Les meurtres rituels sont le deuxième fait historique le plus documenté de l’histoire, mais c’est à leur sujet qu’on devrait d’abord parler de négationnisme puisque Flavius Josèphe déjà, au Ier siècle de notre ère, disait dans son Contre Apion : « Ce n’est pas nous [les Juifs], ce sont les Phéniciens ». L’affaire de Damas est particulièrement gênante parce que nous sommes aux temps modernes, elle a eu à l’époque un retentissement formidable dans toute la chrétienté, comparable à l’affaire Dreyfus ou à l’affaire du viol et du meurtre de la petite Mary Phagan par Leo Frank aux États-Unis en 1913.
Les trois affaires sont d’ailleurs plus alignées qu’il n’y paraît, certes, le meurtre de Mary Phagan n’est pas un crime rituel – et la trahison de Dreyfus non plus, évidemment – mais, de même que l’Anti-Defamation League a été créée au moment du procès de Leo Frank, de même que la Ligue des Droits de l’Homme a été créée suite à l’affaire Dreyfus, l’Alliance Juive Universelle [ = Internationale] a été créée par Adolf Crémieux suite à l’Affaire de Damas.
Voir :
- 4 Juin 1898 : suite à l’affaire Dreyfus, fondation en France de la Ligue des Droits de l’Homme
- 26 avril 1913 : meurtre de Mary Phagan, 100 raisons de croire à la culpabilité de Leo Frank

Il s’agit bien du même Crémieux qui a décrété que les Juifs d’Algérie étaient Français. Dans une lettre du 7 avril 1840, alors que l’affaire de Damas bat son plein, il accuse l’Occident chrétien d’avoir exporté en Orient la sempiternelle accusation de crime rituel :
« Depuis douze cent cinquante ans bientôt, l’islamisme a planté son drapeau dans l’Orient, dans la cité de Damas. Pendant cette longue suite de siècles, jamais les Juifs n’ont vu s’élever contre eux cette stupide accusation. Les Chrétiens commencent à faire ressentir leur influence dans ces contrées, et voilà que les préjugés de l’Occident s’éveillent dans l’Orient! Quel triste sujet de douloureuses réflexions… ».
Autrement dit, Crémieux tient l’Islam en plus haute estime que le Christianisme, à méditer. Quoi qu’il en soit, on voit que le débat fait particulièrement rage en France, c’est tout simplement parce qu’elle est aux premières loges, selon Pierre Hebey, auteur des Disparus de Damas :
« Ce drame se produit moins de quatre mois après l’arrivée du premier consul de France en Syrie, le comte Ulysse de Ratti-Menton. Or, un traité franco-turc de 1740 reconnaît aux diplomates français un droit de protection sur les catholiques de l’Empire ottoman. Le nouvel arrivé en profite pour mener l’enquête concernant ces disparitions ».
La correspondance des diplomates français est en principe conservée à Nantes, mais, comme c’est étrange, elle a disparu. Il reste une copie à Damas des envois de Ratti-Menton, exploitée par le général syrien Moustapha Tlass dans l’Azyme de Sion.
En France, il nous reste tout de même l’essentiel, le livre d’Achille Laurent paru en 1846, c’est la source incontournable à laquelle se réfèrent tous les commentateurs anglophones ou germanophones, elle contient tout, les faits et les bonnes analyses critiques, elle contient en outre des traductions du Talmud qui valent leur pesant d’or, nous en donnons ci-après la transcription numérique réalisée par nos soins.
Pierre Hebey parle pudiquement de « disparitions », avec Achille Laurent, la tonalité est toute différente, elle reflète l’enquête des autorités arabes et de Ratti-Menton. Dans ses grandes lignes, l’affaire se résume à ceci : le 5 février 1840, le père Thomas, religieux d’origine sarde résidant depuis de nombreuses années à Damas, ainsi que son serviteur, disparaissent dans le quartier juif de Damas. Les suspects, des notables de la communauté juive, soupçonnés d’un crime rituel pour recueillir le sang des victimes, sont fermement interrogés et finissent par avouer ; ils conduisent les enquêteurs sur les lieux où sont éparpillés les restes des victimes.
La communauté juive internationale – ou universelle, comme on veut – se mobilise, obtient du Pacha Égyptien, Mohammed Ali, contre finances sonnantes et trébuchantes, qu’il amnistie les condamnés, et du Sultan Ottoman qu’il reconnaisse leur innocence. L’enjeu pour la communauté juive est énorme, il tourne sur la question de savoir si le Talmud autorise ou non le meurtre des Chrétiens, il s’agit avant tout pour elle de circonscrire une enquête dont elle semble elle-même penser qu’elle aurait pu déboucher sur la mise à jour d’un trafic international de fioles de sang (voir ci-après la citation de la lettre de Crémieux par Achille Laurent) : on sort alors du « cas isolé d’une bande de déséquilibrés mentaux », version que le comte Ulysse de Ratti-Menton était tout à fait prêt à admettre au départ, n’était-ce l’insistance de la communauté juive internationale à étouffer l’affaire et ces manipulations de témoin et des autorités auxquelles il a assisté de leur part.
Nous n’entrons pas ici dans tout le grand jeu entre l’Égypte et l’Empire ottoman, entre la France et l’Angleterre ou même l’Allemagne et l’Autriche – même si ce contexte n’a pas peu contribué au retentissement de l’affaire. Nous conservons ce qui nous semble l’enjeu principal, la perspective historique séculaire qu’Achille Laurent rappelle en introduction :
« Si les Juifs sont innocents de tant d’assassinats commis à diverses époques, dans des pays si différents, et dont ils ont été constamment accusés, il faut convenir alors qu’ils sont bien à plaindre d’avoir toujours été victimes d’injustes accusations. Mais, au contraire, si les Juifs se servent effectivement de sang humain dans quelques-unes de leurs pratiques religieuses, ainsi que les nombreux documents réunis dans cette troisième partie sembleraient le démontrer, tous les Chrétiens ne doivent-ils pas, dans leur indignation, s’écrier comme M. Crémieux à la fin du onzième paragraphe de sa susdite lettre du 7 avril 1840: « … Si la religion juive commande ainsi le meurtre et l’effusion de sang humain, levons-nous en masse, Juifs-Philosophes, Chrétiens, Musulmans; abolissons, même dans les hommes qui le pratiquent, ce culte barbare et sacrilège, qui place l’homicide et l’assassinat au rang des prescriptions divines!» ».
Ce que Crémieux ne dit pas, c’est que le crime rituel permet de lier indissolublement ceux qui le commettent, créant une très puissante solidarité de réseau.
RELATION HISTORIQUE
des
AFFAIRES DE SYRIE.
VERSAILLES. – IMPRIMERIE DE DESPART, RUE SATORY, 28.
RELATION HISTORIQUE
DES
AFFAIRES DE SYRIE,
DEPUIS 1840 JUSQU’EN 1842 ;
STATISTIQUE GENERALE DU MONT-LIBAN,
et
PROCÉDURE COMPLÈTE DIRIGÉE EN 1840
Contre des Juifs de Damas
À LA SUITE DE LA DISPARITION DU PÈRE THOMAS.
Publiées d’après les Documents recueillis en Turquie, en Égypte et en Syrie,
PAR ACHILLE LAURENT,
Membre de la Société Orientale
TOME II.
PARIS, GAUME FRÈRES, LIBRAIRIES-ÉDITEURS,
RUE CASSETTE, 4.
1846
TROISIÈME PARTIE,
CONTENANT :
LA PROCÉDURE COMPLÈTE
dirigée, en 1840, contre les Juifs de Damas, à la suite de la disparition
du P. THOMAS et d’Ibrahim-Amara, son domestique;
LES NOTES EXPLICATIVES,
LES PIÈCES JURIDIQUES
ET LA CORRESPONDANCE OFFICIELLE ET PRIVÉE RELATIVE
À CETTE PROCÉDURE ;
ET D’AUTRES DOCUMENTS HISTORIQUES ET FAITS DIVERS
CONCERNANT ÉGALEMENT LES JUIFS.
AU LECTEUR
Cette troisième partie offre, avec la première, l’ensemble des documents que j’ai pu recueillir pendant mon long séjour en Orient, sur tous les graves événements qui intéressent la Chrétienté.
Lors de la procédure dirigée contre des Juifs de Damas, accusés du double assassinat du père Thomas et de son domestique, les Chrétiens de l’Orient ne furent pas surpris de voir tous les Israélites se lever en masse pour prendre la défense de leurs co-religionnaires de Damas; mais ils témoignèrent leur étonnement de n’entendre aucune voix catholique défendre les Chrétiens du Levant, faussement accusés par les Juifs de l’Europe, de commencer à faire ressentir leur influence en Orient. Dans le dernier paragraphe de sa lettre du 7 avril 1840, relative à l’affaire des Juifs de Damas, et insérée dans le Journal des Débats du lendemain 8, M. Crémieux, vice-président du consistoire des Israélites français, s’exprimait ainsi:
«Depuis douze cent cinquante ans bientôt, l’islamisme a planté son drapeau dans l’Orient, dans la cité de Damas. Pendant cette longue suite de siècles, jamais les Juifs n’ont vu s’élever contre eux cette stupide accusation. Les Chrétiens commencent à faire ressentir leur influence dans ces contrées, et voilà que les préjugés de l’Occident s’éveillent dans l’Orient! Quel triste sujet de douloureuses réflexions !… ».
Ceux des Chrétiens de l’Orient qui envisageaient cette procédure, non-seulement sous le point de vue de religion mais encore sous celui du droit des gens, faisaient ce raisonnement : Deux hommes sous la protection du pavillon français sont trouvés coupés par lambeaux; des individus sous la protection du pavillon autrichien, d’abord accusés d’avoir commis ces deux épouvantables assassinats, sont ensuite acquittés. Cet acquittement peut faire supposer, tout au plus, que les individus accusés n’étaient pas coupables, mais ne peut pas détruire les faits patents du double assassinat. Si ceux-là · n’ont pas réellement commis le crime, pourquoi le . gouvernement français n’a-t-il pas fait rechercher les véritables assassins de deux protégés? Pourquoi n’a-t-il pas fait réviser toute la procédure arabe par des tribunaux français, ainsi que tous les Chrétiens de l’Orient le demandaient? Et enfin pourquoi a-t-on tiré un rideau de sang sur cette scène d’horreur et de massacres? Le protectorat de la France est donc illusoire?
Tel était le langage que tous les Chrétiens de l’Orient tenaient en 1840 .
Je termine par cette réflexion:
«Si les Juifs sont innocents de tant d’assassinats commis à diverses époques, dans des pays si différents, et dont ils ont été constamment accusés, il faut convenir alors qu’ils sont bien à plaindre d’avoir toujours été victimes d’injustes accusations. Mais, au contraire, si les Juifs se servent effectivement de sang humain dans quelques unes de leurs pratiques religieuses, ainsi que les nombreux documents réunis dans cette troisième partie sembleraient le démontrer, tous les Chrétiens ne doivent-ils pas, dans leur indignation, s’écrier comme M. Crémieux à la fin du onzième paragraphe de sa susdite lettre du 7 avril 1840: « … Si la religion juive commande ainsi le meurtre et l’effusion de sang humain, levons-nous en masse, Juifs-Philosophes, Chrétiens, Musulmans; abolissons, même dans les hommes qui le pratiquent, ce culte barbare et sacrilège, qui place l’homicide et l’assassinat au rang des prescriptions divines!» ».
ACHILLE LAURENT.
TRADUCTION DU JOURNAL ARABE
Contenant l’ensemble des procès-verbaux relatifs à la disparition du P. Thomas et d’Ibrahim-Amarah, son domestiques, perdus dans le quartier des Juifs de Damas, le mercredi soir, 2 de la lune zilhidjèh 1255 (5 février 1840).
Le vendredi 4 de la lune de zilhidjèh 1255, M. Beaudin (drogman – chancelier du consulat de France à Damas) est venu au Diwan du gouverneur-général, et a exposé que le mercredi 2 du présent mois de l’année 1255, le père Thomas était sorti suivant son ordinaire après l’âsr (1), s’était dirigé vers le quartier des Juifs, pour y poser sur la porte de la synagogue une affiche indiquant un encan dans la maison du feu Terranova , et que vers le mogreb, le domestique dudit père, voyant que son maître tardait à rentrer au couvent, étant allé, lui aussi, dans le quartier des Juifs pour l’y chercher, n’est plus retourné; que le soir, le sieur Santi, pharmacien à L’hôpital de Damas, se présenta à la porte du couvent, pour restituer au père Thomas un livre que celui-ci lui avait prêté, qu’il frappa longtemps à la porte, mais que personne n’ouvrant il se rendit au couvent de Terre-Sainte, afin de prévenir les religieux. Ces derniers supposèrent que le père Thomas , qui exerçait la médecine, s’était attardé chez quelque malade.
Le lendemain, jeudi 5 zilhidjèh 1255 (6 février ~ 840) . plusieurs personnes accoutumées à entendre la messe dans le couvent du père Thomas, s’y présentèrent le matin; les premiers arrivés ne trouvant pas la porte ouverte, ainsi qu’il est d’usage, crurent qu’il était de trop bonne heure et que le Père dormait encore; au lieu de cela, les plus tardifs s’imaginèrent que la messe étant achevée, le Père avait fermé la porte et était allé à d’autres affaires. M, Beaudin a ajouté que ce même jour, c’est-à-dire le jeudi, tous les religieux, y compris le père Thomas, étaient invités chez M. le docteur Massari; que les premiers s’y rendirent vers midi, heure du dîner, et crurent constamment que le Père allait arriver; ils attendirent en vain et n’eurent aucune nouvelle; que dès lors, ils conçurent de vives inquiétudes sur son compte, et allèrent donner avis au consulat de France de tout ce qui précède, parce le père Thomas était protégé français.
M. le consul se transporta au couvent dont il trouva la rue remplie d’habitants de diverses croyances, et qui disaient d’une voix unanime : Hier le père Thomas a été dans le quartier des Juifs, et il n’est pas douteux qu’il y a disparu ainsi que son domestique. M. le consul fit descendre quelqu’ un dans le couvent par une des maisons voisines, au moyen d’une échelle, afin que l’on ouvrit la porte d’entrée qui se trouvait fermée intérieurement, mais seulement au loquet et non à clef ni au verrou, iI entra d’abord dans la cuisine, et vit le souper du père Thomas et du domestique tout préparé et prés des fourneaux, ce qui fit reconnaître que l’intention du maître et de son domestique en quittant le couvent avait été d’y revenir. Que dès lors, on conclut qu’ils avaient péri hors du couvent, mais non dans un but de cupidité, tout dans cette demeure se trouvant parfaitement en place; qu’enfin les soupçons sur leur disparition dans le quartier des Juifs prenaient à chaque instant plus de consistance, par le rapport d’une quantité de gens qui assuraient avoir vu après l’âsr, le père Thomas entrant dans ce quartier, et ensuite, environ au coucher du soleil, le domestique qui allait probablement le chercher, tandis que personne ne vint déclarer les avoir aperçus hors de ce quartier, chose d’autant plus extraordinaire, que le père Thomas. qui habitait Damas depuis environ trente trois ans et y propageait la vaccine, était parfaitement connu de tout le monde.
Tel est le rapport que l’on présenta (2) à S. E. (Chérif-Pacha), par ordre du consul de France, afin que l’autorité pris des mesures pour retrouver le père Thomas, et constater la manière dont lui et son domestique avaient péri.
Sur le rapport du chancelier du consulat de France à Damas , S, E. prescrivit immédiatement des mesures pour obtenir des données certaines sur celle affaire : elle envoya le taffekdji-bachi dons le quartier Juif, avec ordre de fouiller Ies endroits suspects (3), et aussi de faire des visites domiciliaires. Il lit des recherches et ne découvrit rien, Deux Grecs orthodoxes se présentèrent à cette occasion, l’un nommé Mikhaël-Kessab, et l’outre oppelé Namah-Kallam, lesquels déclarèrent: que le mercredi jour de la disparition du père Thomas, un quart,d’heure avant le coucher du soleil, ils traversaient le quartier des Juifs; qu’arrivés vers le commencement de ce quartier (4) près de la rue Talèh-el-Keubèh, ils virent le domestique du Père entrant, très pressé, dans le quartier; qu’on lui demanda : Où vas tu si vite? et qu’ill répondit: mon maître est venu dans le quartier juif, et jusqu’à présent il n’est pas retourné, je vais le chercher.
Après celle déclaration, les soupçons de la disparition du père Thomas et de son domestique dans le quartier juif, acquirent plus de vraisemblance. Voyant que les perquisitions domiciliaires et l’arrestation de quelques mauvais sujets de la nation juive ne procuraient aucun indice, il parut nécessaire de vérifier les affiches que le père Thomas avait prises en sortant de son couvent, avec le projet de les apposer en divers endroits, Il fut prouvé que le vendredi il n’en existait pas sur la porte de la synagogue (5), mais que deux jours après, une des affiches qu’avait fait écrire le père Thomas se trouva sur la devanture de la boutique du nommé Suléiman, barbier juif, demeurant près de la porte de la synagogue. L’existence de celte affiche en cet endroit ayant fait planer des soupçons sur le barbier, celui·ci fut arrêté. Le pacha voulant s’éclairer à cet égard, fit tous ses efforts pour obtenir des aveux, mais en vain, cet homme se borna à dire que le père Thomas avait mis ce papier et s’en était allé. À la question qui lui fut adressée touchant la manière dont ce papier était attaché, il répondit que c’était au moyen de pains à cacheter ; questionné sur la couleur de ces pain~, il dit: que l’un était rouge et l’autre lilas, Ou lui demanda alors: 1° Comment il avait pu connaître la couleur de ces attaches, puisqu’elles étaient sous le papier? 2° comment le père Thomas avait pu atteindre à l’endroit où se trouvait le papier, cet endroit étant très élevé? Il répondit: qu’un grand nombre de personnes venant toucher ce papier, il avait craint qu’on le fit tomber, qu’il l’avait enlevé et posé plus haut (6).
On apporta l’affiche, et l’on reconnut qu’effectivement elle avait été attachée avec deux pains à cacheter seulement, l’un rouge et l’autre lilas. On alla ensuite examiner les affiches apposées aux églises francques, et on les trouva appliquées au moyen de quatre hosties chacune, et du genre de celles dont font usage ordinairement les religieux, ceux-ci n’employant pas de pains il cacheter.
Les déclarations du barbier, la non conformité dans les couleurs des attaches, ainsi que la différence dans la manière dont étaient apposées d’une part l’affiche du quartier juif, et de l’autre celles des églises francques, confirmèrent les soupçons qui pesaient sur le barbier. Il en résultait qu’il devait avoir quelques notions de cette affaire, on l’engagea à,dire la vérité; après qu’il eut reçu quelques coups de kourbadj, il y eut l’incident suivant:
Vendredi, 11 de la lune de zilhidjèh.
Le barbier Suleïman, interrogé d’une manière pressante, fut interpellé de manifester les véritables circonstances relatives à cette affaire; mais comme on n’en put rien obtenir, l’ordre fut donné de le fustiger, el aprés quelques coups de kourbadj, il confessa que le khakham Michone Bokhor Youda, le khakham Michone Abou-el-Afièh, Daoud Arari, ses frères Isaac el Aaroun, ainsi que Youcef Arari el Youcef Legnado entraient ensemble dans la rue du Telladj, entre midi et l’âsr (l’accusé ne peut pas préciser le moment), le mercredi, jour de la disparition du père Thomas, et que le Père était avec eux : Suleïman ajoute: » Le pacha n’a qu’à les faire venir, et je débattrai le fait en leur présence, et tout à l’heure encore, au moment où Isaac Picciotto passait, celui-ci m’a demandé s’y j’avais confessé quelque chose, et sur ma réponse négative, il m’ a dit : J’intercéderai pour toi; il m’a laissé et s’en est allé; si j’avais su qu’il n’intercédât pas pour moi, j’aurais avoué toute la vérité avant d’être battu. »
Sur ces entrefaites, 0n fit venir les individus susnommés (7), chacun d’eux fut interrogé séparément touchant les déclarations du barbier, et voici la réponse de chacun :
YOUCEF LEGNADO. – J’avais une fille; elle est morte il y a quinze jours, et notre usage quand nous perdons quelqu’un des nôtres, est de ne pas sortir pendant sept jours; d’après cela je me trouvais encore chez moi ; n’étant sorti que jeudi dans la matinée, vers midi, je ne sais rien de ce sur quoi l’on m’interroge.
ISAAC ARARI. – Je ne sais rien,je n’ai aucune connaissance de ces faits, je suis en présence du barbier: nous sommes des négociants occupés de trafic, et incapables de pareils faits ; je n’ai rien vu , et ne sais absolument rien de ces circonstances.
