Dans un mouvement de moindre ampleur qu’en France, les partis considérés – à tort – comme hors système ont fortement progressé lors des élections en Espagne dimanche. La conséquence directe de ce choix est l’affaiblissement de la chambre qui ne possède désormais plus de groupe majoritaire. Pour se maintenir, les sortants seront obligés de s’allier avec au moins trois autres partis ; à gauche une coalition peut sembler plus facile malgré les attaques incessantes de la campagne, mais lourdes de conséquences pour les deux partis qui s’y risqueraient à cause des concessions qu’elle impliquerait.
Plus important qu’une victoire qui illustrerait la mobilisation de la « société civile » ou la prise de conscience des problèmes politiques et économiques, le vote des Espagnols pourrait conduire au blocage du système, qui s’ajouterait aux graves problèmes que doit affronter le pays. Le scrutin a été marqué un peu plus de 25 % d’abstention.
Cinq millions de suffrages perdus pour les deux grands partis
Comme en France, la crise sociale, identitaire, politique, économique engendre une modification rapide, de surface, de l’establishment. Les deux principaux partis, qui se partageaient le pouvoir depuis la fin du régime franquiste, perdent, à eux deux, cinq millions de voix en quatre ans et près de 9 millions depuis le renouvellement de 2008 malgré l’accroissement du corps électoral.
Le bipartisme s’est achevé dimanche avec un sortant, le Parti populaire (PP, Partido Popular), parvenant à conserver la première place. Il est cependant très diminué : le PP a perdu en quatre ans plus de 3,5 millions de voix, passant de 44,6 % des voix à 28,7 %. La conséquence directe est la perte de 64 députés et donc de la majorité absolue.
Le PSOE, arrivé second, perd près de 1,5 million d’électeurs (7 millions à 5,5 millions, soit 28,76M à 22 % des exprimés), perdant vingt députés.
Podemos et C’s en fête
Comme le Front national (FN) est apparu vainqueur du premier tour des élections régionales, c’est Nous pouvons (Podemos) qui faisait figure de gagnant hier. Pour leur première participation sous cette forme, les différentes listes du parti issu de l’extrême gauche totalisent 5 179 713 suffrages (20,65 % des exprimés) et emportent 69 sièges. Son dirigeant Pablo Iglesias Turrion n’a pas caché sa joie hier soir : il est en mesure soit d’imposer une coalition aux autres partis à ses conditions, soit d’apparaître comme le seul opposant au système pour tenter de se renforcer encore pour d’éventuelles élections anticipées. Il a affirmé hier soir être prêt à gouverner avec n’importe quel parti, mais en échange de l’adoption immédiate de vastes et « nécessaires » – pour lui – réformes constitutionnelles.
Chez les libéraux, les Citoyens-Parti de la Citoyenneté (C’s, Ciudadanos – Partido de la Ciudadanía), qui participaient également pour la première fois à ce scrutin, ont recueilli quasiment 3,5 millions de voix et 13,9 % des voix. Bénéficiant d’une image centriste plus policée que Podemos, C’s pourrait, avec 40 députés, s’imposer comme la charnière d’une future coalition.
Les partis indépendantistes ou autonomistes obtiennent environ 7 %. Plusieurs d’entre eux ont obtenu des députés, pour un total de 26 :
-9 pour la Gauche républicaine de Catalogne (ERC, Esquerra Republicana de Catalunya) (2,39 % au niveau national) ;
-8 pour Démocratie et liberté (DIL, Democràcia i Llibertat), indépendantiste catalan (2,3 %)
-6 pour le Parti nationaliste basque (EAJ, Euzko Alderdi Jeltzalea) (1,2 %) ;
-2 pour Réunir le Pays Basque (EHB, Euskal Herria Bildu) (0,87) ;
-1 pour la Coalition canarienne (CC, Coalición Canaria) (0,3 %).
Les autres très nombreux partis – plusieurs dizaines – se partagent les 3,2 % des suffrages restant, soit environ un million, de l’extrême gauche (Parti communiste à 0,12 %) aux nationalistes (0,03 % pour la Phalange espagnole de la JONS (FE-JONS, Falange Española de las JONS), avec 7 551 voix et 0,01 % pour Démocratie nationale (DN, Democracia nacional) avec 1 680 suffrages) en passant par les partis divers indépendantistes, féministes ou de défense de la cause animale (le Parti animalier contre la maltraitance des animaux (PACMA, Partido Animalista Contra el Maltrato Animal) obtient 218 760 voix (0,87 %).
Des alliances impossibles ?
Aucune alliance, dans le cadre d’une coalition stable bénéficiant de la majorité absolue, ne pourra se passer de l’un des deux grands partis. Celui-ci devra s’appuyer nécessairement sur l’un de ses trois principaux rivaux, le total des députés des petits partis indépendantistes étant insuffisant pour bâtir une majorité viable.
Mariano Rajoy, le premier ministre sortant désormais minoritaire mais arrivé en tête, a annoncé dès hier qu’il allait tenter de former un gouvernement. Il lui manque 51 sièges pour atteindre la majorité. Malgré un optimisme affiché, les discussions s’annoncent particulièrement difficiles : outre l’hostilité « naturelle » entre partis en régime républicain, outre l’opposition « naturelle » entre les deux grands partis, leurs deux compétiteurs ont basé leur campagne sur le rejet de ces deux grands partis, de leurs politiques d’austérité appliquée par Bruxelles, des scandales politico-financiers à répétition, sur la nécessité de changer le régime, de faire apparaître une nouvelle génération d’hommes politiques, etc.
À gauche, une coalition entre le PSOE et Podemos ne paraît pas plus facile, les deux partis s’étant livré une lutte féroce durant la campagne.
En cas d’échec des différents dirigeants à former une coalition majoritaire, il resterait deux possibilités au pouvoir : tenter l’aventure d’un gouvernement minoritaire, ou dissoudre le congrès et convoquer de nouvelles élections, situation qui ne pourrait qu’affaiblir certes le système, mais encore l’Espagne.
Les élections en chiffres :
Inscrits :
Non votants : 9 279 428 (26,8 % des inscrits)
Blancs et nuls : 414 693 (1,2 % des exprimés, 1,65 % des votants)
PP (libéraux) : 7 214 294 (28,72 % des exprimés) (123 députés)
PSOE (gauche) : 5 530 012 (22,02 %) (90)
Podemos (ext. g.) : 5 188 546 (20,65) (69)
ERC (ind.) : 599 289 (2,39 %) (9)
DL (ind.) : 565 501 (2,25 %) (8)
EAJ (ind.) : 301 585 (1,2 %) (6)
UP (ext. g.) : 922 907 (3,67 %) (2)
EHB (ind.) : 218 467 (0,87 %) (2)
CC (ind.) : 81 750 (0,33 %) (1)
Autres : 1 004 787 (4 %) (0)
Au fil de ces élections qui sont avant tout du spectacle pour faire croire que « les choses vont changer », on peut affirmer sans crainte de se tromper que la majorité des peuples est loin d’avoir raison …