Arnaud Guyot Jeannin vient de faire paraître un petit ouvrage intitulé « Critique du nationalisme » et sous-titré « Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité ».
Disons-le immédiatement : ce livre est une charge continue contre le nationalisme et n’incite en rien à s’enraciner et à être fier de son identité. Il est aussi et surtout empli d’erreurs et appartient à cette catégorie d’ouvrages qui ne sont rien d’autre que des boulets visant le camp qu’ils prétendent défendre. Il est indispensable de clarifier la question.
Guyot Jeannin déconstructeur
Que Guyot Jeannin n’aime pas le nationalisme, cela apparaît dès la première ligne de l’introduction qui consiste en une citation d’un dénommé Ernst Gellner – citoyen britannique exilé juif de Bohême Moravie en 1939 – qu’il fait sienne : « L’idéologie nationaliste est imprégnée de raisonnements erronés. Ses mythes inversent la réalité : elle prétend défendre la culture populaire alors qu’en fait, elle forge une haute culture. Elle prétend protéger une société populaire ancienne alors qu’elle contribue à construire une société de masse anonyme ».
Dès l’abord, le nationalisme nous est présenté de fait comme un fatras d’élucubrations démentes, fausses et par suite dangereuses. Plus encore, le nationalisme est réduit à l’état d’une idéologie constituée de mythes, autrement dit d’images et de récits sans fondement scientifique qui travestissement le réel. Pour un Guyot Jeannin qui est généralement classé politique « de droite », sinon de droite extrême, le propos ne manque pas d’étonner.
Et, si nous suivons ce texte, le nationalisme est accusé de forger une « haute culture ». Mais où est le mal ? En toutes choses il faut rechercher l’excellence. Et la culture populaire n’est-elle pas l’expression vivante de l’âme d’un peuple, du génie de ce peuple ? Elle constitue la substance à partir de laquelle il est naturel que l’intelligence humaine se développe, se nourrisse et s’accomplisse. L’intelligence de chacun est l’héritière d’un savoir sans lequel, non seulement elle ne serait pas elle-même mais sans lequel elle serait carencée, l’homme ne pouvant « s’homminiser », se réaliser en tant qu’homme, que dans le cadre d’une tradition culturelle et civilisatrice. Dès lors, dans ce cadre, notre intelligence développe une pensée qui participe à l’expression de la richesse de l’humanité dans l’universel, laquelle est constituée de l’ensemble de la diversité des peuples qui la constituent.
Mais une autre accusation vient aussitôt : le nationalisme vise à constituer une société de masse anonyme, trompant en quelque sorte les peuples sous couvert de protection de leur culture populaire. C’est en fait réduire le nationalisme au cas particulier du jacobinisme pris comme référence – ce qui est fait p. 35 en écrivant que le jacobinisme est cause du nationalisme : « L’absence d’intermédiaire entre le citoyen et la nation a été rendu possible à cause de la centralisation pré jacobine de la monarchie absolue ». De même, si le fascisme et le national-socialisme sont ici visés, faut-il rappeler le contexte dans lequel ils sont apparus et se sont développés, à savoir celui de peuples qui devaient achever leur unification, scellée dans le sang de la Grande Guerre et, plus particulièrement pour l’Allemagne, celui d’un peuple désirant retrouver une place juste dans le concert des nations, place qui lui était refusée par les vainqueurs de 1918 lesquels, fait nouveau dans l’histoire, n’avaient pas tant soi peu associé le vaincu à l’établissement de la paix. Rappelons que le traité de Versailles disposait d’un article 19 ouvrant la voie à sa révision, article qui fut vite ignoré mais dont l’évocation aurait pu contribuer à éviter une montée aux extrêmes. Mais on ne refait pas l’histoire.
Guyot Jeannin ne va pas s’arrêter là ; il va continuer à tenter de déconsidérer le nationalisme tout au long de son écrit. Ainsi, p. 53, il professe que le nationalisme est une « illusion ». En effet, écrit-il, « l’illusion nationaliste semble reprendre l’avantage face au mondialisme (mercantiliste et techniciste) – auquel il est indissociablement lié – dans la mesure où elle est maximaliste et vitaliste … et exerce une forte attraction sur les masses » reprenant son propos p. 20 « le nationalisme gagne du terrain tous les jours à travers la progression du souverainisme notamment ».