DAOUD ARARI. – Il y a deux au trois mois que je n’ai pas vu le père Thomas et que je ne me suis pas trouvé en compagnie de ces messieurs; il est vrai que ma maison est dans la rue du Telladj, mais j’ignore s’il y a eu ou non une telle réunion.
YOUCEF ARARI. – Ma maison est rue du Telladj; je suis vieux: et je ne sors que très peu de chez moi; il y a trois mois que je n’ai pas vu le père Thomas; j’ai été élevé parmi les Chrétiens, ils dorment chez moi, et moi je dors chez eux.
Le KHAKHAM MICHONE (MOUÇA) ABOU-EL-AFIÈH. – Je rentre du bazar chez moi par la rue de Khazalllièh, vers le mogreb, el dans celle autre rue il Il ne m’arrive pas d’y passer une fois par semaine; celle société n’est pas la mienne; depuis six mois nous ne nous sommes pas réunis ; mais l’homme oublie (8) ; peut-être étions-nous là lorsque le barbier assure nous avoir vus; mais ensuite chacun sera retourné chez soi, Quant au père Thomas, depuis un mois et demi ou deux mois je ne l’ai pas vu : j’ignore si ces autres personnes se sont réunies ou non.
AAROUN-ARARI. Ma maison est près du consulat d’Angleterre ; il est très-rare que j’aille chez mes frères ; avant cet événement, il y avait huit jours que je n’avais pas vu le barbier. Nous sommes des gens paisibles et de conduite régulière, nous quittons le bazar aux approches du mogreb ; comment pouvons-nous nous être réunis tous les sept dans une assemblée de ce genre? C’est.une assertion sons fondement ; peut-être cet aveu a-t-il été arraché ou barbier. S’il était vrai que nous fussions· réunis, je dirais que j’étais dans ctte réunion et que j’ai vu, mais il n’en est absolument rien.
Le barbier Suleïman est amené en présence des prévenus ; on l’interroge devant eux en leur disant qu’il les a vus devant la maison susdite.Chacun d’eux l’interpelle en cet instant en ces termes : «Comment peux-tu dire, mon ami, que tu nous as vu? demande plutôt à Dieu qu’il te délivre. »
YOUCEF LEGNADO. –J’ai des preuves de la mort de ma fille, et le mercredi soir j’avais chez moi Yassa- Makhoul et Matta-Kébrinn qui en témoigneront (9).
Les autres prévenus affirment maintenant que la déclaration de Suleïman est absolument fausse, et qu’ils ne retournent pas ordinairement de leurs affaires chez eux à l’heure indiquée par lui, mais avant le mogreb.
Aux questions à lui faites, Mouça Salonikli (le khakham Michone Bokhor·Youda) répond qu’il n’a aucune notion sur celle affaire, qu’il ne s’est pas trouvé avec les sus-nommés, qu’il ignore s’ils se sont trouvés ensemble, et qu’il ne relourne chez lui que de dix heures et demie à onze heures (à la turque) , et que ce jour-là il n’ avait vu en rien et pour rien le père Thomas.
Aucune lumière n’ ayant jailli de cet interrogatoire, et les aveux du barbier faisant planer des soupçons sur ces individus, il convient de les mettre en lieu de sûreté, ce qui fut exécuté dons l’espoir de découvrir la vérité.
Dimanche 13 de la lune de zilhidjèh.
En raison des graves soupçons qui pesaient sur le barbier, touchant la connaissance qu’ il peut avoir de l’affaire, on le fil revenir afin de l’interroger d’une manière plus pressante. La fustigation ayant été ordonnée (10), il pria qu’on la lui épargnât, sous condition qu’il dirait la vérité; la grâce demandée lui fut accordée, et il déclara ce qui suit:
Les sept personnes désignées ont fait entrer le père Thomas chez Daoud-Arari, et m’ont fait venir de ma boutique une demi-heure après le mogreb. Ils me dirent : égorge ce prêtre! ce dernier était dans la chambre les bras liés; sur mon refus, ils me promirent de l’argent. Je répondis: ce n’est pas mon affaire. Après cela ils me donnèrent la petite affiche et me dirent: place la sur ta boutique. Ce fut Aaroun-Arari qui me la donna. Lors de mon arrestation, au moment où l’on me conduisait au sérail, Daoud·Arari me dit: garde.toi de rien avouer, nous te donnerons de l’argent. La personne qui vint m’appeler dans ma boutique se nomme Mourad el-Fath’al, c’est le domestique de Daoud-Arari.
L’ordre fut. donné au taffekdji.bachi d’amener Mourad-el-Fath’ al.
DEMANDE au barbier: Hier vous avez dit tout cela et aujourd’hui vous le répétez; si· c’est parce que vous avez été battu que vous avez compromis les individus en question, dites-nous franchement et Sans crainte l’exacte vérité, notre intention n’est pas de vous faire compromettre qui que ce soit par des mensonges ; si vous avez quelqu’autre aveu à manifester, ne craignez pas de vous expliquer.
R. J’ai dit la vérité et je l’ai confirmée même en leur présence.
D. y avait-il ou non des lemmes dans la maison?
R. Il n’y avait que ces sept personnes, le domestique était demeuré dehors.
D. Qui a ouvert la porte?
R. Daoud-Arari.
D. Après qu’on vous eût proposé d’égorger le prêtre, demeurâtes-vous là ou partîtes-vous?
R. Je ne demeurai pas là, j’allai fermer ma boutique et je rentrai chez moi.
D. Dans le cas où le père eût crié dons la chambre où il était, aurait-on pu l’entendre du dehors?
R. La maison est environnée de maisons juives, on ne pouvait pas entendre; et, se trouvant parmi eux, ils l’empêchaient de crier.
D. Son domestique était-il avec lui?
R. Non, il n’y était pas: d’autres ont fait l’affaire dans un autre endroit et d’intelligence avec ceux-ci (11).
Sur ces entrefaites arriva Mourad-el-Fath’al, domestique de Daoud-Arari (12).
À la question il lui faite, il répondit: Mon maître m’envoya après le mogreb chez le barbier Suleïman; je dis à celui-ci: Va-t-en à la maison voir ce que veut mon maître; moi-même je m’en fus chez moi.
D. Qui est-ce qui se trouvait chez ton maître?
R. Je n’y ai vu personne ce jour-là, mon maître avait une fluxion à la joue, il n’est pas sorti.
Daoud-Arari comparait. On lui lit les interrogatoires qui précèdent, mais il persiste dans son système de dénégation. Avant la lecture desdits interrogatoires, on lui demanda où il avait été le mercredi, jour de l’événement; à quoi il répondit: j’étais au bazar. j’avais été à la douane. pour en retirer du drap. J’allai ensuite.chez Giorgios Ankhouri; je suis demeuré au bazar jusqu’à onze heures (à la turque).
Le sieur Giorgios-Ankhouri ayant comparu, on lui demanda si ce que disait Daoud-Arari était vrai, qu’il se trouvait mercredi avec lui à Khankhaièh. Il est nécessaire, dit le pacha, que vous nous éclairiez à cet égard.
R. Ledit Arari est venu chez moi le jeudi et non le mercredi après l’âsr; il me dit: Le. Chrétiens mettent sur notre compte l’événement du père Thomas, une affaire pareille peut elle venir de nous? Sommes nous des gens capables de cela ? Je répondis: on le prétend.
Un billet fut écrit du sérail aux employés de la douane, on reçut la réponse signée du chef des douaniers (13) : on y affirmait que ledit Arari n’avait pas paru à la douane le mercredi, mois que le mardi son magasinier s’y était présenté et avait retiré Irois balles de drap, que quant à lui il ne s’y était pas rendu.
Mardi 15 de la lune de zilhidjèh.
M. Beaudin s’étant présenté au sérail, demanda au barbier Suleïman qui lui avait remis le papier qui était affiché sur le côté de sa boutique?
R. C’est Aaroun-Arari qui m’a donné ce papier.
D. Quand vous l’a-t-il donné et en quel endroit?
R. Il me l’a donné le mercredi une demi-heure après le mogreb, lorsque je fus chez Daoud·Arori.
D. Où vous êtes-vous procuré des pains à cacheter?
R. Ce fut Aaroun·Arari qui me les donna.
D. Où les prit-il?
R. Je l’ignore, il me les donna avec le papier.
D. Quand vous avez posé ce papier sur votre boutique, quelqu’un vous a-t-il vu ?
R. Je l’ai posé le jeudi de grand matin, personne ne m’a vu.
D. Avez-vous communiqué ce fait à votre père, à votre femme ou à quelque autre personne ?
R. Je ne l’ai dit à qui que ce soit.
D. Vous a-t·on donné de l’argent pour vous faire taire?
R. On ne m’a rien donné, mais on m’a promis.
D. Qui défraye votre famille pendant que vous êtes en prison?
R. On m’avait promis de défrayer ma famille, mais on ne m’a pas tenu parole (14).
D. Comment vous a-t·on promis?
R. Le dimanche, lorsque le taffekdji – bachi Abou·Chaab m’arrêta après l’âsr, Daoud-Arari, passant près de moi, me dit: Ne crains rien, nous te donnerons de l’argent.
D. Si l’on vous demande un serment conformément à votre culte, pour preuve de ce que vous avancez, le ferez·vous?
R. Je jurerai par tout ce qu’on voudra.
D. Après le mercredi soir, êtes-vous retourné chez Daoud-Arari, pour voir ce qu’était devenu le père?
R. Je n’ai pas pu entrer dans la maison.
D. Savez· vous si le père Thomas a mis une affiche le mercredi?
R. Oui il l’a mise, mais je ne l’ai pas vue parce que je n’étais pas à la boutique, ayant été appelé chez le khakham Meymoun pour saigner sa femme. La saignée n’ayant pas été nécessaire, je retournai à ma boutique, et je vis des personnes qui lisaient le papier; on me dit que le père Thomas l’avait affiché et qu’il y était question d’un encan.
D. Savez-vous qui a enlevé ce papier?
R, Je l’ignore, mais ce doit être sans doute quelqu’un de la famille Arari, car s’il n’en était pas ainsi on ne m’en aurait pas donné un autre à placer (15).
Mercredi 16 de la lune de zilhidjèh.
Mourad·el-Fath ‘al fut rappelé, On lui demanda où se trouvait son maître, lorsque celui-ci lui dit de lui envoyer le barbier Suleïman?
R. J’étais allé au bazar, et, en passant devant la porte de la maison , mon maître qui se tenait sur le seuil me dit: Envoie-moi le barbier; je fus, je le lui envoyai et me rendis chez moi.
D. Votre maître prétend qu’il n’est pas vrai qu’il vous ait envoyé chercher le barbier ?
R. Quel est donc mon emploi ? Ne suis-je pas domestique ? Tel a été l’ordre que mon maître m’a donné, telle a dû être ma déclaration.
D, S’il vous a dit de lui envoyer le barbier, dans quel but le nierait·il ?
R, C’est peut-être parce que le barbier l’a dénoncé au sujet de cette affaire, et qu’il craint de se compromettre en l’avouant: c’est pour cela qu’il nie.
D. Étant malade, il n’est pas probable qu’il ait – été se tenir sur le seuil de la porte pour vous envoyer chercher le barbier; il devait être dans quelque autre endroit moins exposé au grand air. Dites tout ce que vous savez en votre qualité de domestique, l’affaire ne vous touche en rien; avouez la vérité sons crainte.
R. Eh bien ! la vérité est, que la peur m’a fait dire ce qui précède; il est certain que mon maître ne m’a pas dit de lui appeler le barbier et que je ne le lui ai pas envoyé; rien de tout cela n’a eu lieu.
On ordonne la fustigation, après quoi Mourad-el· Fatb’al, invité à manifester la vérité, dit: Vous m’avez fait venir en présence du mallem Rapbaël (Farkhi), vous m’avez interrogé devant lui, j’ai eu peur et je me suis rétracté, d’autant plus qu’il m’a lancé un regard.
D. Comment vous craignez plus Raphaël que moi?
R. Sans doute, je crains que Raphaël ne me tue, et je le crains plus que V. E., car V. E. me fera fouetter et me renverra, tandis que Raphaël me fera périr net dans le quartier, si je confesse (16)
Vendredi 18 de la lune de zilhidjèh.
Le consul de France ayant vu une esclave noire, nommée Khittèh,dons la maison du juif Sérazettoum, et n’ayant pas reçu des réponses satisfaisantes aux questions qu’il lui a adressées, l’a envoyée ou sérail pour être interrogée, mais elle a été reconnue réellement idiote, les demandes à elle faites touchant l’affaire du père Thomas n’oyant abouti qu’à cette réponse : je ne sais rien; sur quoi elle a été renvoyée chez son maître.
Vendredi 25 de la lune de zilhidjèh
Comme les soupçons qui planaient sur la tète du barbier ne font que prendre plus de consistance; comme il paraît connaître la vérité sur la disparition du père Thomas, et comme les inculpés persistent dans leurs dénégations, il est nécessaire de faire comparaître Suleïman, de le presser de demandes et de l’assurer de son pardon, pourvu qu’il confesse la vérité sur les circonstances du meurtre. Après de nombreux faux-fuyants et de manifestes hésitations if avoue franchement ce qui suit:
Une demi-heure après le mogreb, Diloud Arari me fit venir de ma boutique par l’entremise de son serviteur : j’allai chez lui; j’y trouvai Aaroun Arari, Isaac Arari, Youcef Arari, Youcer Legnado, le khakham Michone (Mouça) Abou-el-Afièh, le khakham Michone (Mouça) Bokhor Youda Salonikli, Daoud Arari, maître de la maison, et le père Tbomas qui était lié. Daoud Arari et son frère Aaroun me dirent: Égorge ce prêlre; je répondis que je ne le pouvais pas. Attends ! me dirent-ils : ils apportèrent un couteau; je jetai le Père par terre, je le tins avec l’aide des autres assistants, je plaçai son cou au-dessus d’ une grande bassine. Daoud saisit le couteau, l’égorgea, et Aaroun acheva; le sang fuI recueilli duns la bassine sans qu’il, s’en perdit une goutte; après quoi l’on traîna le cadavre de la chambre du meurtre dans celle au bois (17).
Là nous le dépouillâmes de ses vêtements, qui furent brûlés. Ensuite arriva le domestique Mourad-el-Fath’al, qui trouva le cadavre déshabillé dans ladite chambre au bois. Les sept susnommés me dirent, ainsi qu’au domestique, de dépecer le prêtre. Nous demandâmes comment nous nous y prendrions pour faire disparaître les morceaux ; ils nous répondirent: Jetez·le. dans les conduits. Nous le dépeçâmes, nous en mimes les débris dans un sac, et au fur et à mesure nous allâmes les jeter dans les conduits. Le canal dans lequel nous les jetâmes se trouve Il côté de la maison du khakham Michone (Mouça) Abou-el-Afièh. Nous retournâmes ensuite chez Daoud Arari. L’opération terminée, ils dirent qu’ ils marieraient le domestique à leurs frais et qu’ils me donneraient de I’argent. Je m’en fus chez moi.
D. Qu’avez-vous fait des os?
R. Nous les avons cassés sur la pierre avec le pilon du mortier.
D. Qu’avez-vous fait de la tête?
R. Nous l’avons également brisée avec le même instrument.
D. Vous a-t-on payé quelque chose?
R. On m’a promis de l’argent, en me disant que si je parlais on déclarerait que c’est moi qui l’ai tué. Quant au domestique, on lui promit de le marier, comme je viens de le dire.
D. Suleïman, comment était le sac dans lequel vous mettiez les débris? Y en avait-il un ou deux? S’il yen avait un, le portiez-vous seul? s’il yen avait deux, portiez vous un sac et le domestique en portait-il un autre? Qu’elle était la couleur de ce sac?
R. Le sac était comme tous les sacs à café, en toile d’emballage, de couleur grise; il n’y avait qu’ un sac, et nous deux, le domestique et moi, nous le portions en nous entr’aidant. Nous n’avions qu’un seul sac.
D: Comment vous entr’aidiez-vous?
R. Tantôt nous portions tous deux ensemble, tantôt je portais seul, et d’autres fois c’était le domestique seul.
D. Le transport terminé, que fîtes-vous du sac?
R. Nous le laissâmes chez Daoud Arari.
D. II appert de vos déclarations que, lorsque vous avez égorgé le père Thomas, vous avez reçu le sang dans une bassine et qu’il ne s’en est pas perdu une goutte ; mais quand après avoir traîné le cadavre dans l’autre chambre vous l’avez découpé, est-ce qu’il n’est pas sorti du sang ?
R. Je n’ai pas fait attention, à couse du trouble que j’éprouvais, s’il est sorti du sang ou non.
D. Comment est meublée la chambre où vous l’avez dépecé? Est-elle pavée ou en plâtre battu ?
R. La chambre n’est pas terminée ; il y a de la terre et des débris de bois ; on l’a dépecé sur le sol.
D. Qu’avez-vous fait des entrailles? comment les avez-vous transportées? les avez-vous coupées? Qu’avez-vous fait du contenu de ces entrailles ? Comment vous y êtes-vous pris pour les transporter.
R. Nous avons coupé les boyaux , nous les avons mis ainsi dans le sac et les avons jetés dans le conduit.
D. Le sac ne laissait-il pas dégoutter les matières contenues dans les entrailles ?
R. Un sac à café lorsqu’il est mouillé, n’est pas sujet à laisser dégoutter.
D. Lorsque vous avez dépecé le père, combien étiez-vous? Combien aviez-vous de couteaux? et de quel genre était ces couteaux?
R. Le domestique et moi nous le dépecions, et les sept autres nous indiquaient la manière de s’y prendre : tantôt je coupais, tantôt c’était le domestique ; nous nous relayions lorsque l’un ou l’autre était fatigué ; le couteau était comme ceux des bouchers, c’était le même qui avait servi pour le meurtre.
D. Qu’avez vous fait de ce couteau ?
R. Nous l’avons laissé à la maison.
D. Après avoir dépecé le père, sur quel pavé avez-vous brisé les os?
R. Sur le pavé entre les deux chambres (18).
D. Cet endroit entre les deux chambres est sans doute abrité?
R. II est à couvert.
D. En brisant la tête, la cervelle a dû en sortir, qu’en avez·vous fait?
R. Nous avons transporté la cervelle avec les os.
D. Lorsqu’on a égorgé le père Thomas, le domestique Mourad-el-Falh’al était-il présent ou non ? et s’il n’était Pas présent, quand est·il revenu? Qui lui a ouvert la porte?
R. Lors du meurtre il n’y était pas ; il est revenu lorsque le Père était dans l’autre chambre déjà dépouillé: ce fut l’un d’eux qui lui ouvrit la porte.
D. Outre les sept personnes, vous et le domestique, y avait-il, encore quelqu’un à la maison, femme ou autre?
R. Je n’ai vu que ces sept individus et le domestique.
D. À quelle heure à peu près a eu lieu le meurtre? Combien s’est-il passé de temps jusqu’à la complète effusion du sang, et dans quel moment l’avez-vous transporté dans l’autre chambre? Quant au domestique , à quelle heure est- il revenu? Combien de temps avez-vous employé à l’opération, et après avoir fait écouler le sang, qu’en a-t-on fait?
R. Je crois que le meurtre à eu lieu ou letchai ou peu après le letchai. Le Père est demeuré au-dessus de la bassine jusqu’ à l’entière effusion du sang, l’ espace d’ une demi·heure ou deux tiers d’heure, et nous l’avons transporté dans l’autre chambre une heure el demie après le letchai. Le domestique est revenu pendant que le cadavre nu était dans la chambre au bois, et quand nous eûmes terminé loute l’opération, il pouvait être environ huit heures plus ou moins; le sang resta dans la bassine dans la chambre meublée, j’ignore ce qu’on en a fait; le domestique esl resté au logis après que je suis parti.
D. Où a-t-on dépouillé le cadavre, et qui l’a dépouillé?
R. Il a été dépouillé dans la chambre où nous l’avons dépecé, et ceux qui l’ont dépouillé sont Daoud et Aaroun Arari, ainsi que les autres assistants.
D. Quel habit et quelle ceinture le Père portait-il?
R. Un habit noir; mais je ne l’ai pas eu entre les mains; sa ceinture était comme d’usage, un cordon blanc.
D. Le conduit dans lequel vous avez jeté les débris est-il couvert ou non, et s’il est couvert, comment avez-vous fait pour le’ découvrir?
R. Le conduit se trouve au commencement. du marché aux poules, à côté de la maison du khakham Michone (Mouça) Abou-el-Afièh (19); il y a une pierre, si on l’enlève on aperçoit les conduits au, dessous; nous avons enlevé la pierre et avons jeté les débris.
