PLUS LE TEMPS PASSE, plus on se rend compte que, malgré son jeune âge, Emmanuel Macron est loin d’être dénué d’habileté politique. On a toujours tort de sous-estimer un adversaire. Conscient que les élections intermédiaires sont toujours difficiles pour le pouvoir en place, le chef de l’Etat a décidé de changer le mode de scrutin des européennes qui auront lieu en mai 2019 et de revenir à un scrutin reposant sur des listes nationales (comme ce fut le cas de 1979 à 1999 inclusivement) et non plus sur des listes régionales (système qui a prévalu de 2004 à 2014). Il avait pour ce faire un prétexte tout trouvé : la réforme des régions qui a eu lieu en 2015 avec treize régions métropolitaines (au lieu de vingt-deux) rendait encore plus absurde et illisible la division de la France en huit grandes régions aux européennes. Mais il ne s’agit là que d’une argutie. La vraie raison est ailleurs : le mouvement En Marche n’étant pas implanté localement (ses résultats aux dernières sénatoriales fin septembre ont d’ailleurs été plus que médiocres), l’Exécutif a tout intérêt à mettre en place une seule circonscription nationale avec une seule tête d’affiche (au lieu de huit dans des circonscriptions régionales), ce qui favorise les chefs de partis et les états-majors parisiens. Lorsque les élections européennes étaient constituées de listes nationales élues à la proportionnelle intégrale, tous les chefs de parti dirigeaient la liste présentée par leur mouvement. Ainsi lors des premières européennes en juin 1979, Chirac, président du RPR, Marchais, secrétaire général du PCF et Mitterrand, premier secrétaire du PS, occupaient la première place.
Macron entend présenter une liste pro-européiste réunissant la République en Marche, le Modem mais aussi une partie des Républicains et des socialistes favorables à l’Union européenne. Le président de la République peut déjà compter a priori sur le soutien du maire LR de Bordeaux, Alain Juppé, qui a déclaré dans le quotidien Sud-Ouest : « La question est de savoir qui prendra le leadership (de la liste). Mais si Macron reste dans la ligne de son discours à la Sorbonne, je ne vois pas d’incompatibilité. » Macron a compris qu’une liste purement En marche aurait du mal à décoller. C’est pourquoi il entend mettre en œuvre un conglomérat européiste et centriste réunissant des personnalités issues de différents partis, ce qui est aussi pour lui une façon de poursuivre son entreprise de démolition et d’atomisation de la droite et de la gauche dites de gouvernement. A l’exception des Républicains, tous les partis se sont montrés favorables au changement annoncé du mode de scrutin et qui devrait être entériné sans grande difficulté par le Parlement au début de l’année 2018.
ASSEZ CURIEUSEMENT, alors que le Front national a toujours été favorable au principe de listes nationales, sa présidente a fait savoir, dix-huit mois avant l’échéance, qu’elle ne conduirait pas la liste de son parti aux européennes de 2019. Officiellement parce qu’elle est élue à l’Assemblée nationale depuis juin dernier et qu’elle « mène en première ligne le combat pour la défense des Français dans cet hémicycle-là ». Mais dans la mesure où le FN n’a pas réussi à constituer un groupe au Palais-Bourbon, il est inaudible et on ne voit donc pas en quoi la présence à l’Assemblée nationale de sa présidente était indispensable. Au contraire, alors que quasiment tous les chefs de partis vont être tête de liste aux prochaines européennes, de Dupont-Aignan à Philippot — qui a confirmé que ses Patriotes seraient présents lors de ce scrutin qui constituera le premier test électoral pour ce nouveau mouvement —, probablement de Wauquiez à Asselineau, on comprend a priori assez mal qu’une dirigeante de parti passe son tour.
Cette décision de Marine Le Pen ne peut s’expliquer que si on constate qu’elle ne s’est toujours pas remise de la présidentielle, de son débat calamiteux, qu’elle est très affaiblie psychologiquement et politiquement et qu’elle a conscience d’avoir tout à perdre à diriger une liste dont le score, selon toute vraisemblance, sera à des années-lumière des 25 % obtenus aux européennes de 2014 quand le FN était arrivé largement en tête de tous les partis et avait fait élire 24 députés — dont près d’un tiers aujourd’hui n’est d’ailleurs plus au Front ! Quand on voit que le FN n’a obtenu dimanche soir que 3,28 % aux élections territoriales sur l’île de Beauté, étant éliminé dès le premier tour et n’étant donc plus du tout représenté dans l’assemblée de Corse, là où il obtenait près de 11 % aux régionales de 2015 et 28 % à la présidentielle de 2017, on peut imaginer que sa présidente ne nourrit guère d’illusions sur un bon score de son parti aux prochaines européennes. Si des élections nationales avaient lieu actuellement, il est quasiment certain que le FN obtiendrait moins de 10 % des suffrages exprimés, la démobilisation et le découragement dans ses rangs étant impressionnants et affectant même une partie de son noyau dur et de sa base militante.
