Le 30 juin, il importe de rappeler ce que la France doit aux habitants de Cherbourg de 1944 : l’abandon de la politique coloniale américaine de l’AMGOT dès sa tentative de mise en place.
Le général Collins remontant le Cotentin, va prendre Cherbourg le 26 juin.
Parti d’Utah Beach, le VIIeme corps d’armée, suivant la route nationale 13, est bloqué par la défense allemande dans Montebourg, Le général Collins infléchit alors sa percée vers l’ouest.
Le 18 juin les Américains atteignent la mer à Barneville : la péninsule est coupée en deux.
Faisant alors remonter le VIIeme corps vers le nord, Collins « libère » Bricquebec puis Valognes transformée en champs de gravats par les bombardements, bien que n’ayant pas le moindre intérêt stratégique…
Au cours de leur progression, les Américains découvrent la ceinture des bases de lancement de V1 et de V2.
Le 21 juin, les Américains sont au contact des premières lignes de défense enserrant Cherbourg.
Le commandant de la place, le général von Schlieben, refuse de se rendre et donne des ordres pour détruire ou saboter les installations portuaires.
Le 26, le fort du Roule tombe ; le général von Schlieben et l’amiral Hennecke, commandant maritime, font leur reddition. Les derniers allemands retranchés dans l’arsenal tiendront encore quelques heures,
Dans la ville, les cloches sonnent alors à toute volée et la population réserve à ses libérateurs un accueil enthousiaste car Cherbourg a finalement plutôt peu souffert des combats.
(A part les bombardements du port par des unités navale britanniques : les bassins sont remplis de mines et d’épaves de bateaux, certains sabordés, de rails arrachés, de grues renversées. Les quais sont truffés de pièges, le pont tournant est saboté et la gare maritime n’est plus qu’un amas de ruines. Les allemands ont fait bien moins de dégâts avec leurs sabotages de la fin juin que les alliés auparavant!)
Le 27 juin, des milliers de Cherbourgeois acclament les généraux vainqueurs, groupés sur le perron de l’Hôtel de ville.
Or Cherbourg dispose de la plus grande rade artificielle du monde.
C’est le premier port d’Europe continentale en eau profonde face à l’Amérique : ce sera donc un atout logistique majeur pour les Américains jusqu’à la « libération » du port d’Anvers en septembre 44,(même si la totalité de la zone portuaire ne sera pas conquise avant le 8 mai 1945 ).
Cherbourg a été au cours des siècles une place stratégique âprement disputée entre les Anglais et les Français. Du temps de Louis XIV, Vauban cite Cherbourg comme l’une des deux « clés du royaume ».
Puis, grâce aux travaux colossaux d’aménagement maritime ordonnés par Louis XVI et Napoléon Ier, Cherbourg devient au XIXeme siècle le premier port militaire de la façade nord atlantique du pays, et le plus important d’Europe du nord.
(C’était aussi le port français d’escale des grands paquebots transatlantiques depuis l’Angleterre (Southampton, Cherbourg, New-York ) Il va devenir durant plus d’un an le cœur névralgique des approvisionnements des armées américaines en Europe continentale.
Dès la fin juillet 44, il peut accueillir les premiers « Liberty ship » en provenance des Etats-Unis.
Quelques jours plus tard, l’installation de ravitaillement en carburant PLUTO sera fonctionnelle : grâce au pipe-line sous-marin posé à partir de l’île de Wight, le terminal pétrolier de Querqueville commencera à être alimenté en carburant.
On estime que le trafic du port de Cherbourg en cette période sera supérieur à celui du port New York : les installations, même endommagées fournissaient donc l’infrastructure nécessaire.
(Jamais en 80 ans l’activité du port de Cherbourg n’a jamais connu le moindre essor ! Il sera juste utilisé comme terminal de ferry notamment à destination de l’Irlande et – vu ses immenses terrepleins inutilisés – comme port de débarquement des véhicules japonais…. Alors qu’il avait servi de port de débarquement et de stockage, des hydrocarbures durant la guerre, la France préfèrera « oublier » Cherbourg et construire à grand frais au-dessus du Havre un port artificiel pour terminal pétrolier : Antifer… La politique et les navrantes rivalités personnelles des dirigeants a parfois des conséquences peu en accord avec les capacités des infrastructures et l’intérêt économique réel des territoires concernés.)
Les débuts de l’implantation administrative de la France Libre sur le territoire métropolitain
Le 14 juin, dès son arrivée sur le sol français à Courseulles, le général de Gaulle se rend à Bayeux qu’il traverse à pied, avant de prononcer un premier discours où il affirme l’appartenance de la France aux pays alliés.
