Les mesures douanières décidées par Trump début avril ont semé l’émoi à travers le monde et cet événement appelle quelques remarques. Le président états-unien avait annoncé de telles mesures au cours de sa campagne électorale : il a instauré des tarifs douaniers élevés dans l’objectif déclaré d’assurer une protection de l’industrie états-unienne afin de lui permettre de se reconstruire, à l’image de ces batardeaux enfoncés dans le lit d’un fleuve pour permettre de construire à pieds les piles d’un pont destiné à le franchir. Quoi de plus normal, frappé au coin du bon sens, que de vouloir disposer d’activités industrielles permettant d’être le plus autonome, le plus souverain possible, en dépendant au minimum de l’étranger ?
Ainsi, tout chef d’Etat conséquent ne peut accepter, par exemple, que ses missiles, comme le Tomahawk états-unien, dépendent de composants dont la moitié est fabriquée à l’étranger !
Trump met en œuvre une ligne politique assez ancienne mais qui n’avait jamais pu l’être puisque déjà en 1992 Ross Perot soutenait une politique de mesures douanières pour protéger l’économie américaine et avait obtenu 29 % des voix à l’élection présidentielle sur ce programme tandis que Pat Buchanan (ancien conseiller de Nixon, Ford puis Reagan et candidat malheureux aux primaires républicaines) proposait la même chose sous l’étiquette du Parti de la Réforme lors de l’élection de 2000 mais n’obtenant que 0,4 % des suffrages.
En outre, les droits de douane sont une vieille pratique des Etats-Unis : ils ont d’ailleurs fourni au budget fédéral une bonne partie de ses recettes durant le XIXe siècle.
Toute politique nationaliste, autrement dit toute politique visant à servir les intérêts d’un Etat, doit viser à faire en sorte qu’il compte sur ses propres forces et dépende le moins possible de l’extérieur, notamment pour les secteurs touchant à la souveraineté.
Mais une telle politique doit être menée avec prudence, qui est la sagesse de l’ordre pratique selon la définition de Thomas d’Aquin, cette combinaison de la prudentia de Cicéron et de la phronisis d’Aristote et qui ne se confond pas caricaturalement avec la notion de précaution comme cela se fait trop souvent de nos jours. Elle doit tenir compte de la réalité, du rapport de forces existant, en termes de puissance économique mais aussi en termes de savoir et de ressources disponibles, de la psychologie des peuples et s’abstenir d’hubris.
Une tentative de reconfigurer la mondialisation
Une première erreur apparaît dans le programme de Trump. En effet, il utilise les droits de douane comme une arme visant deux objectifs différents : reconstruire l’industrie états-unienne mais aussi combattre les puissances concurrentes, en premier lieu la Chine. Or on ne peut efficacement courir deux lièvres à la fois avec le même fusil.
Cela apparaît clairement dans le fait qu’après avoir imposé des droits de douane à quasiment toute la planète de l’ordre de 30 % en moyenne, sans grand discernement, il les a ramenés – pour 90 jours – à 10% sauf pour la Chine qui est pour lui ce que le chiffon rouge est au taureau. Ah ! Il est vrai que la Chine lui a manqué de respect (c’est lui-même qui l’a dit) : comment Pékin a-t-il osé se rebiffer face aux mesures protectrices décidées par l’hôte de la Maison Blanche ?
C’est ici, avant d’aller plus avant, qu’il faut s’arrêter sur le discours prononcé par le vice-président JD Vance prononcé le 21 mars 2025 lors de l’American Dynamism Summit. Il a alors expliqué pourquoi il fallait mettre fin à la mondialisation, ou, plus exactement, à sa version actuelle :
« L’idée de la mondialisation était que les pays riches progresseraient dans la chaîne de valeur, tandis que les pays pauvres fabriqueraient les choses les plus simples. » Elle avait pour corollaire que « la main-d’œuvre bon marché serait fondamentalement une béquille ».

