LA VIE POLITIQUE, comme la vie tout court, n’est décidément pas exempte de surprises. Qui eût en effet imaginé que le chef de l’Etat, moins d’une heure après l’annonce des estimations des résultats des élections européennes données par les radios et les télévisions, prît la parole dans une très brève allocution solennelle — alors qu’en général il parle fort longuement pour ne rien dire ou presque — et annonçât la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées les dimanches 30 juin et 7 juillet ? En général, l’Exécutif ne tient aucun compte du résultat des européennes, même lorsque les résultats sont désastreux pour lui, ce qui est fréquent. Rien n’obligeait le président de la République à agir de cette manière qui a surpris et décontenancé jusqu’à ses propres troupes. Le Premier ministre Gabriel Attal et la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ont, semble-t-il, essayé vainement de le faire renoncer à cette décision à hauts risques. Car il ne fait guère de doute, au vu du score calamiteux obtenu par la liste de Valérie Hayer aux européennes (14,60 % des suffrages exprimés, huit points de moins que la liste Loiseau en 2019), que la Macronie perdra sa majorité relative au Palais-Bourbon le 7 juillet prochain. Une grande partie des actuels députés macronistes ne seront pas réélus selon toute vraisemblance. On conçoit donc qu’ils trouvent que la pilule est amère. Mais Emmanuel Macron n’est pas homme à s’apitoyer sur ses troupes pour lesquelles il n’a de toute façon aucune estime. Ne dit-on pas qu’il est un président jupitérien et solitaire ? Reste qu’on n’imagine pas un François Mitterrand ou un François Hollande agir de la même manière. En juin 1988, le Parti socialiste n’a obtenu au Palais-Bourbon qu’une majorité relative. Mitterrand s’est bien gardé de dissoudre l’Assemblée. Le gouvernement dirigé par Rocard, puis Cresson, puis Bérégovoy s’est appuyé tantôt sur les centristes, tantôt sur les communistes, pour faire voter ses projets de loi et la législature a duré cinq ans, jusqu’en mars 1993. Elle est allée normalement à son terme.
C’est ce qu’espérait sans doute Emmanuel Macron à l’issue des législatives de juin 2022 où son parti et ses alliés n’ont obtenu, eux aussi, qu’une majorité relative. Il s’agissait cette fois de s’appuyer tantôt sur LR, tantôt sur une partie de la gauche pour mener à bien les projets de loi gouvernementaux. Cela n’a pas si mal fonctionné pendant un certain temps et des réformes, toutes détestables, ont même pu être adoptées depuis deux ans. Toutefois, l’exercice devenait de plus en plus difficile. Il se susurrait ainsi que les Républicains, pour éviter de disparaître définitivement et faire parler d’eux, étaient tentés de s’associer au RN et à la gauche en votant à la rentrée parlementaire une motion de censure contre le gouvernement, ce qui aurait pu permettre mathématiquement son renversement. Peut-être Macron a-t-il préféré prendre tout le monde de court pour s’éviter ce genre de mésaventures parlementaires particulièrement humiliantes. Mais n’est-ce pas prendre un risque encore plus grand que de dissoudre l’Assemblée nationale à un moment où le président est particulièrement impopulaire et où le principal parti d’opposition, le RN, a le vent en poupe en réalisant le dimanche 9 juin en pourcentage (mais non en nombre de voix, compte tenu des 48,51 % d’abstention) le score de loin le plus élevé de son histoire avec 31,37 % des suffrages (mais seulement 15,70 % des inscrits), son président et son chef de file Jordan Bardella arrivant en tête dans toutes les régions de France, y compris dans ce qui fut longtemps des terres de mission pour le FN comme la Bretagne et l’Ile-de-France, et dans presque tous les départements avec des scores stratosphériques, parfois supérieurs à 50 %, dans beaucoup de zones rurales ?
