L’avantage d’une association comme l’ADL (Anti-Defamation League), créée en 1913, au moment du viol et de l’assassinat de Mary Phagan par Leo Frank, c’est qu’elle a une durée d’existence quasi illimitée et qu’elle peut inlassablement revenir à la charge, même bien après que tous les protagonistes d’une affaire, les suspects, les témoins, les enquêteurs, les avocats, les juges, les journalistes, les politiques, soient décédés…
Aujourd’hui, plus d’un siècle après le viol d’Atlanta, l’ADL revient à la charge avec une arme politique très puissante et très à la mode qui s’appelle la « recontextualisation ». C’est une pure escroquerie, à vrai dire, une véritable saloperie chimique, cette arme permet de dissoudre n’importe quel fait et de rendre vrai n’importe quelle thèse, plus précisément, pas n’importe quelle thèse : celle qui vous arrange politiquement.
Dans le cas de Mary Phagan, il suffit de prononcer deux mots : « antisémitisme » et « lynchage » et on a tout dit : l’innocent Leo Frank a été lynché par une foule haineuse d’antisémites, lynché à cause de son faciès, lynché parce qu’il était Juif. Qui ira vérifier dans les volumineuses archives de l’époque ?
Cette arme a déjà fonctionné au moment du procès, pas la corde du lynchage, qui n’avait pas encore eu lieu, mais la corde de l’antisémitisme : c’est pour ça que le gouverneur de Géorgie a commué, sous la pression de l’ADL, la peine de mort de Leo Frank en perpétuité. En 1983, l’ADL obtient une seconde demi-victoire en obtenant une réhabilitation partielle en raison cette fois du lynchage : les droits de Leo Frank auraient été bafoués puisqu’il a été pendu alors que le gouverneur de Géorgie, qui avait le droit de le faire, avait commué sa peine.
Demi-victoire seulement, car le but de l’ADL alors comme aujourd’hui, c’était la réhabilitation pure et simple de Leo Frank : la reconnaissance qu’il est innocent.
Mais il y a un os : Mary Phagan !
Car il y a dans cette affaire un petit miracle de réincarnation.
Mary Phagan a été violée en 1913 jusqu’à ce que mort s’en suive. Mais Mary Phagan avait un frère, et ce frère est le grand-père d’une petite fille qu’on a nommée Mary Phagan en souvenir du drame, pour perpétuer la mémoire de Mary Phagan. Et cette deuxième Mary Phagan, Mary Phagan Kean, se bat pour empêcher que le meurtrier de sa grande tante soit innocenté et transformé en martyre à la place de la seule et unique victime : Mary Phagan.
Elle a écrit un livre, plus tard, elle a créé un site internet mais surtout, elle s’est signalée à la justice, elle a signalé son existence, c’est en partie ce qui a fait échouer la manœuvre de l’ADL en 1983 : la justice a compris qu’il y avait une partie prenante directement intéressée dans l’affaire, intéressée au premier chef, prioritaire même sur l’ADL, et qu’elle ne pouvait pas se permettre de faire n’importe quoi en catimini dans le dos du grand public.
Voici un exemple de ce qu’on peut trouver sur son site, la photo de sept des vingt femmes qui sont venues témoigner à charge contre Leo Frank pour ce qu’on appellerait aujourd’hui du harcèlement sexuel : des assiduités collantes de la part d’un responsable hiérarchique.
Attention, il s’agit en l’occurrence d’un élément purement contextuel, on n’est donc plus très loin de la recontextualisation.
La contextualisation a une légitimité, d’abord, elle ne remet pas en cause le primat du fait, elle ne cherche pas à remplacer les faits, elle cherche en principe seulement à en trouver le sens. Mais on voit bien sur cet exemple que la contextualisation annonce la force dévastatrice de la recontextualisation, comme il serait facile, au vu de ces sept visages, de condamner Leo Frank.
Ce n’est pas ce qui s’est passé. À l’époque, l’enquête avait établi les faits suivants :
Mary Phagan avait été convoquée à l’usine par le patron, Leo Frank, un samedi, on est en plus un 26 avril, qui est un memorial day pour les Sudistes, la fabrique de crayon ne tourne donc pas ce jour-là, le bâtiment est à peu près désert, Mary Phagan est convoquée pour toucher sa paie hebdomadaire, on se demande pourquoi elle ne l’a pas eue le vendredi. Elle est violée et tuée à l’étage, dans l’atelier attenant au bureau de Leo Frank, on retrouve des cheveux et du sang collés sur un établi. Mary Phagan est ensuite jetée dans la cage du monte charge par Leo Frank aidé de son concierge noir, Jim Conley.
Jim Conley est le seul autre mâle présent dans l’usine au moment du crime, mais ce n’est pas lui qui a convoqué Mary Phagan un jour férié, et, lui, son poste est au rez-de-chaussée, comme pour tous les concierges qui se respectent. Il est vrai que ce Jim Conley était un peu plus qu’un concierge pour Leo Frank, il était payé davantage que les contremaîtres, son rôle était de vérifier que personne ne montait à l’étage pendant que le patron était « occupé ». Ce samedi, il était encore là pour ça, ce n’est pas lui qui est venu de lui-même à l’usine un jour férié, il aurait sans doute préféré être dehors à faire la fête avec tout le monde et à boire des bières.
