La marionnette de préfecture Lallement de nouveau recadré par le Conseil d’État
L’association La Quadrature du Net, spécialisée dans la défense des « libertés fondamentales dans l’environnement numérique » vient d’obtenir une victoire devant le Conseil d’État s’agissant de l’utilisation de drones de surveillance par la préfecture de police de Paris. Dans sa décision du 22 décembre, le Conseil d’État a notamment décidé de suspendre « la décision du préfet de police de Paris de procéder à l’utilisation de drones pour la surveillance de rassemblements de personnes sur la voie publique », et d’enjoindre « au préfet de police de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone des rassemblements de personnes sur la voie publique ».
Ce recours contentieux devant la plus haute juridiction administrative faisait suite à un refus du tribunal administratif de Paris en date du 4 novembre. L’association avait en effet demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, « de suspendre l’exécution de la décision du préfet de police de Paris montrant que la police utilisaient toujours des drones à des fins de police administrative, notamment lors de manifestations sur la voie publique, et d’enjoindre au préfet de police de cesser immédiatement de capter des images par drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter et de détruire toute image déjà captée dans ce contexte ».
Afin d’obtenir une réponse aussi rapide de l’administration, l’association a utilisé le référé liberté. Il s’agit d’une procédure permettant de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d’une des libertés fondamentales si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale. Pour exercer ce recours, il faut : justifier de l’urgence, montrer qu’une liberté fondamentale est en cause (liberté de réunion, liberté d’aller et venir, liberté d’expression, droit de propriété, …), et montrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale.
C’est la deuxième fois que le préfet Lallement est remis en place par le Conseil d’État sur le sujet des drones de surveillance. En effet, en mai dernier, le Conseil d’État avait dans une ordonnance du 18 mai 2020, « enjoint à l’État de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement ». Derrière ces recours nous retrouvions plusieurs associations dont La Quadrature du Net, particulièrement en pointe sur le sujet. Le petit roquet Lallement, ne pouvant réfréner son envie de s’amuser avec ses nouveaux jouets volants, était donc passé outre la décision du Conseil d’État.
Une absence de cadre juridique qui n’arrête pas les pouvoirs publics
Pour justifier ces décisions, le Conseil d’État pointe notamment l’absence quasi-totale de cadre juridique, ainsi que l’atteinte à la vie privée et aux « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme ».
Parfaitement conscient de ce vide juridique, dont il a allégrement profité, le gouvernement avait saisit le Conseil d’État en fin d’année pour qu’il rende un avis relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques. Soit l’emploi de caméras embarquées sur des avions, des hélicoptères ou des drones. Le Premier ministre avait saisi le Conseil d’État en ces termes :
« Outre la réglementation relative à l’aviation civile, il n’existe pas de fondement juridique permettant explicitement l’usage de ces dispositifs ainsi que l’exploitation des images captées par les autorités publiques concernées, qu’il s’agisse de l’État (police nationale, gendarmerie nationale, personnels chargés de la sécurité civile, etc.) ou encore des collectivités territoriales (polices municipales notamment). (…)
L’usage de ces dispositifs en tous lieux et par de nombreuses autorités, y compris à des fins de surveillance, soulève ainsi des enjeux en termes de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ou, s’agissant des situations comportant une dimension judiciaire, conduit à s’interroger sur l’encadrement nécessaire en matière de procédure pénale.
[…] Le juge a en effet considéré que le dispositif en question constituait un traitement de données à caractère personnel au sens de la règlementation applicable et que, en l’absence de moyens techniques rendant impossible l’identification des personnes ou de dispositions règlementaires encadrant ce traitement, une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée était caractérisée. (…)
Dès lors, au regard de cette jurisprudence et afin d’assurer la sécurité juridique des dispositifs existants ou envisagés, le Gouvernement s’interroge sur les conditions de recours à ces outils de captation d’images par les autorités concernées. En particulier, il souhaiterait savoir si l’application des garanties en matière de protection des données à caractère personnel – notamment l’autorisation préalable par un acte réglementaire pris sur le fondement de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 – est suffisante pour permettre de poursuivre la mise en œuvre de ces dispositifs. Le cas échéant, le Gouvernement souhaiterait connaître les autres garanties qu’il convient de fixer en la matière. »
Dans son avis du 20 octobre (rendu public le 22 décembre), le Conseil d’État rappelle tout d’abord les différentes technologies qui peuvent être associées à une caméra aéroportée : « logiciels de reconnaissance faciale ou de reconnaissance de plaques minéralogiques, des capteurs thermiques ou de vision nocturne ou des microphones et systèmes d’enregistrement audio ».