ON VOIT MAL en effet comment les électeurs, après avoir donné à Macron une claque magistrale le 9 juin, ne recommenceraient pas quelques semaines plus tard, la colère et le mécontentement étant grands dans le pays. Même s’il n’y a pas eu depuis 2018-2019 de mouvements quasiment insurrectionnels comme celui des gilets jaunes (hormis les manifestations, nettement moins massives, contre la tyrannie sanitaire en 2021), le pays gronde toujours. Les cicatrices restent à vif. La plupart de nos compatriotes font face à des conditions de plus en plus difficiles avec la montée vertigineuse du coût de la vie, des denrées alimentaires, des matières premières, du gaz, de l’électricité, de l’essence et du diesel, et les libertés sont de surcroît brimées avec la multiplication des radars automatiques (et des contraventions pharaoniques qui vont avec), l’obligation bientôt de rouler uniquement à l’électrique, la pression fiscale qui ne cesse de s’alourdir, les lois liberticides, la tyrannie LGBTiste, etc. L’immigration et la délinquance explosent. On veut leur imposer un monde dont ils ne veulent pas, où ils n’ont pas leur place. Ils ne reconnaissent plus leur pays et pour beaucoup d’entre eux ils ne voient que le bulletin RN pour exprimer leur colère. Ils indiquent ainsi qu’ils ne veulent pas mourir, un peu comme le patient que l’on pique et qui crie : aïe ! C’est un instinct de survie. Le RN, anciennement FN, est une marque qu’ils connaissent et qui est électoralement, selon eux, relativement efficace.
Il est vain de leur expliquer que le RN a tout renié (ce qui est pourtant exact), qu’il ne se différencie plus, ou quasiment plus, des autres partis (ce qui est l’évidence même), que c’est désormais de l’eau tiède, voire de la tisane, que c’est un parti désormais abortif, homosexualiste, sioniste, laïciste, philomaçon, qui a même renoncé à la sortie de l’euro et de l’Union européenne, au rétablissement de la peine capitale et à toute politique de remigration, qu’importe, ils veulent ainsi exprimer leur colère. Ils votent pour le seul grand parti qui n’a encore jamais été au pouvoir, qui est resté dans l’opposition (au moins sur le plan national) depuis plus d’un demi-siècle. Lorsqu’une vague grossit, qu’elle devient une déferlante, elle emporte tout sur son passage. Et c’est peut-être, je dis bien peut-être, car il faut rester prudent, ce que l’on est en train de vivre.
IL Y A DEUX EXPLICATIONS possibles dans la décision, si surprenante de prime abord, du chef de l’Etat d’organiser si vite, et dans des délais si courts (21 jours à peine) des élections législatives anticipées. D’aucuns pensaient qu’en cas de blocage à l’Assemblée à la rentrée, il eût pu peut-être s’y résoudre à l’automne. Mais pas avant la tenue des Jeux Olympiques cet été à Paris et alors même que les vacances scolaires commencent début juillet. Pourquoi donc cette décision si rapide, si précipitée ? De deux choses l’une. Soit Macron joue la carte de la sidération pour renverser la table en jouer de poker. Il se dit peut-être qu’au dernier moment les électeurs hésiteront à porter le RN au pouvoir. Les législatives au scrutin majoritaire à deux tours, ce ne sont pas des élections européennes à la proportionnelle à un tour. Ce sont des élections nationales qui décident, au moins sur le papier et en apparence, de l’avenir du pays, des politiques qui seront menées, même si on sait bien que les partis politiques sont relativement interchangeables et que les grandes orientations, une fois aux responsabilités, sont essentiellement les mêmes. En dramatisant les enjeux du scrutin, Macron espère peut-être tirer son épingle du jeu. Il va, semble-t-il, multiplier les interventions médiatiques d’ici le scrutin et on peut compter sur lui pour jouer pleinement le registre de la peur.
