Changement de statut spectaculaire pour Bernard Bajolet sur France Culture, cet ancien directeur de la DGSE de 2013 à 2017, qui passe sans transition d’une émission de Matière à Penser en avril 2019 à une émission de Superfail en janvier 2023. Que s’est-il produit en moins de trois ans pour que la radio le pousse aujourd’hui sans vergogne du haut la Roche Tarpéienne, en oubliant le plus naturellement du monde, comme si de rien n’était, avec l’aplomb de l’évidence, qu’elle lui avait hier tressé des lauriers sur la Capitole?
Quand France Culture (avec un petit France et un gros Culture) parle de superfail, elle ne s’inclue évidemment pas dedans, et pourtant, au moment de la première émission, Antoine Garapon avait été d’une obséquiosité confondante, qui mettait d’autant plus mal à l’aise qu’on se demandait ce qui pouvait bien la justifier, quant à Bernard Bajolet, il avait été d’une suffisance feutrée – d’autant plus crispante qu’elle ne s’assumait pas, et dont, à nouveau, on se demandait quels succès sur le terrain pouvait bien sinon la justifier, du moins l’excuser.
Rappelons le bilan récent de la DGSE: la France éjectée de Syrie en ayant défendu l’idée que le gouvernement de Bachar el Assad était illégitime et qu’il gazait son peuple – Bernard Bajolet se réjouit néanmoins que «la France ait dit le droit», la France également éjectée du Mali et d’un peu partout en Afrique de l’Ouest, une équipe de la DGSE qui se fait piéger en Turquie, et le dernier exploit en date, la France qui ne voit rien venir de la guerre en Ukraine, son agent en poste à l’ambassade de France à Kiev passant son temps à jouer au ping-pong.
Au fond, le seul mérite de Bernard Bajolet, qui justifie son invitation sur la radio, c’est qu’il se vante de parler arabe, il dit que sa chanteuse préférée c’est l’Égyptienne Fairuz et que le plus important dans le renseignement, c’est de s’imprégner en profondeur de la culture allogène plus que de concevoir des coups tordus: que des bons sentiments multiculturalistes, même pas multiculturaliste d’ailleurs, seul l’Islam importe.
Et puis voilà, le mur de bons sentiments s’écroule, il ne résiste pas à cette affaire dans laquelle la DGSE s’est fait escroquer de son trésor de guerre occulte par un homme d’affaires véreux et qui essaie de recouvrer son argent, non par la justice, mais par ce qui ressemble à de l’extorsion de fonds lors d’une intimidation menée en 2016, sous Bajolet, à l’aéroport CDG.
En réécoutant l’émission de Matière à Penser, l’auditeur sourira de Bernard Bajolet déclarant que « contrairement à ce qu’on pourrait penser, les agents de la DGSE sont légalistes » et qu’il a « personnellement poussé une loi pour que l’action des services soit juridiquement encadrée et les libertés individuelles protégées » et qu’au moins sur le territoire national, les agents ne soient pas hors la loi (à l’étranger, évidemment, leurs activités d’espionnage sont par définition illicites).
Le fond du problème de toute cette cacophonie, c’est de savoir si quelqu’un à France Culture ou à la DGSE sait encore qu’en principe, ils se doivent de travailler pour la France.
Je pense malgré tout que pour France Culture, ça leur va mieux de taper sur la DGSE que de l’encenser: dans la première interview, la radio telle qu’on la connaît était vraiment à contre-emploi et pas crédible, même si Bajolet faisait dans le culturellement correcte.