A L’HEURE où nous bouclons ces lignes, nous ignorons encore si la motion de censure déposée ce lundi 2 décembre par les différents groupes de gauche au Palais-Bourbon contre le gouvernement Barnier après que le Premier ministre eut déclenché l’article 49-3 de la Constitution, permettant l’adoption sans vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, sera votée par une majorité absolue de députés. Il en faut au moins 289, l’Assemblée nationale comptant 577 élus. Sur le papier, et sauf surprise de dernière minute toujours possible dans le cadre de la comédie parlementaire, cette motion de censure devrait en principe être adoptée puisque, contrairement à ce qu’elle avait fait jusque-là, Marine Le Pen a annoncé que les 124 députés RN la voteraient. Dans la mesure où 185 députés insoumis, communistes, socialistes et écologistes ont d’ores et déjà signé une motion de censure ce lundi, l’addition des votes des 124 élus RN (et des 16 députés ciottistes) suffirait amplement à obtenir une majorité absolue qui devrait en théorie se situer autour de 325 voix, sans compter l’adjonction éventuelle de quelques élus non-inscrits ou du groupe centriste et indépendant LIOT.
Les groupes soutenant le gouvernement Barnier se réduiraient alors aux macronistes et aux Républicains, allant de Gabriel Attal à Laurent Wauquiez, ce qui constitue le fameux « bloc central » qui, au fil des années, se réduit comme peau de chagrin. S’il devait y avoir une présidentielle anticipée dans les semaines ou les mois qui viennent, le plus probable en l’état serait un second tour Mélenchon-Le Pen, le « bloc central » macroniste et LR étant à la fois affaibli et divisé, aucune personnalité n’ayant réussi jusque-là à assurer l’unité de ce camp, non plus qu’à affirmer sa domination incontestable sur ce bloc, ni Edouard Philippe, pourtant longtemps placé en tête des enquêtes d’opinion, ni Gabriel Attal, ni Gérald Darmanin, ni Bruno Retailleau, ni Laurent Wauquiez qui sont pour l’heure les cinq présidentiables que l’on peut recenser.
SI, COMME C’EST FORT PLAUSIBLE en l’état, la motion de censure devait être adoptée dans les jours qui viennent, Michel Barnier serait conduit à présenter sa démission, et celle de son gouvernement, au président de la République, lequel se retrouverait alors en première ligne. Dans cette hypothèse, d’aucuns pensent et espèrent que Macron serait alors contraint à la démission, se trouvant dans une impasse politique puisque ne pouvant dissoudre l’Assemblée avant l’été prochain, surtout s’il ne parvient pas à mettre sur pied « un gouvernement technique ». C’est le calcul que semblent faire tant Mélenchon à gauche que Marine Le Pen à “droite” (si tant est qu’on puisse parler de droite à son sujet, cela semble très abusif). Ces deux personnalités ont en effet tout intérêt à une présidentielle anticipée. Marine Le Pen saura le lundi 31 mars 2025 à 10 heures du matin si la onzième chambre du tribunal judiciaire de Paris la condamne à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Si c’est le cas, elle sera immédiatement inéligible et ne pourra donc plus concourir à aucune élection, ni présidentielle, ni législative, ni européenne, ni régionale, ni départementale, ni municipale. Par conséquent, elle a objectivement tout intérêt à précipiter le calendrier électoral en tentant le tout pour le tout. C’est ce qui explique sans doute son brusque changement de ton à l’égard du Premier ministre. Jusque-là, elle l’avait ménagé, étant heureuse, fière et flattée d’être reçue avec tous les honneurs à Matignon, d’être appelée avec déférence au téléphone, d’avoir le sentiment d’être écoutée et respectée. Tout a changé avec les implacables réquisitions des deux procureurs de la République le 13 novembre dernier à son procès pour les emplois supposés fictifs des assistants parlementaires des eurodéputés RN. La foudre lui est alors tombée dessus. Elle ne s’attendait pas à cela. Elle a tout à coup pris conscience que son avenir politique s’inscrivait désormais en pointillés et qu’elle ne maîtrisait plus grand-chose. Elle a donc tout intérêt à une présidentielle organisée avant le 31 mars 2025. C’est pourquoi elle a cette fois jugé insuffisantes les concessions faites à son endroit par Barnier, bien que ce dernier ait accepté de ne pas augmenter les taxes sur l’électricité et bien qu’il ait pris soin de l’appeler très courtoisement ce lundi 2 décembre pour lui dire qu’il était d’accord pour ne pas dérembourser de médicaments en 2025, comme elle le lui avait demandé. Marine Le Pen sait en effet que, si elle gagne l’élection reine de la Ve République, elle bénéficiera alors d’une immunité présidentielle absolue pendant cinq ans, voire pendant dix ans si elle est réélue. Comme ce fut naguère le cas de Chirac qui n’eut à répondre de ses responsabilités dans l’affaire dite des HLM de la mairie de Paris qu’après avoir définitivement quitté l’Elysée, après douze ans de présidence ininterrompue.