Mais cet ordre n’a pas tenu. La Chine et de nombreux pays notamment en Asie se sont développés, concurrençant les pays riches, et même, font mieux que les pays occidentaux. C’est pour cela, selon Vance, que la mondialisation, qui n’a pas maintenu l’ordre établi au bénéfice des Occidentaux, est un échec. Et l’objectif est désormais de redonner aux Occidentaux – plus précisément les seuls Etats-Unis, étant entendu que les peuples d’Europe se débrouillent s’ils en ont le ressort – les moyens de reprendre le contrôle de cette mondialisation.
Certes, il sera aussitôt rétorqué que Marco Rubio, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères états-unien a reconnu, lors de son audition au Sénat en janvier 2025 en vue de son habilitation en tant que ministre, la réalité du monde multipolaire. Que c’est un état de fait et il faut en prendre acte. Il a déclaré qu’« il n’est pas normal que le monde ait une puissance unipolaire », et que cette « anomalie » était un produit de la fin de la guerre froide, avant d’ajouter que « finalement nous allons revenir à un point où nous avions un monde multipolaire, plusieurs grandes puissances dans différentes parties de la planète ».
Mais s’en tenir à cette déclaration revient à ignorer le fond du projet trumpien. Car, si les États-Unis ont reconnu que l’ère du monde unipolaire est terminée et que, par conséquent, le monde a besoin d’un nouvel ordre international multipolaire, Rubio continue en précisant que c’est parce qu’ils considèrent que « l’ordre mondial d’après-guerre est maintenant une arme utilisée contre eux », et que « cela a conduit à un moment où ils doivent faire face au plus grand risque d’instabilité géopolitique et de crise mondiale générationnelle de la vie des Américains ». Et de poursuivre en disant qu’à partir de la chute du mur de Berlin :
« cet ordre a été instrumentalisé par les rivaux de son pays qui en auraient pris le contrôle pour l’utiliser contre son créateur (i.e. les Etats-Unis) au point de le menacer aujourd’hui de manière existentielle ».
Cela vise en particulier la Chine qu’il a accusée d’avoir « menti, triché, détourné et volé pour se hisser au rang de superpuissance mondiale à nos dépens », et cela, alors que les Etats-Unis ont observé « un engagement quasi religieux en faveur d’un commerce libre et sans entraves aux dépens de leur économie nationale ».
C’est pourquoi les Etats-Unis se trouvent présentement confrontés à une situation comparable à celle qui fut la leur en 1945 et que, dès lors, ils sont « de nouveau appelés à créer un monde libre à partir du chaos».
Pour atteindre cet objectif, ils vont donc engager un processus de « re-mondialisation » du monde, et non pas à sa « démondialisation », comme le revendiquent leurs rivaux – ou ennemis ? – en cours d’organisation autour de la nébuleuse des BRICS. Autrement dit, cela n’a rien à voir avec l’ordre multipolaire que promeuvent la Chine, la Russie, l’Inde, c’est-à-dire un ordre mondial reposant sur une multipolarité offrant la possibilité d’établir un équilibre entre gouvernance nationale et gouvernance mondiale, d’endiguer les actuelles tendances inégalitaires de l’économie et des technologies, et de permettre aux différents pays du monde de conserver suffisamment d’autonomie pour se développer chacune selon son génie propre et en fonction de leurs besoins.
Autrement dit, les Etats-Unis n’ont pas renoncé à prétendre diriger la planète !
Le magistère mondialiste ne renoncera jamais
Comment s’en étonner ? Le magistère mondialiste, venu originellement du sud européen et méditerranéen après la Reconquista espagnole à l’Amsterdam protestante puis à la Londres anglicane et puritaine à l’époque de Cromwell avant de s’établir à New York, et qui cornaque cet Occident qui n’a plus que de lointaines effluves de catholicisme, n’a pas disparu avec l’arrivée de Trump aux affaires. Trump n’en est qu’une « dissidence » soucieuse du respect de la loi naturelle – ce que nous ne pouvons qu’approuver – et d’une mondialisation qui tient compte de cette donnée incontournable que sont les nations et les sentiments d’attachement patriotique.
