Le Proche-Orient a connu, au cours des dernières décennies, de nombreux plans, souvent américains, mais aussi onusiens, soviétiques, russes, arabes ou israéliens. Celui que le président Donald Trump a présenté lors de sa rencontre avec Benyamin Netanyahou le 4 février a ceci de particulier qu’il ne prétend plus s’abriter, même partiellement, derrière la façade du droit international. Il le piétine de manière cynique en arguant d’un seul principe : la loi du plus fort. Les idées qu’il avance violent ce qui reste de légalité internationale, déjà largement mise à mal par les crimes contre l’humanité et le génocide à Gaza, qui se poursuivent en toute impunité avec le soutien des États-Unis et un large aval européen.
L’histoire retiendra que le président étatsunien a été le premier chef d’État à recevoir le premier ministre israélien depuis l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre par la Cour pénale internationale pour crime de guerre à Gaza ; un accueil que le locataire de la Maison Blanche a qualifié d’« honneur ». Le trajet de Nétanyahou jusqu’à Washington a pourtant dû être prolongé pour ne pas traverser l’espace aérien de pays susceptibles, quant à eux, d’appliquer le droit international.
Donald Trump a d’abord affirmé sa volonté de faire de Gaza un territoire appartenant à long terme aux États-Unis (« long-term ownership ») : « Nous prendrons la bande de Gaza et nous ferons le travail ; nous nous approprierons ce territoire. » Depuis son accession à la présidence, il a revendiqué la prise de contrôle du canal de Panama et celui du Groenland, sans oublier sa proposition d’intégrer le Canada aux États-Unis. Tout cela au nom de la « défense de [leurs] intérêts » et au mépris des autres, sans exclure, pour cela, l’usage de la force. On comprend que Trump se réclame d’un de ses prédécesseurs, William McKinley (1843-1901), qui déclara la guerre à l’Espagne et, à l’issue de sa victoire, prit le contrôle de Porto Rico, de Guam et des Philippines, annexa Hawaï tandis que Cuba devenait un protectorat. Pire que Vladimir Poutine avec l’Ukraine, Trump ouvre ainsi la voie à la justification de tous les changements de frontières, de la conquête du Congo par le Rwanda à celle de Taïwan par la Chine.
Des projets liés à des intérêts personnels
Cette prise de contrôle d’un territoire situé à des milliers de kilomètres des États-Unis s’accompagne de la proposition de vider Gaza de sa population, de l’installer ailleurs, en Égypte ou en Jordanie qui n’en veulent pas. Gaza deviendrait, selon Trump, « la Côte d’Azur du Proche-Orient », dans la lignée des propositions de son gendre Jared Kushner, en mars 2024. Celui-ci espère y investir et en retirer d’importants bénéfices — il est bon de rappeler que, pour Trump et son entourage, les projets sont souvent liés à des intérêts personnels sonnants et trébuchants.
Le président américain a inscrit ses déclarations dans le sillage des « accomplissements » de son premier mandat : la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et l’installation de l’ambassade américaine sur place, la légitimation de l’annexion illégale par Israël du plateau du Golan syrien, les accords d’Abraham et le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Il a également précisé que Gaza « ne devrait pas passer par un processus de reconstruction et d’occupation par la même population qui y vit une existence misérable ». Quelle commisération pour ses habitants.
De plan, Trump n’en a guère en réalité : « Cela pourrait être payé par de riches pays voisins. Il pourrait s’agir [pour le point de chute des Palestiniens] de nombreux sites ou d’un seul grand site », n’en déplaise aux rédactions qui n’ont rien trouvé de mieux que de discuter de la faisabilité de la chose au lieu de rappeler son illégalité et, subsidiairement, son immoralité.
La fenêtre d’Overton
Il existe un danger à discuter « objectivement » dans les médias de ce plan de transfert massif de la population — un objectif qu’Israël cherche à remplir depuis 1948 —, c’est de le rendre légitime ; on le fait ainsi entrer dans le cadre de la « fenêtre d’Overton ». Pour cela, il faut « exposer régulièrement l’opinion publique à des idées auparavant considérées comme extrêmes, en les rendant plus visibles dans les médias et les réseaux sociaux. Cette exposition répétée peut graduellement normaliser ces idées et les rendre moins choquantes, les faisant entrer progressivement dans la fenêtre acceptée. »
En discutant en toute objectivité du nettoyage ethnique, on le rend « discutable ». Le fait même que le chef d’État le plus puissant au monde puisse se permettre de tels propos en dit long de cette fenêtre ouverte par 15 mois de génocide à Gaza. On a beau faire de Donald Trump le symbole d’un homme capable de toutes les folies et de tous les excès, c’est bien le bilan macabre de son prédécesseur et la complicité de ses homologues occidentaux qui lui permet de dérouler un tel discours.
On ne discute pas de savoir si le transfert de population, un crime contre l’humanité selon l’article 7 du statut de Rome est possible ; on ne demande pas non plus à ses lecteurs et lectrices s’ils « [croient] au projet de Trump de transformer Gaza en Riviera », comme l’a suggéré Le Figaro dans un sondage. Sur France Info, chaîne du service public, on ne juge pas utile de reprendre un invité qui qualifie la démarche de Donald Trump de « pragmatique ». Mieux, on le questionne sur la faisabilité de la chose : « Comment imaginer ce transfert dans d’autres pays ? Dans quel pays ? L’Égypte ? La Jordanie, pays qui aujourd’hui refuse cette idée ? » Rien ne résiste au professionnalisme journalistique, pas même la perspective d’un nettoyage ethnique au lendemain d’un génocide.
Quand Arte met en bandeau, le 31 janvier 2025, dans son émission « 28 Minutes », « Faudrait-il évacuer la bande de Gaza le temps de la reconstruction ? », la chaîne, particulièrement muette sur le génocide à Gaza, contribue à l’acceptabilité de l’inacceptable. Il aurait été plus honnête de titrer « un crime contre l’humanité est-il nécessaire pour reconstruire Gaza ? ». Car c’est bien la question qui est posée après les déclarations de Trump.
Alain Gresh, Sarra Grira
Source : orientxxi.info