Mélenchon fait un calcul similaire. Il est avec Marine Le Pen et Emmanuel Macron (qui, lui, ne peut pas légalement se représenter) la personnalité politique de loin la plus connue des Français. Comme la fille de Jean-Marie Le Pen, il a déjà brigué trois fois la magistrature suprême. Dans le cadre d’une présidentielle anticipée où, par définition, la campagne électorale est brève — quelques semaines tout au plus —, il pense, avec sa forte notoriété, son talent oratoire et son habileté manœuvrière, prendre de vitesse tous ses adversaires putatifs à gauche, de François Ruffin à François Hollande en passant par Fabien Roussel et d’autres encore, et ainsi écraser la concurrence pour s’offrir ce dont il rêve depuis quinze ans : un face-à-face en finale avec Marine Le Pen. Même si actuellement les sondages le donnent largement perdant dans cette configuration — le chef de la France insoumise s’est en effet mis à dos le puissant lobby juif avec ses positions pro-palestiniennes et de surcroît il effraie beaucoup d’électeurs avec ses positions fiscalistes, immigrationnistes voire wokistes —, il pense pouvoir aisément dominer Marine Le Pen dans un débat télévisé, jouer à fond la carte de l’antifascisme pour rassembler largement sur son nom et ainsi renverser la table, fût-ce de justesse.
CES SCÉNARIOS, rationnels sur le papier, ont toutefois une grave faiblesse. C’est qu’ils supposent que Macron démissionne ou soit destitué. Or, selon nous, c’est mal connaître le personnage que de penser qu’il démissionnera, même en pleine crise de régime. Aucun président de la Ve d’ailleurs ne l’a fait à l’exception de De Gaulle. C’est que la place est bonne ! Macron ne l’a pas fait alors qu’il était hué et détesté au moment de la crise aiguë des gilets jaunes. Pourquoi le ferait-il aujourd’hui alors qu’il n’est pas soumis à réélection, qu’il n’a pas la responsabilité directe du gouvernement et que la Constitution de la Ve République lui confère des pouvoirs très importants, même s’il est aujourd’hui incontestablement affaibli ? Quant à une destitution, les conditions pour qu’elle puisse aboutir sont tellement complexes et draconiennes que c’est un leurre de croire ou de faire accroire que cette option est plausible.
Tout laisse plutôt à penser à une crise politique durable jusqu’à la présidentielle de 2027 dans plus de deux ans. Rien ne dit d’ailleurs que cette élection résoudra l’actuelle crise de régime puisque le pays est divisé en trois blocs (et même quatre avec les abstentionnistes), de force relativement égale, et dont aucun des trois ne peut à lui seul en l’état obtenir, ou même approcher, une majorité absolue au Parlement. Ni le « bloc central », ni la gauche sous domination mélenchoniste, ni le Rassemblement national et son allié ciottiste. Et ce quel que soit le mode de scrutin. Qu’il soit majoritaire à un tour (comme au Royaume-Uni) ou à deux tours comme sous la Vème (sauf en 1986). Qu’il s’agisse d’un scrutin à la proportionnelle intégrale ou avec seuil, ou mixte, l’impasse est fondamentalement la même.