N. B. Après cet interrogatoire, le barbier fut renvoyé au secret, et l’on fit venir Mourad-el-Falh’al. Interrogé sur ce qui s’était passé lors de l’assassinat du père Thomas , sa grâce lui ayant été accordée sous condition de dire la vérité, il répondit :
Que lors du meurtre du père Thomas il n’était pas présent, mais qu’ensuite il était rentré et avait trouvé le cadavre nu dans la chambre non achevée, où il y a de la terre et du bois ; que le barbier Suleïman et lui commencèrent à le dépecer en présence de Daoud Arari , Aaroun Arari, Isaac Arari, Youcef Arari, Youcef Legnado, le khakham Michone (Mouçir) Abou-el Afièh, le khakham Michone (Mouça) Bokhor Youda dit Salonikli ; qu’ils coupèrent le cadavre par morceaux ; que Suleïman et lui jetèrent ces morceaux dans le conduit, et qu’ils les transportèrent dans un sac à café.
D. Qu’avez-vous fait des os ?
R. Nous les avons piles sur le pavé avec un pilon de mortier.
D. Qu avez-vous fait de la tète?
R. Nous l’avons cassée aussi sur le pavé avec le pilon du mortier.
D. Vous a-t-on payé pour cela ?
R. Ils ont promis de me marier à leurs frais à la personne avec laquelle je suis fiancé, et au barbier de lui donner de l’argent.
D. En quoi était le sac dans lequel vous portiez les débris? N’y avait-il qu’un seul sac, ou y en avait-il deux? Portiez-vous ensemble, ou le barbier portait-il dans un sac et vous dans un autre? Quelle était la couleur de ce sac ?
R. Il y avait un seul sac; nous nous entr’aidions à le porter à la main, quelquefois tous deux ensemble, quelquefois chacun notre tour; le sac était blanc-grisâtre.
D. Qu’avez-vous fait du sac après le transport?
R. Je ne sais pas ce qu’on en a fait.
D. Il résulte des déclarations du barbier que, lors du meurtre du père Thomas, le sang a été recueilli dans une bassine, sans qu’il s’en soit perdu une seule goutte ; mais, quand vous le dépeciez dans l’autre chambre, n’est il pas sorti du sang?
R. En dépeçant sur la terre, le sang qui sortait du cadavre en a imbibé le sol ; on n’a pas recueilli ce sang.
D. Qu’avez-vous fait des intestins, comment les avez vous transportés? les avez-vous coupés? qu’avez-vous fait de leur contenu, comment l’avez-vous transporté?
R. Nous avons coupé les intestins avec ce qu’ils contenaient, nous avons mis le tout dans le sac et jeté le tout dans le conduit.
D. Est-ce que ce sac ne laissait rien échapper du contenu des intestins ?
R. Le sac étant bon et solide, il ne s’ est rien échappé.
D. Combien de personnes étiez-vous pour dépecer le cadavre? De quelle espèce de couteau vous serviez vous?
B. Nous n’avions qu’un seul couteau du genre des couteaux des bouchers ; Suleïman et moi nous coupions, les autres assistaient.
D. Lorsque vous avez trouvé le cadavre nu, et que vous vous êtes mis à le dépecer pour aller en jeter les morceaux, vous ne vous êtes pas enquis de ce qu’ion avait fait des habits ?
R. Je m’en suis informé, et l’on m’a dit qu’on les avait brûlés.
D. Après avoir dépecé le Père, sur quel pavé avez- vous brisé les os?
R. Sur le pavé qui est entre les deux chambres et devant les portes de ces chambres, à l’endroit qui est couvert.
D. Lorsqu’on a brisé la tête la cervelle a dû en sortir : qu’est-elle devenue ?
R. Nous avons ramassé os et cervelle ensemble, et avons transporté le tout.
D. Quand avez-vous commencé à dépecer et quand avez-vous terminé ?
R. Nous avons commencé vers trois heures de nuit plus ou moins, et nous sommes restés jusqu^à sept heures au plus.
D. Le conduit où vous avez jeté les débris est-il couvert ou découvert, et s’il est couvert, comment vous y êtes-vous pris pour le découvrir?
R. Ce conduit est près de la maison du khakham Michone (Mouça) Abou-el-Afièh, il est recouvert d’une pierre que nous avons ôtée, et nous y avons jeté les débris.
D. Après cette opération, où a été le barbier?
R. Le barbier est allé chez lui après l’opération.
D. Et vous, combien de temps après êtes-vous demeuré chez votre maître? jusqu’à quelle heure ces personnes ont-elles veillé? qu’ont-elles fait? où avez-vous couché ?
R. Je suis demeuré une heure ou une heure et demie après le départ du barbier, et j’ai laissé du monde à la maison. Je ne sais pas si ces individus se sont couchés ou si chacun s’est retiré chez soi. Quant à ce qu’ils ont fait, je l’ignore; moi j’ai été me coucher chez moi, après leur avoir rempli quelques narghilèhs avec du tabac.
Dem. du consul de France : Que fait-on du sang?
R. On s’en sert pour le Fath’ir (fête des Azymes).
D. D’où savez-vous cela ?
R. Je leur ai entendu dire que le sang était pour les Azymes.
Demande du colonel Hassey-Bey : Puisque vous n’avez pas vu le sang , comment savez-vous qu’il devait servir pour les Azymes?
R. J’ai demandé pour quel objet on avait fait couler le sang, et ils me dirent que c’était pour la fête des Azymes.
D. L’assassinat du père Thomas n’a-t-il eu pour objet que la religion? existait-il quelque motif de haine contre lui, ou en voulait-on à son argent?
R. Je n’en sais pas précisément le motif.
Observation du colonel Hassey-Bey : Puisque les déclarations des deux inculpés se trouvent conformes, il est nécessaire que nous allions avec M. le consul de France (20), M. Beaudin et M. le docteur Massari, vérifier l’endroit ou l’on a cassé les os; peut-être trouverons-nous des traces sur le pavé ; nous examinerons ensuite la chambre où le Père a été dépecé ainsi que le conduit ; nous prendrons ces deux prévenus l’un après l’autre, afin qu’ils nous indiquent ces divers endroits ; nous nous assurerons si l’eau qui coule dans ce canal est susceptible d’être facilement détournée. Peut-être qu’en cherchant dans le fond du canal on trouvera encore des restes.
Sur ce, les sus-nommés partirent.
On arriva à la maison de Daoud-Arari.
Demande au barbier Suleïman : Où l’avez-vous égorgé ?
R. Dans cette chambre meublée, il était étendu au milieu de la chambre , on mit la bassine sous son cou et on l’égorgea.
D. Faites-nous voir où vous l’avez dépecé !
K. Dans cette chambre non achevée, où il y a des morceaux de bois (ici Suleïman indique que ce fut sous l’arcade) (21), au couchant, près la porte de la chambre; en même temps on aperçut quelques taches de sang sur les murs de ladite chambre (22).
D. Où avezvous cassé les os?
R. En cet endroit-ci entre les deux chambres, devant le diwan (et l’on constata que le pavé était enfoncé en cet endroit) (28).
On apporta le pilon du mortier, et il fut reconnu pour être celui qui avait servi (24).
Les couteaux furent demandés, on en apporta trois ; le barbier les observa et dit : Il n’est pas parmi ceux-là ; il y a un autre couteau plus grand et meilleur. On demanda d’autres couteaux , et il fut répondu qu’il n’en existait pas (25).
Après cet examen le barbier fut enfermé dans la chambre du meurtre. On fit venir le domestique et on lui demanda où il avait vu le Père nu. Il indiqua la même chambre et le même emplacement déjà indiqués par le barbier.
D. Où avez-vous cassé les os?
R. (Indication identique à celle du barbier).
On demanda le pilon du mortier, il lui fut montré et, en le voyant, il dît : C’est bien celui-là!
On apporta les couteaux ; à peine les eut-ils aperçus , qu’il s’écria qu’il ne reconnaissait pas parmi eux le couteau (de l’opération).
Lorsqu’on voulut reconnaître l’endroit où avaient été jetés les débris de chair, il conduisit au bazar du vendredi, appelé aussi bazar des poules, devant la maison de Michone (Mouça) Âbou-el-Afîèh, et montra l’emplacement qu’ils avaient ouvert pour y jeter lesdits débris. On aperçut en effet un trou (26); Moarad-el-Fath’al fut alors renvoyé au sérail (27), et l’on retourna chez Daoud-Ârari prendre le barbier Suleïman qui, arrivant à l’endroit précité, le montra de la main et dit : C’est ici!
On découvrit le canal et l’on trouva, à l’entrée, des traces de sang et des filaments de chair ; on fit venir des ouvriers qui descendirent dans le conduit et en tirèrent plusieurs fragments (28) de chair, une rotule, un morceau du cœur, des débris du crâne, d’autres morceaux d’os, des parties de la calotte du Père. On mit le tout dans une corbeille, et on consigna ces débris au consul de France, pour les faire examiner par des médecins, après que le pacha les eût vus, qu’il les eût montrés aux accusés, et en eût fait constater la nature. Il vint une réponse du consuI de France avec les annexes suivantes :
1 Déclaration du consul d’Autriche du 3 mars (29).
2 id. des quatre médecins européens (30).
3. id. des six médecins musulmans et d’un Chrétien du pays (31).
4. id. du barbier ordinaire du père Thomas (32).
Isaac-Arari fut amené; le pacha lui demanda comment avait eu lieu l’assassinat du père Thomas, et dans quel but on l’avait tué.
R. Il est très-vrai que nous avons fait venir le père Thomas chez Daoud : c’était une chose entendue entre nous ; nous l’avons tué pour avoir son sang ; après avoir recueilli ce sang dans une bouteille, nous avons mis la bouteille chez le khakham Michone (Mouça) Abou-el-Afièh ; c’était dans un but religieux, le sang étant nécessaire à l’accomplissement de nos devoirs religieux.
D. Était-ce une bouteille blanche ou noire ?
R. C’était une de ces bouteilles blanches appelées khalabièks.
D. Qui a donné la bouteille au khakham Michone Âbou-el-Afièh ?
R. C’est le khakham Michone (Mouça) Salonikli.
D. Â quoi sert le sang dans votre religion ?
R. On l’emploie dans les pains azymes.
D. Distribue-t-on ce sang aux croyants?
R. Ostensiblement non ! on le donne au principal khakham.
D. Comment vous y êtes-vous pris pour faire venir le père Thomas ?
R. Ce furent Mouça-Salonikli et Mouça-Abou el-Âfièh qui prirent les mesures à cet effet.
D. Où l’avez-vous égorgé ?
R. Dans la chambre meublée , sur l’estrade.
D. Qui l’a égorgé?
R. Mouça-Abou-el-Afièh , et Daoud-Arari.
D. Lors du meurtre, dans quoi a t-on recueilli le sang?
R. Dans une bassine en cuivre.
D. Après cela est-il resté longtemps dans cette chambre?
R. À peu près une demi-heure.
D. Où l’avez vous dépecé ?
R. Dans la chambre non achevée.
D. Qui l’a dépecé ?
R. Un peu tous avec le barbier Suleïman et Mourad-el-Fath’al.
D. Qui a jeté les débris, et de quoi s’est-on servi pour aller les jeter ?
K. Ce furent le barbier et le domestique qui allèrent les jeter, après les avoir mis dans un sac grisâtre en toile d^emballage.
D. A quelle heure le meurtre a-t-il été commis, et à quelle heure a-t-il été terminé?
R. On l’a commis à une heure et demie, et à quatre heures on avait tout fini.
D. Avez- vous couché dans la maison, ou chacun est-il rentré chez soi ?
R. Après la fin de l’opération chacun est retourné chez soi.
D. Les femmes étaient-elles à la maison, et si elles y étaient, dans quel endroit se tenaient-elles ?
R. Je crois qu’elles se tenaient dans les chambres du coté du nord ; je ne les ai pas vues.
D. Il est certain que ce plan avait été arrêté entre vous depuis plusieurs jours : renseignez-nous sur la manière dont il fut concerté?
R. Mouça-Abou-el-Afièh et Mouça-Salonikli se sont servis pour l’attirer du prétexte de faire vacciner un enfant; l’aflaire avait été arrangée depuis deux ou trois jours dans la maison de Mouça-Abou-el Afièh, et nous l’avons fait venir ensuite chez mon frère Daoud-Arari, où nous l’avons égorgé.
D. Vous avez dit que le sang a été déposé chez Mouça-Abou-el-Afièh ; si je le fais comparaître, et s’il nie, avez-vous des indices, des preuves, pouvez-vous signaler l’endroit où la bouteille a été mise?
R. il est certain que Mouça-Abou-el-Afièh l’a prise, mais où I’a-t-il mise? je l’ignore. S’il nie, je débattrai le fait devant lui.
D. Monça-Abou-el-Alîèh a pris la bouteille, l’a-t-il enfermée dans quelque boîte ou autre objet ?
R. Il ne l’a enfermée dans aucune boite : il l’a placée sous son djubé (grande houppelande), et s’en est allé avec.
Samedi 26 de la lune de zilhidjèh.
On amène Mouça-Abou-el-Afièh ; on lui demande chez qui est resté le sang du père Thomas qui fut recueilli dans une bouteille (khalabièh).
R. Le sang est resté chez Daoud-Arari.
D. L’avez vous vu de vos propres yeux ?
R. Oui, je l’ai vu de mes propres yeux.
D. Aaroun-Arari le sait-il?
R. Oui, certainement il le sait, puisque le sang est chez Daoud-Arari.
On interroge Âaroun-Arari au sujet du sang.
R. Mouça-Âbou-el-Afièh a pris le sang chez lui.
D. Dans quoi l’a-t-il pris ?
R. Dans une bouteille blanche dite khalabièh.
D. Mouça-Salonikli était-il avec vous?
R. Oui , Il était avec nous, nous étions sept.
D. Déclinez leurs noms ?
R. Ce sont les mêmes noms indiqués précédemment.
On interroge Mouça-Abou-el-Afièh au sujet de Mouça-Salonikli.
R. Oui, il était avec nous, nous étions sept.
Demande à Aaroun-Arari : Qu’est devenu le sang .t^
R. Nous sommes convenus tous sept que Mouça-Abou-el-Âfièh le prendrait, il lui fut consigné par Mouça-Salonikli.
Demande à Daoud-Arari : Où est resté le sang?
R. Mouça-Salonikli l’a pris et l’a consigné à Mouça-Abou-el-Afièh, en présence de tous ; il était dans une bouteille blanche dite khalabièh, de la capacité de trois à quatre onces (38).
Demande à Aarouii-Arari : Dans quoi était le sang auparavant?
R. Il était dans une bassine.
Daoud Arari confirme ce même fait.
Demande à Daouji Arari : Dans quel endroit lui avez-vous consigné le sang ?
R. Dans la chambre non achevée.
D. Pourquoi au lieu de remettre le sang au khakham, ne l’avez-vous pas gardé chez-vous ?
R. L’usage veut que le sang reste chez les khakhams.
Demande à Daoud-Arari : Lors du meurtre, Mouça-Salonikli y était il ?
R. Lors du meurtre du père Thomas, nous étions tous ensemble.
Demande à (Mouça) Abou-ei-Afièh : Mouça-Salonikli était-il avec vous autres?
R. Oui, il était avec nous.
On interroge Mouça-Salonikli au sujet du sang :
R. Je ne sais rien de tout cela, je n’en ai pas ouï parler.
Demande à Isaac-Arari : Où est restée la bouteille de sang?
R. Cbez Mouça-Abou-el-Afièh.
D. Pourquoi vos frères nient-ils cela?
R. Ils nient, parce qu’ils craignent d’étre bâtonnés ou tués.
D. N’est-ce pas vous sept qui avez tué le Père?
R. Oui, nous l’avons tué tous ensemble.
D. L’assassinat est incontestable, dites-nous seulement où est resté le sang?
R. Chez Mouça-Abou-el-Â.fièh, et c’est Mouça-Salonikli qui le lui a consigné dans une bouteille dite khalabièh.
Demande à Daoud Arari : Pourquoi l’avez vous tué?
R. Pour le sang, parce que nous en avons besoin pour la célébration de notre culte.
Isaac Arari fit une réponse analogue.
Demande à Aaroun-Arari : Puisque l’assassinat a été commis dans la maison de votre frère Daoud, pourquoi le sang n’y est-il pas resté?
D. Le sang a été consigne au khakham Mouça Abou-el-Afièh, par les mains de Mouça-Salonikli, parce que le sang doit rester chez les khakhams.
Lundi 28 de la lune de zilhidjèh.
Demande au khakham Mouça-Abou-el-Afièh : Isaac et Aaroun Arari disent que le sang a été pris par Mouça Salonikli ; qui l’a remis entre vos mains?
R. Le khakham Yakoub-el-Antabi s’était mis d’accord (34) avec les Arari et les autres pour avoir une bouteille de sang humain, après quoi ledit khakham m’en avisa. Les Arari lui promirent que, cela dût-il leur coûter cent bourses, ils le lui obtiendraient. Étant passé ensuite chez Daoud-Àrari, je fus informé par eux qu’ils avaient amené une personne pour l’égorger et en recueillir le sang, et ils me dirent : Puisque vous êtes le plus raisonnable, prenez ce sang et portez-le chez le khakham Yakoub-el-Ântabi. Je répondis : Laissez que Mouça Salonikli le porte. — Chargez-vous-en, répliquèrent-ils, parce que vous êtes le plus raisonnable. — Le meurtre a eu lieu chez Daoud-Ârari.
D. Pourquoi le sang est-il nécessaire ? le met-on dans le pain azyme, et tout le monde mange-t-il de ce pain ?
R. L’usage est que le. sang que l’on met dans le pain azyme n’est pas pour le peuple, mais pour quelques personnes zélées. Pour ce qui est de la manière de l’employer dans le pain azyme, je dirai que le khakham Yakoub-el-Ântabi reste au four la veille de la fête des Azymes : là, les personnes zélées lui envoient de la farine dont il fait du pain; il pétrit lui-même la pâte sans que personne sache qu’il y met du sang, et il envoie le pain a ceux à qui appartenait la farine.
D. Vous êtes-vous informé auprès du khakham Yakoub-el-Antabi s’il en envoie dans d’autres lieux, et si c’est seulement pour les Juifs habitant Damas ?
R. Le khakham Yakoub m’a informé qu’il devait en envoyer à Bagdad.
D. Est-il venu de Bagdad des lettres qui en demandassent?
R. Le khakham Yakoub me l’a dit.
D. Est-il vrai que vous ayez coupé le père Thomas par morceaux ?
R. Moi, j’ai pris la bouteille et m’en suis allé, tandis qu’ils sont demeurés à la maison. Je n’ai pas su qu’ils dussent le dépecer, ils avaient l’intention de l’enterrer; Daoud-Arari m’avait dit que sous l’escalier de sa maison il y avait une cachette où il pourrait l’enterrer. Lorsque la nouvelle de l’événement se répandit, on aura brisé et jeté les os dans le conduit.
D. Est-il vrai que le barbier Suleïman ait tenu le Père pendant l’assassinat?
R. Je les ai vus tous ensemble sur lui, ainsi que Suleïman et le domestique Mourad-el-Fath’al ; en l’egorgeant, ils étaient très contents, attendu qu’il s’agissait d’un acte religieux.
D. Lorsque vous avez remis la bouteille au khakham Yakoub, y a-t-il eu quelqu’un qui ait su que vous la lui aviez remise ?
R. Nul autre que mes complices ne l’a su; le soir je pris la bouteille et la portai chez lui dans la bibliothèque, puis je rentrai chez moi.
D. Le projet avait-il été de tuer un prêtre ou quelqu’autre chrétien, et comment le choix est-il tombé sur le père Thomas P
R. Le projet était de tuer un chrétien quelconque, mais le père Thomas a été pris ; on le fît venir, et on l’egorgea. Avant le meurtre, je leur dis : Celui-là, laissez-le, car on le recherchera. Ils n’ont pas voulu m’écouter, et ils l’ont tué.
D. Pour ce qui concerne le domestique du Père, vous ne savez pas qui l’a tué ?
R. Je ne connais que ce qui concerne le père Thomas.
D. Le domestique se trouvait avant le mogreb dans le quartier juif, où il cherchait son maître: que lui est-il advenu ?
R. Le Père et le domestique ont été égorgés dans la maison de Daoud-Arari , mais avant, on a égorgé le Père ; j’ai vu, outre ce dernier, une autre personne liée dans l’autre chambre , et j’ai supposé que c’était le domestique.
D. Pouvez-vous indiquer où était le cadavre du domestique, pour que l’on ajoute foi à vos paroles?
R. La disparition des cadavres a été une affaire des domestiques, pour moi je n’en ai pas connaissance.
D. Pourquoi hier avez-vous déclaré que le sang était chez vous, tandis que vous y étant transporté, et ayant annoncé qu’il était dans une armoire, on ne l’a pas trouvé, et qu^aujourd’hui vous dites l’avoir remis au khakham Yakoubel-Antabi ?
