Le scepticisme est plutôt le fait des historiens, car ils sont-ce que dit le mot grec d’historia – des enquêteurs, que des idéologues ; et dans la guerre civile qui court la France depuis des siècles, chaque parti, à défaut de pouvoir changer de caractère, conserve ses chiffres de victimes superbement ignorés par le camp adverse. Qui pourra publier ainsi avec précision le nombre de morts de la dernière guerre civile que fut la période de 1944 ? Une enquête fut entreprise, croyons-nous savoir, par le Sénat américain, au résultat assez impressionnant, et l’on se souviendra, si même les morts reposent en paix, de la satisfaction d’un ministre chrétien démocrate, du Mouvement Républicain Populaire sur le fait que l’on avait été à la hauteur de nos Grands Ancêtres de la période de la Terreur sous la Convention nationale.
En fait, une certaine tendance anarchiste ou terroriste qui refait surface périodiquement en France s’empare de chiffres de victimes pour justifier tous les futurs massacres désormais présentés comme des vengeances du peuple opprimé.
Il en va ainsi de la « Semaine Sanglante », ainsi que l’on nomme ce temps d’exécutions militaires et de massacres civils, y compris d’otages pour la plupart religieux d’ordres réguliers, dominicains et jésuites, sans omettre l’archevêque de Paris exécuté légalement par les communistes inspirateurs ou modèle des futurs bolchevistes européens , entre le 21 et le 28 mai 1871.
Karl Marx, Lénine et autres ténors rouges ont stigmatisé cette bourgeoisie et ce peuple réactionnaire des « Versaillais » appuyés sur des effectifs mariniers bretons, qui mirent fin à l’insurrection conduite par des internationalistes. Le chiffre de 30 000 était ordinairement reçu, et il a fallu le sens critique d’un Britannique né en 1949, Robert Tombs, en 2011, pour baisser considérablement ce chiffre à près de 6 500 en considérant les données écrites fournies par les hôpitaux et les certificats d’inhumation. Il était alors professeur au St John’s College de Cambridge et son article est intitulé : « Combien sanglante était la semaine sanglante ? Une révision » (How bloody was la Semaine Sanglante ? A revision).
Dirons-nous que cet article aura tiré la conscience de nos lettrés de leur sommeil dogmatique ? C’est une question de tempérament. Nous cherchons tous des certitudes, classiques d’esprit, modernes ou post-modernes : mais les peuples ont leur caractère, les uns font de leur histoire une religion, les autres séparent le Ciel et la Terre, font davantage preuve de réalisme et donc subissent moins de crises révolutionnaires. Leur histoire semble monotone, mais leur technique plus solide comme aussi souvent leur santé physique, sinon morale. Leur langage est aussi moins hystérique et la névrose, à parler psychiatrie nationale, tient moins de place dans leur âme.
Tous les peuples du Nord ressortent encore de cette dernière nature. Notre professeur Britannique, qui insiste par ailleurs sur la fragilité historique du Royaume-Uni (avis que nous partageons) et les liens de l’Angleterre avec l’Europe, voit donc l’histoire comme une science naturelle, et il tire ainsi de son analyse un tableau de la France plus vraisemblable et moins apocalyptique que celui qui nous est hurlé par les prêtres de la religion mise en place au XIXe siècle, dans les chaires universitaires « radicales », et qui produit aujourd’hui, adaptée au climat, variété de post-communards, de néo-anarchistes furieux et de « daechistes » pêchant dans les eaux de l’inculture institutionnalisée.
La démonstration à laquelle nous renvoyons et que l’on trouvera sur la toile, est strictement technique et relève d’une comptabilité. L’étonnant est que l’on n’y ait point pensé. Mais je me rappelle mon ami défunt directeur de l’Hôtel Lamoignon rue Pavée, qui abrite le Musée historique de la ville de Paris, Jean Dérens que je connus, à dix sept ans, en préparation, alors déjà mixte, de l’Ecole des Chartes au lycée Henri IV, me parlant d’une découverte de quelque « livre de raison », ou cahier des comptes d’un artisan du Faubourg Saint Antoine. A la date du 14 juillet 1789, il s’étonnait, ayant déjà reçu les fonds nécessaires, de n’avoir pas encore à sa disposition le personnel nécessaire, à cette date, pour entreprendre la destruction prévue, de longue date donc, de la forteresse-prison de la Bastille. Cette simple note, s’exclamait-il, au temps du bi–centenaire de 1989, ruinerait toute festivité. Notre histoire serait-elle donc, le plus souvent, « une chimie mentale », comme l’a si bien écrit Paul Valéry ? Tout est-il donc faux ? Non, mais déformé, tordu, dans ce qui est un enfer reconnaissable à l’agitation des diables, ou du moins, à parler la langue des Indiens, un purgatoire bien chauffé !
Concluons avec notre distingué et honnête auteur de Cambridge « qu’en bref, si l’expérience indubitablement effroyable de 1871 a été plutôt moins dramatique et moins déterminée par l’histoire que nous ne le pensons ordinairement, il est moins surprenant qu’elle ait eu si peu de conséquences sur le développement de la Troisième République ».
Pierre Dortiguier