Lorsque Jacques Ellul publie Propagandes en 1962, il nous prévient : la propagande n’est pas une excroissance monstrueuse réservée aux régimes totalitaires, mais la matrice même des sociétés techniciennes. Elle n’est pas seulement un outil au service du pouvoir, mais une structure de pensée, un milieu invisible, un climat mental indispensable au fonctionnement d’un monde fondé sur la technique. Ce que l’on nomme aujourd’hui « adhésion collective » n’est bien souvent que la trace de ce conditionnement permanent. À la lumière de son analyse, le phénomène vaccinal moderne, depuis Pasteur jusqu’au Covid, apparaît comme l’un des exemples les plus aboutis de cette propagande d’intégration : une technique devenue sacro-sainte, une opinion transformée en dogme, et une société qui, croyant agir librement, obéit à une injonction qu’elle ne voit plus.
La propagande, écrit Ellul, naît du besoin de cohérence dans un monde qui a perdu ses repères. L’homme moderne, détaché de la religion, des coutumes et des traditions, réclame des repères simples, une explication du monde et un cadre moral. La propagande répond à cette angoisse du vide. Elle ne s’impose pas par la force, elle séduit par la promesse d’ordre et de sécurité. La vaccination, dès ses débuts, s’est inscrite dans cette promesse. Présentée comme un rempart contre les fléaux invisibles, elle a offert une forme de salut médical là où les repères spirituels déclinaient. On n’a pas seulement vacciné les corps : on a inoculé une foi dans la science, une croyance dans la technique, un réflexe d’obéissance à l’autorité médicale.
La propagande d’intégration décrite par Ellul agit par imprégnation lente. Elle ne hurle pas des ordres, elle répète des évidences. « Il faut vacciner » est devenu au fil du temps une phrase creuse et incontestable, comme « il faut respirer ». L’individu moderne, immergé dans l’univers technicien, n’a plus le souvenir d’un choix initial. Il est né dans une société où la vaccination était déjà une obligation morale, civique et bientôt légale. Dès l’enfance, le carnet de santé devient un livret d’obéissance : il consigne la conformité à la norme biomédicale. Les slogans officiels — « Un geste pour vous, un geste pour les autres » — ne sont pas des arguments, mais des formules incantatoires qui remplacent la réflexion par le réflexe.
Ellul distingue la propagande d’agitation, fondée sur la peur, et la propagande d’intégration, fondée sur la normalisation. Les campagnes vaccinales ont su marier les deux. On a d’abord agité les spectres de la maladie, du microbe, de la contagion, du danger pour les enfants. Puis, une fois la peur installée, on a intégré la solution vaccinale dans la routine de la vie sociale : école, emploi, voyages, loisirs. Le vaccin n’est plus un choix, mais une condition d’appartenance. Comme le notait Ellul, la propagande moderne ne cherche pas à convaincre mais à orienter les comportements. Peu importe que l’individu soit convaincu ou non : l’essentiel est qu’il agisse selon la norme, qu’il tende le bras au bon moment et qu’il justifie ensuite son acte par des raisons préfabriquées.
À mesure que la technique médicale s’imposait comme horizon unique du salut, les anciennes formes de prudence, l’observation, l’expérience, le bon sens, ont cédé la place à la croyance dans la médiation experte. L’éducation, loin de libérer, a préparé les esprits à la soumission. Comme le souligne Ellul, l’école moderne développe la dépendance à l’information et la confiance aveugle dans l’expert. L’élève apprend à réciter, non à discerner. Il s’habitue à penser en concepts abstraits, à manipuler des données sans contact avec le réel. Ainsi formé, l’adulte moderne ne sait plus questionner ce qu’il ne comprend pas ; il croit savoir parce qu’il s’informe, et il s’informe parce qu’il croit aux sources officielles. Ce cercle vicieux a permis la naissance d’un croyant sans foi : l’homme scientifique, persuadé d’être rationnel, mais entièrement livré à la rationalité des autres.
