CE 11 MARS, alors que la fonction de président d’honneur dévolue au fondateur du mouvement était définitivement supprimée et que Marine Le Pen annonçait la mort programmée du Front national, auquel devrait se substituer dans quelques semaines le Rassemblement national, cela faisait tout juste cinquante-cinq ans que le valeureux colonel Bastien-Thiry tombait sous les balles gaullistes, par fidélité à l’honneur et à la parole donnée. Il est des coïncidences pour le moins troublantes. Au moment où Marine le Pen entreprend de parachever l’entreprise de liquidation de la droite nationale historique en France, à l’instar de ce qu’avait fait avant lui en Italie un certain Gianfranco Fini avec les brillants résultats que l’on sait, on commémorait l’anniversaire de l’assassinat de l’héroïque officier, fervent catholique et ardent nationaliste, qui a préféré perdre sa liberté et sa vie, renoncer à son épouse et à ses enfants plutôt que de laisser son pays déshonoré et bafoué en ne tentant rien contre le politicien responsable de la trahison et de l’abandon des Français d’Algérie et des harkis et du rapetissement, du rétrécissement de la France. On dit souvent sottement du gaullisme qu’il a toujours défendu la grandeur de la France. Mais en quoi l’a-t-il servie puisqu’il a contribué à la division des Français et à la sévère amputation du territoire national ?
Parler d’honneur et de parole donnée dans la France de 2018 peut sans doute apparaître anachronique. Et ce n’est certes pas le XVIe congrès du Front national à Lille qui permettra de redonner une dimension morale et spirituelle à la politique. En ôtant définitivement tout lien, même ténu, même symbolique, entre son mouvement et l’homme qui l’a fondé et dirigé pendant près de quarante ans, Marine Le Pen parachève son parricide et manifeste par là de manière violente et cynique son absence totale de piété filiale, de gratitude. En post-soixante-huitarde qu’elle est, elle refuse de s’inscrire dans une lignée, une tradition, une histoire, de rester fidèle à ce dont elle a hérité. Ne l’intéressent que l’héritage en espèces sonnantes et trébuchantes et les confortables revenus financiers, c’est pourquoi elle fera tout pour rester dans la politique et à la tête du mouvement encore au moins une quinzaine d’années pour vivre dans l’aisance, via le financement public et les mandats électifs, et bénéficier, le jour venu, d’une très bonne retraite à taux plein sans se fatiguer.
Dans le premier volume de sa biographie, Fils de la nation, qui obtient un succès foudroyant en librairie, Jean-Marie Le Pen défend, lui, contrairement à sa fille indigne, la piété filiale : « Je préfère être pieux. Rendre grâce au ciel de ce que mon père, ma mère et mon pays ont fait de moi et pour moi. Je me sais le produit d’une terre, d’un peuple et d’un moment de l’histoire, j’en suis fier. J’en sais gré à mes ancêtres, même s’ils ne furent pas parfaits. J’accepte volontiers le legs qu’ils m’ont laissé, sans quoi je ne serai pas. » Comment peut-on en effet prétendre défendre la patrie qui est la terre des pères si l’on traite ignominieusement son géniteur ? Ce qui compte dans la vie, ce ne sont pas les paroles, ce sont les actes. Et de ce point de vue, les actes de Marine Le Pen sont éminemment condamnables et en disent long sur sa personnalité.
APRÈS s’être débarrassée de son propre père dans les conditions que l’on sait, dans l’espoir d’obtenir un succès électoral qui n’est pas venu — on notera que c’est deux ans jour pour jour après la première suspension du président-fondateur par le bureau exécutif en mai 2015 que Marine Le Pen s’effondra littéralement dans le débat télévisuel face à Macron, signe d’une évidente justice immanente —, voici que la benjamine du Menhir entend liquider définitivement le nom Front national. Une étiquette qui existe depuis 46 ans et pour la défense de laquelle beaucoup de militants ont lutté et souffert. Certains y ont laissé leur travail, leur réussite matérielle et sociale, leur conjoint, leurs enfants, leur santé, leur liberté voire leur vie (huit militants ont été assassinés pour ce motif depuis 1972, dont François Duprat il y aura quarante ans le 18 mars et auquel Jean-Marie Le Pen rendra un hommage sur sa tombe au cimetière de Montmartre 20 avenue Rachel dimanche à 15 heures). Bien qu’elle ait exclu ou poussé vers le départ beaucoup de cadres et militants historiques, enterrer le Front national n’est pas chose si facile, même auprès des adhérents d’aujourd’hui, pourtant a priori marinistes. D’après la direction du FN, 52 % seulement des adhérents consultés dans le fameux questionnaire auraient accepté le principe d’un changement de nom mais diverses sources internes affirment qu’en réalité la majorité des membres du parti auraient refusé ce changement. Comme le dépouillement s’est fait dans la plus grande opacité, a été réalisé exclusivement par des obligés de Marine Le Pen et qu’aucun huissier indépendant n’a garanti la véracité et l’authenticité des résultats, toutes les manipulations étaient possibles.