Mais pourquoi donc « illusion » ? S’agit-il du nationalisme ou de ce qui le sous-tend, à savoir le fait national ? Commençons par l’objet auquel se rapporte le nationalisme, à savoir la nation. Si c’est le fait national qui est illusoire, autrement dit la nation, le nationalisme n’a évidemment ni consistance, ni valeur.
Et c’est bien ce que pense Guyot Jeannin. Là encore, il fait sienne une citation (p.46) : « Une nation est une société unie par une commune erreur quant à ses origines et une profonde aversion pour ses voisines ». (Huxley et Haddon, « We Europeans »). Sachant que ce Julian Huxley, frère d’Aldous, a été une des chevilles ouvrières du mondialisme satanique, de telles assertions ne peuvent nous étonner. Mais qu’un « patriote » s’en revendique, c’est très inquiétant.
Notons ceci : la nation est présumée fondée sur l’erreur. Il en résulte que tout ce qui pourra être invoqué quant aux origines de la nation devra être tenu pour nul et non avenu ! Peu importent les faits objectifs, réels qui fondent cette origine. Ainsi, dans le cas de la France, en se fondant sur de tels présupposés, les Gaulois sont une erreur : ont-ils existé en tant que tels ? Les travaux de Jean-Louis Brunaux sont peut-être des fables pour adultes ? Clovis, baptisé en 496 ? Mais pas du tout ! Ce peut être en 497 ou en 500, voire après. Et puis, Grégoire de Tours, notre principale source, a écrit un siècle plus tard ! Alors ….pensez !
En pratiquant cet exercice de déconstruction, pernicieux par nature – il suffit de lire les élucubrations d’un Derrida – il ne s’agit pas de rechercher quelque vérité historique, mais tout simplement de saper les fondements spirituels et historiques d’un peuple, de le faire douter de lui-même et de son droit à être lui-même.
Nous résumons : selon Guyot Jeannin, le nationalisme est une illusion fondée sur une erreur : la nation (mot dont il convient par ailleurs – p. 33 – qu’il apparaît au XIIe siècle). Et quelle erreur : elle est fondamentalement horrible car elle repose sur la haine de « l’autre » pour reprendre un mot mis à la mode par Levinas.
Décidément, si nous suivons Guyot Jeannin, la racine « nation », et tout ce qui en dérive, se résume à n’être qu’un ramassis de balivernes, par surcroît abominable et dangereux.
Flagrant délit d’absurdité
Mais ce n’est pas tout : notre auteur nous apprend que « le nationalisme abolit le passé » ! Voici les partisans du nationalisme assimilés aux Révolutionnaires et aux Républicains qui du passé font table rase ! Quelle confusion, sauf, évidemment, à assimiler nationalisme et jacobinisme comme cela semble planer dans ce livre ! En fait, s’apercevant de l’énormité qu’il vient de proférer, Guyot Jeannin va tenter de se rattraper comme il le peut en écrivant « Certes, plus tard, le ‘’nationalisme intégral’’ maurrassien et monarchiste se réclamera des quarante rois qui ont fait la France. Mais en faisant abstraction des principes de la royauté traditionnelle, l’institution royale n’est envisagée que comme l’outil qui a permis l’unité politique de la France. Il se réfère à l’institution royale en général parce qu’il considère qu’elle avait permis l’unité de la France. Tout le problème vient de ce que si cette unité est souhaitable, elle doit être transcendée par une essence spirituelle qui lui confère sa légitimité. Autrement dit, comment peut-on être nationaliste alors que la royauté traditionnelle ne l’était pas ? »
Quel galimatias ! Tentons d’y voir clair.