R. Hier je n’ai pas dit la vérité; je crains les Juifs, et mon apparition dans leur quartier avait pour objet de leur montrer mon état d’abattement, afin d’être excusé par eux d’avoir révélé la vérité dans une affaire qui intéresse la religion. Je ne pouvais rien avouer, l’aveu étant un péché, à moins d’avoir souffert préalablement.
Isaac Arari ayant rétracté ses aveux, on lui en demanda la raison; il déclara que ce qu’il avait déclaré avant était la vérité, et qu’il avait dû nier dans la crainte des autres. Mais la vérité, dit-il, est ce que je vous ai déclaré l’autre soir : que le sang a été remis à Mouça-Abou-el-Afièh, par les mains de Mouça-Salonikli.
Demande à Âaroun-Arari , touchant le sang du père Thomas.
R. Le sang est chez Mouça-Abou-el-Afièh ; quant à celui du domestique, je n’en sais rien, je n’en ai aucune connaissance.
Même demande à Daoud-Ârari.
R. Le khakham Yacoub-el-Antabi nous dit, à tous les sept, qu’on avait besoin de sang humain pour la fêle des Azymes, et que puisque le père Thomas était toujours dans le quartier, il fallait le faire venir sous quelque prétexte, l’égorger et en prendre le sang. Le jour qu’il nous en parla nous étions à la synagogue ; à quelques jours de là , nous fîmes venir le père Thomas chez moi, sous prétexte de la vaccine, et lorsqu’il fut chez moi, après les mogreb, nous le tuâmes. Le sang fut remis par Mouça-Salonikli à Mouça-Abou-el-À.fièh, qui a dû le porter au khakham Yakoud-el-Antabi.
D. Qui sont ceux qui l’ont dépouillé ?
R. Nous tous.
D. Et le domestique du Père?
R. Le domestique n’était pas avec le Père.
Daoud et Arari déclarent que le projet du meurtre du père Thomas avait été arrêté par le khakham Yacoub-el-Antabi, dans la synagogue des Francs, quatre à cinq jours avant le crime ; qu’il avait demandé du sang pour la fête des Azymes. On a égorgé le Père, disent-ils, et l’on a envoyé son sang par Mouça Abou-el-Afièh ; voilà la pure vérité.
Mardi 7 de la lune de moharrem de la nouvelIe année 1256.
Déclaration de Mohammed-Effendi, ci-devant Abou-el-Afièh, adressée, par écrit, à Chérif-Pacha [FG – comprendre que l’un des conjurés, Abou-el-Afièh, s’est converti à l’Islam pour pouvoir témoigner contre ses complices, en effet, s’il était resté Juif, ses coreligionnaires étaient alors en droit de le tuer : selon la loi juive, un Juif ne peut pas témoigner contre un autre Juif devant une autorité « étrangère »] :
J’ai l’honneur d’exposer à votre excellence, d’après les ordres qu’elle m’a donnés, la relation des circonstances relatives à l’assassinat do père Thomas. Étant assuré désormais de la conservation de mes jours, par une croyance en Dieu tout-puissant et en son prophète Mohammed, à qui soient les plus ferventes prières et les plus respectueuses salutations ; je suis obligé de déclarer la vérité.
Le khakham Yakoub-el-Antabi m’avait dit, une dizaine ou une quinzaine de jours avant, qu’il avait besoin de sang pour l’accomplissement des préceptes de la religion; qu’il en avait parlé aux frères Arari, l’affaire devant se passer chez eux; qu’il avait reçu leur promesse et qu’il fallait ma présence. Je répondis que le sang me faisait horreur. — Il est indispensable que vous y soyez , me dit-il alors , ainsi que Mouça-Salonikli et Youcef-Legnado, quand bien même vous resteriez dehors. N’imaginant pas que les Arari consentissent à cette proposition, je promis ; mais le mercredi, premier jour de mars, chez les Juifs, comme je sortais de chez moi après l’âsr pour aller à la synagogue, je rencontrai dans la rue, Daoud-Arari qui me dit : venez, j’ai besoin de vous, — Je vais à la prière, lui répondis-je, je viendrai ensuite chez vous. — Venez avec moi reprit-il, que je vous raconte quelque chose.
Il m’apprit alors que le père Thomas était chez lui et que, à la nuit , on le tuerait. Je lui demandai si le khakham avait indiqué cette personne, ou s’il avait seulement demandé du sang pour l’accomplissement des préceptes de la religion? C’est celle-ci qui est tombée entre nos mains, dit Arari, quant à vous ne craignez rien, nous serons présents. Je fus chez lui, je les trouvai assis dans la chambré meublée, je trouvai le père Thomas garotté; ensuite, entre le mogreb et le letchai, on le transporta dans la chambre non meublée. Daoud l’égorgea, mais comme il ne put achever, Aaroun s’en chargea. On recueillit le sang dans une bassine en cuivre, puis on le versa dans une bouteille en verre blanc ; ils me dirent : Prenez-le et portez-le immédiatement au khakham Yacoub el-Antabi. C’est œ que je fis; je pris la bouteille, je sortis et me rendis chez le khakham. Je trouvai celui-ci qui m’attendait dans la cour extérieure; en me voyant il se dirigea vers la bibliothèque. Prenez ce que vous avez demandé, lui dis-je. Il prit la bouteille qu’il plaça derrière les livres, je sortis et m’en fus chez moi.
J’ignore ce que l’on fit du cadavre et des effets du Père, puisque quand je sortis on n’avait encore rien fait. Mais lorsque je revis Daoud et ses frères, et que je leur dis que celte affaire nous causerait des inquiétudes par suite de recherche auxquelles on se livrerait, et que nous avions mal fait de nous adresser à celui-là, ils me répondirent : On ne pourra rien découvrir : les habits sont consumés par le feu, de manière à ce qu’il ne reste pas de trace, et la chair sera jetée dans le canal petit à petit, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, par l’entremise du domestique. J’ai d’ailleurs, ajouta-t-il, une très-bonne cachette, je puis l’y mettre, sauf à l’en faire sortir peu à peu. Cessez de vous alarmer, et vous-même, prenez courage.
Pour ce qui regarde le domestique du Père, Dieu m’est témoin que je n’en ai aucune connaissance, si ce n’est que le lendemain jeudi, avant midi, je revis Daoud, Isaac et Youcef-Arari devant la petite taverne. Isaac demanda à Daoud comment l’affaire s’élait passée : N’y pense pas, répondit Daoud, l’autre aussi est anéanti. Puis ils se mirent à causer entre eux à voix basse. Je les laissai et allai vaquer à mes occupations. Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire à V. E., je ne fréquente guère les grands, et les Arari sont de ce nombre. Ils ont souvent des soirées et font des parties de plaisir dont je ne fais pas partie.
Quant au sang, à quoi peut-il servir chez les Juifs, si ce n’est à la célébration de la fête des Azymes, ainsi que je l’ai déjà déclaré verbalement ? Combien de fois les gouvernements n’ont-ils pas surpris les Juifs à commettre de pareils actes? c’est ce que l’on voit dans un de leurs livres, intitulé Sadat Adarhout, lequel relate plusieurs affaires de ce genre à la charge des Juifs. L’auteur, il est vrai, qualifie ces accusations de calomnies, et démontre la manière dont on a procédé dans ces cas là contre les Juifs. Voilà tout ce que je sais relativement au père Thomas et à ce qui s’est passé. Moi, maintenant votre esclave, j’implore Dieu et son Prophète, Dieu m’ayant donné la foi en notre Seigneur Mohammed. Je sollicite ma grâce de V. E. par la toute-puissance de Dieu.
Signé : Mohammed-Effendi (L. S.).
Suit la déclaration du màallem Raphaël-Farkhi, dans laquelle il témoigne que Mohammed-Effendi, qui s’est fait Turc, a comparu et a déclaré que l’écriture ci-dessus ainsi que la déclaration lui appartenaient en propre, en foi de quoi ledit Raphaël a apposé sa signature et son cachet.
Mardi 14 de la lune de Moharrem 1256.
Réponse. Ils disent que ce sont des bêtes brutes. Lors du sacrifice de son fils Isaac, Abraham ayant pris avec lui deux domestiques, leur dit : Restez ici, vous et l’âne, tandis que noue irons encore mon fils et moi. Le Talmud en a conclu que les autres peuples ainsi que ces deux individus sont comparables à des ânes. Le khakham Yakoub-el-Antabi, interrogé sur cette citation, répond : C’est parfaitement vrai. Abraham, ayant vu Dieu, demanda à ses serviteurs s’ils l’avaient vu, et sur leur réponse négative, il leur dit : restez ici, vous et l’âne. Le Talmud en a déduit qu’ils étaient des animaux. Sur ces entrefaites, on apporta de la bibliothèque de Mohammed-Effendi (Mouça-Abou-el-Afièh) plusieurs ouvrages en langue hébraïque. Le khakham Yakoub-el-Antabi ayant pris un volume pour en lire le titre et le traduire à S.E Mohammed Effendi s’exprima de la sorte : L’intention du khakham Yakoub est de lire le titre du livre, parce que ce titre énonce que tout le mal que l’ouvrage profère contre les peuples n’a pas rapport à ceux qui connaissaient Dieu, mais seulement aux peuples anciens qui ne le connaissaient pas. Telle est l’intention du khakham Yakoub.
Le.chancelier Beaudin, et Chubli, étant présents au Diwan de S. E. Chérif-Pacha, ainsi que le khakham Yacoub-el-Antabi, on demande à Mohammed-Effendi ce que disent le Talmud et la religion juive, relativement aux peuples qui n’appartiennent pas à cette religion. [FG : rappel important : Mohammed-Effendi était un des conjurés juifs, il s’appelait alors Abou-el-Afièh. S’il était resté Juif, il n’aurait pas eu le droit de commenter des écrits juifs à des étrangers]
Demande à Mohammed Effendi : Pourquoi écrit-on cela?
R. Pour déguiser la vérité et faciliter l’impression de ces ouvrages eu Europe; c’est à cause de cela qu’ils laissent des lacunes dans leurs livres.
Demande au khakham Yakoub-el-Antabi : Que.signifient en effet ces lacunes dans des livres imprimés?
R. C’est pour les remplir du nom de Jésus, et de tout ce qui a rapport à lui.
Demande au khakham Yakoub el-Antabi : Vous m’avez dit l’autre soir, que lors de la manifestation de Dieu aux Juifs sur le mont Sinaï, ils crurent en lui, et que ceux de leurs descendants qui ont abandonné la foi d’Israël doivent être tués: cela «est-il exact ?
R. C’est très-vrai : car de cette manifestation est résultée la croyance en Dieu, et ceux qui agissent contrairement à cette croyance ou qui en sortent, méritent la mort.
Demande au khakham Yakoub-el-Antabi : Est-il licite de tuer celui qui ne sanctifie pas le samedi ?
R. Oui, si c’est un Juif.
Mohammed-Effendi (Mouça-Abou-el-Afièh) prenant la parole : Quoique les autres peuples se reposent le samedi, leur mort n’en est pas moins légitime, car étant des animaux, ils ne sont pas tenus à se reposer ; loin de là, il est nécessaire qu’ils travaillent jour et nuit. Il est dit dans le Talmud, chapitre Sahandérim, page 58 : Tout étranger qui sanctifie le dimanche doit être tué, sans qu’on l’interroge, sans qu’il réponde préalablement. La Bible appartient aux Juifs ; quant aux livres des autres peuples, ils doivent être brûlés, lors même qu’ils contiendraient le nom de Dieu. Il y a plus, si tout autre qu’un Juif a écrit le nom de Dieu dans une Bible, ce livre doit être brûlé, attendu qu’il n’a pas été écrit par un Israélite.
Demande à Mohammed-Effendi (Mouça- Abouel-Afièh) touchant l’accaparement du bien d’autrui.
R. Il est permis aux Juifs, au détriment de ceux qui ne suivent pas les sept commandements qui sont :
1°Tu n’adoreras ni les astres, ni les planètes, etc.;
2° Tu ne commettras point d’adultère ;
3° Tu ne tueras pas;
4° Tu ne voleras pas ;
5° Tu ne couperas pas la chair d’un agneau en vie, pour le manger ;
6° Tu ne soumettras à la castration ni les fils d’Abraham ni aucun des animaux ;
7° Tu ne croiseras pas les différentes races d’animaux.
L’accusé ajoute que Dieu voyant que les autres peuples n’observaient pas ces sept commandements, avait octroyé leurs biens aux Juifs.
Demande au khakham Yakoub-el-Antabi : Que dites vous de cela ?
JR. Cela eut lieu lorsque les Israélites, sortis d’Égypte, s’aperçurent que les autres peuples n’observaient pas les sept commandements. Plus tard, le Talmud a confirmé cette faculté aux Juifs.
Demande à Mohammed-Effendi (Mouça-Abouel-Afièh). Les peuples non Juifs qui ne suivent pas la Bible sont-ils tenus aux lois ci-dessus?
R. Sans doute, d’après le Talmud : les peuples ayant eu ces commandements, ceux qui en enfreignent un seul sont dans la catégorie des autres étrangers.
Demande de Chubli à Mohammed-Effendi (MouçaAbou-el-Afièh) : Vous dites que le sang a été recueilli pour la fête des Azymes ; il est certain cependant que le sang, d’après leur religion, est considéré par les Juifs comme une chose impure, et lors même qu’il s’agit du sang d’un animal, il ne leur est pas permis de s’en servir. Il y a donc contradiction entre l’idée d’immondicité attachée au sang et la nécessité du sang humain dans le pain azyme, Il faut une explication qui satisfasse la raison.
R. D’après !e Talmud, deux espèces de sang sont agréables à Dieu : le sang de la Pâque et celui de la Circoncision.
Le khakham Yakoub-el-Antabi affirme que le sang de l’Holocauste de la Pâque et celui de la Circoncision sont effectivement agréables à Dieu.
Demande de Chubli à Mohammed-Effendi : Votre réponse ne nous a pas suffisamment fait comprendre comment l’emploi du sang d’une personne peut être permis?
R. C’est le secret des grands khakhams ; ils connaissent cette affaire et la manière d’employer le sang.
Demande du Pacha à Mobammed-Effendi (Mouça Abou-ci-Âfièb) : Si un Juif dit quelque chose qui puisse nuire à un autre Juif ou à sa nation, que mérite t-il?
R. Tout Juif qui commet l’adultère ou quelqu’acte contre la religion ou les usages de cette religion, mérite la mort ; mais maintenant on se borne à l’excommunier, et on ne lui fait rien autre chose. Mais un Juif parle-t-il contre un ou plusieurs autres Juifs de quelque chose qui puisse nuire à un de ses coreligionnaires ou à la nation, ce Juif doit être tué irrémissiblement, même dans l’état de faiblesse où les Juifs se trouvent aujourd’hui. Un tel individu est regardé comme un objet d’opprobre, le Talmud n’admet pas la grâce de la vie à son égard ; la religion est basée sur ce principe, et c’est pour cela que je n’ai pu dire la vérité qu’après m’être fait Musulman.
Interpellé sur la vérité de cette déclaration, le khakhatn Yakoub-el-Antabi la confirme et ajoute : Nous nous y prendrions de manière à faire périr un tel individu par l’intermédiaire de l’autorité, ou bien nous le tuerions nous-mêmes si nous le pouvions.
Réplique de Mohammed-Effendi (Mouça-Âboud-Afièh): Fort bien, mais si c’était pour une affaire où l’autorité, ayant un autre intérêt, ne consentit pas à la mort de l’individu, que feriez-vous?
Réponse du khakham Yakoub-el Antabi : Nous ferions, suivant les circonstances, tout notre possible pour le tuer par tous les moyens, puisque telle est notre croyance.
Vendredi 24 de la lune de moharrem.
Le Pacha reçoit une lettre du consul de France à Damas, disant que le mâallem Chahadèh-Lisbona étant un de ceux qui, lors de la disparition du père Thomas et de son domestique, se présentèrent au consulat pour offrir une récompense de cinquante raille piastres (35) à celui qui parviendrait à découvrir l’assassinat du père Thomas, il désirait adresser à ce mâallem quelques questions. Comme cet individu est employé du gouvernement, le Consul invite le Pacha à renvoyer au consulat, afin d’obtenir de lui des éclaircissements indispensables. Chérif-Pacha ordonne, en conséquence, au mâallem Cliahadèh-Lisbona de se rendre au consulat; ensuite le Consul transmet au Pacha, l’interrogatoire suivant :
Demande du Consul : Vous êtes venu chez moi avec les autres Juifs, les frères Arari, Méhir-Farkhi, Mourad-Farkbi,Youcef-Farkbi et Aaroun-Stambouli, que vous connaissez, et vous avez, conjointement avec eux, promis la récompense de cinquante mille piastres, si le père Thomas et son domestique étaient retrouvés, et qu’ils eussent été tués dans le quartier juif. Vous avez sans doute appris que le père Thomas et son domestique ont été positivement retrouvés, et qu’ils ont péri chez Daoud-Aari et chez Méhir-Farkhi, et, d’intelligence avec les personnes sus-nommées, j’ai su que vous avez payé votre quote part des cinquante mille piastres, aussitôt qu’ont été découvertes les circonstances du meurtre du père Thomas et de son domestique. Ce nonobstant, doutez-vous de ce qui a eu lieu, doutez-vous de ce qui a été constaté ?
R. de Chahadèh-Lisbona, écrite de sa main: Relativement aux constatations, elles sont complètes ; pour ce qui est de la promesse, chacun en paie sa quote-part. Les constatations faites par Chérif Pacha et par M. le Consul, ne laissent subsister aucun doute.
D. Vous devez comprendre qu’il me faut une réponse faite sans hésitation, sans faux-fuyant, sans crainte. Vous dites que vous n^avez aucun doute sur ce qui a été constaté par Chérif-Pacha, et que tous ceux qui étaient engagés dans la promesse s’en acquittent : mes questions n’ont pas pour objet cette promesse, je veux seulement apprendre de vous si vous savez que la découverte de cette affaire a eu lieu par des moyens illicites et iniques ; expliquez-vous sans réserve.
R. de Chahadèh-Lisbona, écrite de sa main : D’après ce que j’ai entendu dire, elle a eu lieu par des moyens réguliers.
D. Je crois que vous vous exprimez avec sincérité touchant la découverte du meurtre du père Thomas et de son domestique, vous n’êtes compromis en rien dans cette affaire. Mais certainement, après que la disparition de ces deux individus dans le quartier juif eut acquis de la publicité, vous avez dû entendre dans quelque société des propos à ce sujet. Donnez-moi des détails, et soyez sans crainte. II parait que dans la soirée qui précéda l’arrestation des frères Arari, vous vous trouviez chez eux, il importe que vous manifestiez qui était encore avec vous autres, et sur quoi roulait la conversation ?
R. de Chahadèh-Lisbona, écrite de sa main: À l’époque où nous nous occupions de cet événement, nous allâmes chez Bahri-Bey, le prier de nous assister. Sa réponse fut : Cela ne me regarde pas, voyez, vous autres. Nous retournâmes chez Daoud-Arari. Notre visite chez Bahri-Bey avait eu lieu au commencement de la soirée; il y avait Yakoub-Abou-el-Afièh, Picciotto, les frères d’Arari et Daoud-Arari ; nous restâmes jusqu’à quatre heures de nuit, après quoi Isaac-Picciotto fut demandé chez Mourad-Farkbi ; les autres lui dirent : Envoyez-nous quelque parole tranquillisante, informez-nous s’il y a quelque arrangement pour cette affaire. Picciotto envoya dire : n’y pensez pas. Dans ce moment-là il était environ quatre heures, la chose eut lieu avant l’arrestation des Arari, mais je ne me souviens pas si ce fut une nuit ou deux avant.
D. de Chubli : Puisqu’on ne demande de vous que des réponses vraies sur ce que vous savez de la conversation qui a eu lieu ce soir là, vous n’avez pas besoin d’assistance pour vous disculper. Qu’est-ce qui a donc pu vous porter à me remettre les cinq cents piastres renfermées dans ce papier ? quelle était votre idée dans cette tentative de séduction ! (36)
R. de Chahadèh-Lisbona, écrite de sa main ; Mon idée en vous donnant cet argent était de ne pas me voir impliqué dans l’affaire.
D. de Chubli : Quelqu’un vous a-t-il demandé quelque chose? est-ce de votre propre mouvement que vous avez offert cet argent? quel motif avez-vous de craindre d’être compromis pour cette affaire?
R. de Chabadèh écrite de sa main: Personne ne m’a rien demandé ; j’avais cet argent dans ma poche; étant étranger à cette affaire et ne me jugeant pas capable de répondre à cet égard j’ai eu seulement pour objet de me faire épargner les questions.