La propagande vaccinale moderne illustre cette dépendance structurelle. L’individu n’observe plus les effets, il lit les chiffres. Il ne compare plus les causes, il écoute les experts. Il n’expérimente plus, il adhère. Et plus le flot d’informations croît, plus il renonce à comprendre. L’excès de données engendre la confusion, et la confusion appelle le mot d’ordre. La phrase courte, le graphique simplifié, le chiffre isolé remplacent le raisonnement. Le slogan devient la béquille de l’esprit fatigué. « 95 % d’efficacité », « zéro risque », « immunité collective » : autant de formules magiques que nul n’ose questionner, tant elles semblent issues du temple de la Science.
Ce processus a atteint son paroxysme lors de la crise du Covid-19. Tous les éléments du système décrit par Ellul y furent réunis. La propagande d’agitation, d’abord : peur de la mort, menace invisible, comptage quotidien des victimes. La propagande d’intégration, ensuite : uniformisation des gestes, rituels sanitaires, exclusion des non-conformes. La propagande horizontale, enfin : chacun devenait le relais de la norme, surveillant son voisin, répétant les mantras officiels dans les conversations et sur les réseaux sociaux. La persuasion verticale venue des autorités se doublait d’une coercition horizontale issue des pairs. Celui qui doutait n’était plus un citoyen critique, mais un hérétique social. L’unanimité artificielle, fruit de la coordination psychologique, se confondait avec la vérité.
Le point culminant fut atteint lorsque la vaccination fut présentée non seulement comme une mesure sanitaire, mais comme un acte moral. Le vaccin devint le signe de la vertu civique. L’homme vacciné se croyait bon, solidaire, raisonnable. L’homme réticent était présenté comme un danger public, un égoïste, un ignorant. On n’avait plus besoin d’arguments : la charge symbolique suffisait. Ainsi, comme l’écrivait Ellul, la propagande moderne ne supprime pas la liberté formelle : elle rend certaines options impensables. On n’interdisait pas de refuser le vaccin, on rendait ce refus socialement inacceptable, économiquement coûteux, psychologiquement intenable. L’adhésion devenait un réflexe de survie sociale.
Ce conditionnement s’inscrit dans la logique de la société technicienne : tout problème appelle une solution technique. La maladie appelle le vaccin. Le doute appelle la censure. La contestation appelle la stigmatisation. Le système s’autorégule en éliminant la pensée dissonante, comme un organisme rejette un corps étranger. L’individu croit agir librement, mais ses choix coïncident toujours avec les besoins du système. Il se persuade qu’il a choisi le vaccin, alors qu’il n’a choisi qu’entre deux formes d’obéissance : l’injection ou l’exclusion.
La propagande vaccinale ne vise pas seulement la santé du corps, mais l’intégration psychique à un ordre médical total. L’homme nouveau décrit par Ellul, informé, rationnel, libre en apparence mais soumis en profondeur, est aujourd’hui celui qui se vante d’avoir « suivi la science ». Il ne voit pas que sa science est une religion sans transcendance, une foi d’État administrée par décret, une morale sans conscience. Il confond la multiplicité des chaînes d’information avec la pluralité des points de vue, alors que toutes chantent la même liturgie du progrès.
Comprendre cela ne suffit pas à s’en libérer. Ellul nous avertit : savoir que la propagande existe ne nous en protège pas. Seule une vigilance intérieure, une distance consciente, peut redonner un espace de liberté. Cela suppose de retrouver l’expérience directe, le discernement personnel, la lenteur du jugement. Refuser de réagir mécaniquement, d’absorber les slogans, de croire à la vertu de la conformité. Reconnaître aussi notre propre complicité : chaque fois que nous répétons sans réfléchir, que nous partageons sans vérifier, que nous obéissons sans questionner, nous nourrissons la machine que nous croyons subir.
Le vaccin, devenu symbole suprême de la société technicienne, résume notre condition. Il ne s’agit plus d’un acte médical, mais d’un rite d’intégration. Se vacciner, c’est appartenir. Douter, c’est s’exclure. Et dans cette alternative, l’homme moderne croit encore choisir. Pourtant, le seul choix véritable est celui de la lucidité. Comme l’écrivait Ellul, il ne s’agit plus de fuir la propagande, mais de savoir qu’elle est le milieu dans lequel nous respirons. La question n’est plus de savoir si nous sommes libres, mais si nous voulons l’être un peu, malgré tout, dans la fidélité à la vérité vécue, dans la lente reconquête du réel, et dans la certitude que la santé ne peut naître d’un ordre imposé, mais d’une conscience éclairée.