Maurras, nous le savons, était imprégné du positivisme d’Auguste Comte et effectivement, son monarchisme était issu d’une réflexion rationnelle tirée de l’expérience de l’histoire. Cela rappelé, il considérait l’histoire de France depuis ses origines et n’abolissait en rien le passé, à l’instar d’ailleurs d’un Napoléon Bonaparte qui n’était pas de sa chapelle et qui assumait toute l’histoire de France, de Clovis à la Révolution incluse. Quant à la nécessité d’une transcendance spirituelle pour sous-tendre l’unité de la France, c’est une vérité : le spirituel informe le matériel. Cela dit, lorsque Maurras publie ses écrits, le paradigme métaphysique fondateur de l’ordre sociétal a basculé depuis longtemps de celui d’une société s’inscrivant dans l’ordre naturel dont elle doit respecter les règles sous peine de dériver, à celui d’une société fondée sur la volonté générale dans laquelle ce que veut l’homme guidé par sa seule raison, au gré de ses modes et de ses passions, détermine l’ordre social (nous le vivons actuellement avec la subversion généralisée des mœurs).
Mais, après avoir énoncé une vérité, trop ignorée, notre auteur ajoute l’absurdité suivante : comment peut-on être royaliste et nationaliste alors que la royauté traditionnelle ne l’était pas ? Guyot Jeannin feint-il d’ignorer, comme nous le montrerons ci-après, que le nationalisme est l’expression de tout ce qui se rapporte à la défense et à la promotion des intérêts et du bien commun de cette entité politique aujourd’hui appelée nation, depuis que la royauté très chrétienne qui l’incarnait a été supprimée avec le meurtre rituel de Louis XVI et que le règne de Charles X, en dépit de ses erreurs tactiques, n’a pas pu relever parce que, tout simplement, que cela plaise ou non, nous avions changé de monde spirituel ? Autrement dit, la royauté traditionnelle ne pouvait pas se qualifier de nationaliste, bien qu’elle le fût par nature, puisque le mot n’est apparu qu’après sa destruction ! D’ailleurs, et il insiste beaucoup sur ce point, le mot nationalisme est d’une invention récente puisqu’elle est liée à ce renversement de paradigme. Nous allons y revenir.
Une critique matérialiste
Mais auparavant, arrêtons-nous sur un point inquiétant : celui du matérialisme qui transparaît dans les propos de Guyot Jeannin.
A l’en croire, la nation ne serait qu’un produit de l’évolution des structures économiques. Karl Marx n’en aurait jamais tant espéré de quelqu’un qui ne se revendique pas de son courant philosophique et politique !
Guyot Jeannin, cite en effet un professeur de l’université de l’Arizona, Boyd C. Shafer, qui, écrit-il, « voit juste » et selon lequel « la Nation Etat ne s’est pas développée plus tôt parce que l’Europe féodale et agricole n’en avait pas besoin et qu’elle ne la favorisait pas » (p.38).
Et ce n’est pas tout ; p. 20, nous lisons : « (le nationalisme) progresse à mesure que le capitalisme marchand s’étend à toute la surface du globe … le nationalisme revient en force au moment de la tension vers l’unification de la planète par le Marché »
Et p. 60, nous trouvons : « La nation devient ainsi le reflet historicisé et subjectivé d’un besoin d’homogénéité exprimé par le jeu du marché économique ».
Toujours la même explication matérialiste et économiste exhalant le marxisme : pour un peu il serait possible de poser comme vérité que la nation est portée par le marché et le « capitalisme ». Mais, c’est faire bon marché de cet élément premier de toute destinée civilisationnelle : son fondement spirituel. En changeant de paradigme avec les Lumières, c’est toute l’organisation mentale de l’Europe qui s’en est trouvée modifiée alors que, dans le même temps, les premiers effets de la révolution industrielle se faisaient sentir. Et ce n’est pas la révolution industrielle qui a mis à bas l’ordre traditionnel européen mais bien les idées antichrétiennes et singulièrement anti catholiques.
Quant aux changements matériels, de modes de production induits par quelque « progrès » technique, les hommes, les sociétés s’y adaptent pour se maintenir en vie et veiller à ne pas subir la loi de quelque autre peuple. Et il est vrai que la richesse économique est un élément permettant à un peuple de s’assurer une position de puissance. D’ailleurs, le problème s’énonce simplement : il faut au moins équilibrer la puissance du voisin pour ne pas avoir à la subir.
