Il faut se garder de prendre à la légère ce qui se passe actuellement chez nos voisins espagnols. Car si pour l’heure les velléités indépendantistes de certaines provinces françaises sont relativement limitées, rien ne garantit que nous ne connaîtrons pas un jour, à propos de la Corse ou du Pays basque, un phénomène analogue. L’État nation est en effet considérablement affaibli, à la fois par le haut du fait du fédéralisme européen, de l’intégration à l’Union européenne et par le bas du fait de la réactivation, parfois de manière très artificielle, des aspirations autonomistes voire indépendantistes. On l’a vu récemment en Grande-Bretagne avec l’Écosse, on l’a constaté en Italie avec la volonté des régions du Nord de se séparer de celles, plus pauvres, du Sud. Le chef historique de la Ligue du Nord Umberto Bossi avait même procédé il y a quelques années à une ubuesque déclaration d’indépendance de la Padanie voulant montrer par là que les Italiens du Nord en avaient assez de payer pour ceux du Sud. C’est un peu le même phénomène avec la Catalogne qui est la région la plus riche de l’Espagne et dont une moitié environ des habitants répugne à une solidarité nationale avec le reste du pays. Il y a dans ces mouvements une forme d’égoïsme de nantis assez méprisable, prête à en finir pour des raisons essentiellement mercantiles avec des nations plus que millénaires. Car si l’on conçoit difficilement une Espagne sans Catalogne, que serait la Catalogne sans l’Espagne ? De même que serait une Corse sans la France ?
Ces régionalismes exacerbés témoignent de l’impressionnante érosion de l’État nation, de sa perte d’autorité et de prestige. Les actuels dirigeants des États européens sont en effet incapables de susciter l’enthousiasme et la ferveur, de faire adhérer à des projets collectifs, à un grand dessein. Mais avouons qu’il est quand même incroyable qu’au moment où les nations européennes sont envahies voire submergées par des populations allogènes inassimilables, les peuples du Vieux Continent ne trouvent rien de mieux à faire que de se diviser, que de se déchirer entre eux, de refuser leur unité. D’autant que ces mouvements indépendantistes sont presque tous immigrationnistes et euromondialistes. C’est vrai en Catalogne où sévit le très antipathique Carles Puigdemont, mais c’est vrai également en Écosse, au Pays basque. La Catalogne veut se séparer des Espagnols non catalans mais elle s’accommode très bien d’avoir sur son sol en nombre chaque jour plus massif des migrants venus du Maghreb et du monde entier. Il y a là une incohérence qui confine à la folie. A quoi cela sert-il d’avoir une Catalogne libre s’il n’y a plus, ou quasiment plus, de vrais Catalans ? L’être humain n’a décidément pas son pareil pour s’aveugler et oublier l’essentiel. On filtre le moucheron mais on laisse passer le chameau.
L’immigrationisme de ces mouvements séparatistes est bien la preuve que l’on n’a pas affaire à des expressions véritables de nationalisme mais à des auxiliaires, conscients ou non, du mondialisme. Ces mouvements régionalistes très suspects sont en effet favorisés en sous-main par la commission de Bruxelles, par le Conseil de l’Europe, bref par toute l’oligarchie européiste. Certes l’Union européenne se montre officiellement prudente pour l’instant, car elle ne peut prendre le risque de se mettre à dos le gouvernement de Madrid et la grande majorité des Espagnols mais il est incontestable que la construction européenne, telle qu’elle s’opère depuis des décennies, va clairement dans le sens d’un démantèlement des États nations du Vieux Continent par la promotion de tous les mouvements centrifuges. Le politologue Pierre Hillard a bien montré dans l’un de ses ouvrages, Minorités et régionalismes dans l’Europe fédérale des régions (François-Xavier de Guibert, 2002) que le but de l’Union européenne est d’en finir avec l’Europe des nations et de mettre en place une Europe des régions. Pour une raison qu’il est d’ailleurs facile de comprendre : il est plus aisé de régner en maître face à une centaine de régions morcelées et divisées entre elles que face à quelques États nations dont l’histoire et les traditions sont ancestrales.
Dans l’entreprise de grande expropriation, de grande dépossession de l’identité et de la souveraineté des nations européennes, l’activation du régionalisme séparatiste est un maillon essentiel. Il faut savoir, ainsi que le démontre Hillard, qu’il existe dans l’actuelle construction européenne cinq documents clés : la charte des langues régionales minoritaires, la convention-cadre pour la protection des minorités, la charte de l’autonomie locale, la charte de l’autonomie régionale et la charte de Madrid qui a pour but de transformer les frontières des États en frontières administratives. Ces cinq documents n’ont d’autre but que de favoriser par tous les moyens les mouvements sécessionnistes, d’exciter les tentations centrifuges, d’aviver les séparatismes. L’objectif est de reconnaître l’emploi de toutes les langues régionales et minoritaires, y compris les plus marginales voire les plus obsolètes, mais aussi d’établir une reconnaissance des groupes ethniques basque, corse, breton, écossais, catalan, etc, dans le but de former une Europe des régions débarrassée des États nations. Dans l’annexe 34 de son livre, Hillard cite ainsi une centaine de mouvements autonomistes en Europe soutenus directement par les fédéralistes européens, dont les autonomistes bretons, flamands, alsaciens-mosellans et même la Ligue savoisienne de feu Patrice Abeille ! Croit-on que l’on finance et promeut ces mouvements au nom du bien commun, par pur altruisme ? Évidemment non. Il s’agit d’une machine de guerre contre l’État nation.
Reste que ces mouvements centrifuges n’auraient pas cette puissance et cette capacité d’attraction si les nations européennes étaient dirigées par des hommes d’État à la poigne de fer et si l’État était puissant et respecté. La démocratie ne peut que favoriser le désordre, le chaos et l’anarchie. Il est ainsi incroyable qu’après avoir procédé à une consultation référendaire illégale, anticonstitutionnelle, multiplié les provocations, le président de la Catalogne soit encore en liberté et qu’il puisse parader alors même qu’une grosse moitié des Catalans refuse catégoriquement l’indépendance et ses conséquences funestes, comme la grande manifestation pour l’unité de l’Espagne l’a montré le 8 octobre. Si tous les citoyens espagnols doivent respecter la loi, pourquoi le chef d’un simple parlement régional peut-il s’en affranchir en toute impunité ? Croit-on que les choses se passeraient de cette façon sous le Caudillo ? On peut penser ce que l’on veut des régimes des années trente dans les pays du Sud de l’Europe mais lorsqu’on voit dans quel état se trouvent aujourd’hui ces nations autrefois si glorieuses, si fières d’elles-mêmes, on peut comprendre qu’il y ait des nostalgiques.
Éditorial de Rivarol n°3300 du 11/10/2017
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