Il installe François Coulet, comme Commissaire de la République institué par le Gouvernement provisoire de la République française, et désigne Raymond Triboulet sous-préfet de Bayeux après la révocation de Pierre Rochat, nommé par Vichy en 1942.
Coulet nommera Lucien Levandier sous- prefet de Cherbourg : celui-ci s’y rend le 28 juin au matin…
A la stupeur de la population de Cherbourg, le général Collins refuse sa présence et sa qualité, et affirme commencer à installer les premiers fonctionnaires de l’AMGOT (Allied Military Governement in Ocupated Territories)…
A l’initiative des Comités de Libération alertés, la population de Cherbourg manifeste massivement le 30 juin contre volonté de main mise américaine sur l’administration française.
Inquiet de l’importance de ces réactions, Collins s’envole aussitôt pour Washington rendre compte à Roosevelt de la situation et de l’opposition virulente des indigènes normands à la mise en place de l’AMGOT.
Or Roosevelt est en pleine période préélectorale. Cela exclue donc la fois tout aventurisme et toute prise de positions risquant de porter préjudice à l’image des USA auprès des populations.
La réponse du président américain sera immédiate et catégorique :
« Laissez tomber ! On ne peut pas s’offrir le luxe de devoir s’opposer à la population alors que la tête de pont cotentine n’est pas même consolidée. »
De retour à Cherbourg, ainsi contraint, Collins reconnaîtra donc finalement la capacité des administrateurs locaux nommés par les institutions de la France libre et la qualité de sous-prefet de Levandier
On peut d’ailleurs se demander ce qu’il serait advenu si le président américain avait donné son accord pour que la politique de colonisation soit effectivement mise en œuvre.
Aurait-on alors pu voit des GI tirer sur les indigènes normands ?
Une question qui mériterait d’être posée.
L’AMGOT ne sera jamais mise en œuvre en France : c’est à la détermination des cherbourgeois dès le 30 juin, qu’on doit que la France n’ait pas été colonisée en 1944 par les Américains !
On découvrira par la suite à la Banque de France de Cherbourg deux malles de monnaie de singe : ces francs d’occupation émis par les Américains qui devaient servir de monnaie d’occupation…
Le fils d’un historien normand parti vivre aux USA a pu confirmer que la stratégie financière américaine est fondée d’abord sur le renseignement. Il a accédé à des archives à la bibliothèque du Congrès qui prouvent clairement que dès avant la fin de 1942 (époque de l’élaboration de l’Amgot et de la création de l’école d’administration « coloniale » de Charlotteville), l’administration américaine disposait des états annuels sur des années de la Banque de France établis succursale par succursale !
Le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) adressa une sévère mise en garde aux gouvernements américain et britannique et refusa de reconnaître toute valeur légale à ces « vignettes » mises en circulation. Puis, il protesta, le 9 juillet, auprès du général Montgomery qui s’exclama alors :
« Qu’est-ce que c’est que cette histoire concernant les billets de banque que nous avons apportés ?
On me dit que la population n’en veut pas ?
Il faut qu’ils acceptent. Il faut les forcer. C’est du bon argent ; c’est notre argent ! »
(On notera au passage que ces billets américains sont qualifiés par un général britannique, et non des moindres, de « NOTRE » argent !)
L’éventualité de devoir contraindre les populations libérées, au besoin par la force, était donc parfaitement inscrite dans la stratégie d’occupation de l’AMGOT.
Ces francs américains d’occupation serviront à payer les réquisitions des armées alliées et à payer la rémunération des personnes engagées par l’armée américaine, avant d’être définitivement retirés de la circulation sous la pression du François Couler.
La plupart de ces billets dont personne ne voulait furent envoyé au Trésor public en règlement d’impôts.
Ainsi sur les 130 000 F d’impôts encaissés par la recette-perception de Bayeux, 55 000 F le seront avec des « billets AMGOT ».
(La colonisation économique américaine de la France n’était pourtant que repoussée, elle prit un autre aspect, combien plus déterminant avec la mise place du plan Marshall…)
Certains, incrédules, se refuseront encore à croire à cette volonté de mainmise de l’AMGOT sur l’économie des pays « libérés ». Nous les revoyons à l’édition des coupures de ces monnaies d’occupation, comme pour les francs français, des coupures fiduciaires furent éditées en lires, en marks, etc.