Quant à l’unification de la planète par le « marché », il importe d’observer que celle-ci est surtout emmenée par une volonté politique sous-tendue par un projet d’essence spirituelle porté par ce que nous désignons les « Cercles mondialistes », à savoir principalement la Société fabienne à laquelle participent des financiers sans attache patriotique, et le projet messianique du judaïsme politique dont les écrits du rabbin Benamozegh donnent un aperçu. Là encore, le spirituel, le métaphysique est premier. Mais ce projet mondialiste n’aurait jamais connu un tel succès s’il n’avait pas rencontré un terrain favorable : celui d’une société chrétienne qui, dans les tréfonds de l’âme d’un trop grand nombre de personnes, ne demandait qu’à ne plus l’être. Les succès de l’anti-civilisation après 1789 s’expliquent certes par l’action des Révolutionnaires mais ils n’auraient jamais pu être aussi grands s’ils n’avaient pas rencontré un terreau déjà fertilisé au cours des décennies précédentes ; mais, pour passionnant, pour essentiel qu’il soit, il s’agit d’un autre sujet que celui que nous traitons actuellement.
Poursuivons et remarquons toutefois qu’il n’est pas besoin d’avoir renversé un trône pour homogénéiser la population d’un Etat, ni construite un Etat capable d’exister. L’empire des Habsbourg l’a montré jusqu’en 1918 : la fidélité à la personne de l’empereur, François-Joseph, puis Charles, montre qu’un lien personnel et confiant d’homme à homme suffit à assurer la cohésion d’un Etat. Certes, il sera aisé de répondre à contrario : mais il s’est dissous en 1918 ! Là encore, outre les circonstances internationales et les revers militaires qui ont poussé au démembrement de cet empire, il faut remarquer qu’il a surtout été victime de la poursuite de l’offensive menée par les rationalistes qui, tout au long du XIXe siècle, n’ont cessé de miter, corrompre les intelligences pour détruire les modes de pensée naturels et traditionnels, ceux-là même déjà renversés en 1789 en France. Rien n’était écrit en 1914, ni même après et les liens tissés par les Habsbourg perdurent : ils ont encore été exprimés lors des obsèques de l’impératrice Zita en 1989. Répétons-le : avec la Révolution dite française, nous avons changé de paradigme métaphysique et par suite religieux et, personne n’ayant été en mesure de le contrer, de le mettre à bas, il a continué sa progression.
Autre remarque : la nation helvétique est peut-être homogène en ce que sa population adhère la constitution de 1848, mais quelle diversité identitaire avec quatre langues et cultures ! (Mais Guyot Jeannin nous répondra (p.65) : « le nationalisme peut défendre les identités », comme « il peut les détruire ».)
Des carences intellectuelles
Guyot Jeannin montre ici un défaut grave de sa pensée : il ne prend en compte que l’un des trois ordres constitutifs de toute société, à savoir le matériel, qui est aussi le dernier dans la hiérarchie de ces ordres qui sont hiérarchiquement : le spirituel ; l’intellectuel ; le matériel, ce dernier dépendant des deux précédents et principalement du premier ordre, le plus important.
Certes, il reconnaît que « la modernité nationaliste, puis l’hyper modernité mondialiste, participent toutes deux d’un processus de désacralisation spirituelle de la société au profit d’une volonté de puissance politique territorialiste pour la première et d’une volonté de puissance dématérialisée pour la deuxième.
Il note que « l’homme moderne est délié de ses appartenances communautaires » et devient « ce déraciné qui ne possède plus aucune orientation existentielle » (p.22)
Effectivement, la rupture de 1789 a pour effet d’organiser un ordre du monde dans lequel l’homme ne se sent plus, ne se veut plus un être soumis à des lois de l’ordre universel qui le dépassent mais comme étant le grand ordonnateur de cet ordre du monde. Le sacré a disparu ou bien est galvaudé : il suffit d’observer quels propos, quelles opinions sont réprimés, punis avec une sévérité sans pareille par les lois des Etats en place pour trouver quel est ce pseudo sacré étant donné que, par définition, celui qui est sacrilège est puni de mort.
