Les fonds souverains et des capitaux d’entreprises libyennes auraient été captés par les Émirats Arabes Unis avec la complicité d’hommes d’influence libyens. Une enquête du site Arabic Post publiée en février détaille la façon dont les Émirats Arabes Unis (EAU) ont pu contrôler les fonds de l’ancien guide libyen Mouammar Kadhafi.
L’investigation, en rapportant les déclarations, non vérifiées, du cousin du guide, Ahmed Kadhaf al-Dam, estime que la fortune de Kadhafi avoisinerait les 600 milliards de dollars. Mais en réalité, cette fortune pourrait être plus importante car éparpillée dans plusieurs pays en autant d’investissements et de patrimoine immobilier.
Pour les auteurs de cette enquête, les EAU étaient, depuis le début de la révolution libyenne, intéressés par le fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio, présent surtout en Afrique.
« En 2011, après la chute du « régime » Kadhafi en Libye et avant même la mort du guide, une incroyable chasse au trésor internationale a démarré. En jeu : environ 400 milliards de dollars, placés un peu partout dans le monde par le clan de Mouammar Kadhafi », écrivait en février 2018 le journal belge Le Vif, en s’interrogeant sur le sort de certains fonds libyens déposés dans des banques européennes. « Le Conseil de Sécurité de l’ONU en a très rapidement décrété le gel pour que cette manne ne revienne pas dans les mains du clan déchu mais puisse, au contraire, aider le nouveau pouvoir en place à reconstruire le pays ».
Béchir Salah Béchir : la boîte noire
Le Vif avait révélé que 10 des 16 milliards d’euros de fonds libyens gelés à Bruxelles en septembre 2011, sur décision de l’ONU, avaient disparu sans explication.
En 2018 encore, le quotidien Al-Araby affirmait que les Émirats s’étaient « emparés de l’argent libyen » déposé dans leurs banques, d’un « montant de 50 milliards » de dollars, pour « financer les opérations militaires » de leurs alliés en Libye, dont celles du général Khalifa Haftar.
Comme pour d’autres entités financières ou économiques libyennes, les EAU ont facilité le transfert de leurs capitaux entre 2014 et 2017 de Libye vers des bureaux de représentation à Dubaï. Ces opérations auraient, selon Arabic Post, permis de contourner les mesures onusiennes de contrôle des capitaux de l’ancien régime, mais aussi de créer, au profit des EAU, un réseau de politiciens et d’hommes d’affaires importants sur l’échiquier libyen.
L’enquête s’intéresse à la boîte noire financière de Kadhafi, Béchir Salah Béchir, l’ex-président du Libyan African Investment Portfolio, qui s’est réfugié aux EAU en 2018 après avoir échappé à une tentative d’assassinat en Afrique du Sud, où il s’était exilé. L’homme était l’architecte des investissements libyens à l’étranger et responsable du très complexe réseau de contournement des sanctions économiques contre l’ex-régime. Une fois à Abou Dabi, Béchir Salah Béchir a été placé en résidence surveillée : « Il est à la disposition d’Abou Dabi et il ne peut avoir aucun contact médiatique ou diplomatique sans la présence des services secrets émiratis », note Arabic Post.
« Les EAU gagnent de plus en plus d’influence sur les entités libyennes économiques et d’investissement », poursuit l’article.
Les réseaux Mohammed ben Zayed
L’autre homme fort de l’influence émiratie sur l’économie libyenne est Faisal Jarjab, président de la Holding Company for Post and Information Technology. Il contrôle, personnellement ou via des intermédiaires, plusieurs sociétés et holdings qui faisaient partie du dispositif libyen d’investissement à l’étranger, dont LIA Advisor Ltd – ses fonds ont été placés sous séquestre par l’ONU en 2011 pour éviter tout détournement –, LPTIC (l’ex-holding libyenne des postes et télécommunication), LAP Green, LAP Mauritius, Bousval (qui fait partie de la holding libyenne des postes et télécommunication) et Oilinvest (spécialisée dans l’investissement dans les énergies), dont les bureaux de recrutement ont ouvert aux EAU. Toutes ces entreprises et fonds ont vu leurs capitaux ou bureaux de représentation transférés vers les EAU ou vers des pays européens, notamment Malte.
Le troisième homme d’influence émiratie en Libye (2011-2016) n’est autre que Aref Ali Nayed, ex-ambassadeur libyen aux EAU. Ce proche du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed (MBZ) a été aidé par ce dernier pour lancer la chaîne de télévision Libya HD, qui diffuse depuis la Jordanie et est dirigée par son frère, Redha Nayed. Les EAU ont également soutenu sa fondation, Kalam. Aref Ali Nayed préside aussi l’Institut libyen des Études avancées, « sous contrat avec des lobbys à Washington grâce au soutien des Émirats afin de promouvoir Aref Nayed aux États-Unis », selon Arabic Post.
En 2015, Middle East Eye avait révélé que l’ancien émissaire de l’ONU pour la Libye, l’Espagnol Bernardino León, travaillait secrètement avec les Émirats Arabes Unis en apportant son soutien à l’une des parties impliquées dans la guerre civile en Libye, à savoir la Chambre des représentants, soutenue par l’autoproclamée Armée nationale libyenne de Khalifa Haftar.
Dans un mail datant de fin 2014 adressé au ministre des Affaires étrangères des Émirats Arabes Unis, Abdallah ben Zayed al-Nahyan, l’ex-responsable onusien expliquait qu’il coordonnait ses activités notamment avec Aref Nayed.
Arabic Post note aussi que Aref Nayed avait déjà beaucoup collaboré avec l’autre responsable libyen du réseau d’influence émirati, Faisal Jarjab.
Le trésor de Khadafi n’a pas été perdu pour tout le monde…