Marine Le Pen a été réélue à la présidence du FN avec 100 % des suffrages exprimés, ce qui constitue tout sauf une surprise puisqu’elle était la seule candidate, ayant bloqué avec mépris la candidature parallèle de concurrents, dont celle du patron local du FN, le Lillois Eric Dillies qui, contrairement aux usages, a été interdit de micro à ce congrès. Il y aurait eu 2,87 % de bulletins blancs et nuls, ce qui n’est pas négligeable mais curieusement Steeve Briois qui a proclamé les résultats n’a pas donné le chiffre de votants ni celui de la participation. Est-ce à dire que le chiffre réel des adhérents à jour de cotisation est infiniment plus faible que les quelque 50 000 revendiqués par la direction ? Tout le laisse à penser. Des sources internes nous assurent que le chiffre réel tournerait autour de 20 000 adhérents et que la participation aurait été faible, et ce d’autant plus qu’il n’y avait qu’une seule candidate.
Les nouveaux statuts qui suppriment la présidence d’honneur ont été approuvés par 79,7 % des quelque 1500 personnes qui s’étaient déplacées à Lille, 20,2 % les refusant, ce qui n’est pas négligeable dans un mouvement aussi discipliné que le FN où l’on ne badine pas avec le culte du chef.
Les personnes étant arrivés dans les dix premiers au comité central (que l’on appelle désormais le conseil national) sont respectivement Aliot, Briois, Bay, Rachline, Gollnisch, Sanchez, Ravier, Saint-Just, Chenu et Arnautu. Bien qu’arrivée à la dixième place, Marie-Christine Arnautu n’a pas été maintenue au bureau politique, ce qui est une pratique inhabituelle. Elle paye là manifestement au prix fort son soutien à Jean-Marie Le Pen. Gollnisch est, lui, maintenu au bureau national mais il est totalement isolé, les derniers gollnischiens (Jacques Colombier, Bruno Subtil, Catherine Salagnac) n’étant pas reconduits ou n’y faisant pas leur entrée (comme le juvénile Amaury Navaranne).
COMME c’était prévisible Marine Le Pen a profité de ce congrès pour verrouiller davantage encore le mouvement et le “mariniser”, le sectariser en plaçant ses fidèles et ses obligés aux postés clés. En plus de son concubin officiel Aliot, de Bay, de Jalkh, de Briois, de Saint-Just et d’elle-même, elle a nommé au bureau exécutif l’homosexualiste Sébastien Chenu, fondateur de Gay-Lib et grand amateur des chars des Gay Pride, le communautaire David Rachline et l’inverti Bruno Bilde, malgré les soupçons de harcèlement sexuel qui pèsent sur lui. La présidente du FN a également fait entrer au bureau politique son beau-frère Philippe Olivier, qui est son conseiller spécial. C’est ce même Olivier qui a écrit le discours de clôture de Marine Le Pen car elle est incapable de prononcer un discours sans le lire et sans qu’il soit entièrement écrit par d’autres.
C’est au cours de cette allocution qu’elle a manifesté sa volonté de substituer au FN le Rassemblement national. Manque de chance, elle semble s’être pris une nouvelle fois les pieds dans le tapis. On se souvient que pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle elle avait lu au mot près de larges extraits d’un discours prononcé un peu plus tôt par François Fillon, que pendant le débat face à Macron elle avait confondu SFR et Alstom, l’euro et l’écu, qu’en décembre dernier au Palais-Bourbon elle s’était perdue dans ses fiches préparées par ses assistants parlementaires en se trompant d’amendement (il avait fallu que la vice-présidente de l’assemblée la reprît calmement à plusieurs reprises pour qu’elle comprît enfin sa bévue !) et voici que son équipe de bras cassés et de pieds nickelés, mixte de bas fonds et de bas de plafond (qui se ressemble s’assemble !) n’a même pas vérifié que le nom Rassemblement national n’avait pas déjà été inscrit à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle).
La direction du FN, manifestement prise de court, a d’abord fait croire que le parti avait déposé le nom en 1986 (ce qui est faux), puis a indiqué que le déposant de la marque, un certain Frédérick Bigrat, qui a déposé ce nom le 30 décembre 2013 à l’INPI, avait accepté de céder sous seing privé la propriété de la marque le 22 février à l’un des avocats du FN. Mais Igor Kurek qui se présente comme le président du Rassemblement national, qui dispose d’un site Internet et d’un compte Twitter, conteste la légalité de cette cession et entend saisir les tribunaux pour empêcher le FN de se saisir de ce nom qui, selon lui, lui appartient. Le Rassemblement national qui a été dûment déclaré à la préfecture de Paris et dont le nom est paru au Journal officiel a en effet présenté des candidats aux municipales en 2014 à Vitrolles et aux départementales à Nice en 2015 et affirme sa volonté d’être présent aux municipales de 2020. Igor Kurek dans un communiqué se moque cruellement de “l’amateurisme” de Marine Le Pen. Nous nageons donc en plein imbroglio juridique et les prochaines semaines s’annoncent particulièrement mouvementées, Marine Le Pen et Igor Kurek ayant annoncé des dépôts de plaintes croisées alors même que les adhérents du FN sont censés se prononcer sur ce nouveau nom par voie postale sous six semaines !
ON MESURE une fois de plus dans cette affaire sordide l’incompétence totale de la présidente du FN et de son entourage de béni-oui-oui. Et comme si cela ne suffisait pas, l’assistant parlementaire de Chenu, directeur national adjoint et donc numéro deux du FNJ et « ambassadeur de la refondation » de Marine Le Pen a grossièrement insulté un videur de bar noir, alors qu’il était éméché, en tenant des propos peu compatibles avec la stratégie de dédiabolisation. Après avoir été suspendu du parti, il a affirmé quitter la vie politique. Le videur du bar et Sos-Racisme ont annoncé des plaintes contre lui. Quand ça veut pas, ça veut pas !
Marine Le Pen a seulement pu se consoler avec l’intervention de l’Américain Steve Bannon le premier jour au congrès et de l’ex-député LR Thierry Mariani. Sauf que ces deux hommes sont aujourd’hui totalement isolés et marginalisés et ne représentent qu’eux-mêmes. Bannon qui était le conseiller de Trump a été désavoué par le président américain et il a même perdu la direction de son Breibart news site. Quant à l’opportuniste Mariani, il a été battu aux dernières législatives et s’il se prononce aujourd’hui pour un accord entre les Républicains et le FN, alors qu’il a été pendant de longues années un adversaire acharné et haineux de la droite nationale, et notamment de Jacques Bompard dans le Nord Vaucluse, c’est uniquement parce que Marine Le Pen lui a proposé de prendre la tête de liste du FN (ou plutôt du RN) aux prochaines européennes de mai 2019. Dans un premier temps Mariani avait réservé sa réponse. Son interview dans le Journal du dimanche du 11 mars laisse à penser qu’il pourrait se laisser tenter. Mais si Marine Le Pen le choisit comme chef de fille, le résultat pourrait être désastreux. Sans le nom FN, ni celui de Le Pen, sans ligne politique claire, avec une tête de liste inconnue du grand public et issue de LR, la catastrophe paraît inévitable. D’autant que les partielles montrent tous un important fléchissement du mouvement : dans la 8e circonscription de Haute-Garonne, le FN a fait 11 % dimanche là où il faisait 15 % en juin 2017, perdant quatre points. Ces dernières semaines il en avait perdu cinq dans le Val d’Oise et dix à Belfort alors même qu’il n’avait atteint que 13,2 % aux dernières législatives, ce qui laisse à penser qu’il ferait probablement moins de 10 % sur le plan national si des élections générales avaient lieu demain, là où il était crédité de 30 % au début de la campagne présidentielle. On le sait, le Capitole est proche de la roche tarpéienne. Le marinisme est non seulement un naufrage politique et moral mais il risque bien de devenir aussi un naufrage électoral.
Jérôme BOURBON
Éditorial du numéro 3321 de RIVAROL daté du 14 mars 2018.
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