Le Consul à Chabadèh-Lisbona : Je vous ai mandé, avec l’autorisation du Pacha, pour vous interroger sur l’événement en question, parce que, dans les interrogatoires, vous êtes signalé comme vous étant trouvé ce soir-là chez Arari, et pour vous demander la vérité sur l’assassinat du père Thomas et de son domestique. Vous étiez du nombre de ceux qui ont promis la récompense, dans le cas où le meurtre eût été commis dans le quartier juif, et vous avez répondu que vous n’aviez aucun doute sur les constatations qui ont été faites, et que vous payiez en conséquence votre quote-part. Vous avez manifesté ce que vous connaissiez de la réunion nocturne, et avez offert à Chubli de l’argent pour vous faire épargner les questions touchant cet événement. Les questions nécessaires à l’objet avaient été faites ; il faut donc que vous sachiez quelque autre circonstance que vous cherchez à cacher? Dites-nous la vérité sur tout ce que vous savez , et soyez sans crainte. Très-certainement, ce soir-là ou un autre, vous devez avoir appris la vérité sur l’assassinat du père Thomas et de son domestique. Expliquez vous franchement, sans quoi vous vous exposez à des soupçons; tout tend à démontrer que les accusés étaient les assassins, ils doivent avoir parlé.
R. De Chahadèh-Lisbona, écrite de sa main : M. le Consul, pendant la soirée susdite il ne fut question que des arrangements dont j’ai parlé, et j’ignorais alors si ces individus étaient coupables. Ils ne m’ont pas pris pour leur confident. Je suis présent, si quelqu’un avance quelque chose contre moi, si quelqu’un affirme que j’ai connaissance de la moindre chose, je serai en mesure de répondre pour ce qui me concerne. Quant à présent, je n’ai aucun renseignement à fournir que ceux au sujet desquels vous m’avez questionné ; mon écriture figure dans cet interrogatoire en témoignage de ce que j’ai déposé , je n’ai rien de plus à ajouter.
Signé : Chahabèh-Lisbonà (L. S.).
Traduction faite par Mobammed-Effendi (Mouça-Abou-el-Afifth) de quelques fragments du Talmud. Cette traduction ayant été présentée au khakham YakOub-el-Antabi» a été approuvée par lui.
Chapitre Sahandérim, page 58. — L’idolâtre qui frappe un Israélite, mérite la mort. Moïse , lors de son séjour en Égypte, tua un Égyptien qui, sous ses yeux, avait frappé un Israélite. Donner un soufflet à un Juif, c’est comme si on le donnait à Dieu. (Approuvé par le khakham Yakouh-el-Antabi.)
L’idolâtre qui sanctifie un jour de la semaine mérite la mort, Dieu ayant dit : Tu ne te reposeras ni jour ni nuit; il encourerait cette peine quand bien même ce serait un tout autre jour que le samedi. L’ dolâtre qui lit la Bible doit également subir la mort, la Bible n’étant destinée qu^aux Juifs. Quant à celui qui la prendrait secrètement, il faut qu^il périsse. (Approuvé par le khakham Yakoub-el- Antabi .)
Même chapitre, page 68. — C’est péché à un Juif, que de contracter société avec des idolâtres, car s’il était en position de prêter serment, il devrait le faire au nom de quelque idole. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi»)
Même chapitre, page 57. — On désigne sous le nom de fils de Noé, tous les peuples autres que les Israélites, ceux-ci s’en étant séparés et ayant reconnu Dieu dès le temps d’Abraham jusqu’à Israël. Les fils de Noé peuvent être tués sur la condamnation d’un seul rabbin et la déposition d’un seul témoin, ce témoin fût-il le parent de l’individu dénoncé. Si ce dernier a tué une femme Juive enceinte et fait périr l’enfant qu’elle portait, il mérite la mort. Il en est autrement pour un Israélite, lequel ne peut être tué que par une décision de vingt rabbins et deux témoins; encore ne mérite-t-il pas la mort pour avoir fait périr l’enfant dans le sein de sa mère. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi, qui ajoute : qu’un tel Juif devrait payer le prix de l’enfant.)
Même chapitre, page 74. – Le fils de Noé qui a blasphémé le nom du Seigneur cesse de mériter la mort en se faisant Juif; Pareillement celui qui a tué son semblable ou qui a commis l’adultère avec la femme de son coreligionnaire ; mais s’il a fait périr un Juif, ou s’il a été adultère avec une femme Juive, il n’est pas exempt de la peine de mort en se faisant Juif. (Approuvé par le khakham YakoubHel-Antabi.)
Chapitre Kôumarath-Koummah, page 39. — Dieu ayant vu que les autres peuples n’observaient pas les sept commandements touchant l’adoration des idoles, l’adultère, le meurtre, le vol, l’abstinence des animaux non égorgés, la castration et le croisement des races, a permis aux enfants d’Israël de s’approprier leurs biens. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre Abourazadàh, page 4. — Tous les commandements observés en ce monde par les Juifs, leur sont représentés dans le ciel, à leur mort, comme un témoignage en leur faveur, et ce, en présence des autres peuples pour que les bonnes actions des Juifs soient un motif de bonté. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi)
Même chapitre, page 8. — Les Juifs qui habitent hors de lieux saints, savoir : Jérusalem , Hébroun, Saffet et Thibériade, sont considérés comme adorateurs des idoles, mais sans encourir de reproches. Lorsqu’un idolâtre marie un de ses enfants, les Juifs de la localité invités à la noce, et qui mangent des mets préparés même par des cuisiniers Juifs et servis par des Juifs aux gages des Juifs, sont considérés comme ayant mangé des animaux morts ; ils pèchent d’ailleurs, si, invités à la noce, ils vont chez l’idolâtre dans l’intervalle des trente jours antérieurs à la célébration de cette cérémonie, soit à l’occasion du mariage, soit pour tout autre objet (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Même chapitre, page 20. — Éviter que les étrangers deviennent propriétaires d’immeubles. En parlant d’un homme étranger ou d’une femme étrangère, il n’est pas permis à un Juif de vanter leur beauté. Il ne peut pas non plus leur faire un présent sans pécher. (Approuvé par le khakbam Yakoub-el-Antabi.)
Même chapitre, page 22. — Il est défendu aux Juifs de tenir leurs bestiaux dans des étables qui n’appartiennent pas à quelqu’un d’entre eux, ou dont ils n’aient pas la clef, de peur que les étrangers ne les volent ou se se livrent avec eux à des monstruosités. Une femme Juive ne peut non plus rester parmi des étrangers, car il est probable que l’adultère n’est pas un péché pour ces derniers. Le Juif ne doit pas aussi rester avec des étrangers, de peur qu’ils ne le tuent, car il est presque certain qu’ils le tueront. Les idolâtres préfèrent nos animaux à leurs propres femmes, car du jour où le serpent (c’est-à-dire le démon) commit l’adultère avec notre mère Ève, le mal est entré en elle. Les Israélites, lors de leur présence au Sinaï, furent purifiés de toute souillure, mais les autres peuples qui ne furent pas présents au Sinaï ont conservé leur perversité. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Ântabi.)
Même chapitre, page 25 — Si un Juif, cheminant dans la rue, rencontre un étranger, il le fera passer à sa droite s’il est armé d’un sabre, et à sa gauche s’il est muni d’un bâton, parce que le sabre se portant à gauche, le Juif sera plus à portée pour le retenir dans le cas où l’étranger voudrait le dégainer, et le bâton se tenant de la main droite, le juif prendra la gauche afin de retenir la main de l’autre, si celui-ci essaie de lever le bâton. Si l’étranger se trouve monter une côte, le Juif devra aller en avant et prendre garde de se baisser de peur d’être tué. Si l’autre s’informe de sa destination, il indiquera un lieu éloigné, afin que l’étranger, se fiant sur la longueur du trajet, croie toujours avoir le temps de le tuer, et que lui-même puisse, par cet expédient, avoir la vie sauve. (Approuvé par le kbakham Yakoub-el-Antabi.)
Même chapitre, page 29. — Le vin et le vinaigre qui en provient ne peuvent, sans péché, être achetés des idolâtres par un Juif, puisqu’ils s’en servent, pour leur idolâtrie ; et si un Turc ou un Chrétien touche un vase contenant du vin et appartenant à un Juif, celui-ci est obligé de jeter le vin et de nettoyer le vase ; il n’y a à cet égard aucune différence entre les idolâtres et les autres étrangers. (Approuvé par le khakam Yaeoub-ol-Antabi, qui fait observer qu’au lieu de jeter le vin il est permis de le vendre.)
Même chapitre, page 35. Les sages ont décidé que les femmes des étrangers doivent être considérées comme si elles étaient toujours réglées dès leur bas-âge, et défendent, par conséquent, tout rapport avec elles, la Bible ayant prohibé aux enfants d’Israël de prendre aucune filles des sept peuples qui habitaient la terre promise lors de l’arrivée des Israélites; mais les commentateurs du Talmud, qui ont établi une parité entre les autres peuples et les sept précités, avancent dans leurs commentaires que celle prohibition de la Bible n’a pas en vue la menstruation. puisque les femmes de ces peuples sont classées parmi les animaux, lesquels ne sont pas réglés. Les sages ont adopté cet expédient pour retenir plus forcément les Juifs; car ceux-ci pouvaient inférer de la non -impureté de la femme étrangère qui aurait ses règles, que la femme Juive, dans les mêmes conditions, n’est pas impure non plus. Ils ne sauraient pas saisir la distinction qui existe entre celle qui appartient à la classe humaine et celle qui rentre dans la catégorie des brutes. D’où l’on conclut que tous les peuples sont des animaux, et que les Juifs seuls forment le genre hu-· main. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre AROUBINN, page 62. – Si un Juil habite une maison avec un étranger qui n’observe pas le samedi, il devra tâcher de louer toute la maison afin de pouvoir faire sortir l’étranger, de peur que s’il oublie quelque objet dans la cour, cet objet ne lui soit dérobé. Les sages regardent cette prescription comme superflue, puisque les maisons qui n’appartiennent pas à des Juifs sont censées habitées par des animaux, lesquels n’ont pas réellement de maison. L’obligation de payer le loyer a pour but d’éloigner le propriétaire. On en conclut que tous les autres peuples sont des animaux et leurs demeures des étables. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Le fils de Noé qui dérobe un objet, même au-dessous de la valeur d’un para, mérite d’être tué, puisqu’il enfreint un des sept commandements que Dieu donna aux enfants de Noé; il ne saurait obtenir son pardon en aucune manière, restituât-il l’objet volé. Dieu n’ayant prescrit la restitution du vol qu’aux Israélites, si l’un de ces derniers vole et restitue l’objet volé, il est absous; mais tout outre qu’un Juif, s’il a volé moins de la valeur d’un para, mérite la mort de suite et sans miséricorde. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre BARAKHOUT, livre 1er, page 58. – Un des savants frappa un autre Juif qu’il avait surpris en adultère avec une Égyptienne. Ce Juif alla se plaindre au Gouverneur de ce qu’un de ses coreligionnaires se permettait d’exercer des actes d’autorité sans l’assentiment du gouvernement. Le Gouverneur envoya chercher le savant, et lui demanda pour quel motif il avait frappé cet homme : Parce que, dit-il, je l’ai trouvé accouplé avec une ânesse. — Avez-vous des témoins ? — Oui, lui répondit-il ; et le prophète Elie vint en personne témoigner du fait. — Pourquoi, reprit le Gouverneur, ne l’avez-vous pas tué? — Parce que, depuis que nous sommes exilés de notre patrie, nous n’avons plus d’autorité pour tuer ; quant à vous, faites ce que vous estimerez à propos. Lorsque l’un et l’autre furent sortis, le Juif dit au savant : Vous avez menti à mon égard, et Dieu pourtant a accepté votre témoignage. — Misérable ! lui répondit le savant, n’ont-elles pas le nom d’ânesse, et leur chair n’est-elle pas identique à celle de l’âne? Le savant, voyant que le Juif se disposait à retourner chez le Gouverneur pour lui rapporter ce propos, leva son bâton, lui en asséna un coup et le tua. Il résulte de là qu’aux yeux des Juifs, tous les autres peuples sont des animaux, et que celui qui manifeste cette croyance à l’autorité mérite la mort. On doit dès lors faire tout son possible pour le tuer, puisqu’il révèle un des secrets de la religion. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre BAHIAMOTETH, §6. – Les tombeaux des étrangers ne sont pas impurs. La Bible dit que ceux qui s’asseyent sur des tombeaux se souillent, mais cela s’entend des tombeaux des Juifs, lesquels ont le nom d’hommes; tandis que les étrangers ne méritent pas ce nom, et du moment où ils ne sont pas hommes, leurs tombeaux ne souillent pas. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre BETRAH, §1er, page 10. – Dieu tiendra compte aux Israélites de leurs aumônes ; quant à celles des étrangers, elles sont autant de péchés commis par eux, parce qu’ils ne les font que par ostentation et pour la conservation de leurs enfants; mais si un Juif dit, en faisant l’aumône, que c’est pour la conservation de la vie de ses enfants et pour gagner le paradis, les charités sont agréées. Cela est permis aux Juifs exclusivement. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi, qui ajoute que cela n’a lieu que lorsque l’aumône est faite par ostentation.)
Cette même opinion se trouve dans un autre endroit du même chapitre.
Chapitre BARAKHOUTH, page 58. – Celui qui regarde les tombeaux des Juifs doit dire: Béni soit celui qui nous a créé pour la loi, qui nous a fait vivre et mourir dans la loi, qui a promis de nous ressusciter par la loi, et qui connaît notre nombre; béni soit celui qui ressuscite les morts ! Mais si l’on aperçoit le tombeau d’un étranger, l’on doit dire : Honte à votre mère ! que celle qui vous a engendré soit blasphémée, car la fin de ces peuples sera mauvaise et aride comme la terre du désert. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Mohammed-Effendi (Mouça-Abou-el-Afièh) ajoute: Lorsque le Talmud avance quelque proposition touchant les autres peuples, il veut parler de tous, même de ceux qui ne sont pas idolâtres ; il y a quelques prescriptions spéciales pour ces derniers ; les preuves à cet égard sont nombreuses : ainsi, ce qui concerne le vin, n’est écrit dans le Talmud que pour les idolâtres, mais le fait est que cela se rapporte à tous les autres ; il en est de même pour le bien d’autrui. Si un Juif trouve un objet perdu par un Musulman, ou par un homme de toute autre croyance, il ne doit pas le rendre, même s’il en connaît le propriétaire ; si un étranger se trompe dans ses comptes avec un Juif, ou s’il oublie quelque chose chez ce dernier, il est permis au Juif d’en profiter, et il volerait s’il n’avait pas à craindre l’autorité! Toujours est-il que toutes les fois qu’il pourra prendre quelque chose, il devra le prendre. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
S’il surgit un procès entre deux Juifs, ceux-ci sont tenus d’aller à leurs juges, et si l’un d’eux veut porter l’affaire à un tribunal étranger, il devient impie, sacrilège, réprouvé et excommunié de la religion juive, quand bien même le tribunal auquel il s’adresserait jugerait d’après leurs lois. Le grand rabbin doit tout tenter pour faire perdre la cause à celui qui réclame la juridiction étrangère, en suscitant même contre lui de faux témoins ; il devra ensuite punir un tel individu: cela n’est pas dans le Tawrat (la Bible), on ne le trouve que dans les commentaires du Talmud. Lorsque le Talmud a été écrit il n’existait pas de Musulmans; aujourd’hui ces derniers sont classés dans la catégorie des étrangers. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi, qui affirme que c’est un péché de porter des causes à un tribunal étranger, et qu’on doit faire tout son possible pour réparer le tort occasionné par ce recours à la partie adverse.)
CONTINUATION DES INTERROGATOIRES.
Mercredi 28 de la lune de moharrem 1256.
Demande a Daoud-Arari : Où sont les cléfs et la montre ?
R. J’ai vu Mouça-Salonikli prendre la montre, quant aux clefs, je n’en sais rien.
Même question au barbier Suleïman.
R. Daoud et ses frères ont dépouillé le père Thomas, les autres assistaient, et je ne me suis approché qu’après qu’on l’eut dépouillé.
D. à Daoud-Arari : D’après ce qu’assure Suleïman, c’est vous et vos frères qui avez dépouillé le cadavre, ces objets doivent donc être chez vous I
R. de Daoud-Ârari : Les autres étaient également présents, la montre est restée au pouvoir de Mouça-Salonikii.
Mouça-Salonikli comparaît, et l’on questionne en sa présence Daoud-Arari.
R. de Daoud-Arari : La vérité est que j’ai vu la montre entre les mains de Mouça-Salonikli.
D. à Mouça-Salonikli: Où est la montre?
R. Je ne l’ai prise, ni ne l’ai vue. Depuis les fêtes je ne suis pas entré chez Daoud-Arari , ni ne me suis trouvé avec eux, et je n’ai aucune notion de ces affaires.
Daoud-Arari l’interpellant : N’est-ce pas vous qui avez pris la montre et le sang ? n’avez-vous pas remis le sang à Mouça-Abou-el-Afièh ? et la montre n’est-elle pas restée entre vos mains ?
R. de Mouça-Salonikli : Je n’ai rien vu, absolument rien.
Le Pacha : Mouça ! plusieurs témoignages s’élèvent à votre charge, vos propres complices déclarent que vous étiez avec eux, et vous persistez dans vos dénégations ; présentez-moi seulement deux témoins qui disent où vous étiez au moment du meurtre du père Thomas.
R. Je me trouvais chez moi , et ma famille peut l’attester ; je n’ai pas d’autres témoins.
Sur l’observation que cela ne suffit pas, il répond : Je n’en ai pas d’autres.
D. à Daoud-Arari : Est-ce vous qui lui avez remis la montre, ou est-ce lui qui l’a prise ?
R. Il s’en est emparé lorsqu’on eut dépouillé le Père ; pour ce qui est des clefs , je ne les lui ai pas vu prendre : il est possible qu’elles fussent entre ses mains, mais je ne les ai pas vues.
D. au même : Lorsque vous dépouillâtes le cadavre, vous étiez là tous les sept : avez-vous opéré tous ensemble, ou seulement vous et votre frère?
R. Nous étions tous les sept à le dépouiller; les uns le tenaient debout, tandis que les autres le dépouillaient, je me rappelle que nous étions tous là.
Jeudi 29 de la lune de moharrem.
On amène Isaac-Arari et son frère Daoud, on leur demande ce qu’est devenue la montre?
R. Elle est restée au pouvoir de Mouça-Salonikli.
D. Comment a-t-elle été en son pouvoir?
R. Il a allongé la main et il l’a prise.
D. Quand l’a-t-il prise?
R. Après qu’on eut dépouillé le Père il allongea la main, et l’a prise de dessus les habits.
Mouça-Salouikii est amené, on lui demande où est la montre?
R. Je ne l’ai pas vue.
D. Voilà Daoud et Isaac-Arari, qui tous deux attestent que vous avez pris la montre.
R. Ils mentent.
Le Pacha : ils témoignent contre vous sur leur religion.
R. Ils sont hors de la religion.
Le Pacha fait jurer les deux déclarants sur la Bible et par Moïse, et ils affirment, sous serment, que la montre est demeurée au pouvoir de Mouça Salonikli.
Mouça-Salonikli à ses coaccusés : Témoins ne me tyrannisez pas !
Les deux accusés : Que Dieu nous tyrannise si nous vous tyrannisons.
Extraits supplémentaires du Talmud, transcrits par Mouça Abou-el-Afièh, ex – rabbin ( aujourd’hui Mohammed-Effendi), approuvés par le khakham Yakoub-el-Antabi, grand rabbin de la nation juive à Damas, après confrontation de la traduction avec le texte.
THORIORODE, ouvrage du rabbin Yakoub, un des savants rabbins les plus appréciés des Juifs pour ses opinions en matières religieuses. — Le chapitre 158 défend de faire sortir d’un puits l’étranger qu’on y aura fait descendre ; défense est faite pareillement à tout médecin Juif de traiter l’étranger malade, à moins, toutefois, qu’il ne soit en position de lui nuire, et alors il devra s’en faire payer, ou à moins encore que ce médecin, manquant d’expérience, ne veuille s’exercer à la médecine, auquel cas il prêtera gratuitement son assistance. — Le traducteur observe que ces deux prescriptions ne sont pas suivies aujourd’hui. Après quelques explications sur quelques sectaires Juifs qu’on regarde comme excommuniés, Mouça-Abou-el-Afièh cite Rouzich, qui, dans ses commentaires du Talmud ( chapitres Koumarath et Abourazadah ), parlant des Juifs dénonciateurs et de ceux qui mangent des viandes non écorchées, dit qu’il faut les tuer et que la prescription est de rigueur.
Relativement à ce que dit le livre Thoriorode, qu’il ne faut pas que les médecins Juifs traitent les étrangers malades, même moyennant salaire, le rabbin Roubbi, rapprochant cette prescription d’un passage de Ketteirr, où il est dit que Roubbi-Richmi, fils d’Aïchi, a composé un médicament pour un étranger malade, sans doute moyennant salaire , se fait cette question : comment la chose n’est elle pas permise, moyennant finance? Et il répond : il est possible que ce médecin ait donné ses médicaments gratuitement et dans le but de faire des expériences. En ce sens la chose est permise, surtout si l’on n’est pas bon médecin et afin de s’instruire; car pour soigner les Juifs, on ne doit pas exercer la médecine à moins d’être très habile.