Mais le fond messianique propre à l’esprit talmudique antichrétien et inspirateur du protestantisme demeure et les intérêts des puissances d’argent qui sont l’instrument de ce messianisme sont toujours aussi présents.
Il est clair que l’économie est un outil de puissance, un outil utilisé à des fins politiques. Dans le cas des relations avec la Chine, les Etats-Unis se trouvent face à un obstacle sérieux, tout comme ils se sont retrouvés en échec face à la Russie menacée dans sa sécurité par l’agression otano-kiévienne dont le peuple russe est l’objet à travers l’actuelle entité étatique ukrainienne – « Nouvel Israël » selon Zelensky [« L’Ukraine deviendra un grand Israël avec son propre visage »] – dont nous ne soulignerons jamais assez le caractère artificiel.
Et, craignons-le, comme par le passé, lorsque l’arme commerciale ne donne pas les effets escomptés, les canonnières suivent très vite. Chez les Anglo-saxons, il existe une grande continuité entre les pratiques des Guerres de l’opium et les décennies que nous vivons. Toutefois, nous ne sommes plus en 1840. Ni même aux années 1990. Comme nous venons de le voir, les « coolies » des débuts de la mondialisation commencée voici bientôt un demi-siècle, sont devenus des ingénieurs de très haut niveau.
Et la question qui se pose est de savoir si les Etats occidentaux, ceux qui sont soumis au magistère judéo-protestant, ont toujours les moyens de leur politique suprématiste.
La deuxième erreur de l’oligarchie occidentale, après celle de vouloir utiliser une même arme pour deux fins, est de se penser toujours supérieure aux autres peuples, de considérer ces derniers comme des gens naturellement inférieurs et de développer une hubris qui est moins que jamais appropriée.
Si les peuples Blancs christianisés ont montré à travers les siècles leur puissant génie qui leur a permis de sortir l’humanité de la stagnation matérielle et scientifique ; si nous devons être conscients de la puissance opérative que la pensée grecque nous a apportée en matière d’esprit scientifique avec le traitement des problèmes non pas de manière globale mais en les abordant par partie constitutive considérée isolément ; si nous devons être conscients que c’est grâce à la métaphasique chrétienne et singulièrement catholique que nous sommes sortis des impasses de la métaphysique sous-jacente chez Platon et Aristote et que le « déblocage » scientifique a eu lieu lentement mais sûrement à partir du XIIIe siècle, allié à la combinaison heureuse (grâce à la règle de saint Benoît) qui a synthétisé le message évangélique en alliant travail intellectuel et travail manuel sous l’effet de l’irradiation du spirituel – permettant ainsi de passer de la conception à l’expérimentation -, nous devons comprendre qu’aujourd’hui, avec le rejet du christianisme sous les auspices des « Lumières », avec le matérialisme forcené et l’invasion du satanisme (autrement dit de l’inversion perverse et destructrice de l’ordre naturel), avec l’hédonisme encouragé par les ennemis de notre civilisation alors qu’il est naturellement prégnant chez toute civilisation matériellement aisée, nous avons déjà perdu la plupart des moyens qui ont fait la force des peuples Blancs.

JD Vance, dans son discours précité, a reconnu que la désindustrialisation des Etats-Unis a appauvri le savoir-faire de ses compatriotes tandis qu’elle en plongeait un grand nombre dans la déshérence. En Europe, en France en particulier, ce n’est pas mieux.
Le problème majeur qui se pose est la dramatique baisse du niveau d’instruction des populations du bloc occidental au point, qu’outre le fait qu’un savoir-faire précieux est en train de disparaitre avec les dernières générations qui le possédaient encore, la capacité à former une main-d’œuvre de qualité, des scientifiques de haut niveau en quantité suffisante pour nos besoins de puissance s’amenuise d’année en année.
[…]
La suite : Recomposition du monde (II)
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