DE PLUS, et cela accroît encore la difficulté, le discours du FN sur l’Europe, ses institutions, sa monnaie, est aujourd’hui totalement illisible. On ne sait plus désormais si Marine Le Pen veut rester dans l’Union européenne ou en sortir, garder l’euro ou revenir au franc, maintenir le drapeau européiste ou le jeter aux orties. Nicolas Bay, chargé des affaires européennes, a été loin de clarifier le débat en déclarant le 1er décembre : « Le but c’est de retrouver une monnaie qui serve l’économie et de retrouver une souveraineté monétaire. Il y a différents moyens d’y parvenir. A la fois en gardant l’euro et peut-être aussi en en sortant. » Cela fait écho à la réponse déconcertante de Marine Le Pen à Léa Salamé dans L’Emission politique sur France 2, la journaliste lui demandant si le FN inscrivait toujours dans son programme l’abandon de la monnaie unique et s’entendant répondre : « On va voir ». Ce n’est certes pas avec de tels propos que l’on peut mobiliser un électorat. Comment peut-on convaincre des gens de militer et de voter pour soi si l’on n’a pas de ligne politique, de convictions, de colonne vertébrale, d’épaisseur doctrinale et que l’on donne le sentiment de ne pas savoir soi-même où l’on habite, ce que l’on pense, ce qu’il faut faire ?
Peut-être Marine le Pen craint-elle aussi les débats télévisés avec son ancien numéro deux et mentor Philippot qui possède une bien meilleure maîtrise technique de ces sujets et qui, au moins sur la question européenne, a des convictions claires, assumées et bien plus radicales que celles du FN aujourd’hui : sortie de l’euro et mise en œuvre du Frexit. Des confrontations médiatiques avec de bons connaisseurs des questions et mécanismes européens comme Asselineau et Philippot pourraient être dévastatrices pour Marine Le Pen qui préfère donc renoncer. Et ce d’autant plus qu’elle est mise en examen pour abus de confiance et complicité d’abus de confiance, Thémis la suspectant d’avoir employé, elle et ses proches, des salariés rémunérés par le Parlement européen, lequel réclame au FN dans ce ténébreux dossier le remboursement de cinq millions d’euros.
CEPENDANT, cette désertion du combat, annoncée qui plus est si longtemps à l’avance, est un aveu de faiblesse et donne un très mauvais signal aux troupes militantes et à un électorat frontiste en déshérence. Marine Le Pen semble vraiment à l’agonie. Son père a connu lui aussi, en son temps, des déboires électoraux. Mais, contrairement à elle, il n’avait jamais été humilié et ridiculisé dans un débat télévisé et il avait de la ressource. Ses convictions, sa culture, son humour, son intuition, sa fine connaissance de la vie politique lui ont toujours permis de rebondir, même après les pires déconvenues. Sa benjamine manque, quant à elle, cruellement de densité humaine, politique et culturelle. Elle a seulement hérité d’un patronyme et d’un parti clé en mains mais n’a rien prouvé par elle-même, sinon sa totale incompétence, son insupportable vulgarité, sa propension aux purges et aux exclusions de toutes sortes et sa volonté de transformer ce mouvement en un vaste lupanar pédérastique et en grotesque fan club d’une mégère sans cœur, sans principe et sans honneur. Sa seule ambition est désormais de tenir les rênes de ce parti jusqu’à la retraite car cela lui permet, sans travailler, sans briller et sans se fatiguer, de gagner en un an, pour elle, son concubin et ses petits copains, ce que la plupart des Français mettent toute une vie à amasser au prix d’un dur labeur. Et qu’importe si, pendant ce temps, le Grand Remplacement avance et la France se meurt chaque jour davantage !
Éditorial de Rivarol n° 3308 du 06/12/2017
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