Actuellement se tient à Paris, au Grand Palais, une très belle exposition rendant hommage à un des plus grands peintres de l’histoire européenne, Le Greco ou Greco (1541-1614). Greco a pour vrai nom Domenikos Theotokopoulos. Greco est le surnom ethnique, qui est resté, d’un peintre au nom grec imprononçable pour ses contemporains italiens comme espagnols, pays où il a été formé et a fait carrière. Remarquons à cette occasion, que, bien avant les pensées nationalistes du XIXème siècle, il est évident pour les contemporains qu’un Grec est un Grec, comme un Italien est Italien et un Espagnol est Espagnol ; les Nations, notion naturelle évidente, existent déjà, même sans Etat pour la Grèce ou l’Italie du XVIème siècle.
GRECO EN SON TEMPS
Greco est né en Crête, alors une forteresse chrétienne avancée, au Sud de la Mer Egée, bastion défendant pour un siècle encore l’Europe chrétienne face aux assauts musulmans turcs ottomans. Comme cette île appartient alors encore à Venise, Greco, jeune homme grec doué pour la peinture, peintre local d’icônes, finit par suivre une formation de peintre dans la Cité des Doges, attestée à partir de 1568. C’est alors la fin de la Renaissance, marquée par le style particulièrement du maniérisme. Ce dernier tend à déformer les corps en les allongeant. Le maniérisme vénitien est un des plus réussis esthétiquement, avec des maîtres comme Le Tintoret ou Titien. Greco garde toute sa vie cette façon de peindre les personnages, ce qui rend sa peinture unique en Espagne autour de 1600. Il accentue, même absolument seul, isolé en Espagne, cette technique.
Greco, qui se fait connaître quelque peu à Venise, puis à Rome, répond à l’invitation de commanditaires espagnols, et s’installe, définitivement, dans ce pays, en 1577. L’Espagne est alors la première puissance d’Europe, sous le roi Philippe II (1556-1598), et elle est à cette époque un pays riche. Faute de commandes royales –il n’existe qu’une exception-, Greco travaille, et gagne sa vie –malgré quelques procès avec des clients indélicats payant mal-, en peignant pour de grands commanditaires nobiliaires et ecclésiastiques. Ainsi s’explique, plus peut-être que le goût profond de l’artiste, la multiplication des portraits et des scènes religieuses catholiques, qui constituent l’essentiel de son œuvre. Il s’installe à Tolède, où il fonde un atelier ; ses travaux tardifs, et ceux de son fils, ou ses autres disciples, sont difficiles à distinguer des siens, ce qui est du reste un gage de la qualité de son enseignement.
L’ART SI PERSONNEL DU GRECO
Parmi les tableaux remarquables proposés à l’exposition, il faut absolument ne pas manquer L’Agonie du Christ au Jardin des Oliviers, L’Adoration du Saint Nom de Jésus, La Sainte Famille avec Marie-Madeleine, Sainte Marie-Madeleine pénitente –deux versions-, et l’intéressante série de variations sur le thème Le Christ chassant les marchands du Temple –qui montre les évolutions du style du Greco des années 1570 à 1600-. Ses tableaux se caractérisent par la rigueur équilibrée de la composition, toujours subtilement déstabilisée toutefois afin de créer une dynamique des personnages, des mouvements apparents. Héritage de la Renaissance, Greco construit dans ses tableaux des espaces profonds, suivant les règles de la perspective déformée du maniérisme. Les couleurs contrastées, vives, aident aussi à édifier cette vie unique dans les tableaux du Greco.
Greco excelle à la fois dans les portraits, ou tableaux à personnage unique, comme dans les grandes compositions à plusieurs centaines de personnages : à cet égard L’Adoration du Saint Nom de Jésus est exceptionnel, juxtaposant aussi la Terre, le Ciel, le Purgatoire, l’Enfer. Greco rend particulièrement bien l’attitude de contemplation des saints : ils voient manifestement un ailleurs, visible d’eux-seuls. Cette réussite est opposée au ridicule des tableaux pieux de commande du XIXe siècle, où les saints ont un triste regard vague, et pas habité comme chez Greco. Ses corps manifestement déformés, étirés, qui rendent ses tableaux immédiatement reconnaissables, possèdent une harmonie particulière, unique. Elle n’est pas forcément évidente au premier, et nous ne pouvons que conseiller au visiteur de prendre son temps, de s’habituer aux formes singulières proposées par Greco.
Rassemblant des tableaux de toute l’Europe, de grands musées publics comme de collections particulières, l’exposition Greco au Grand Palais est assurément à ne pas manquer. La visite peut bien prendre près de deux heures pour le visiteur attentif.
Scipion de SALM
Exposition Greco
Grand Palais, Galerie sud-est, jusqu’au 10 février 2020