Éditorial du dernier numéro de l’Afrique réelle par Bernard Lugan.
Deux trous béants se creusent actuellement sous nos pieds, l’un en Libye, l’autre au Nigeria. Le premier qui est ouvert à nos portes menace d’engloutir l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie ; le second va immanquablement déstabiliser la zone tchado-nigériane.
Le chaos libyen a un responsable dont le nom est Nicolas Sarkozy. Pourquoi ce dernier a t-il cédé aux chants de la sirène BHL ? Pourquoi a-t-il fait de l’armée française le bras armé du Qatar ? Pourquoi, et alors qu’il avait été mis en garde solennellement, notamment par le président Idris Déby Itno, a-t-il décidé de disloquer le fragile équilibre politico-tribal libyen ? Pourquoi a-t-il obstinément refusé les médiations de l’Union africaine ? Pourquoi a-t-il rejeté le plan de sortie de crise proposé par Jacob Zuma qui passait par le retrait du colonel Kadhafi et le transfert du pouvoir à son fils Seif al-Islam ? Pourquoi l’ordre fut-il donné à l’aviation française de tronçonner le convoi de ce dernier, le livrant ainsi à ses bourreaux de Misrata qui le sodomisèrent avec une baïonnette, crevèrent les yeux et coupèrent les mains et les pieds d’un de ses fils ?
L’histoire lèvera peut-être le voile sur cette colossale faute politique que fut l’intrusion française dans la guerre civile libyenne et dont les conséquences vont devoir être supportées durant de longues années par des dizaines de millions d’habitants de la région.
Les événements du Nigeria rappellent quant à eux avec force que les courbes du PIB ne sont que des mirages. Que n’avons-nous pas entendu à propos de l’ « eldorado du Nigeria », ce géant dans lequel il était urgent d’investir en raison de ses courbes de croissance qui faisaient se pâmer ceux qui n’ont d’yeux que pour les chiffres ?
La réalité est que le Nigeria n’existe pas, que cet État-fiction est plongé dans une atroce guerre civile ethno-religieuse qui aboutira peut-être même à un redécoupage frontalier régional. En effet :
1) Au XIXe siècle, le nord de l’actuel Nigeria était englobé dans le puissant califat jihadiste de Sokoto qui s’étendait du Niger au Cameroun et sur une petite partie du Tchad.
2) Les frontières entre le Nigeria, le Cameroun et le Tchad qui proviennent d’accords entre Britanniques, Allemands et Français ne tiennent aucun compte des implantations ethniques car elles furent dessinées afin que les trois empires aient chacun une « fenêtre » sur le lac Tchad.
3) Les réalités géographiques, anthropologiques, ethniques, historiques et religieuses font de cette région un foyer favorable aux islamistes de Boko Haram dont l’influence s’étend à toute la zone peuplée par des populations haoussa-peul-kanouri.
Dans le numéro de février 2012 de l’Afrique Réelle, je posais une question : la désintégration du Nigeria est-elle en marche ? Trente mois plus tard, nous sommes en présence d’une véritable sécession jihadiste car le nord du pays a été soustrait à l’autorité de l’État, l’administration fédérale chassée et remplacée par celle des islamistes ; quant à l’armée, soit elle se terre dans ses casernes, soit elle se livre à des représailles aveugles sur les populations, ce qui achève de pousser ces dernières dans les bras de Boko Haram.