Auparavant, le pouvoir d’Etat légiférait avec pour seul souci de servir et réaliser le juste en se soumettant à ce que les Anciens appelaient la loi naturelle. Depuis 1789, l’autorité politique légifère en affirmant que « cela est juste parce que je le veux ». Les lois dénaturant le mariage en sont un exemple. Mais le fond de ce problème, pour fondamental qu’il soit, ne sera pas ici discuté car il sort du cadre de notre propos.
Continuons. Guyot Jeannin se réclame « d’une conception traditionaliste et enracinée, opposée à cette même globalisation uniformisatrice » qui lui « sert de base pour critiquer le nationalisme » (p.26), « angle d’attaque qui se veut le plus objectif possible » et « s’oppose aux thèses habituelles qui jugent le nationalisme d’après une grille de lecture progressiste et/ou mondialiste ».
Mais les mots, les proclamations nominalistes ne sont rien si l’on ne considère pas la vie des peuples en plaçant en premier lieu l’ordre spirituel et, sans cette prise en compte, il est impossible de développer des analyses cohérentes. Se revendiquer d’une conception traditionnaliste et enracinée veut tout dire et ne rien dire car, pour certains, l’enracinement se limite à l’attachement à un terroir, à ses monuments, à ses paysages, mais sans plus ; d’autres y joignent des aspects culturels. Par ailleurs, il y a tradition et tradition : tradition culturelle, tradition ésotérique, tradition primordiale sujet auquel notre auteur a consacré un ouvrage… Nous reviendrons sur cette question de la tradition.
A boulets rouges sur le nationalisme
Venons-en à un point central de notre sujet. Qu’entend Guyot Jeannin par nationalisme ?
Page 61, il énonce que le nationalisme recouvre plusieurs acceptions et en retient deux :
« La première définit le nationalisme comme l’aspiration plus ou moins volontaire, entée sur des éléments subjectifs ou objectifs, d’un peuple à se constituer ou reconstituer en tant que nation, celle-ci étant le cadre le plus adapté à l’affirmation de l’identité collective. Ce nationalisme est alors un mouvement perpétuel de construction historique ».
« La seconde acception définit plus simplement le nationalisme comme une doctrine politique qui affirme que le gouvernement doit se préoccuper d’abord, voire exclusivement de l’intérêt national » « Pas étonnant dès lors que le nationalisme puisse différer selon les époques et les lieux ».
Globalement, ce résumé reflète deux des principaux aspects du nationalisme. Toutefois, discuter ces deux acceptions semble étranger à sa préoccupation qui est de discréditer le nationalisme.
En ce qui concerne la première acception, remarquons qu’il est effectivement des nations qui ont pris conscience d’elle-même à partir d’un récit historique, parfois romancé, nourri de mythes qui expriment l’âme d’une population, établi par des écrivains qui, dans le même temps ont articulé celui-ci autour d’une langue qu’ils ont par la même occasion codifiée. Parmi les exemples nombreux, datant principalement du XIXe siècle, nous pouvons citer le réveil des Basques à travers notamment les écrits de Sabino Arana i Goïri mais aussi à travers la défense de leurs fueros qui ont donné lieu aux Guerres carlistes. Nous pouvons citer les Slovaques, dont le territoire était jusqu’au XXe siècle appelé la Haute Hongrie et qui ont commencé à prendre conscience d’eux-mêmes face à la magyarisation qu’ils subissaient, leur idiome slave étant menacé : la première défense de la langue slovaque date de 1787 et il faudra qu’au début du XIXe siècle, Ludovit Stur impose le « slovaque central » pour unifier les différents parlers slovaques (phénomène général dans la « fabrication » des langues nationales). En fait, comme l’écrivait Josef Jungmann, un des premiers nationalistes slovaques en 1806, « la langue, la nation et la patrie sont la même chose ».
