DOUZE JOURS après le terrible accident provoqué le 10 février par Pierre Palmade sur une route départementale de Seine-et-Marne et qui a causé la mort d’un fœtus de six mois et demi et qui a ruiné la vie de trois autres personnes, voilà que, le mercredi des Cendres, premier jour du Carême, dans un lycée « catholique sous contrat » de Saint-Jean-de-Luz, un adolescent de seize ans, en classe de seconde, a mortellement poignardé son enseignante d’espagnol en plein cours, peu avant dix heures du matin. Après s’être levé, avoir fermé de l’intérieur la porte de la classe en tournant le verrou, sans dire un mot, calmement, l’assaillant a sorti un couteau de cuisine de 18 centimètres pris la veille au soir chez son père après avoir retiré le rouleau de Sopalin qui le cachait et a frappé en pleine poitrine son professeur de 52 ans, Agnès Lassalle, qui enseignait en tant qu’agrégée depuis 1997 dans cet établissement luxueux et réputé ayant 100 % de réussite au baccalauréat. Il n’a pas cherché à fuir les lieux et, lors de sa garde à vue, il a affirmé être possédé et l’otage d’une petite voix méchante, égoïste, manipulatrice et égocentrique qui lui aurait enjoint, la veille du crime, de commettre un assassinat. Il parle d’ailleurs de lui à la troisième personne et affirme que ce n’est pas lui qui a commis le geste fatal mais l’être invisible qui exerce sur lui son empire.
On pourrait considérer à première vue qu’il s’agit là d’un simple fait divers, atroce évidemment, mais tout à fait isolé, exceptionnel, hors du commun, et qui a donc heureusement peu de chance de se reproduire. Cette analyse optimiste nous paraît hélas erronée car, lorsqu’on essaie d’en savoir plus sur le meurtrier, sur son profil psychologique, sur ses addictions, sur son passé, sur sa famille, on se dit que ce genre d’actes d’une violence extrême pourrait parfaitement se multiplier, voire se banaliser dans une société de plus en plus déstructurée. En un demi-siècle une dizaine d’enseignants ont été tués. Cela paraît relativement peu mais les meurtres ont été plus nombreux ces dernières années et on ne voit pas humainement ce qui pourrait freiner aujourd’hui cette funeste évolution.
MÊME SI nous ne disposons à ce stade que d’informations fragmentaires et parcellaires sur ce jeune homme, aîné d’une fratrie de trois garçons, plusieurs éléments mis bout à bout ne peuvent que frapper l’observateur attentif. En lisant les dépêches, on apprend que ses parents de milieu aisé étaient divorcés. Cette information n’est nullement mise en avant par les media. Il nous a fallu du temps pour la trouver. Elle n’est toutefois pas totalement sans importance. Même si on essaie aujourd’hui de banaliser le divorce, voire de le justifier par toute une série d’arguments, la séparation des parents est presque toujours un traumatisme pour les enfants et les adolescents, un moment très délicat à vivre, une situation difficile à accepter. D’autant qu’aujourd’hui la garde alternée est très souvent la règle. Si bien que l’enfant est ballotté d’une semaine à l’autre d’un domicile à l’autre et que parfois il doit s’accommoder de la présence soudaine et non souhaitée d’une tierce personne : le nouveau partenaire de la mère ou du père qui est pour lui un total étranger, un parfait inconnu. Dans la difficile période de structuration du moi que représente l’adolescence, la brisure de l’unité de la famille et la perte des repères qu’elle induit sont tout sauf anodines.
A la lecture des différents articles sur cette affaire tragique, nous apprenons également, là encore au détour d’une phrase, que le jeune homme passait toutes ses récréations à lire des mangas. Ce fait n’a, lui non plus, rien d’anodin. On ne dira jamais assez combien la lecture, surtout si elle est pluriquotidienne, obsessionnelle, de ces bandes dessinées japonaises, profondément malsaines, tant dans leurs illustrations que dans les situations décrites, peut être dangereuse pour des esprits fragiles et malléables. Il y a très souvent dans les mangas la présence d’esprits ténébreux qui sont invoqués. Le phénomène prend de l’ampleur. Dernièrement, dans différents établissements, des religieuses traditionalistes qui ne comprenaient pas le comportement tout à coup bizarre et anormal de certaines de leurs jeunes filles pensionnaires, jusque-là bien sous tous rapports, ont découvert que les adolescentes en question dévoraient les mangas et s’identifiaient aux personnages et aux esprits maléfiques de ces bandes dessinées, ce qui avait des conséquences catastrophiques sur leur façon d’être et d’agir. Cette fascination morbide pour une culture et une civilisation étrangères aux nôtres — et l’on devrait plutôt parler de sous-culture car les mangas japonais sont un vaste monde dont on a, en France, qu’une partie, et la plus mauvaise — est profondément nocive. Quelle tristesse que l’on ne s’intéresse pas en priorité à notre littérature si belle, si riche ! Cela aussi, c’est une forme de dépossession, et ce n’est pas la moins grave.
AUTRE INDICE donné par l’avocat du meurtrier : ce dernier, dyslexique mais plutôt bon élève malgré tout, avait été victime de harcèlement moral de la part de certains de ses camarades dans le collège public qu’il avait fréquenté de la sixième à la troisième. C’est la raison pour laquelle il aurait été scolarisé pour le lycée, à l’automne dernier, non dans le public, mais dans un établissement privé jugé prestigieux et de qualité, où vont essentiellement les enfants des classes aisées de Saint-Jean-de-Luz, le lycée Saint-Thomas-d’Aquin qui dispose d’un parc vaste et magnifique, élément a priori propice à l’épanouissement des élèves.