D’après cela, un médecin savant ne doit pas traiter les étrangers, même moyennant salaire ; mais si le médecin craint de se faire un ennemi du malade, et que ce dernier sache positivement que le Juif est médecin, et que celui-ci ne puisse pas se dispenser de le traiter, il est admis à le faire et à demander un salaire, puisqu’en exigeant ce salaire il ne risque pas d’une part de l’indisposer, etc. (Approuve par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Chapitre Koummah, page 36. — Le savant rabbin Roubni-Mouça, fils de Meymounah, dans son commentaire intitulé Machti, après avoir cité comme apologue le combat de deux taureaux appartenant à un Juif et à un Égyptien, dit : S’il se présente une cause entre un Juif et un Égyptien, l’affaire doit se régler comme il suit : Si le Juif a raison d’après la loi égyptienne, il doit aller à l’autorité égyptienne et lui dire : Telle est votre loi ; mais s’il trouve à sa convenance d’aller à un tribunal juif, il ne doit pas comparaître à un autre tribunal et dire : Telle est votre loi. Le même savant ajoute : Il ne faut pas s’étonner de telles conditions, pas plus que de l’égorgement des animaux, car ceux qui n’observent pas les principes commandés au genre humain ne sont pas des hommes, et leur présence sur la terre est pour l’usage des humains. ( Approuvé par le kbakham Yakoub-el-Antabi.)
Roubbi-Suleïman, que les Juifs nomment Reschi, compilateur de la Bible, au sujet de ce qui est arrivé aux Juifs lors de leur sortie d’Égypte, et des regrets qu’éprouva Pharaon de les avoir laissé partir, ainsi que de la résolution qu’il prit de les poursuivre afin de les faire rentrer en Égypte, Roubbi-Suleïman observe ce qui suit : La Bible dit qu’il ordonna à la cavalerie ainsi qu’à toute la troupe des braves Égyptiens, etc. ; mais où avait-il pris cette cavalerie, puisque Dieu, ayant fait tomber la grêle sur Égypte, la Bible dit que tous les animaux périrent, KotubbiSukelman répond : Ces chevaux appartenaient à ceux des Égyptiens qui avaient la crainte de Dieu, et, en effet, d’après la Bible, ceux qui craignaient Dieu et la parole de Moise mirent leurs animaux à l’abri avant la chute de la grêle. Ce sont de ces chevaux probablement que s’est servi Pharaon pour poursuivre les Israélites. Au sujet de ce qui arriva à ces chevaux, lors de leur entrée dans la mer Rouge, c’est-à-dire qu’ils se noyèrent, Roubbi-Suleïman dit : Tuez le meilleur des étrangers, et écraser la tête au meilleur des serpents. (Approuvé par le khakham Yakoub-el Antabi. )
Chapitre Barakouth, page 50. — Explication des tremblements de terre fondée sur les regret qu’éprouve Dieu à cause des misères des Juifs, ce qui le porte à frapper du pied contre son trône. (Approuvé par le khakham Yakoub-el- Antabi.)
Chapitre Khettinn, page 62. — Défense aux Juifs de saluer les étrangers, à moins que ce ne soit pour éviter de s’attirer leur inimitié; mais ils ne doivent pas les saluer deux fois ; sur l’observation faite à l’auteur qu’il y a des savants qui donnent le salut aux étrangers, il répond que ceux-là disent : salut à M*** et qu’ils entendent par là le maître qui leur a appris la Bible.(Approuvé parle khakham Yakonb-el-Antabi.)
Chapitre BATRATH, page 16. — Esaü, fils d’Isaac, a péché cinq fois dans un jour : c’est-à-dire qu’il a commis l’adultère avec une pécheresse, qu’il a tué son semblable, profané le nom de Dieu insulté à la résurrection des morts qui devaient ressusciter à la venue du Messie, et dégradé le droit d’aînesse (citation de son abandon du droit d’aînesse à Jaçob). Oe rapporte qu’Ismaël, fils d’Abraham, lors de la naissance de son frère Isaac, riait, et que Sarah s’en aperçut, d’où l’on a conclu qu’il commettait l’adultère; d’autres disent que Sarah l’avait vu commettre un meurtre. Roubbi-Suleïman, connu sous le nom de Reschi, en déduit qu’il a violé les sept commandements, et que puisqu’Ismaël, fils d’Abraham, est la souche des Musulmans, le témoignage de ces derniers contre les Juifs n’est pas admissible. (Ici quelques observations de Mohammed-Effendi en faveur de l’Islamisme.)
Abou-el-Afièh ajoute : Outre la haine profonde que les Juifs nourrissent contre les autres peuples, ils ont dans leur croyance religieuse des choses singulières et qu’il est impossible de détailler entre autres, le pain qu’ils mangent leur est défendu s’il est fait chez des étrangers, afin d’empêcher toute relation amicale avec ces derniers ; celui que l’on vend au marché peut être acheté et mangé, attendu qu’il n’en résulte aucun rapport d’amitié, puisqu’il est la contre-valeur d’un prix payé, mais encore, il faut que le marchand l’ait confectionné exprès pour être vendu, car s’il avait été fait pour sa consommation et qu’il le mit en vente, ce pain ne saurait être permis. (Approuvé par le khakham Yakoubel-Antabi.)
Se nourrir d’aliments préparés par des étrangers est défendu, même s’ils l’ont été dans des ustensiles appartenant à des Juifs et en présence de Juifs; cela s’étend jusqu’à un œuf rôti. Il y a à cet égard de nombreuses dissertations dans les livres. Quant aux boissons, si un étranger leur touche, il est impossible de les boire ; on doit jeter le vin-et laver le vase ; il en est de même en ce qui concerne le raisin. Et cela, je le répète, afin d’éviter tout sujet de rapprochement entre les Juifs et les autres peuples. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Le dénonciateur qui cause un préjudice à l’un de ses coreligionnaires en faveur d’un étranger, qui parle contre lui, à l’autorité locale, de manière à ce qu’il puisse en résulter des amendes, ou des coups, ou la mort, mérite la mort, quand bien même le dénoncé serait le plus grand des coquins, et qu’il eût fait au dénonciateur tout le mal possible. Le livre Khaléhah-Ouarat-Hakhen-Méchiath, qui est un des livres Ies plus accrédités pour tout ce qui touche à la religion et pour lequel il n’y a pas de dissidence parmi les Juifs, parle, au chapitre 388 d’un dénonciateur dans le cas précité, et dit, au sujet d’un tel individu, qu’il n’a pas de place dans l’autre monde ; il va plus loin, et affirme qui n’eût-il eu que l’idée de dénoncer, s’il a fait connaître qu’il avait cette idée, tant en ce qui concerne la personne qu’en ce qui regarde les biens, ou même pour la moindre chose, il est de suite condamné à mort, et les personnes présentes sont obligées de l’assommer et de l’assassiner avant qu’il ait mis son projet à exécution. Tous ceux qui ont le bonheur de contribuer à sa mort, obtiennent pleine indulgence, et si le dénonciateur a dénoncé trois fois des Juifs sans qu’on ait pu l’assommer, il est nécessaire de se former en assemblée et de se consulter pour trou ver un moyen, un prétexte quelconque, afin de le faire disparaître de ce monde. Toutes les sommes qui devront être dépensées pour cet objet seront acquittées par tous les Juifs habitant la même localité. (Approuvé par le kbakham Yakoub-el-A.ntalH.)
Chapitre BARAKOUT, page 17. — Formule de prière des sages, dans laquelle il est dit que ce qui les empêche de faire la volonté de Dieu, ce sont les démons, et leur dépendance des peuples étrangers. (Approuvé par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Même Chapitre , page 20. — Article où Dieu explique aux anges pourquoi il a permis l’usure aux Juifs exclusivement, c’est-à-dire à cause que Dieu leur ayant recommandé de lui rendre grâces après leurs repas, ils font plus encore, et le remercient quand ils n’ont mangé qu’un œuf ou une olive. (Approuve par le khakham Yakoub-el-Antabi.)
Même Chapitre, page 25. – Défense de prier devant des étrangers qui seront en état de nudité, quoiqu’ils soient rangés dans la catégorie des animaux. ( Approuvé par le khakham Yakoub-elAulabi.)
Le Pacha invite le khakham Yakoub-el-Antabi a écrire de sa main son approbation à toutes ces traductions, à quoi il répond : qu’il ne sait pas écrire l’arabe; on l’engage à écrire en hébreu, il répond : Pourquoi écrirai-je mon approbation de ma main !
si quelqu’un nie, les livres sont-là en nombre considérable, ils donneront un démenti à ceux qui voudront contester, ce qui est plus important que ma signature.
Le 4 de la lune de satfar 1256.
LETTRE DU CONSUL DE FRANCE A CHÉRIF-PACHA ,
sous le ri* 28.
Damas, le 22 avril 1840.
« Dans ma lettre n° 22 , j’ai eu l’honneur de faire connaître à Votre Excellence que l’on pratiquait de sourdes menées, touchant les Juifs qui se trouvent en prison. Aujourd’hui, j’apprends que le nommé Khalil Sednaoui, agent de Mobammed-Telli, a reçu des propositions d’argent de la part de deux Juifs, dont l’un, le nommé Eliaou-Nahmed, Alépin [FG : habitant d’Alep] et ami d’Isaac-Picciotto [FG : Juif, protégé par l’Autriche], dans le cas où il consentirait à faire une déclaration en sens inverse de toutes celles qui ont été faites par tant d’autres : il lui a été promis, non-seulement une somme de quelques milliers de talaris, mais encore une protection consulaire.
» J’ai l’honneur, etc. »
Signé : le comte de Ratti-Menton.
LETTRE DU MÊME AU MÊME,
sous le n° 28 bis.
Damas, le 11 avril 1840.
« Je dois ajouter à mon n° 22 de nouvelles informations sur les intrigues pratiquées par les Juifs, et sur les mouvements qu’ils se donnent. J’expose donc à V. E, qu’un Juif, intermédiaire de ses coreligionnaires a demandé, par l’intremise d’un protégé d’un autre consulat que le mien, à s’aboucher avec le sieur Chubli, et à se réunir tous les trois pour traiter une affaire importante. Celle réunion a eu lieu de mon consentement, afin de connaître le but de l’intermédiaire Juif; celui-ci a formulé quatre propositions :
1° Cessation de toute traduction des livres juifs, parce que, disait-il, c’était une humiliation pour la nation;
2° Non inscription dans les procès.verbaux de la procédure, des traductions et des explications de livres hébreux, faites par Mouça·Abou·el.Afièh, et de plus leur destruction complète;
3° Intervention auprès de moi pour obtenir de V. E.la mise en liberté du mâallem Raphaël-Fuarkhi;
4° Adoption de mesures propres à obtenir un traitement moins sévère en faveur des condamnés, par la commutation de la peine de mort en tout autre punition.
Ces quatre points obtenus, on payait cinq cent mille piastres : cent cinquante mille piastres comptant au moment de la ratification, et les trois cent cinquante mille restant payables après que tout serait terminé. Chubli restait libre de partager la somme totale avec qui bon lui semblerait.
Le lendemain, ce même Juif alla trouver Chubli avec un sac contenant de la monnaie d’argent envoyée par la famille de Méhir-Farkhi, chez qui a été assassiné le domestique du père Thomas. D’après l’aveu du porteur, qu’il ne connaissait pas le but de cet envoi d’argent, mais qu’il se montait à cinq mille piastres (il fut reconnu que cette somme provenait de la promesse spéciale que Méhir-Farkhi avait faite à Chubli, ainsi que V.E. en a été informée en temps utiles, afin que Chubli l’assistât dans la cause personnelle où il se trouvait impliqué), ce sac resta déposé jusqu’à nouvel ordre : il fut reconnu ne contenir que quatre mille trois cent quatre-vingt deux piastres. Le sieur Chubli ayant ensuite demandé au Juif d’où l’on devait prendre les cinq cent mille piastres en question, et quelles étaient les personnes qui avaient consenti à y contribuer, le Juif répondit que quelques rabbins et le procureur de la caisse nationale avaient été de cet avis, et que cette somme ne devait être prise sur personne, mais qu’elle se trouvait prête dans la caisse de la synagogue, appelée caisse des pauvres; de ne rien craindre, par conséquent, de la publicité de cette affaire, puisque personne n’avait rien à payer.
» Voilà les propositions portées par ledit intermédiaire, une réponse négative lui fut donnée (37).
» Un Chrétien bien connu est venu offrir, quelque temps auparavant, à M. Beaudin, de la part des Juifs, une somme de cent cinquante mille piastres, afin de détourner, autant que possible, les soupçons qui pesaient sur la nation juive, ajoutant qu’on augmenterait cette somme si elle ne paraissait pas suffisante.
» Ces deux incidents, joints à celui qui fait l’objet de ma lettre en date d’aujourd’hui, complètent, quant à présent, les informations que j »ai été en mesure de recueillir sur les intrigues ourdies par les principaux Juifs.
» J’ai l’honneur , etc. »
Signé: le comte de Ratti-Menton.
D’après le contenu de ces deux lettres, Seïd Mohammed-el-Telli (38) et Khalil-Sednaoui, ont été cités à comparaître, et Seïd Mohammed-el-Telli seul comparait ; interrogé par le Pacha, il répond sur les faits ci dessus ; mais Khalil-Sednaoui n’y étant pas, l’affaire a été remise au lendemain, où tous deux devront comparaître.
Jeudi 21 de la lune de saffar 1256.
Interrogé, Khahil-Sednaoui répond ce qui suit : Je tiens en location une taverne dans le quartier des Juifs, près, la maison d’Eliaou-Nahmed. Le lundi, 16 du courant, me trouvant dans ma taverne Eliaou Nahmed, qui était sur le seuil de sa porte, m’invita à entrer chez lui : j’y fus. Il me demanda : Que signifie cette affaire? et pourquoi tout cela? — De quoi s’agit-il, répondis-je ? — Lorsque tu étais en prison, me dit-il, ta femme dit : Mon mari est battu, je ferai apparaître le père Thomas [FG : = faire un faux témoignage disant qu’elle a vu le père Thomas ailleurs que là où il avait été vu pour la dernière fois]. — Ma femme, répondis-je, n’a pas pu dire cela, ni ne le pourra, ni elle ne le sait. — C’est une chose claire, me dit-il ; s’il y avait un peu d’argent à gagner ainsi qu’une protection, cela ne serait-il pas mieux que d’avoir à faire le voyage d’Alexandrie, et d’avoir à subir des interrogatoires au moyen de la torture. Moi je veux ton bien dans ceci, puisque tu habites le quartier et que tu as rendu quelques services. Le procès des autres sera porté devant le consul-général d’Autriche à Alexandrie (39), et le consul de France n’y a plus rien à voir.
La cause doit être débattue devant le consul-général d’Autriche [FG :lequel consul d’Autriche est un Juif : Joseph Eliaou …]. Telli sera mandé ainsi que Mançour-Tayan, Mouça-Sadakha, Chubli Ayoub, Francis Salima et toi : Telli sera battu et dira que Dimitri-Bulad et Hanna-Abdo lui ont fait la leçon ; on te bâtonnera aussi, et tu déclareras que Telli t’a appris à placer les os dans le canal ; on battra le barbier Suleïman, jusqu’à ce qu’il dise que c’est Telli qui lui a appris à compromettre les principaux Juifs. L’affaire est arrangée de cette manière, et si tu ne crois pas aux serments que je ferai sur ton Christ et sur ta sainte Marie, je te ferai alors serment sur le Tfelline. Il jura qu’il ne m’arriverait pas plus de mal qu’à eux, après quoi il me dit : Eh bien! dis-moi ? — Que voulez vous que je dise ? répondis-je. — Je vois bien, répliqua-t-il, que jusqu’à présent tu ne m’as pas voulu croire, viens avec moi que je te montre la copie de la grâce, la patente et l’argent.
Je fus avec lui chez le consul d’Autriche, on me présenta une chaise, je m’assis, ainsi que le Consul, Picciolto, Eliaou-Nahmed et le chancelier du consulat. Picciotto servait de drogman entre le Consul et moi. — Expliquez vous, dit-il, de manière à nous éclaircir, et de cette façon vous obtiendrez la protection et l’argent. — Que voulez-vous que je vous explique, répondis-je? — Pourquoi donc êtes-vous venu ? — Eliaou-Nahmed m’a conduit ici pour que je vous dise ce qui peut vous convenir, écrivez et j’approuverai. — Parlez, me dit Picciotto, et il porta la main à la poche pour me montrer qu’il allait le compter. Je lui fis observer que sa poche était trop petite pour contenir toute la somme. — Votre affaire, dit- il, est de recevoir l’argent, n’importe de qui ; on va vous le compter. — Je suis à temps pour le recevoir, mais j’ai besoin de trois jours de réflexion. — Sommes-nous à vos yeux des femmes et des enfants; celui qui peut parler après trois jours peut aussi bien parler dans le moment ; et si vous doutez encore, M. le Consul jurera sur son honneur. Vous resterez toujours avec lui, avec votre famille. Si vous désirez aller à Alexandrie, on vous y enverra, ou à Alep, en qualité de drogman, ou bien à Beyrouth. — Remettons cette affaire à demain, lui dis-je, car si l’on n’a pas de maître on a au moins un associé (proverbe arabe). — Mon enfant, reprit-il, la queue de la fortune est glissante (autre proverbe arabe) ; ne la prenez pas par la queue, mais bien par la tète.
Il parlèrent encore beaucoup de manière que je ne puis me rappeler pour répéter ici tout ce qu’ils ont pu dire. Finalement, répondis-je, il est nuit maintenant, et suivant le proverbe, paroles de nuit sont sans valeur ; attendez à demain , je consulterai mon associé et vous donnerai une réponse. — On vous accorde six jours de temps, mais il faut revenir avec des données positives.
Le lendemain mardi, j’allai trouver Nahmed ; il me demanda quel était mon associé? — Mohammed el-Telli, lui répondis-je; et il me fil observer que ce que savait Telli, je devais le savoir moi-même. — C’est vrai, lui dis-je, nous craignons Telli. — Ne craignez rien. — Vous avez d’ailleurs envoyé chez lui pour lui proposer quatre mille ducats de Hollande. — C’est la vérité, répondit-il, mais nous n’avons pas eu confiance en lui ; n’y pensez pas, je le ferai consentir à vous parler comme vous le désirez ; soyez sans inquiétude par rapport à lui.
Je me levai pour aller chez Telli lui raconter, et Nahmed se leva pour préparer l’argent. Dès que Telli reçut cet avis, il se rendit au consulat pour en informer. Le mercredi, le consul de France me fit appeler; questionné par lui, je répondis à peu près ce qui précède : Allez me dit- il, et tâchez d’obtenir par écrit ce qu’ils désirent ; prenez l’argent et apportez le tout ici, afin qu’avec ces preuves, et suivi de vous je me transporte chez le Pacha.
L’ayant laissé, j’allai, d’après le conseil de Telli, chez Eliaou-Nahmed, dire à celui-ci que j’avais obtenu le consentement de Telli, qu’il préparât l’argent. Il vint avec moi chez lui, remettre la somme et recevoir de son côté ce qu’il désirait. Cette commission remplie, on me répondit : Puisqu’il en est ainsi, trouve quelqu’un pour recevoir l’argent, ou bien laisse-le à la chancellerie d’Autriche, dans une caisse dont tu auras la clef; lorsque tu auras fait ta déclaration, tu prendras l’argent et la patente du Consul ; sois sans crainte, le procès doit être instruit de nouveau ; et si tu nous apprends réellement où se trouve le père Thomas, le consul d’Autriche demandera de la troupe au Pacha, et sans te nommer il ira examiner l’endroit. — Je ne reconnais, lui répondis-je, ni procureur, ni caisse, mais bien ma boutique et ma poche ; que ce soit chez Telli ou chez moi, comme il vous plaira ; comptez-nous l’argent, et prenez ce que vous désirez. Nous convînmes qu’après le mogreb je viendrais avec Telli. Je ne rencontrai pas ce dernier, j’allai en prévenir. — Où donc est-il, me demanda-t-on ? — je répondis que je ne l’avais pas trouvé chez lui. — Sur l’honneur de ta femme, avoue la vérité, nous avons mangé le pain et le sel ensemble, tu es comme de la famille, sois donc sincère ? Telli a été demandé chez le Pacha : pour quelle raison? — Je l’ignore, mais il est probable que c’est pour le khoradj ; il ne tardera pas du reste à revenir, je m’en informerai, et je le conduirai-ici ; dans tous les cas, soyez tranquille, Telli ne parle pas.