Au fil du temps, le concept national propre à chaque nation se précise, s’affine, se vit différemment, s’approfondit : mais c’est le signe de sa vitalité. Parler de « construction historique perpétuelle » n’est rien d’autre que désigner le mouvement de la vie qui anime cette nation.
Mais comme un tel « nationalisme » n’a rien de péjoratif, notre auteur se pense obligé de préciser : « La dimension réactive est inhérente au nationalisme. Le nationalisme est ‘’contre’’. Il est rarement ‘‘pour’’. Il suscite des guerres ou est suscité par elles ». Nous y voilà une fois de plus : le nationalisme, c’est belliqueux, c’est agressif. Oh ! Sachant qu’il va se faire étriller, il prend la peine de préciser que le nationalisme peut être « pour » ; mais rarement, bien entendu ! N’a-t-il pas entendu parler que le nationalisme est avant tout la manifestation d’amour pour son peuple ? Nous allons préciser tout cela.
En attendant, Guyot Jeannin enfonce son clou en citant Isaiah Berlin – présenté hâtivement comme chantre des anti-lumières au motif qu’il dénonce certains philosophes des Lumières comme ayant influencé les totalitarismes du XXe siècle – selon lequel « le nationalisme diffère en cela de la simple conscience nationale … est avant tout une réaction suscitée par une attitude de condescendance ou de mépris à l’égard des valeurs traditionnelles d’une société »…. Et d’ajouter que le nationalisme « se désigne un ennemi… mais cet ennemi peut être différent selon les circonstances. C’est ainsi qu’historiquement, on peut constater que le nationalisme a pu aussi bien se révéler moderne qu’antimoderne, élitiste que populaire, monarchiste que républicain, de droite que de gauche, libéral que socialiste, catholique qu’athée ». (p. 63)
Nous ne ferons qu’une seule remarque à ce stade : lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts d’un peuple, d’une nation, l’accent est mis selon les nécessités du moment sur tel point ou tel domaine. Ce qui n’a rien que de très normal puisque le nationalisme n’est rien d’autre que la défense et la promotion des intérêts d’un peuple de telle manière qu’il ne se fasse pas dicter sa politique par d’autres.
Cela précisé, les attaques contre le nationalisme continuent de fuser.
« Le nationalisme est d’abord une instrumentalisation politique de l’identité collective qui se réduit à la nation » (p. 67). Aussi, le nationalisme, si nous comprenons bien ces lignes, est le fonds de commerce d’hommes sans scrupules qui veulent se servir de la nation pour faire carrière. En fait, dans le contexte actuel, mais depuis très longtemps, la plupart, sinon la quasi-totalité des nationalistes se sont affirmés comme tels en faisant don de leur personne à leur patrie, ayant plus à perdre personnellement qu’à gagner. Combien de chefs nationalistes sont morts, ont été « légalement » assassinés pour défendre ce qui leur était le plus cher, à savoir ce qui constitue le fondement de leur être, de leur personnalité ?
Mais Guyot Jeannin n’en a cure et, comme – si nous le suivons – nous pataugeons dans l’escroquerie, ne soyons pas étonné de lire que « Fondamentalement prométhéen, le nationalisme est une forme substitutive d’irrationalité active, c’est-à-dire un sentiment, une passion, habilement orientés par une structure (Etat capétien, mais aussi plus tard république jacobine ou parti politique) ».
Traduisons : produit de l’irrationalité humaine, exploité par des politiciens sans vergogne, le nationalisme est véritablement un poison !