En octobre 2022, le jeune homme a fait une tentative de suicide médicamenteuse. Il était suivi par un psychiatre et prenait un traitement. Des dépêches évoquent un antidépresseur, son avocat parle d’un anxiolytique dont l’un des effets secondaires, selon lui, serait de déclencher d’éventuelles bouffées hallucinatoires. Si c’est réellement le cas, on reste stupéfait qu’un psychiatre puisse délivrer un traitement aussi dangereux, qui plus est chez un adolescent déjà fragile, timide, replié sur lui-même, profondément angoissé. Malheureusement, nous l’avons souvent constaté autour de nous, beaucoup de professionnels de santé (pas tous fort heureusement) se comportent comme des épiciers sans se soucier plus que de cela des conséquences parfois redoutables que peut provoquer la prise de médicaments qu’ils prescrivent, tout particulièrement les psychotropes qui agissent directement sur l’état du système nerveux central. On se souvient ainsi des catastrophes naguères provoquées par le Prozac (auquel on attribue quelque 40 000 suicides), antidépresseur qui a été très à la mode il y a quelques années et qui a été souvent donné trop facilement et sans discernement.
IL SERAIT également intéressant de savoir si le jeune adolescent avait une addiction aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux. Car là encore, comme pour la lecture assidue des mangas, la pratique intensive et quotidienne de jeux vidéo peut parfois avoir de lourdes conséquences pour l’équilibre psychique, les utilisateurs ayant du mal à établir clairement la différence entre le réel et le virtuel. Si, dans les jeux vidéo, je dispose de plusieurs vies, si je peux tuer à volonté sans la moindre conséquence, je peux finir par perdre de vue que, dans la vraie vie, des actes sont irréparables. Un prêtre racontait dernièrement, dans son homélie dominicale, qu’un jeune homme qu’il avait marié avait une très forte addiction aux jeux vidéo. Cela a brisé son mariage, détruit sa vie. L’histoire est parfaitement authentique. Elle n’en est que plus dramatique. Et on parle là de catholiques traditionalistes, ce qui est encore plus saisissant. Cela montre l’étendue du mal, la contagion du monde et des techniques modernes sur des esprits qui devraient pourtant être raisonnables et informés des dangers. Le jour même des noces, il a fallu que ses proches lui retirassent l’ordinateur car le fiancé, scotché à son ordinateur, serait arrivé en retard à la cérémonie. La suite est pathétique : le soir, lorsqu’il rentrait du travail (c’est un militaire d’active), alors que son épouse lui disait de sa voix douce de venir dîner car le repas était prêt, il s’exclamait « j’arrive » mais n’en faisait rien, restant assis derrière son ordinateur à s’adonner aux jeux vidéo, tel un garçonnet incapable de se maîtriser.
Une heure plus tard, alors que, dévouée et encore amoureuse (cela ne durera pas !), elle avait fait réchauffer le repas et l’appelait à nouveau « à, table, le dîner va refroidir », ce dernier de lui faire la même réponse « j’arrive », tout en restant collé à son écran. Les heures passaient, neuf heures, dix heures, onze heures, et le mari demeurait hypnotisé sur son fauteuil, ne venant rejoindre son épouse, couchée depuis longtemps, que vers minuit ou une heure du matin. Que croyez-vous qu’il arriva ? L’épouse demanda le divorce et le mari ne comprit pas ce qui lui arrivait.
CERTES, il faut se garder de généraliser mais il n’empêche que notre monde est profondément malade. Et l’enfance et la jeunesse sont les premières victimes de ses dérèglements. La perte du sens moral, la dislocation des repères spirituels, moraux et familiaux, la quasi-disparition de la vie intérieure et contemplative, l’invasion chaque jour plus grande de la techno-science dans notre existence, le règne omniprésent et omnipotent du virtuel au détriment du réel ont et auront de plus en plus de conséquences incommensurables pour les individus comme pour les familles. Comment ne pas donner raison à Georges Bernanos qui, dans La France contre les robots, avertissait dès 1947 sur les dangers de la technique car, prophétisait-il, c’est la technique qui va l’emporter sur l’homme et non l’homme sur la technique. On ne dira jamais assez combien l’invention il y a une quinzaine d’années du smartphone, qui présente certes un certain nombre d’avantages non négligeables, a révolutionné la vie de centaines de millions d’individus de par le monde. Et pas toujours pour le mieux hélas. Les applications de rencontre sur ces appareils qui permettent de géolocaliser le partenaire d’un soir ou d’une nuit, parfaitement inconnu jusque-là, et qui sont extrêmement utilisées ont ainsi fortement contribué au nomadisme sexuel et à l’instabilité affective. C’est d’ailleurs grâce à de telles applications de rencontre, qui existent aujourd’hui pour tous les goûts et tous les profils, que Pierre Palmade avait recruté ses compagnons de débauche.
FACE À toutes ces dérives mortifères, face à l’étendue du désastre, si nous ne voulons pas être emportés nous-mêmes par ce torrent démentiel, il convient, autant que faire se peut, de faire vivre ou revivre en nous et autour de nous des relations authentiques, stables, fortes, saines fondées sur le dévouement, la fidélité, l’écoute, l’attention à l’autre, le respect mutuel, la pratique des vertus domestiques, l’amitié, l’affection, l’amour et la tendresse qui ne peuvent s’épanouir dans le virtuel et l’anonymat des réseaux sociaux mais qui se prouvent, s’affirment et se dilatent dans les humbles actes du quotidien.
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RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol