Même parmi ceux qui ont bien compris que « la France terre d’immigration » n’était qu’un slogan et un programme politique et non une vérité historique, beaucoup s’imaginent que, du moins, il s’agit d’un slogan inventé en France, spécifique à la France.
Qu’ils se détrompent, il s’agit en fait du titre d’un livre de John Kennedy paru en 1958 : « A Nation Of Immigrants »
Et même parmi ceux qui en France ont entendu parler de ce livre qui commence à dater, pensez donc, Joe Bidens avait déjà 16 ans à l’époque et en âge de le lire, peu savent qu’il n’a pas été écrit par Kennedy, qui n’a fait que mettre son nom en couverture ; il ne faut pas exagérer, on ne peut quand même pas tout faire, Jackie, Marylin, prendre le pouvoir.
Le livre a en réalité été écrit par un ghost writer comme ils disent en anglais, ou un nègre comme on disait autrefois chez nous : Myer Feldman [Cf. Tichenor, 2002: 205 Tichenor, D. J. (2002). Dividing lines : The politics of immigration control in America. Princeton University Press]. Ce Feldman avait de très bonnes raisons d’écrire le livre puisqu’il était lui-même fils d’immigrants juifs ukrainiens.
Pendant la campagne présidentielle, il était chargé de compiler des informations négatives sur Richard Nixon, d’assister Kennedy dans la rédaction de ses discours et dans la préparation des interviews télévisées. Ses fichiers sur Nixon sont depuis connus sous le nom de « Nixopedia ». À part ça, il aura été un des conseillers importants de l’administration Kennedy/Johnson.
Mais on peut se demander à bon droit dans quel sens fonctionnait la relation hiérarchique – peut-être pas entre Kennedy et Feldman en particulier – mais entre Kennedy et la communauté israélite en général. Voici quelques citations d’un travail de Kevin Macdonald.
D’après Greenblatt, Kennedy a été recruté par l’ancien directeur national de l’ADL (Anti-Defamation League) Ben Epstein. [Cf. Greenblatt, J. (2018). Foreword to the reprint of the 2008 edition of A nation of immigrants. Amazon Kindle ed. unpaginated; orig. pub. Harper Perennial. https://www.amazon.com/Nation-ImmigrantsJohn-F-Kennedy-ebook/dp/B07D6NQPG7/ref=tmm_kin_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=& sr=&asin=B07D6NQPG7&revisionId=e39237f3&format=1&depth=1. Accessed 7 Nov 2021].
Le livre a été publié par l’ADL qui a également fourni pour le projet l’historien Arthur Mann, doctorant d’Oscar Handlin à Harvard [Ngai, M. M. (2013). Oscar Handlin and immigration policy reform in the 1950s and 1960s. Journal of American Ethnic History, 32(3), 62–67.) référence reprise par Graham, 2004 : 82 Unguarded gates: A history of America’s immigration crisis. Rowman & Littlefeld].
Le livre lui-même n’a pas été écrit par Kennedy mais par Myer Feldman, par la suite une des éminences grises de l’administration Kennedy/Johnson (Tichenor, 2002 : 205 Tichenor, D. J. (2002). Dividing lines: The politics of immigration control in America. Princeton University Press).
Il est absolument fascinant de voir que même quelqu’un d’aussi beau, brillant, intelligent à qui tout réussissait, les femmes, l’argent, le pouvoir, la célébrité, ait quand même dû se mettre dans la roue de la communauté. Car ce livre, A Nation Of Immigrants, constituait à l’époque un risque, on ne peut s’empêcher de penser que Kennedy a été élu non pas grâce à lui mais en dépit de lui : il aurait fait tomber n’importe quel autre candidat moins brillant.
Seulement, le résultat – brillamment paradoxal – est là : la couverture, avec le nom et la photo de Kennedy, aura réussi à vendre exactement le contraire de ce qu’elle annonçait, car aujourd’hui, faut-il le préciser, les Kennedy et les Monroe ne circulent plus beaucoup dans les rues ; la photo de Myer Feldman et son nom auraient sans doute beaucoup moins fonctionné et c’est pourtant lui qui est derrière tout ça.
Curieux que le grand Kevin MacDonald ait oublié de parler de West Side Story, la comédie musicale créée en 1957 (un an avant le livre de JFK -pardon de Myer Feldman) devenue film en 1961 sur l’immigration hispanique à New York « Oh so prrretty », alors, on a dans l’ordre Wikipedia:
Arthur Levine (devenu Arthur Laurents) – Dramaturge – Librettiste – Scénariste – Metteur en Scène
Ses grands-parents paternels étaient Juifs orthodoxes. Du côté de sa mère, ils étaient Juifs athées.
Stephen Sondheim – Compositeur et Parolier
Né dans une famille juive, Stephen Joshua Sondheim est le fils de Herbert Sondheim, couturier, et de Janet Fox Sondheim Leshin, une styliste modéliste et décoratrice d’intérieur
Leonard Bernstein – Compositeur – Chef d’orchestre – Pianiste
né à Lawrence, dans le Massachusetts2, de parents juifs ukrainiens.
Je ne comprends pas le sens exact du titre de ce livrera tous les américains et Kenedy lui-même sont des immigrés ! Par ailleurs il semble probable que JFK ait été assassiné par la communauté (cf le livre de Laurent Guyénot) « Qui a maudit les Kennedy » !
Il s’agissait en 1958 (et bien avant déjà) pour Myer Feldman et les siens de changer le statu quo racial des USA, en clair, provoquer une immigration non blanche massive pour que l’Amérique ne soit plus une nation blanche; le titre du livre invite à feindre d’ignorer la race pour ne retenir que le statut d’immigrant: l’histoire américaine montre qu’elle est faite de vagues d’immigration, donc, il n’y a pas de raison de ne pas continuer.
En d’autres termes, il s’agit de légitimer l’immigration arabe, chinoise, indienne, africaine, latino au nom de l’immigration blanche qui avait précédé: passer du blanc au marron comme si de rien n’était.
Ou pour le dire encore autrement:
si en 1958 il s’était agi d’accueillir de nouvelles vagues d’immigration blanches, il n’y aurait probablement pas eu le moindre débat aux USA, la raison des intenses débats sur l’immigration, c’était uniquement qu’elle n’était plus blanche.