Dès lors, il n’est pas surprenant que Guyot Jeannin accuse le nationalisme d’être une sorte de vérité transcendante : « Vérité pour soi et non plus en soi » (p. 69) La vérité pour soi étant hypertrophiée, elle se proclame vérité en soi et « La métaphysique de la subjectivité pour reprendre l’expression de Heidegger colle au nationalisme » (p. 69 et 72)
Si le nationalisme exprime une réalité qui est une vérité, c’est celle-ci : ma personne est telle qu’elle se manifeste de par son hérédité génétique, familiale, de par ce que les aléas de la vie lui impriment, mais aussi et tout autant de par les informations que son intelligence a reçues de ses aînés qui sont eux-mêmes les héritiers d’une longue tradition qui se transmet à travers les siècles. Celle-ci est l’une des formes de l’hominisation de l’espèce humaine et, si cette tradition est entamée de quelque manière, c’est toute ma personnalité qui va être attaquée et mise en péril. C’est ma culture et, sauf à vouloir me nier, me mutiler et ne pas assumer l’héritage dont je suis porteur et que je dois transmettre à la suite de mes pères, je suis contraint de la défendre et de la faire vivre. Cela, sans dénier cet impératif, ce droit à d’autres hommes d’autres traditions culturelles, d’autres peuples.
Quant à la subjectivité, la question ne se pose pas. Une culture nationale, une civilisation sont des manifestations de l’espèce humaine et participent à son déploiement et son accomplissement. Et si je dois m’efforcer de comprendre les autres, tant pour éventuellement m’en enrichir, ou tout simplement mieux m’en défier le cas échéant (car le monde n’est pas irénique), je dois faire en sorte de préserver mon phylum culturel et civilisationnel. Le problème posé est au contraire très objectif. Il est d’une réalité prégnante. Et ce problème, cette attitude doivent être nommés : nous allons montrer que le nationalisme est le mot propre à notre époque pour désigner cela. Quant à la passion, peut-on faire quelque chose dans sa vie sans une once de passion ?
L’inévitable réalité des rapports de forces
Comme Guyot Jeannin semble penser comme Mitterrand que « le nationalisme, c’est la guerre », et cela, à la suite d’un axiome posé en 1945 après l’écrasement de l’Allemagne nationale-socialiste, il prend comme exemple le colonialisme : « Le colonialisme, marque du nationalisme » (p. 50), ajoutant, en citant Raoul Girardet, qu’après 1870, le nationalisme français prend plusieurs visages paradoxaux : en réalité ces multiples visages viennent du télescopage de la conception traditionnelle de la France et de l’idéologie républicaine dont nous avons traité précédemment.
Mais l’expansionnisme d’un peuple n’est pas nécessairement une question d’idéologie. La colonisation de l’Algérie, expression d’un impérialisme ? Et donc d’un nationalisme ? Mais que l’on se souvienne : les gouvernements successifs après Charles X ne savaient quoi en faire ! En réalité, l’expansion d’un peuple est simplement la manifestation de sa vitalité, consciente ou inconsciente.
Ah ! Guyot Jeannin nous répond par cette citation d’un certain Jean-Luc Chabot qu’il appelle à la rescousse : « La logique fondamentale du nationalisme reposant sur la légitimation pour chaque nation de son droit à dominer les autres, l’affrontement guerrier en est la résultante obligée » (p. 51)
Propos caricatural : le problème n’est pas de dominer les autres mais de ne pas l’être soi-même. L’histoire du monde est marquée par le fond agressif, au sens de Konrad Lorenz, de toute espèce vivante. Il convient d’en tenir compte et de faire en sorte de ne pas subir la loi d’un autre, devons-nous le marteler. Et si les nationalistes étaient aujourd’hui les seuls à rappeler ce truisme, ils seraient le dernier rempart d’une nation. Quant à l’affrontement guerrier, c’est une vision réductrice des relations entre peuples, vision qui a dominé surtout dans le monde européen. Rappelons que les Chinois, avec Sun Tse et les Indiens avec Kautilya ont une vision moins étriquée du sujet, plus que jamais d’actualité avec ce que Qiao Liang et Wang Xiangsui appellent « la guerre hors limites ». Le nationalisme ne se réduit pas à une caricature boulangiste ou à quelque Fort Chabrol. Pour être pris au sérieux, il faut éviter d’être simpliste.