Il convoquera pour cela l’histoire et la Mémoire. C’est ce qu’il a déjà fait le 6 juin lors de son discours célébrant les 80 ans du Débarquement des Alliés en Normandie. C’est ce qu’il a fait plus encore le 10 juin, au lendemain même du scrutin, en se rendant à Tulle et à Oradour-sur-Glane pour y prononcer deux discours, y dénoncer « l’horreur, l’indicible », mettre en cause l’extrême droite en général (suivez mon regard) et stigmatiser le repli nationaliste. « L’Europe est un projet si singulier, fou, de paix. Il n’y a dans ce projet rien d’évident, spontané, naturel ». Sous-entendu : si « l’extrême droite » parvient au pouvoir, le projet européen sera détruit et ce sera le règne de la guerre voire le retour la barbarie, des heures les plus sombres de notre histoire. C’est une sacrée audace de la part d’un homme qui souhaite publiquement que des soldats français aillent se battre en Ukraine dans un conflit où les intérêts vitaux de la France ne sont pas en jeu et où nous n’avons manifestement rien à faire. C’est la quatrième fois, depuis 2017, il faut le souligner, qu’Emmanuel Macron se rend à Oradour-sur-Glane. Ce n’est pas un hasard. Il instrumentalise la version officielle et obligatoire de ces événements contre l’extrême droite en général (ou ce qui en tient lieu) et le RN en particulier. Il s’était déjà rendu à Oradour et au mémorial de la Shoah pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2017. C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. Pourquoi Macron changerait-il tout à coup ce qui lui a souri jusque-là ? L’exercice a toutefois ses limites : la liste Bardella a atteint 36 % des suffrages dans le village d’Oradour ce 9 juin. Le discours antifasciste va-t-il être encore efficace cette fois, comme il l’est depuis si longtemps et comme il fut notamment pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2002 ? Les semaines qui viennent nous donneront la réponse sur ce point. Marine Le Pen ayant donné tellement de gages, multiplié les reniements et les reptations, il semble plus difficile de la diaboliser. Et Bardella est tellement jeune et ressemble au gendre idéal qu’il paraît délicat également de le présenter comme un monstre en puissance. Mais le Système en est toutefois capable s’il le juge utile. Dans ce cas, il sera intéressant de voir si ce théâtre antifasciste fonctionne une nouvelle fois et empêche le RN d’obtenir une majorité à l’Assemblée dans moins de quatre semaines. Auquel cas, au prix d’improbables combinaisons politiques et en mettant sur pied à l’arrache une forme de coalition anti-RN, Macron pourrait, d’une manière ou d’une autre, continuer à gouverner cahin-caha pour les quelque trois ans (un peu moins d’ailleurs) qui lui restent.
MAIS IL EST une autre hypothèse, plus machiavélique encore et que nous aurions tendance pour notre part à privilégier : Macron pourrait tabler sur l’arrivée de Bardella à Matignon, l’anticiper, voire la souhaiter (en secret), ce qui pourrait être la meilleure façon d’affaiblir le RN à terme, et notamment en vue de la présidentielle de 2027. De plus, le RN ayant quasiment tout renié, il ne présente pas un vrai danger pour Macron et pour le Système en place qui se reconstituerait sur ses bases. Après tout, l’Etat profond dont Macron est une marionnette a peut-être décidé dans son agenda pour des raisons qui lui sont propres — hâter le choc des civilisations, faire monter les tensions, précipiter la guerre civile ? —, de jouer aujourd’hui (au moins pour un temps) la carte du RN. Ce n’est pas en soi impossible. D’autant que le RN, selon toute vraisemblance, ne changera pas grand-chose quand bien même aurait-il quelques velléités de changement.
De surcroît, une cohabitation, ne l’oublions pas, est toujours dévastatrice pour le locataire de Matignon. Chirac est sorti essoré après deux ans de cohabitation (entre 1986 et 1988) avec Mitterrand qui a multiplié sous ses pieds les peaux de banane. Balladur, à son tour, a été éliminé dès le premier tour de la présidentielle de 1995 après deux ans à Matignon, encore après deux années de cohabitation (1993-1995). Et sept ans plus tard la même mésaventure est arrivée à Lionel Jospin, éliminé dès le premier tour de la présidentielle de 2002, après cinq années de cohabitation avec… Chirac. Comme l’avaient analysé certains constitutionnalistes, la cohabitation est de fait une machine à faire réélire les présidents sortants (Mitterrand en 1988, Chirac en 2002). Sauf que cette fois Macron ne pourra pas légalement se représenter en 2027. Il ne pourrait le faire qu’en 2032 compte tenu de la réforme de la Constitution limitant à deux quinquennats successifs les mandats présidentiels. Mais si le RN s’étiole voire s’effondre lors de la présidentielle de 2027, après trois ans passés à Matignon, il apparaîtra comme l’homme qui a réussi à faire reculer électoralement le RN, et même peut-être à le tuer. Car s’il est relativement aisé d’être un bon communicant comme l’est Bardella, il est infiniment plus difficile et périlleux de gouverner un pays comme la France. Il est facile de dire dans l’opposition ce que les électeurs veulent entendre, il est plus difficile d’obtenir des résultats concrets une fois aux responsabilités. Et on peut compter sur Macron pour ne pas lui faciliter la tâche. Le président de la République sous la Cinquième, même dans le cadre d’une cohabitation, dispose en effet de pouvoirs étendus. Il est le premier magistrat du pays, le chef des armées et le seul à même à pouvoir appuyer sur le bouton nucléaire. Il est le chef de la diplomatie. Il représente le pays à l’étranger. Il peut refuser de signer des ordonnances comme Mitterrand l’avait fait sous le gouvernement Chirac. Il peut multiplier en coulisses les coups bas, faire des interventions médiatiques déstabilisantes.
