, la Tchécoslovaquie. L’Ukraine, pour sa part, reste asservie et muette. Loin d’obtenir la liberté, son sort s’est aggravé : au lieu d’être coupée en deux, la voici écartelée en quatre puissances [L’URSS, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie] ».
« En permettant à la Pologne d’annexer la Galicie (25 juin 1919), les Alliés avaient subordonné leur acceptation à une réserve très précise : l’octroi à ces régions d’une autonomie étendue… Dès qu’ils furent en possession des territoires convoités, le gouvernement y pratiqua une politique d’assimilation brutale. Parallèlement à la bolchevisation, la « polonisation » se poursuivit à main armée… Si le sort des Ukrainiens d’URSS est tragique, on peut dire que celui des Ukrainiens de Pologne n’est guère plus enviable « .
« La tragédie de l’Ukraine peut se ramener en effet à ceci : Ce pays débordant de richesses naturelles, et dont les richesses ont fait le malheur, en attirant sur lui, à travers les siècles, les convoitises de ses voisins, est, par sa situation géographique, « l’espace vital » numéro 1 à la fois de l’URSS et du continent européen ; ni l’un ni l’autre ne peuvent se passer de ses espaces et de ses produits, sous peine de mener une existence étriquée et indigente. »
Jacques Benoist-Méchin (« L’Ukraine, des origines à Staline », 1941)