Je me rendis, vers le letchai, au domicile de Telli, je le rencontrai qui se dirigeait vers la maison ; j’entrai, et lui racontai les inquiétude qu’ils éprouvaient, sachant qu’il était allé au sérail et le désir qu’ils avaient que nous allassions ensemble les trouver. — Donnons le bonjour, dit-il, et non le bonsoir (proverbe arabe) ; s’ils sont impatients de me parler, qu’ils viennent avec la somme, et ils auront leur déclaration. Étant allé porter cette réponse à Nahmed, celui-ci me renvoya pour que je conduisisse Telli près de lui. Je trouvai ce dernier absent ; mais le sachant chez Hanna-Taouïl, j’allai lui dire qu’il fallait absolument qu’il passât chez Nahmed ; en ce moment on frappa à la porte, et Giorgi-el-Khammani annonça qu’il y avait chez Telli des Juifs qui le demandaient. Nous nous transportâmes de la maison de Taouïl chez Telli, et nous y trouvâmes Eliaou Nahmed et un domestique. Ayant demandé à Giorgi où était le second juif, il me répondit : L’autre est un protégé Européen nommé Isaac-Zalta, il s’est dirigé, avec deux ou trois autres de ses coreligionnaires, vers la porte du quartier juif.
Nous entrâmes chez Telli, et Nalimed causa avec lui de l’objet en question.
On amène Seïd-Mohammed-el-Telli, auquel lecture est donnée du rapport qui précède ; on lui demande ce qu’il en pense, et il répond, que toute la déclaration de Sednaoui est parfaitement exacte ; puis il ajoute : c’est ce que j’ai déjà dit hier à V. E. On devait nous remettre l’argent dans la soirée, j’allai an rendez-vous pour venir ensuite aujourd’hui exposer à V. E. ce qui se serait passé. Il résulta donc qu’Eliaou-Nahmed, ainsi que le savent Giorgi-el-Kbammani et Mohammed le portier, voulait me mener chez lui ; mais ayant appris par Isaac-Zalta, que je venais de chez Taouïl, il avait changé d’idée, et s’était dirigé vers la porte du quartier juif.
Une fois entré, Eliaou-Nahmed me dit : C’est vrai que je vous ai déjà parlé, mais nous n’avions pas de confiance; maintenant que Khalil-Sednaoui est notre intermédiaire, il n’y a plus entre nous que ce que Dieu a défendu. Je viens chez vous par suite de l’amitié qui s’est établie entre nous, et pour votre bien dans cette affaire, car il faut savoir qu’elle est terminée. Soyez sans crainte, M. le consul d’Autriche vous accordera une protection complète, et chez lui rien ne pourra vous atteindre, pas même la pluie du ciel. J’ai entendu que d’autres vous avaient promis cinquante mille piastres et la protection : en avez-vous eu autre chose que des mensonges et des balivernes? Ceux-là ne donnent rien, ils vous ont trompé pour vous perdre, vous n’en obtiendrez rien ; nous autres, nous payons comptant. Ne nous consignez votre déclaration écrite que lors vous aurez en poche la patente de protection. M. Pieciotto vous fait ses compliments, vous prie d’oublier ce qui a eu lieu entre vous et lui ; en dédommagement, il veut vous faire du bien ; il sait que vous n’avez rien reçu. Si vous ne me croyez pas, si vous vous méfiez de moi, allons ensemble chez M. le Consul d’Autriche qui vous l’attestera sur l’honneur ; et Isaac-Picciotto jurera sur quelque chose qui ne vous permettra plus de douter.
Je lui répondis : Je fais grand cas de votre assistance, je ne doute pas de votre parole, et je tiendrai la mienne si vous voulez m’indiquer la marche à suivre, j’en suis convenu avec Khalil-Sednaoui ; mais je ne vais ni chez le Consul ni chez vous, je reste ici : apportez l’argent avec qui bon vous semblera, même avec une personne du consulat; si vous avez quelque crainte, faites-moi un brouillon que je mettrai au net, et que je signerai et scellerai. — Nous n’avons pas de brouillon, répondit-il, nous voulons que vous le fassiez. — En vérité, lui dis-je, je ne sais rien autre que ce que tout le monde sait aussi clair que le soleil est visible. La route du mensonge est courte (proverbe arabe) ; si je vous fais un conte et qu’ensuite on n’en voie pas la fin, ce sera un ridicule pour vous et pour moi, car on se livrera à des recherches rigoureuses et suivies. Je sais, en effet, que vous avez proféré des plaintes et fait des histoires ; vous avez dit que vous possédiez des preuves suffisantes pour la disparition du père Thomas, et que je vous ai calomniés. Si vous connaissez une route sûre et pour vous et pour moi, si vous avez une base solide sur laquelle il soit possible de s’appuyer remettez-moi une note et je me réglerai en conséquence. — Je demande de vous la vérité, me dit-il, si nous avions quelque chose de ce genre nous n’aurions pas besoin de vous. — Et moi aussi, lui répondis-je , si j’avais quelque chose de pareil, il y a longtemps que, dans mon propre intérêt, je l’aurais manifesté. — Sednaoui, dit Nahmed, ne s’est pas expliqué dans ce sens, il m’a dit : Donnez-moi de l’argent, et je vous indiquerai où il est (le Père), et ce, avec des preuves incontestables ; il parait donc que jusqu’à présent vous n’avez pas confiance en moi; je veux vous conduire chez le Consul, vous vous refusez. Si je ne vous inspire pas de confiance, dites-le, que je m’en aille. — Je ne sais rien, répliquai-je, je ne puis pas dire de mensonge, et si Sednaoui avance quelque chose de semblable, le voilà présent. Il s’adressa alors à Sednaoui, en lui disant: N’avez-vous pas parlé de la sorte ? En effet, répondit Sednaoui [le tavernier], je le dis encore à présent, et je le répéterai demain, qu’il me remette l’argent, et je déclarerai devant le Pacha où il est [le père Thomas] ; demain matin, je le ferai comprendre à Seïd-Mobammed-el-Telli ; si celui-ci juge à propos de me croire, bien ! sinon, moi je vous le dirai; seulement, remettez-moi l’argent.
Sur ce, Seid-Mohammed-el-Telli se retira.
Le Consul de France demanda à Sednaoui : Comment pouvez-vous assurer que vous savez cela et que vous le direz? — Sans doute, dit-il, et vous aussi, vous savez où se trouvent ses os, et d’où nous les avons retirés lorsque nous avons été les chercher en présence de l’autorité. Mon intention à moi est de prendre leur argent, en leur disant la vérité ; je n’ai pas d’autre but, et la somme une fois reçue, s’ils me cherchent querelle, je me présenterai avec eux au Pacha, qui jugera l’affaire.
FIN DE LA PROCÉDURE RELATIVE À L’ASSASSIAT DU P. THOMAS.
NOTES EXPLICATIVES
POUR L’INTELLIGENCE
DE LA PROCÉDURE ARABE
relative à l’assassinat du père Thomas.
(1) – Après l’ârs page 7.
Les heures dont il est question dans le journal sont les heures à la turque ; la période diurne commençant au coucher du soleil, ou mogreb, se divise en deux parties égales chacune de douze heures ; à partir de la première heure après le coucher du soleil on compte une heure de nuit; et que la lumière ait paru ou non, depuis cette douzième heure, on commence à compter les heures du jour. On appelle âsr, la moyenne approximative entre midi et le coucher du soleil ; le letchai a lieu une heure et demie après le mogreb.
(2) Tel est le rapport que l’on présenta… page 9.
Les renseignements contenus dans cet exposé au Pacha ont été transmis au département des affaires étrangères (direction commerciale), dans le rapport de M. le comte de Ratti-Menton, consul de France à Damas, du 29 février 1840.
(3) Avec ordre de fouiller les endroits suspects, page 10.
Le quartier juif à Damas est souterrainement sillonné par une infinité de conduits où l’on jette les immondices du quartier. On y voit d’ailleurs un nombre de petites rues tortueuses et tellement étroites que plus de deux hommes de front auraient peine à y passer ; non-seulement beaucoup de maisons ont des caves superposées les unes sur les autres, mais on trouve dans les murs des appartements du rez-de-chaussée des armoires factices, dont on ne reconnaît l’existence qu’en frappant au fond, lequel n’est en réalité qu’une petite porte communiquant avec des chambres d’habitation et souvent de sombres cachettes. C’est au sujet de l’ordre donné pour la perquisition des lieux suspects, qu’il convient de relever une assertion erronée et imprudemment publiée par ceux qui prétendent que l’inculpation qui pèse sur quelques Juifs de Damas a été dictée par un esprit de spoliation, attendu qu’ils sont tous les plus riches parmi les individus de cette ville. Ce fut le vendredi 17 février que les perquisitions domiciliaires commencèrent; jusqu’alors il n’était venu à l’esprit de personne, ni au consulat de France, ni à la police locale, de se livrer à des recherches chez les quatorze inculpés : les explorations avaient principalement pour objet les maisons des gens du peuple, dans les quartiers vraiment suspects par leur physionomie, leurs souterrains et leurs cloaques. Les frères Arari et consorts n’ont été arrêtés que le vendredi 24, et les investigations dans leur domicile n’ont commencé qu’après leur arrestation.
(4) Vers le commencement de ce quartier, P.10.
L’endroit où les deux Grecs ont rencontré le domestique du père Thomas forme de ce côté de la ville une des limites des quartiers juif et chrétien.
(5) Il n’en existait pas sur la porte de la synagogue, page 11.
Le père Thomas a disparu le mercredi après midi ; le vendredi le Consul de France se transporta, accompagné de diverses personnes, à la principale synagogue : des recherches minutieuses furent faites tant sur la porte extérieure que sur celle qui donne dans une ruelle, près de la maison du chahadèh Siambouli. Il fut impossible de découvrir aucune trace d’où l’on pût inférer que le père Thomas était arrivé jusque-là; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait été vu par plusieurs Juifs dans leur quartier, et que la dame Lisbona, Juive, l’avait aperçu dans la rue où est située la maison de Daoud-Arari, marchant très-vite et accompagné de huit à neuf Israélites : elle dit même lui avoir adressé la parole. Cette dame, qui n’a été interrogée judiciairement que trois jours trop tard, par la faute du Consul d’Autriche à qui on l’avait demandé – vainement à diverses reprises, a rétracté l’aveu qu’elle avait fait devant la femme et les domestiques du docteur Lograsso, dans un moment où elle ne prévoyait pas la portée d’un tel aveu.
(6) Qu’il l’avait enlevé et posé plus haut, p. 12.
Pendant les deux premiers jours que le barbier Suleïman est resté au consulat de France, où le Pacha avait consenti à le laisser, dans l’espoir qu’il ferait, sans traitement violent, quelque révélation utile, on ne put obtenir de lui d’autre déclaration, sinon que le père Thomas avait apposé l’affiche sur la porte de la synagogue le mercredi après l’ârs. Le troisième jour de la résidence du barbier au consulat, c’est-à-dire huit à neuf jours après l’événement, le domestique du rabbin Mymounn, sujet anglais, ayant comparu avec son maître à la chancellerie du consulat d’Angleterre, fit connaître qu’il y avait une affiche sur la devanture de la boutique du barbier Suleïman. Au même instant Joseph Ayrout, protégé autrichien, Hanna Fredj, négociant du pays, et Michel Sala, drogman du consulat d’Angleterre, qui assistaient à cet interrogatoire, ainsi que M. Beaudin, se rendirent au lieu indiqué, et y trouvèrent effectivement, à la hauteur de près de six pieds, l’affiche en question ; elle fut portée chez le Consul britannique et ensuite au consulat de France, où le barbier Suleïman, à qui on la montra, la reconnut sans peine. Celui-ci ayant donné au Consul les explications qu’il a répétées postérieurement devant Chérif-Pacha, touchant la manière dont il avait pu connaître la couleur des pains à cacheter, le Consul le conduisit à sa boutique, en présence d’Isaac-Picciotto, Israélite, protégé autrichien, et de Joseph Eliaou, Israélite aussi et chancelier du consulat d’Autriche, afin de prouver comme quoi le papier, qu’il disait avoir relevé de peur qu’on ne le fît tomber, avait pu être posé à une hauteur où certainement les passants auraient dû l’apercevoir : non-seulement il fut impossible de retrouver plus bas, par la trace des pains à cacheter, un indice attestant que l’affiche y avait été posée, mais les Juifs boutiquiers, qui demeurent vis-à-vis et à côté du barbier Suleïman, ayant été par la même occasion questionnés, pour savoir si avant le vendredi ils avaient aperçu ce papier, répondirent tous négativement.
Remarque. — Picciotto, qui ne s’était présenté au consulat de France qu’une seule fois, à l’époque de l’arrivée du Consul, au mois de novembre 1839, se mit tout à coup à y venir une à deux fois par jour, lors de la translation du barbier Suleïman chez M. de Ratti-Menton. Sa première apparition, faite sous le patronage du consul d’Autriche, eut pour prétexte d’indiquer certains endroits du quartier juif qu’il signalait comme susceptibles de suspicion; mais son but réel, ainsi qu’il est résulté des révélations subséquentes et spontanées du barbier Suleïman, n’était autre que de raffermir celui-ci dans son système de silence. Lorsque l’affiche fut apportée, au consulat et qu’on la montra à Suleïman, il y avait dans ce moment le docteur Lograsso, les religieux de Terre-Sainte, le chancelier du consulat d’Autriche, le père Tustey, Lazariste, et Isaac-Picciotto. Le barbier éprouva une très-visible surprise; M. Piciotto, qui s’en aperçut, fit observer que le prévenu voulait lui dire un mot en particulier. Par une inadvertance dont il ne prévoyait pas toute la conséquence, le Consul, dans un instant de distraction, consentit à cet entretien, mais après une conversation engagée avec le docteur Lograsso, qui avait duré sept à huit minutes, ne voyant dans la salle aucun des deux individus, le Consul les fit venir de la cour, s’enquit de la nature de ce mot que le barbier Suleïman avait désiré confier à Picciotto seul, et pour toute réponse celui-ci apprit que la confidence du barbier Suleïman avait eu pour objet de lui apprendre que si l’affiche avait été trouvée si haut placée, c’est que craignant qu’en la fît tomber a l’endroit où elle était d’abord, il l’avait apposée sur un point plus élevé. Toute cette grande révélation avait exigé sept à huit minutes de temps.
(7) On fit venir les individus susnommés, p. 13.
Dès le commencement de l’arrestation des sept prévenus, l’autorité, par une inadvertance inconcevable, les laissa près de deux jours enfermés ensemble dans la chambre : là ils purent tout à leur aise concocter leur plan de dénégation, ainsi qu’on s’en convaincra par la déclaration non provoquée de l’ancien rabbin, Abou-Mouça-el-Afièh, dans un des interrogatoires relatifs à l’assassinat du domestique du père Thomas, et cela à une époque ou ni lui ni aucun des autres prisonniers n’étaient plus exposées aux peines corporelles. Les précautions pour les empêcher de communiquer ont toujours été si mal prises, par suite de la négligence des subalternes qui ne savaient pas résister à des offres d’argent, que le lendemain des grandes révélations, tous se rétractèrent l’un après l’autre, à l’exception d’Abou-el-Afièh, qui déclara, en présence du Consul, que cette rétractation avait été combinée la veille, au moment où l’on reconduisait les prisonniers à leur prison, et qu’un des Arari lui avait dit (à Abou-el-Afièh) en langue hébraïque : Maintenant que tu es Musulman, on te croira facilement, rétracte tout ce que tu as avoué, nous nous rétracterons aussi. Confrontés avec Abou-el-Afièh, ils revinrent à leurs aveux primitifs.
Une autre négligence qui a eu lieu dans le courant de la procédure, c’est de n’avoir pas fait comparaître et interroger judiciairement un certain Abd-Allah, loueur de narghilèhs ambulant, qui avait rapportée à diverses personnes, notamment à M. Taouïl, qui se trouvaient le 7 février au khan de Sedranièh, que Méhir-Farkhi et Daoud-Arari (les mêmes chez lesquels les assassinats ont été commis ), cherchèrent, par des offres d’argent, à l’engager à revenir sur la déclaration qu’il avait déjà faite, d’avoir vu le père Thomas entrant dans le quartier juif.
Il est d’ailleurs absolument faux qu’on ait mis aucun des prévenus au cachot, ni avant, ni pendant, ni après les révélations. Les cachots n’existent qu’à la forteresse, et personne n’y a été conduit. Les uns ont été tenus dans les chambres des soldats à la caserne, les autres dans des chambres du sérail, et il n’ont pas cessé de recevoir leur nourriture journalière de chez eux, et des messagers de la part des meneurs du dehors. C’est faire beaucoup trop d’honneur aux soldats Égyptiens que de leur supposer cette stricte observance de la consigne qui les aurait portés à négliger une occasion de lucre.
(8) Mais l’homme oublie page 14.
Ce mot de Mouça-Abou-el-Afièh est déjà l’indice de l’hésitation de son caractère , laquelle s’explique par les révélations ultérieures sur quelques préceptes du Talmud. Ce rabbin, qui a de l’instruction et dont la physionomie n’annonce pas un homme pervers, était probablement incapable de concevoir un crime dans la vue de plaire à la divinité ; mais il était sous l’empire de cette omnipotence rabbinique dont parle la lettre des deux Juifs, publiée dans l’Écho de l’Orient, et il est devenu, par une de ces fatalités dont le fanatisme dans toutes les sectes offre de si tristes exemples, la victime de l’obéissance passive. Un jour, le Consul de France ayant eu occasion de s’entretenir du meurtre du père Thomas, directement avec Mouça-Abou-el-Afièh, lui dit en espagnol :
« Comment se fait-il que dans votre position vous vous soyez livré à un acte pareil envers une personne aussi inoffensive que le père Thomas. — Moi-même, répondit-il, je ne puis pas encore le comprendre, il était si bon, il nous faisait tant de bien ! » Cette réponse, comme une foule d’autres incidents, n’a pas pu être consignée dans le procès-verbal, étant en dehors de la procédure du Pacha.
(9) Et Matta-Khébrinn qui en témoignent, p. 15.
La dame Legnado, femme du prévenu de ce nom, avait fait connaître au Consul de France qu’il y avait deux témoins Chrétiens et un Musulman, qui pouvaient attester l’alibi de son mari ; le Consul l’invita à lui envoyer ces trois personnes, avec promesse de les adresser au Pacha, qui prendrait leur déclaration. Ne les voyant pas venir au bout de huit jours, M. de Ratti-Menton passa chez madame Legnado, à l’occasion d’une visite domiciliaire qu’il fit dans le quartier juif; il renouvela son invitation à cette dame, elle promit de nouveau d’envoyer les trois témoins, mais ils ne se sont jamais présentés.
(10) La fustigation ayant été ordonnée, page 16.
Le 11 zilhidjèh, le barbier Suleïman reçut, pour la première fois, environ deux cents coups de kourbadj (fouet) sur la plante des pieds (punition ordinaire dans toutes les contrées musulmanes et pour des délits bien moins graves qu’un assassinat). On ne l’avait encore soumis à aucune espèce de torture. Dans la séance du 14 zilhidjèh, on lui signifia de mieux préciser les aveux qu’il avait faits précédemment, car ses déclarations laissaient entrevoir évidemment des restrictions, et comme il recourait à des réponses évasives, il fût condamné une seconde fois au kourbadj, dont il reçut cent cinquante coups ; on lui mit aussi une corde autour du front, mais à peine l’avait-on placée, qu’il demanda d’en être délivré, moyennant quoi il révélerait ce qu’il savait; un supplément de renseignements fut donné par lui. Ce ne fut toutefois que le 25 du même mois que, sans aucune torture, sans aucune application nouvelle de kourbadj, mais par suite du pardon à lui promis, qu’il se décida à faire la révélation complète qui conduisit à la découverte des restes du père Thomas.
(11) Et d’intelligence avec ceux-ci page 18.
Cet aveu du barbier Suleîman a servi de point de départ pour commencer, dès le 26 zilhidjèh, après la découverte des restes du Père, à l’égard de Mourad-el-Fath’al, domestique de Daoud-Arari, un système d’interrogatoire relativement au meurtre du serviteur dudit religieux, ainsi qu’on le verra dans la partie du journal réservée exclusivement aux recherche» de ce second assassinat.
(12) Domestique de Daoud-Arari page 18.
Mourad-el-Fath’al, domestique de Daoud-Arari, était parfaitement libre jusqu’au 14 zilhidjèh qu’il dut comparaître devant le Pacha par suite des révélations du barbier Suleïman. Après ce premier interrogatoire, qui constatait que le barbier Suleïman avait dit la vérité, quant au jour et à l’heure où Mouradel-Fath’al était allé l’appeler dans sa boutique de la part de Daoud-Arari, ce même Mourad-el-Fath’al fut renvoyé en liberté.
