Un citoyen allemand, pas n’importe lequel, est attablé en Occitanie dans la salle du petit déjeuner d’un hôtel. Il s’entretient avec son hôte français, ami de longue date, de la situation dans son pays où les tabous font rage. Ils évoquent le sort fait à certains « dissidents » contraints de faire de longs séjours en prison. Avaient-ils volé, violé, tué, fraudé le fisc, harcelé quelque gente dame, que sais-je encore ? Non. Ils avaient simplement exprimé une opinion dont, de surcroît, le plus honnête examen démontre la légitimité, sur laquelle se penchent d’innombrables chercheurs de par le monde et à propos de laquelle un libre débat, s’il était autorisé, permettrait de parvenir à la lumière. La conversation va bon train. Les arguments succèdent aux arguments, les questions fusent. L’esprit règne. Deux dames s’installent pour prendre leur petit déjeuner. Des touristes allemandes apparemment puisqu’elles s’entretiennent dans la langue de Goethe. Aussitôt l’éminent Allemand se penche vers son hôte français et lui fait comprendre que l’on ne peut plus parler librement si présente est l’inquisition dans son propre pays. En effet le Français se souvient du cas d’un autre écrivain dissident se trouvant en Rhénanie chez son acupuncteur. Ils échangent sans se méfier. Un patient se trouvant dans la salle d’attente contiguë a entendu leur conversation et déposé plainte auprès du procureur de la République. On avait enfreint le paragraphe 13O qui interdit de mettre en question le jugement de Nuremberg. Un tribunal de vainqueurs jugeant des vaincus, donc n’ayant aucun parti-pris, parfaitement objectif, la justice incarnée. Le patient du thérapeute a purgé une peine d’une année de prison malgré son âge respectable. Ils sont des centaines dans ce cas, que dis-je, des milliers dans l’exemplaire démocratie d’outre-Rhin.
N’aurait-ce pas au contraire été l’occasion de faire connaître à ces dames un discours qu’elles n’avaient certainement pas eu l’occasion d’entendre étant donné la pensée unique totalitaire régnant dans le pays. L’hôte français aurait pu sans grand risque tenir des propos « dangereux », dire par exemple que la liberté d’expression permet, comme son nom l’indique de s’exprimer tant qu’il n’y a pas appel au meurtre. Le visiteur allemand aurait pu quant à lui pour protéger ses arrières ostensiblement, calmer son interlocuteur poursuivant de plus belle à forte voix et lui affirmer hautement qu’il avait tort, que la version de l’histoire véhiculée par les autorités est la seule valable, la seule vraie et que tous ceux qui la contestent ne sont que des incitateurs à la haine raciale.
Contester le jugement de Nuremberg ne peut être que de la haine raciale car il fut censément établi en dépit des faits et des documents que six millions de membre d’une fière communauté ont été exterminés. En outre s’engager pour l’indépendance de son propre pays est assimilable, cela va de soi, à de la haine raciale. Ainsi ces dames auraient entendu peut-être pour la première fois dans leur vie de la bouche d’un Français un discours qui ne peut être tenu en Allemagne même dans le cabinet d’un acupuncteur. Un premier pas peut-être vers une saine curiosité, vers un bénéfique questionnement, vers un horizon plus lumineux. C’est ainsi que progresse la connaissance.
N B : Je ne manque pas de préciser, lorsque je fais suivre un message « interdit » à des amis allemands « Rendez-vous compte de l’énormité de ce que je vous transmets. Ne devrait-on pas en informer la justice ? » Par ces paroles ils sont couverts vis à vis de la police de la pensée mais ils ont reçu l’information. Ainsi procède le périodique Le Canard enchaîné lorsqu’il révèle un scandale qu’il ne devrait pas révéler ou dont il ne veut pas indiquer les sources « Si l’on vous dit que tel personnage à commis tel délit, ne le croyez pas, c’est un affreux mensonge ». Le lecteur en conclut que c’est la vérité. Selon Orwell la paix c’est la guerre, la vérité c’est le mensonge. Nous sommes avertis depuis des décennies. Triste démocratie. Nous sommes le 7 octobre 2018 ! La scène s’est déroulée ce matin même.
Jacques Vecker
Source : « Libre expression », Château de Vaugran 30480 St Paul la Coste