Voilà, le lecteur intéressé peut se référer à un article plus consistant sur Jeune Nation : 26 avril 1913, meurtre de Mary Phagan, 100 Raisons de croire à la culpabilité de Leo Frank
Pour nous, il est beaucoup plus facile d’admettre que Leo Frank avait convoqué Mary Phagan « pour se la faire » que d’admettre que Jim Conley a profité du fait qu’il était à l’usine en même temps que Mary pour la violer sous le nez de son patron.
Pas pour l’ADL, ni pour la communauté qui est derrière et qui est soucieuse de nous faire une démonstration de force qui doit se conclure par la réhabilitation complète de Leo Frank. Elle ne revient pas à la charge sur la base, par exemple, d’une expertise ADN, non, elle nous parle simplement de lynchage et d’antisémitisme.
1 – Pour le lynchage, ce que l’ADL ne nous précise pas, c’est qu’il intervient le 17 août 1915, qu’entre-temps il y a eu deux ans de procédure, 13 jugements tous défavorables à Leo Frank, émanant de tous les échelons du système judiciaire américain : Grand Jury, première instance de l’État de Géorgie, appel et Cour suprême, puis rebelote au niveau fédéral : première instance, appel et Cour suprême. Ce n’est que parce qu’un gouverneur en fin de mandat acquis à la communauté a décidé de commuer la peine en prison à vie qu’un peloton de notables d’Atlanta s’est résolu à le lyncher, aucun n’ayant été inquiété par la suite. Comme le dit le titre d’un livre de 500 pages sur la question, Leo Frank a été lynché, mais c’était le le lynchage d’un coupable : The Leo Frank Case: The Lynching of a Guilty Man
2 – Pour l’antisémitisme, on n’en trouve pas trace dans les journaux locaux de l’époque, la Géorgie est au contraire un de ces États évangélistes fermement derrière Israël. Les évangélistes prônent un retour à la Bible, et dans la Bible, il est écrit que les Juifs sont le peuple élu, par conséquent ils sont les derniers qu’on puisse soupçonner d’antisémitisme.
Pendant la guerre de Sécession, le directeur de l’institut d’émission de la monnaie centrale des États Confédérés était un Juif, Judah P. Benjamin, et certains billets de banque étaient à son effigie.
En haut à gauche du billet, Judah P. Benjamin, Juif sépharade, premier Juif à devenir sénateur et membre du Confederate Cabinet – le gouvernement sudiste.
On le voit aussi à gauche sur la gravure ci-dessous représentant le cabinet sudiste.
Autant aller chercher de l’antisémitisme en Israël.
Non, la spécialité des États du Sud, c’est plutôt le racisme anti-africain, la défense de Leo Frank à l’époque avait d’ailleurs essayé d’en jouer, problème, le Ku Klux Klan a déclaré que Jim Conley, le concierge noir, ne pouvait pas être soupçonné dans l’affaire !
L’ADL n’a pas un seul bon argument à part peut-être celui de la force, mais ce dernier va peut-être l’emporter. Mary Phagan Kean nous apprend qu’on s’est rendu compte en 1965 que certaines archives avaient été détruites ou volées, qu’on ne retrouvait plus les transcriptions originales du procès.
Son site est régulièrement attaqué, on lui refuse l’accès aux pièces dont dispose le comité de réhabilitation de l’État de Géorgie, alors qu’elle est quand même la première intéressée.
Nous recommandons cette vidéo. Les points suivants y sont abordés :
La tentative de faire porter le chapeau à un noir.
L’histoire totalement inventée de la morsure sur la peau de Mary Phagan qui ne correspondrait pas à la dentition de Leo Frank (sachant que de toute façon, à l’époque, il n’y avait pas de radio des dents, et donc, rien pour comparer à la morsure…).
Les calomnies colportées sur Mary Phagan (la victime) disant que c’était une garce
L’agitation absurde du chiffon de l’antisémitisme au moment du procès de Leo Frank
Le fait que le texte de la pierre tombale de Mary Phagan a été modifié de sorte à faire croire à l’innocence de Leo Frank.
Le fait que les autorités de Géorgie et les défenseurs de Leo Frank tiennent des réunions secrètes pour la réhabilitation de Leo Frank, réunion dont Mary Phagan Kean et sa famille sont exclues.
En 1983, le refus de la cour d’innocenter Leo Franck avait soulevé un tsunami d’indignation médiatique.
En 2025, avec Trump au pouvoir, on peut craindre que la réhabilitation passe. L’ironie de l’histoire, c’est que Pam Bondi, la procureure générale nommée par Trump, a déclaré qu’elle requerrait la peine de mort chaque fois que cela serait possible. Question, qu’aurait-elle fait dans le cas de Leo Frank ?
Sources :
Le site de Mary Phagan Kean, la petite nièce de Mary Phagan
Vidéo Stew Peters Show avec Mary Phagan Kean