Son arrestation n’a eu lieu qu’à un second interrogatoire, subi le 16 zilhidjèh, et auquel il ne répondit, pour cause, que par une rétractation de sa précédente déclaration. Il est inutile d’affirmer que ces deux individus ne s’étaient ni vu ni parlé, le barbier Suleïman seul, parmi tous les prévenus, étant dans une chambre au secret absolu, sans communication aucune avec l’extérieur.
(13) Du chef des douaniers page 19.
M. Beaudin a vu le billet écrit de la douane. Ce billet, qui dément les assertions de Daoud-Arari, est non-seulement signé par le directeur, il porte aussi les empreintes du cachet de l’écrivain et du caissier de la douane.
Remarque. — Daoud-Arari, qui n’était jamais allé chez le docteur Massari, un des premiers médecins établis à Damas, se rendit chez lui le jeudi à midi pour une fluxion. C’était le lendemain de la disparition du père Thomas, et au moment où les religieux de Terre-Sainte étaient à dîner chez le docteur. Celui-ci l’ayant renvoyé au jour suivant (vendredi), pour une heure avant midi, attendit vainement qu’il parût. Étant sorti plus tard, le docteur Massari rencontra Daoud-Arari au bazar et lui demanda le motif qui l’avait empêché de se trouver au rendez-vous : l’autre répondit, qu’il ne l’avait plus jugé nécessaire, qu’il avait eu des affaires, mais qu’il repasserait plus tard. Le docteur ne l’a plus revu chez lui. Eh bien ! le Jeudi 6 février, à l’heure où Daoud-Arari s’est rendu chez le docteur Massari, on n’avait pas encore d’inquiétude sur le sort du père Thomas. Tout porte donc à croire, d’après ce qui s’est vérifié dans le cours de la procédure, que la visite d’Arari, qui avait pu être facilement instruit de la présence des religieux chez le docteur Massari, n’avait pour obet que de s’assurer s’il était question de cette disparition. Sa course chez Giorgios-Ankouri le même jour après l’âsr, et son propos à ce dernier, donnent à la supposition précitée un grand degré de vraisemblance.
(14) On ne m’a pas tenu parole page 24.
Un jour où les sept prévenus furent confrontés avec le barbier Suleïman, ce dernier, descendant l’escalier du sérail avec Daoud-Arari, lui dit en présence de M. Beaudin, qui montait chez Chérif-Pacha pour affaire : « Voyez l’état où vous m’avez réduit, et vous n’avez pas même le cœur de donner un para à ma femille. » On a déjà vu, par les déclarations du barbier Suleïman, du 14 zilhidjèh, où Daoud-Arari lui avait promis de l’argent pour prix de son silence, et c’est probablement l’inaccomplissement des promesses de Daoud-Arari et d’Isaac-Picciotto qui, autant que le kourbadj, l’ont déterminé à déclarer ce qu’il savait.
(15) Pas donner un autre à placer page 22.
Il est certain que le vendredi 7 février, l’affiche n’existait pas plus sur la devanture de la boutique du barbier Suleïman que sur la porte principale de la synagogue; le père Thomas (comme il a été supposé à la note 5) n’était pas arrivé jusqu’à cet endroit, ou, ce qui est encore dans l’ordre des choses possibles, l’affiche avait été enlevée pour effacer la trace de son passage dans le quartier juif. Lorsque de nombreuses déclarations, même de la part de plusieurs Juifs, ne permirent plus de douter sur ce passage, on revint sur la première résolution ; et comme le père Thomas en sortant de son couvent était porteur de trois exemplaires, et qu’il est demeuré bien prouvé qu’il n’en avait apposé ni à l’Église catholique-grecque, ni à celle des Grecs orthodoxes, ses assassins, au moment du meurtre, avaient pu prendre sur lui au moins deux de ces exemplaires, dont l’un fut confié au barbier Suleïman avec ordre de le placer sur sa boutique, ainsi qu’il l’avoue.
(16) Si je confesse page 23.
À la fin de cet interrogatoire, Mourad-el-Fath’al fut arrêté définitivement et mis au secret dans une chambre du sérail. Cet individu, soit pendant qu’il n’a été que prisonnier, soit lorsque par son propre aveu il s’est placé au rang des complices du crime, na jamais subi la torture. Le Consul de France en a acquis la certitude incontestable. Le seul traitement violent qu’on ait infligé à ce prévenu a été cent cinquante coups de kourbadj sur la plante des pieds, et cela une seule et unique fois, à l’occasion de sa rétractation, dont il a d’ailleurs assez clairement expliqué le motif. Depuis cette époque il n’a plus été battu.
Remarque, — Ce fut après cette rétractation, dictée par un regard du mâallem Raphaël-Farkhi, présent au sérail, sous prétexte d’affaire particulière, que cet Israélite a été mis en état d’arrestation préventive pour cause de subornation de témoins. Aux termes de l’article 365 du Gode pénal français, le mâallem Raphaël-Farkhi aurait eu à subir une peine autrement forte que le simple emprisonnement.
(17) Dans celle au bois page 25.
La salle appelée diwan où fut tué le père Thomas est, comme tous les appartements de ce genre à Damas, formée d’une estrade en terre avec une couche de plâtre par-dessus, et occupant les deux tiers d’un carré long. L’estrade qui s’élève au-dessus de l’autre tiers de l’appartement, d’environ soixante quinze centimètres, et que domine une arcade au point de séparation des deux parties de la salle, est couverte d’un tapis, tandis que le fond et les murs sont garnis de coussins : le tiers, subjacent de niveau avec le sol du rez-de-chaussée, est pavé en marbre figurant divers dessins. La chambre où fut dépouillé le cadavre est placée parallèlement à celle dont on vient de parler, et s’en trouve séparée par le liwan ou diwan d’été, entièrement ouvert sur la cour. La construction des deux pièces est identique ; seulement , la dernière n’est pas encore achevée : on y avait déposé des débris de planches, de solivaux, de vieux bancs, etc.; quelques parties de mur entre les fenêtres sont plâtrées, et le plafond est lambrissé, suivant l’usage; quant au sol, il n’est ni aplati ni battu.
(18) Entre les deux chambres page 28,
C’est la partie subjacenle du liwan ou diwan d’été.
(19) Maison du khakham Michone Abou-olAfièh page 30.
Ce canal, qui sort précisément de dessous la maison de Mouça-Abou-el-Afièh, est assez long et assez élevé dans cet endroit. Les eaux de la rue s’y écoulent par un passage en pente, pratiqué sous le trottoir. Ce fut dans ce passage, destiné à l’épuisement des eaux pluviales et qui, dans ce moment, était obstrué, qu’on trouva un amalgame de terre et de sang tout noir, ainsi qu’un chiffon ensanglanté. À ce conduit, qui sert également de déversoir a tous les bassins dont sont pourvues les cours de toutes les maisons, viennent se réunir sur différents points plusieus des petits conduits du quartier. Ceux qui, à toute force, voudront donner à croire aux dupes que les os ont été là pour faire pièce aux Juifs, n’oublient malheureusement que deux choses : la première, que le Consul de France ne pouvait guère s’en laisser imposer par de pareils coups de fantasmagorie, dans une affaire où la tète de ses semblables était en jeu, et la seconde, que le quartier juif est séparé des quartiers turc et chrétien par des portes ayant chacune leur portier, et fermant une heure au plus avant le coucher du soleil. Outre ces portes limitrophes, il en existe un grand nombre dans l’intérieur du quartier. Or, est-ce la nuit? est-ce le jour? que ces débris ont été transportés là par quelque malin Turc ou Chrétien ? Le jour , il aurait fallu ouvrir et refermer le canal, en présence d’une partie de la population juive, désœuvrée ou occupée à vendre, et qui se tient quotidiennement près le bazar de Djama ou du marché aux poules, où est la maison de Mouça-Abou-el-Afièh. La nuit, les portiers juifs, préposés à l’ouverture des portes, étaient trop intéressés à surveiller les étrangers qui auraient essayé de pénétrer dans le quartier à une heure indue, pour ne pas s’apercevoir d’une tentative de ce genre.
(20) Avec M. le consul de France page 35.
L’exploration dont il s’agit ne s’est pas faite seulement en présence des personnes désignées dans le procès-verbal, elle a eu encore pour témoins Francis-Salima, protégé aurais, Chubli-Ayoub, Youcef-Aaroun, négociant, protégé autrichien, et Christodontos de Thémistocle, négociant grec. La désignation par le domestique d’Aari et le barbier Suleïman, du lieu où avaient été jetés les débris des os et des chairs, s’est passée devant un nombre considérable d’individus de toutes les croyances.
(21) Que ce fut sous l’arcade page 36.
Le procès-verbal du colonel Hassey-Bey a omis de constater, entre autres détails, que le barbier, dans ses démonstrations locales, fit voir que le père Thomas était placé dans la salle du meurtre, dans le sens de la longueur de cette salle, la tête hors de l’estrade pour faciliter l’effusion du sang. Le même colonel, voulant s’assurer s’il n’y avait pas de contradiction dans les réponses des deux accusés, fit croire au domestique Mourad-el-Fath’al, lorsque son tour fut venu d’indiquer l’endroit où l’on avait posé le cadavre dans la salle non meublée, que le barbier avait déclaré qu’il était étendu au fond. — « Le barbier se trompe, répondit Mourad ; il était positivement sous l’arcade. » Et les deux démonstrations se trouvèrent, en cela comme en tout, d’une accablante concordance.
(22) Sur les murs de ladite chambre, même page.
Les taches de sang étaient au nombre de trois sur les murs plâtrés de l’intérieur, plus une petite goutte allongée sur le mur du jambage gauche de la porte. Il n’y avait pas à se méprendre sur la nature de ces taches, c’était bien du sang. Au bout de quelques jours, le Consul étant retourné dans la maison d’Arari, ou la famille de ce dernier n’a pas cessé d’habiter, et voulant montrer ces taches à quelqu’un, n’en trouva plus qu’une seule : celle de la porte, dont on ne s’était pas aperçu ; les autres, plus apparentes, avaient été détruites au moyen du ratissage des pilastres sur lesquels elles avaient été empreintes.
(23) Que le pavé était enfoncé en cet endroit – même page.
Excepté cet endroit, toute la mosaïque en marbre du liwan se trouvait parfaitement intacte : ici, non-seulement elle était enfoncée, mais son poli contrastait évidemment avec les traces des coups qu’elle avait reçus là où s’était pratiquée l’opération.
(24) Qui avait servi – même page.
Le pilon du mortier est en cuivre et pèse environ trois okques, (près de quatre kilogrammes).
(25) Qu’iil n’en existait pas – même page.
La demande d’autres couteaux a été faite à madame Arari et aux femmes qui se trouvaient à son service.
(26) On aperçut en effet, un trou – page 37.
C’est le passage en pente dont il a été fait mention à la note 19.
(27) Fut alors renvoyé au sérail – même page.
Lorsqu’après l’indication faite par le domestique Mourad, du lieu où l’on avait jeté les chairs et les os, le colonel Hassey Bey, le Consul de France, etc., retournèrent à la maison d’Arari prendre le barbier, afin qu’il vint indiquer à son tour ; Suleïman, monté sur son âne, se mit à suivre le même itinéraire qu’avait suivi Mourad-el-Fath’al. Le colonel lui ayant montré un autre chemin et annonçant que c’était celui qu’avait pris le domestique. « Ce chemin-ci est plus court, dit le barbier; » et il se dirigea, sans la plus légère hésitation, à l’endroit signalé par son complice, en disant : C’est ici !
(28) Plusieurs fragments – même page.
Les débris d’ossements trouvés dans le premier moment étaient des os de jambe avec leurs articulations, une rotule, des fractures du crâne, plus un morceau du cœur ; dans l’après-midi du même jour on retira encore, en présence du Consul, de plusieurs Européens et d’un grand nombre d’habitants, des fragments de nerfs, une ou deux vertèbres, un morceau de peau de la tète, où l’on distinguait parfaitement une partie de la tonsure, le reste était garni de cheveux, enfin deux morceaux d’un bonnet noir en laine, de la forme des calottes que portent les ecclésiastiques européens.
(29) Déclaration de M. Merlato, consul d’Autriche à Damas page 38.
( Traduction de l’italien)
« Je soussigné, Consul d’Autriche à Damas, déclare avoir été présent au consulat de France lorsque divers médecins musulmans du pays furent invités à examiner les restes retrouvés du frère capucin père Thomas, de Sardaigne, assassiné, et leur avoir entendu déclarer que lesdits restes appartenaient à un corps humain.
Je déclare en outre avoir vu parmi lesdits restes, des morceaux d’un petit bonnet noir (calotte), lesquels me parurent clairement faire partie de celui que portait habituellement le susdit défunt religieux. »
Damas, le 5 mars 1840.
Signé : G.-G, Merlato.
(30) Déclaration des quatre médecins européens, même page.
(Traduction de l’italien.)
« Nous soussignés, docteurs en médecine, déclarons que nous étant rendus , par ordre de S. E. Chérif-Pacfaa , gouverneur général de la Syrie, chez M. le Consul de France, pour examiner divers fragments d’ossements, nous avons reconnu que ces fragments appartenaient pour la plupart à l’espèce humaine.
En foi de la vérité nous avons signé ci-dessous. »
Damas, le 29 février 1840.
Signés à l’original : Dr Amantia Logbasso , Dr F. Massari , Dr g. Piccolo , Dr Rinaldi.
(31) Déclaration des six médecins Musulmans et d’un Chrétien du pays – même page.
« Cejourd’hui, nous soussignés, avons été appelés au consulat de France, pour reconnaître les os trouvés dans le conduit qui traverse le quartier juif ; le Consul nous ayant demandé notre opinion et la vérification des os et des morceaux de chair, nous avons fait le plus rigoureux examen, afin de nous assurer si ce sont bien des os humains ou des os d’animaux, et d’attester suivant notre conscience, ainsi que Dieu l’ordonne. Après que nous avons eu tout vérifié, nous sommes restés intimement convaincus, sans la moindre hésitation, que ces os sont des ossements humains, et puisque cette déclaration nous est demandée, nous l’avons donnée signée et scellée pour preuve de notre conviction. »
Le 28 zilhidjèh de Tannée 4 255.
Signés à l’original : El-Hadji-Musto , premier chirurgien ; El-Hadji-Mohammed-SALTI ) chirurgien ; Seïd-Khalil-Talib, médecin; Seïd Halil, chirurgien; MIK AEL-MCHAKA , médecin ; Mohammed-Seïd-Mouça , médecin ; MOHAMMED – HAMIN – S AKHRÊ , médecin.
(32) Déclaration du barbier ordinaire du père Thomas – même page.
( Traduction de l’arabe. )
« Je soussigné, barbier ordinaire du père Thomas, déclare que les débris du bonnet noir que j’ai vus dans la maison consulaire de France à Damas, sont réellement les morceaux du bonnet que portait le père Thomas, et avant de me rendre au consulat, j’avais déjà indiqué au père François, dans ma boutique, la manière dont était fait ce bonnet. Je reconnais particulièrement le bord noir-rougeâtre qu’avait ce bonnet et qui n’existe pas dans les autres. Voilà ce que j’ai vu et reconnu, et ce que je déclare devant Dieu. »
Le 8 moharrem 1256. Signé à l’original : Youcef, barbier.
(33) Trois à quatre onces page 42.
L’once arabe est égale à une demi-livre de France.
(34) S’était mis d’accord page 44.
Jusqu’à la séance du 26 zilhidjèh, antérieure à la conversion de Mouça-Abou-el-Afièh au mahométisme, le grand rabbin Yacoub-el-Antabi n’avait pas été mis en cause ; son arrestation n’avait été que préventive, afin d’empêcher par ses manœuvres qu’il n’arrêtât la découverte de la vérité. Il se trouvait en prison avec deux autres rabbins subalternes ; ce n’est qu’à la suite des révélations de l’ex-rabbin Mouça-Abouel-Afièh et de plusieurs de ses coaccusés, lesquels dénonçaient ce grand rabbin comme instigateur du meurtre, que ce dernier a été enveloppé dans la procédure ; il a reçu le kourbadj afin qu’il avouât ce qu’il avait fait du sang qu’Abou-el-Afièh affirmait lui avoir remis.
(35) Récompense de cinquante mille piastres. page 59.
Quelque? jours après le meurtre du père Thomas, dix ou onze des principaux Juifs, parmi lesquels se trouvaient la plupart des prévenus, allèrent au consulat de France : ils prièrent le Consul d’obtenir de Chérif-Pacha un délai plus long que celui qui leur avait été accordé pour découvrir les auteurs de l’assassinat, et qui allait expirer le lendemain. La promesse fut faite et le délai obtenu. Dans cette même entrevue, ces Israélites demandèrent que le Consul fît annoncer par le crieur public une récompense de cinquante mille piastres pour celui qui découvrirait le cadavre et les assassins du père Thomas. Cette demande fut encore agréée. Le lendemain, Isaac-Picciotto se rendit au consulat avec le mâallem Raphaël Farkhi, pour dire au Consul qu’outre la publication orale, les Israélites de la veille désiraient qu’on en fît une écrite. Trente bulletins furent écrits et affichés dans les trois quartiers chrétien, musulman, et juif.
Que ce n’ait été qu’une manœuvre de ces personnes, parce qu’elles savaient qu’en donnant au tuffekdji-bachi le double de cette somme, il paralyserait les recherches de l’autorité, c’est ce que le temps pourra faire apprendre. Il est certain que, dès le principe, le Consul a dénoncé au Pacha la conduite répréhensible du tufifekdji-bachi , qui se bornait à aller fumer des chibouks et boire de l’eau-de-vie dans les maisons des riches Israélites, qui le choyaient d’une façon toute particulière. Il y a plus, tous les Juifs disaient que pour une découverte pareille, il ne fallait rien moins qu’un mois de recherches. Eh bien ! voilà trois mois et demi, et ils n’ont pu fournir encore aucune indice ; ils préfèrent recourir à leurs moyens ordinaires, l’intrigue activée par l’argent.
(36) Tentative de séduction page 63.
Outre les cinq cents piastres que Chahadèh-Lisbona remit secrètement à Chubli dans l’intention de se faire épargner les demandes (ce sont ses propres expressions), le même Chubli a été l’objet de deux autres tentatives de séduction ; il y a d’autant plus de mérite à lui d’y avoir résisté, qu’il est loin d’être riche, et que le désintéressement n’est pas à tordre du jour à Damas,
(37) Lui fut donnée page 90.
C’est ce même Juif qui a fait plus tard une tentative auprès de Seïd-Mohammed-el-Telli et de Khalil-Sednaoui, d’intelligence avec M. Merlato, consul d’Autriche, et d’Isaac Picciotto. (Voir les dépositions de Sednaoui, page 91, et de Telli, page97.)
(38) Seïd-Mohammed-ei-Teili même page,
Seïd-Mohammed-el-Telli est Musulman, comme son nom l’indique. Il était en prison lors de assassinat, pour une dette de treize cents piastres. Telli est loin d’être un homme rangé, mais on n’a aucun crime à lui reprocher ; il est dépensier et s’adonne un peu à la boisson, voilà ses défauts principaux. Ce qui décida le Consul à l’employer, c’est que Telli a passé sa vie dans l’intérieur des familles Juives, et qu’il connaît tous les mauvais sujets du quartier. Du reste, plusieurs Israélites lui ont dû de n’être pas resté plus longtemps en prison, car il était le premier à attester qu’ils ne connaissaient rien ou ne pouvaient rien connaître de cette affaire. Il serait à souhaiter que les polices européennes pussent atteindre le but utile de leur institution, en n’employant jamais des hommes plus tarés que celui-là. Seïd-Mohammed-el-Telli aurait pu, en cette occasion, faire une ample provision de piastres, et cependant il a consenti à servir le consulat gratuitement. Le seul avantage qu’il ait tiré de sa sortie de prison, c’est d’être provisoirement à l’abri des poursuites de son créancier.
(39) Porté devant le Consul général d’Autriche à Alexandrie page 92.
M. Merlato s’est effectivement donné le plaisir innocent de répandre dans le quartier juif, que la haute influence de M. Laurin avait déterminé S. A. le vice-roi d’Égypte à appeler à lui la connaissance définitive de l’affaire, et que cette révision aurait lieu avec le concours du consul général d’Autriche.
FIN DES NOTES EXPLICATIVES DE LA PROCÉDURE RELATIVE À L’ASSASSINAT du PÈRE THOMAS
Nous stoppons ici la retranscription (téléchargeable ici : PROCÉDURE COMPLÈTE DIRIGÉE EN 1840 Contre des Juifs de Damas À LA SUITE DE LA DISPARITION DU PÈRE THOMAS) du livre d’Achille Laurent, il se poursuit par l’enquête sur le deuxième meurtre, celui du serviteur de père Thomas. Nous redonnons les deux sources internet :
et
Achille Laurent
Ulysse de Ratti-Menton
Achille, Ulysse, Homérique!