La France a eu le parti communiste le plus stalinien du monde, URSS comprise, il faut bien se le rappeler aujourd’hui, car même si son emprise électorale est de plus en plus faible, les communistes conservent leur pouvoir et leur influence un peu partout en France, dans les administrations et dans les entreprises.
Le poids de l’histoire est bien visible dans toutes ces rues et avenues « Stalingrad », la toponymie marche par strate, il y a la strate « celte », la strate « latine », et il y a en France une strate « Staline ».
Peut-être l’épisode qui montre le mieux le caractère stalinien du PCF est celui du « rapport secret » de Khrouchtchev : les dirigeants du PCF vont, seuls contre le reste du monde, en nier farouchement l’existence.
Staline meurt le 5 mars 1953, trois ans plus tard, dans la nuit du 24 au 25 février 1956, en clôture du XX e congrès du parti communiste, Nikita Khrouchtchev dénonce dans un rapport secret(1) les crimes du « Petit père des peuples ».
Citons Hélène Carrère d’Encausse :
«[…] Durant cette nuit historique, Khrouchtchev lit devant un auditoire pétrifié un interminable texte qui a pour seul sujet, Staline, dont l’image est brisée : depuis 1922, il a été non l’héritier de Lénine mais celui qui l’a trahi ; il n’a pas été un grand chef de guerre, mais le responsable des désastres militaires de 1941 – 1942 ; il a divisé le Parti, détruit son élite, fait assassiner ses plus grandes figures, martyrisé la société et les peuples de l’URSS. Tous ces crimes ont été dissimulés derrière le culte de la personnalité.
Ce discours devait rester secret. Mais Khrouchtchev veut qu’il soit lu aux chefs des partis « frères » d’Europe. On remit à chacun d’entre eux une copie, en russe, du rapport qu’ils devaient lire au cours de la même nuit et restituer aussitôt. Dès l’aube du 25, Moscou bruit de rumeurs que l’ambassadeur de France, Maurice Dejean, rapporte: la violence du discours, l’émotion et le trouble de Khrouchtchev durant sa lecture, le désarroi des assistants et même le contenu de ce rapport que l’on ignore mais dont les bribes surgissent. Et surtout, la fuite est immédiate. On saura vite que c’est le Parti communiste polonais, dont Khrouchtchev a reconnu qu’il avait été brisé par Staline, qui fait circuler la nouvelle, reprise aussitôt par le PC italien. Même si le PC français s’obstine à nier l’existence d’un rapport secret, sa réalité est communément admise. Le rapport lui-même, ou une version, est rendu public par le département d’État américain dès juin 1956.
En URSS, le contenu du rapport se répand rapidement. Des lectures, en petits groupes, avec interdiction de prendre des notes et d’en parler, sont faites dans toutes les instances de la vie sociale – Parti, organisations de masse, entreprise et même à l’université. […]»
Voici le texte du télégramme de l’ambassadeur de France à Moscou, Maurice Dejean, il est daté du 12 mars 1956, il est destiné au Quai d’Orsay avec la mention « réservé », il porte le numéro 776/83. Les fautes d’orthographe ont été laissées, il s’agit le plus souvent d’accents omis pour des raisons pratiques, une machine à écrire, ce n’est pas un traitement de texte, mais il y en a par contre un où il ne faut pas « éxécutés », oh, et puis il y a le « prété » bouh le Quai d’Orsay.
« Depuis quelques jours circulent à MOSCOU des rumeurs sur un discours qu’aurait prononcé Mr. Khrouchtchev durant une réunion fermée du XX e congrès, la veille de sa cloture. Ce discours intitulé « Le culte de la personnalité et ses conséquences » aurait été une attaque d’une rare violence contre Staline, ses erreurs lourdes et la terreur qu’il faisait régner.
Différents indices permettent de considérer la chose comme vraisemblable. D’une part, Mr. ULRICHT a récemment déclaré publiquement à Berlin que le nom de Staline devait être rayé de la liste des classiques du Marxisme. D’autre part, le service de presse du Ministère des Affaires Etrangères, s’il a refusé de laisser transmettre les dépêches correspondantes sur le discours de KHROUCHTCHEV, n’en a pas nié l’existence. Enfin dans certains *lieux publics, les statues monumentales de Staline commencent à s’évanouir discrètement.