Cela peut paraître inouï et c’est pourtant la situation politique actuelle dont rien ne permet de dire ou de prédire qu’elle évoluera de manière considérable dans les deux ou trois ans qui viennent. Le système est donc complètement bloqué et la crise structurelle. D’autant qu’à la crise politique s’ajoute la crise économique, avec 250 000 emplois menacés et un chômage qui remonte, des faillites d’entreprises, des suppressions d’emploi en grand nombre, une désindustralisation accélérée de la France qui se superpose à une grave crise du secteur agricole avec le Mercosur. Sans oublier la crise financière avec une dette et des déficits qui ne cessent d’augmenter et qui ne sont plus sous contrôle, non plus que les intérêts, de plus en plus exorbitants, de la dette. Les agences de notation n’ont pas été jusque-là trop sévères avec la France mais cela pourrait changer, surtout en cas d’instabilité politique accrue et durable. Et que dire de la crise morale quand on voit que tout est fait pour détruire la famille, la morale naturelle et tout ce qui enracine l’homme dans une terre, dans une lignée, donne un sens à sa vie ?
CETTE CRISE n’est pas seulement française. Elle touche l’Europe et même tout l’Occident. L’Allemagne, pourtant jusque-là le bon élève de l’Union européenne et la première économie de la zone euro, connaît une grave crise politique et économique. Ce pays qui était habitué aux grandes coalitions et aux compromis entre différentes formations politiques n’est plus à même de disposer d’un gouvernement stable et durable. Des élections législatives anticipées auront lieu le 23 février 2025. Son économie souffre de la guerre en Ukraine car nos voisions d’outre-Rhin ne peuvent plus bénéficier, du fait des positions de Berlin dans ce conflit, du gaz russe qui leur était livré à bon marché. Quant à l’industrie automobile allemande, naguère si puissante et si florissante, elle fait face désormais à une grave crise systémique. Et que dire de la question fondamentale de l’immigration massive qui cause à l’Allemagne, comme à presque tous les pays européens et occidentaux, des problèmes gravissimes et qui met même en cause son avenir, comme c’est également le cas chez nous ? L’élection de Trump aux Etats-Unis est aussi le symptôme d’une société américaine malade, fracturée, fragmentée, divisée, avec un appauvrissement d’une grande partie de la population due notamment à une inflation galopante.
Nous vivons l’ère du désenchantement et, disons-le, l’ère du chaos. On a menti aux peuples depuis des décennies en leur faisant croire que les démocraties modernes étaient à même de leur assurer la paix, la stabilité et la prospérité. C’est tout le contraire qui se produit. Il y a la guerre en Europe et au Levant. Et la France n’est même plus capable d’adopter des positions claires et courageuses dans ces conflits. Elle est alignée sur Kiev et Tel-Aviv au point d’avoir déclaré que si le boucher Netanyahu foulait notre sol, elle lui octroierait l’immunité et ne le ferait pas arrêter, contrairement aux demandes de la cour pénale de la Haye. Nous ne sommes pas des partisans de la justice internationale, trop souvent partiale, mais cette veulerie de l’Exécutif français face à un chef de gouvernement sanguinaire et génocidaire en dit long sur la bassesse des dirigeants et politiciens français qui nous font honte.
Tant que l’on restera dans ce cadre démocratique, qui est celui de l’impuissance et de la décadence, de l’inversion et de la destruction — « la démocratie, c’est le mal, la démocratie, c’est la mort » disait le maître de Martigues —, alors notre beau pays continuera à descendre, une à une, les marches de son tombeau. Aux armes de destruction massive de leur République, il faut plus que jamais opposer les armes de régénération massive que sont la foi, la nation, la morale, la vérité et la vie. […]
RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol
« Chute » –> qu’on se rassure, il ne tomberait pas de bien haut.
Mais la Ve est en train de ressembler de plus en plus à la 3e et à la 4e, avec même l’Italie qui est plus stable depuis quelques temps déjà, au moins depuis Berlusconi.
Comme quoi, les institutions ne sont pas intrinsèquement garante de la stabilité, elle l’organise quand elle est là, mais c’est tout.
C’est un peu comme le Yoga: ça marche quand tout va bien.