« Elles peuvent être notamment employées dans le cadre de missions de police administrative générale intéressant la sécurité et pour des missions de sécurité civile (secours, lutte contre l’incendie). Dans le prolongement d’une mission de police administrative, les caméras aéroportées peuvent également être utilisées à des fins de police judiciaire, pour collecter des éléments de preuve de la commission d’une infraction ».
A noter toutefois que l’avis rendu par le Conseil d’État ne concernait pas l’emploi des dispositifs de surveillance aéroportée pour « l’exercice de polices administratives spéciales, qui appelle une réflexion distincte et propre à chacune de ces polices pour en apprécier la nécessité et la proportionnalité, ni l’utilisation de caméras aéroportées par les armées et les services de renseignement ».
« Il y a d’abord lieu de vérifier si la captation d’images par des caméras aéroportées peut être regardée comme un traitement de données à caractère personnel au sens du règlement général de protection des données et de la directive susvisée du 27 avril 2016 et, par suite, au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dont l’article 3 se réfère aux définitions données par le règlement ».
Cet article 3 donne la définition suivante : « constitue un fichier de données à caractère personnel tout ensemble structuré de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés, que cet ensemble soit centralisé, décentralisé ou réparti de manière fonctionnelle ou géographique ».
« Eu égard notamment aux technologies actuellement disponibles et à leur évolution et aux moyens matériels dont disposent les autorités publiques, le Conseil d’État estime que les images de personnes captées au moyen de caméras aéroportées par ces autorités dans le cadre de missions de sécurité publique ou de sécurité civile doivent, en principe, être regardées comme des données personnelles et que, par suite, la collecte et l’utilisation de ces images sont soumises au respect des textes rappelés ci-dessus.
Au regard de son impact sur les libertés et les droits garantis, la mise en œuvre du traitement ne pourra d’abord s’envisager, avant même la rédaction de l’acte l’autorisant qu’au terme d’une analyse d’impact, qui devra identifier précisément les risques et dangers de la mise en œuvre du traitement font courir, et apprécier les manières d’y remédier ».
Le Conseil d’État attire également l’attention sur la définition « de méthodes d’emplois, de règles de sécurisation des matériels et des données, de certification et de contrôle des matériels, de formation des personnels ».
Le Conseil d’État précise que l’utilisation de drones dans des missions de police générale ou à des fins de police judiciaire est susceptible par le survol rapproché et mobile de lieux publics ou de lieux privés qu’il permet, de porter atteinte à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui implique le respect de la vie privée.
Nous ne sommes évidemment pas des fidèles de l’église droit-de-l’hommiste, mais il convient de rappeler quels sont les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » définit dans l’article 2 de la déclaration susmentionnée. Ces droits sont « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
A ce titre, le législateur doit :
« définir les conditions permettant d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, comme il l’a fait pour la vidéoprotection et les caméras individuelles. Le Conseil d’État estime donc qu’il est nécessaire de fixer un cadre législatif d’utilisation des caméras aéroportées par les forces de sécurité et les services de secours. »
« Il appartiendra à la loi de définir les finalités justifiant l’emploi de caméras aéroportées et les garanties propres à assurer son caractère proportionné et adapté au regard des objectifs poursuivis. Il lui incombera de préciser et d’encadrer leurs usages de manière à limiter les atteintes portées au respect de la vie privée. La loi devra désigner les autorités publiques et les personnes susceptibles d’avoir recours à cette technique de surveillance, comme les modalités de conservation et de destruction des enregistrements, lorsqu’ils seront autorisés. »
En l’état, la loi portant sur la sécurité globale, qui prévoit l’utilisation massive de drones par le biais de son article 22, ne répond pas à ces exigences. Je vous renvoie à l’article précédent sur le soviétisme macronien qui traite notamment de cette loi.