Mr. KHROUCHTCHEV aurait été si ému pendant son discours qu’il aurait eu le souffle coupé à plusieurs reprises. Il aurait commencé, en citant le testament de Lénine (lequel contient, pense-t-on généralement, une mise en garde contre la brutalité de Staline). C’est à partir du 17ème congres, soit en 1934, période où, après l’assassinat de KIROV, la terreur a pris des proportions gigantesques, que selon KHROUCHTCHEV, Staline aurait commencé à mal tourner. D’une part, il aurait fait régner la terreur, d’autre part, ses maladresses politiques auraient été nombreuses, enfin son goût de l’adulation aurait pris des proportions morbides.
Mr. KHROUCHTCHEV aurait demandé à MOLOTOV de confirmer que Staline le traitait de façon abjecte. Il aurait rappelé que lorsque BOULGANINE ou MYKOYAN ou quelqu’autre membre du Politbureau se rendait chez Staline, il n’était jamais sûr d’en revenir. Quant aux accusés qui tombaient dans les mains de la police, on leur promettait, s’ils avouaient, de leur donner une villa et, aurait ajouté KHROUCHTCHEV, « la villa, c’était une fosse à deux pieds sous terre ». Au moment de la guerre d’Espagne, la quasi totalité des militaires Soviétiques ayant combattu pour la république auraient été, à leur retour, éxécutés comme TROTSKYSTES.
En ce qui concerne les erreurs, Staline aurait surtout été accusé de n’avoir pas prévu la guerre, d’avoir désorganisé l’armée par ses épurations, de n’avoir prété aucune attention aux avertissements des attachés militaires soviétiques, et « même de Churchill » sur les risques d’agression hitlérienne. Staline n’aurait d’ailleurs jamais eu grande compétence militaire. A TSARITSYNE [ancien nom de Stalingrad, devenu depuis Volgograd … pour ne pas être trop Rétrograd ?] , en 1918, il n’aurait joué aucun rôle ; en 1941-45, il n’aurait jamais osé mettre les pieds au front et le film de la « chute de Berlin » était grotesque. Sur le plan intérieur, la manie stalinienne des grands travaux aurait abouti, en particulier, à créer des ensembles grandioses comme le VOLGA-DON, à côté des « msures de tant de villes et
Enfin, pour ce qui est de la mégalomanie, KHROUCHTCHEV aurait fait état d’un projet d’article biographique sur Staline, corrigé par le Tyran, et dans lequel à chaque fois que le nom de Staline était cité, l’adjectif « GRAND » se trouvait ajouté à la main.
La conclusion de ce réquisitoire accablant serait qu’il est nécessaire de supprimer peu à peu tous les aspects du culte stalinien et qu’une rééducation méthodique du parti est nécessaire. ».
Dans le monde entier, seul le PCF n’a pas compris, n’a pas voulu comprendre, qu’il fallait jouer le jeu des « fuites » du « discours secret ».
On relève aussi que ce « discours secret » se garde bien de préciser que si Staline n’a jamais prêté attention à la possibilité d’une attaque hitlérienne, c’est parce qu’il en préparait une lui-même qu’il était d’ailleurs sur le point de déclencher. L’ambassadeur du Quai, Maurice Dejean, ne le relève pas non plus, et le commentateur du télégramme non plus : il y a encore du travail critique pour des générations à Science Po l’équivalent français du Politburo.
Francis Goumain
Note :
(1) Dans la nuit du 24 au 25 février 1956, alors que les journalistes ont quitté la salle du XXe Congrès en cours depuis presque dix jours, Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique, demande aux délégués de reprendre leur place. Pendant plus de trois heures, il leur livre un discours historique dans lequel il fait un bilan sévère de la gouverne politique de Joseph Staline (1924-1953) qui a dirigé le pays jusqu’à sa mort. Le texte, qui devait rester confidentiel, est rendu public par le New York Times le 16 mars 1956.
Source générale:
« Dans les archives du Quai d’Orsay – l’engagement de la France dans le monde 8 mai 1945 – 11 septembre 2001 » aux éditions de L’Iconoclaste
[« iconoclaste » : terme codé de l’oligarchie, iconoclaste, c’est tout ce qui est servilement conforme à l’idéologie dominante, donc contraire à la tradition].À noter que cette publication a le soutien de la Fondation d’entreprise de La Poste qui « s’engage en faveur de ceux qui sont exclus de la pratique, de la maîtrise et du plaisir de l’expression écrite, contribuant à la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme numérique ».
Bon, on ne sait pas très bien si les lecteurs de ce livre doivent prendre l’avertissement pour eux, mais on a un doute passablement désagréable.
Pour aller plus loin :
La guerre de Staline contre ses propres troupes
17 mai 1948 : Reconnaissance officielle de l’État juif autoproclamé par l’URSS de Staline