Justement, faisons justice de cette stupidité (p. 70) : « Nationalisme et utilitarisme libéral ont une parenté évidente. C’est la logique de l’utilité, de l’intérêt, qui meut l’individu et Intérêt national dans le cas du nationalisme, intérêt économique dans le cas du libéralisme ». Mais les hommes sont toujours mus par un intérêt et le premier, c’est la survie dans les meilleures conditions ! Quant à cette assertion selon laquelle « La notion d’intérêt national n’est pas claire » (p. 70), nous ne pouvons que regretter que notre auteur ne se soit pas donné la peine de la rendre claire. Mais il est vrai que si la nation est unie dans l’erreur et le nationalisme une illusion, nous aurons compris qu’ »il n’ait pas tenu à aller plus loin. Là aussi, nous allons ci-après éclairer sa lanterne.
Pour terminer sur ce sujet, relevons une dernière assertion erronée : « la multiplicité ethno culturelle est une réalité qu’elle veut supprimer au nom de l’unicité » (p. 67) Guyot Jeannin doit avoir en tête l’idéologie « nationaliste » républicaine. Car c’est tout le contraire de ce pour quoi Maurras a bataillé !
Passons maintenant au dernier paragraphe du chapitre 2 (p. 74) : « L’appartenance est un fait objectif. La défense de la nation est un jugement subjectif. On peut l’éviter : mon identité n’est pas forcément une menace pour celle des autres. Je défends mon appartenance ethnoculturelle parce que je suis prêt à défendre celle des autres.
Il faut opposer l’appartenance comme principe (avoir un principe surplombant l’appartenance, défendre les peuples, tous les peuples et par conséquent aussi le sien) à l’appartenance comme subjectivité (donner raison aux siens, défendre son peuple, en n’importe quelles circonstances). »
Ce paragraphe nous indique que nous avons affaire au mieux à un doux rêveur. Usons-nous à le répéter, l’histoire du monde est celle de rapports de forces, notamment entre les peuples et entre les Etats. L’irénisme n’a pas sa place dans l’histoire.
Etre nationaliste revient ipso facto à reconnaître la légitimité de tout peuple à exister, à se développer. Mais chacun joue sa partie et la première des règles en politique est d’admettre cette réalité. Mais le peuple auquel j’appartiens joue la sienne et je défends son existence car c’est ma propre existence qui est en jeu lorsque celle du peuple auquel j’appartiens est mise en péril.
C’est la règle de toute vie : la coexistence entre les peuples est faite d’un équilibre dynamique qui s’analyse sous forme d’un rapport de forces, spirituelles, démographiques, économiques, scientifiques sans cesse modifié, en permanence remis en cause, certaines forces évoluant sur la longue durée, comme les problèmes de spiritualité, sur la moyenne durée, comme la démographie, ou sur du plus court terme, dans le domaine économique. Où est la subjectivité dans tout cela alors que le seul problème est celui du discernement quant à la politique à mener pour assurer la défense du bien commun national ?
Tout se passe comme si notre auteur s’excusait presque d’exister ! Il n’est pas étonnant que le nationalisme lui fasse peur, sinon horreur. Sous cet aspect, il participe au mouvement de suicide collectif lancé par ceux qui ne cessent de battre leur coulpe en accablant les générations passées de toutes les entreprises qu’elles ont pu mener, refusant de voir la grandeur de la geste d’une civilisation riche et puissante pour n’en retenir que les inévitables côtés sombres.
[…]
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Arnaud Guyot Jeannin – « Critique du nationalisme » sous-titré « Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité » – Préface de Alain de Benoist – Via Romana – 98 pages – 11 €
Mes félicitations à Gandillon. Il pousse loin la lampe de poche et le scalpel.
Félicitations à Gandillon. Il est rare qu’un papier éclaire si profond.
Appel aux éditorialistes de « Jeune Nation » : Pouvez-vous corriger, comme vous savez si bien le faire, une faute de frappe un peu gênante au chapitre « Flagrant délit d’absurdité » : On préfèrerait lire AUGUSTE COMTE qu’ Auguste Com(p)te…
Ce qui ne change rien à l’extrême qualité de ce texte, au détriment de ce pauvre Guyot-Jeannin, dont on ne peut que vous féliciter et vous remercier.
dommage que l article ne fût pas écrit sur Jeune Nation
et pourquoi ?