De plus, Bardella n’a que 28 ans. Il est jeune et inexpérimenté. Ne sera-t-il pas petit garçon devant Macron, très obséquieux, sinon docile, voire manipulable à souhait ? Il sera tellement content et fier d’être sous les ors de la République. Et sur quelles compétences pourra s’appuyer le RN ? Gouverner ne s’improvise pas. Et puis, même si le RN dispose d’une majorité absolue au Palais-Bourbon, il devra faire face à l’opposition, au moins feutrée, du Sénat et de la présidence de la République mais également du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, lequel pourrait retoquer les textes qu’il juge contraires à la Constitution. Et puis il y a le poids de l’Union européenne et de ses sanctions éventuelles. Comment conduire une politique alternative dans le cadre de la monnaie unique et de l’Union, 80 % des lois et des règlements émanant des institutions européennes ? Comment rétablir les frontières et la souveraineté nationale lorsqu’on a les pieds et les mains liés par l’adhésion à une entité supranationale et à des conventions qui interdisent de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre et le bon sens ? Et puis il faut compter avec la rue. L’extrême gauche et une grande partie de la gauche politique, syndicale, associative et culturelle n’accepteront jamais une arrivée à Matignon du RN, fût-elle parfaitement légale, et elles le feront savoir bruyamment. Dans les rues de nos villes. Dans les écoles et les universités. Partout où elles le pourront. Elles appelleront à la désobéissance civique. Et le bruit, elles sont particulièrement douées pour en faire.
LE CYNIQUE MACRON peut parfaitement jouer la carte des manifestants contre son gouvernement de cohabitation. C’est ce que fit avec délice Mitterrand contre Chirac au moment de la mise en œuvre finalement avortée de la loi Devaquet sur les universités. Le chef de l’Etat pourra se jouer du juvénile Bardella comme le florentin Mitterrand s’était amusé à faire tourner Chirac en bourrique. Peut-être y prendra-t-il plus de plaisir qu’à échanger avec la sinistre Borne d’autant que la rumeur dans le Tout-Paris veut que le président ne soit pas insensible aux éphèbes. Macron pourra se grimer en chef garant des institutions, de la paix civile, de l’unité nationale, de la construction européenne face au « danger de l’extrême droite ».
Il va donc être intéressant de voir comment les choses vont évoluer dans les semaines et les mois qui viennent. Mais ce serait une grave erreur de croire que Macron est à terre, même s’il est temporairement affaibli par la dernière votation dominicale. En restant à l’Elysée, il pourra être redoutable. Et jouer un nouveau rôle, endosser un nouveau costume, celui de père de la nation, se grimer, se déguiser à nouveau, comme sait si bien le faire cet homme de théâtre, d’apparences, d’illusions et de mise en scène, une activité que lui a apprise très jeune une certaine Brigitte et à laquelle manifestement il a pris goût. Au point, semble-t-il, de ne plus pouvoir s’en passer. […]
RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol
Depuis combien de temps Macron avait-il sa manœuvre en tête?
Mettre ce jeune nigaud d’Attal à Matignon, c’était une insulte pour tout le monde, mais,
1 – Il savait peut-être déjà que ce n’était que pour quelques mois
2 – C’était peut-être pour crédibiliser le encore plus jeune Bardella.
Quoi qu’il en soit, je tire mon chapeau pour la manœuvre: ce n’est pas du tout dit que ça marche, mais dans sa situation, c’est ce qu’il fallait tenter.
Macron n’a aucune idée en tête, il obéit c’est tout !
On espère quand même que le RN n’a pas renié le fromage au lait cru.
–> j’exige une déclaration publique en ce sens
Tout est fait pour que la France meurt dans les bras de l’extrême droiteeeee… Un plan diabolique, comme ça, elle sera la coupable devant l’histoire, alors que sa responsabilité sur la mort du pays est nul ! Courage à tous ! Les années qui viennent seront sanglantes…