Ce qui montre accessoirement, qu’aux yeux de l’administration américaine, il n’est fait aucune différence entre les européens occupés – « alliés » tels la France, le Danemark, voire l’Italie, et les ennemis tels l’Allemagne ou l’Autriche – colonisés par l’AMGOT : c’est bien une administration d’occupation de type colonial qui voulait s’imposer sur l’ensemble de l’Europe.
De Gaulle dira à propos de l’anniversaire du débarquement :
« Je n’ai aucune raison de célébrer ça : ils étaient décidés à s’installer en pays conquis, ils avaient préparé leur AMGOT »
« Le débarquement du 6 juin, ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne ! Ils avaient préparé leur AMGOT, qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis.
C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous- préfets, mes comités de libération ! Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là !
Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu’aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue. Notre défaitisme naturel n’a que trop tendance à adopter ces vues. Il ne faut pas y céder. » C’était De Gaulle (édition Fallois Fayard 1997)
Mais au-delà de la question politique la question des rapports des indigènes avec les GI exposés dans les manuels de propagande de l’AMGOT allait se poser alors avec acuité !
Les manuels de l’Amgot décrivent à dessein un pays à la morale permissive où la femme est prête à tout en accueillant ses « libérateurs ».
Joe Weston, un journaliste de Life, écrira même en 1945 : « La France est un gigantesque bordel habité par 40 millions d’hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l’amour ».
Pour faciliter les choses aux GIs, on incorpore dans leur paquetage des objets destinés plus spécialement aux femmes, censés être fascinants après ces années d’austérité forcée : bâtons de rouge à lèvre, bas nylon (pratiquement encore inconnus avant la guerre), cigarettes etc . Et des préservatifs !
(Cela remplacera avantageusement la verroterie et la pacotille distribuées au siècle précédent par les militaires voulant attirer les indiennes lors de la conquête de l’ouest.)
Jusqu’à un certain point, c’est cette vision de l’indigène française prête à tout , instillée par les théoriciens de l’Amgot dans l’esprit des GIs, qui sera cause de la multiplicité des viols imputables aux troupes américaines à la libération.
Si les premiers pillages américains d’envergure furent observés dans les ruines de St Lô le 20 juin.
Le premier viol américain officiellement répertorié date du 14 juin !
Dès la fin juin, dans ce nord Cotentin allaient se constituer des milices d’auto-défense pour protéger les biens des pillages et les femmes des viols…
Toutes choses pratiquement inconnues du temps de l’occupation allemande…
Comme le dira un chef de groupe de miliciens cherbourgeois :
« Avec l’occupation allemande on devait veiller sur les réfractaires du STO, les résistants, les parachutistes et les aviateurs. Avec les Américains il a fallu apprendre à s’organiser pour veiller sur les biens et surtout protéger les femmes. »
Le Cotentin allait payer un lourd tribut à la sauvagerie de ses libérateurs.
Quatre-vingt ans plus tard, cela veut être oublié et ne figurera sans doute toujours pas dans les évocations médiatisées de l’opération médiatique Overdose en cours.
On pourra consulter avec profit ces ouvrages d’auteurs américains :
- Robert Lilly, « La face cachée des GIs – Les viols commis par les soldats américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale » Ed.Payot
- Mary Louise Roberts, « Des GIs et des femmes – amours, viols et prostitution à la libération », ed. Le Seuil
Cette dernière souligne :
« Pour motiver les GIs. à combattre si loin de chez eux, « l’armée leur a promis une France peuplée de femmes faciles », »
Elle ajoute, particulièrement lucide quant à la capacité des armées US :
« La Seconde Guerre mondiale, c’est LA bonne guerre, puisque toutes les guerres menées depuis par notre gouvernement ont été des défaites morales, comme le Vietnam ou l’Afghanistan ».
Et de conclure :
« Personne ne veut perdre ce héros américain qui nous rend fiers : le brave et intègre G.I. américain, protecteur des femmes. Quitte à perpétuer le mensonge. »
C’est sans doute la raison pour laquelle les articles concernant les viols et meurtres américains les plus sordides disparaissent, notamment de Wikipedia, depuis quelques années.
Une autre façon de réécrire l’histoire en méprisant les victimes !
Aujourd’hui, les Cherbourgeois ont placé la gauche en tête:
Union de la gauche 34.23%
RN et Allié: 30.01%
Ensemble: 17.88%
« Vous êtes sûrs que les Français sont vraiment dans le camp des vainqueurs de la Guerre? », demandait Olav Torheim, rédacteur du journal norvégien Målmannen, débarquant dans la faune crépublicaine de la Gare du Nord.