« A l’occasion du présent avis, le Conseil d’État invite le Gouvernement à réexaminer les différents régimes existants de captation d’images auxquels ont recours les autorités publiques, dans le cadre de leur mission de police administrative ou judiciaire, notamment au regard des exigences du règlement général pour la protection des données et de la directive du 27 avril 2016, à s’assurer de leur cohérence et de la couverture légale exhaustive de leurs usages actuels et à étudier la possibilité de concevoir, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres pays européens, un régime juridique commun de l’encadrement de l’emploi de caméras complété le cas échéant par des dispositions adaptées aux spécificités de certains modes de captation ».
Concernant l’interdiction d’utiliser les drones, La Quadrature du Net parle de « victoire totale contre le gouvernement ». Il s’agit certes d’une victoire mais je ne serais pas aussi optimiste. En effet, le gouvernement peut s’appuyer sur les avis et décisions du Conseil d’État pour pallier le vide juridique. Nul doute qu’il essaiera de faire évoluer la loi pour mettre en place tous les outils de surveillance qu’il juge nécessaires.
Cependant, cette victoire montre qu’il faut se servir des failles du système pour le prendre à son propre jeu. Nous combattons cette république fondée entre autres sur l’utopie égalitaire des « Droits de l’Homme ». Et pourtant, c’est parfois au nom de ces mêmes droits de l’Homme que l’on peut court-circuiter la machinerie juridique.
Une technologie de plus en plus intrusive
Malgré les difficultés dans sa mise en place légale, la surveillance aux moyens de drones semble être un incontournable de la nouvelle doctrine orwellienne « sécuritaire ».
Rappelons qu’en avril, le ministère de l’intérieur avait fait un appel d’offre fixant un accord-cadre d’un montant total estimé à près de 4 millions d’euros sur quatre ans pour l’achat de drones. Cet appel était composé de quatre lots. Le journal Libération rapportait la composition de ces lots.
« Le premier lot concerne environ 565 « micro-drones du quotidien », pour un prix estimé de 1,8 million d’euros (HT). Ces drones doivent faire moins d’un kilo, pouvoir voler pendant vingt-cinq minutes minimums, et à une hauteur de 100 mètres en étant discret. Ils doivent filmer en 4K ou UHD, et avoir une caméra thermique tout en transmettant à 3 kilomètres au moins.
Le deuxième lot concerne environ 66 drones « de capacité nationale », plus massifs (8 kilos maximum) mais également discrets à 120 mètres, pour un montant estimé de 1,58 million d’euros (HT). Ils doivent embarquer un objectif filmant à 500 mètres (avec un zoom x30 de jour), voler vingt minutes sans recharge et transmettre au moins à 5 kilomètres.
Le troisième lot concerne une vingtaine de « nano-drones spécialisés », pour un prix hors TVA de 175 000 euros. Ils doivent peser moins de 50 grammes, avoir vingt-cinq minutes minimums d’autonomie et transmettre leurs images à 2 kilomètres minimum. »
Le dernier modèle de drone ultra léger m’interpelle tout particulièrement. Pour avoir une idée des caractéristiques de tels drones, nous pouvons regarder du côté des applications militaires. En 2019, l’armée française a fait l’acquisition de près de 2000 « nano-drones » de fabrication américaine. Il s’agissait du modèle Black Hornet PRS 3. Avec une portée de plus de 2km, ce mini drone permet d’obtenir des vidéos en direct et des images en haute définition. Avec ses 16 centimètres de long et son poids plume de 33 grammes, il s’agit de l’un des plus petits drones militaires du marché.
En distance d’approche, les militaires du centre de formation drones du 61e régiment d’artillerie préconisent une bulle de 20m. A cette distance le drone est censé être invisible et inaudible.
Les progrès phénoménaux de la technologie, et notamment celui de la miniaturisation pose le problème de l’encadrement par la loi des caractéristiques techniques des équipements utilisés pour les missions de surveillance. Souhaitez-vous vivre dans un pays où la police pourrait utiliser des drones de la taille d’un insecte ?
Oscar Walter