Tribune de Raphaël Chauvancy, officier des troupes de marine et essayiste à Marianne, qui estime que, aveuglés par l’avènement de la guerre en Ukraine, les commentateurs spéculent depuis sur le choc entre les Russes et le bloc de l’Ouest sans voir que le temps des blocs est révolu et leurs grilles de lecture caduques.
Contribution à la prise de conscience de l’évolution du monde vers la multipolarité permettant de dissiper au passage la prétendue existence d’un « bloc » appelé « Occident » (sans réalité historique ou géopolitique) et de rappeler que la France n’a pas « d’ami américain ».
Chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard a conceptualisé la fin du cycle guerre-paix au profit du triptyque conflictuel « compétition, contestation, affrontement » qui renouvelle la compréhension des relations internationales et de la distinction classique entre l’ami et l’ennemi. Nous sommes ainsi entrés dans l’âge de la guerre de tous contre tous, celle-ci ne consistant pas nécessairement à tuer des individus mais à détruire, disloquer ou influencer une entité stratégique rivale.
Premier élément du nouveau triptyque stratégique, l’affrontement désigne le choc militaire entre ennemis qui recherchent mutuellement à détruire leurs forces comme le font aujourd’hui l’Ukraine et la Russie. Il s’agit d’un modèle connu où les protagonistes peuvent éventuellement compter sur des alliés dont les arrière-pensées s’effacent en partie devant l’impératif d’immédiateté. La contestation, elle, se rapporte aux guerres hybrides où les adversaires se portent des coups indirects dans tous les domaines possibles afin de disloquer leur puissance stratégique. Cette approche ouvre la porte à la défense d’intérêts ou de vues contradictoires même entre associés. On le voit en Ukraine où les Anglo-Saxons d’une part, les Français et les Allemands d’autre part, ont le même adversaire mais pas les mêmes vues.
Compétition
La compétition, enfin, est le domaine de la guerre par le milieu social, que les Anglo-Saxons nomment « political warfare ». Elle consiste à agir sur les structures mêmes de la cible, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou cognitives, pour programmer ses réactions. Dans ce type de guerre souterraine, on ne trouve de partenaires que circonstanciels et chaque acteur constitue lui-même une cible potentielle. Cette nouvelle donne laisse, certes, la part belle aux alliances militaires. Celle entre la France et les États-Unis résiste ainsi à tous les aléas et il est à peu près certain qu’en cas d’affrontement majeur, leurs armées combattraient côte à côte.
Cependant, et ce n’est pas incompatible, les deux pays se sont récemment livré une guerre hybride d’ampleur dans la zone indo-pacifique. La résiliation du « contrat militaire du siècle » signé par Canberra avec Paris au profit d’une alternative anglo-saxonne et de l’alliance dite AUKUS conclue avec Londres et Washington, au détriment du partenariat avec la France, ont littéralement disloqué le système stratégique que cette dernière avait mis en place. L’Otan même, au-delà de ses aspects militaires, est une arène industrielle où le F35 écrase ses concurrents, voire un ring politique comme l’a prouvé la Turquie. Loin de l’émousser, le réveil de l’adversaire commun russe a paradoxalement accentué la contestation entre les alliés qui voient dans cette guerre une opportunité, maintenant que la menace directe semble globalement contenue.
Compétition souterraine
Enfin, Français et Américains sont engagés dans une compétition souterraine effrénée au sujet de l’avenir des structures de la sécurité européenne : le projet d’autonomie des premiers se heurte au protectorat que les seconds entendent pérenniser. De même, le bruit du canon à l’Est et la solide alliance entre la France et l’Allemagne n’empêchent pas la compétition énergétique. Cette dernière ne ménage pas ses efforts pour empêcher Paris de prendre la tête de la transition nucléaire et de devenir un hub incontournable pour les importations européennes de GNL américain.
Jugerait-on à Berlin qu’une dépendance énergétique structurelle à l’égard de l’allié français, qui aspire à se réindustrialiser, serait pire que celle au gaz d’une Russie trop archaïque pour espérer un jour concurrencer les exportations allemandes ? La compétition globale, comme disent les Anglais, marque ainsi la fin des alliances inconditionnelles. L’allié loyal peut simultanément être un adversaire roublard et un compétiteur acharné. La multipolarisation du monde et l’extension des chocs de puissance, ouverts ou couverts, à l’ensemble des activités humaines, a porté les relations internationales à un niveau de contradiction apparente et de complexité jamais atteint dans l’histoire.
L’amitié n’est pas une politique
Peuple idéaliste, les Français ont longtemps cru pouvoir faire de l’amitié une politique. Au XIXe siècle, ils ont déclaré la guerre à l’Autriche pour permettre à l’Italie de s’unifier, quitte à se donner un nouveau rival, simplement parce qu’ils aimaient les Italiens. La construction européenne repose sur le même malentendu. Paris sacrifie facilement certains intérêts nationaux pour faire avancer le projet commun et s’étonne des camouflets reçus par ses partenaires moins disposés à l’abnégation.
L’Occident n’existe pas. Il n’est d’ailleurs qu’une création sémantique des États-Unis pour surévaluer la communauté d’intérêts transatlantique, justifier leur leadership en Europe et assimiler toute dissonance, au mieux à une compromission douteuse, au pire à une trahison. Ainsi, l’affrontement entre Russes et Ukrainiens dissimule une nouvelle donne stratégique moins dramatique mais plus déterminante : l’exacerbation de la contestation et de la compétition mondiale, même entre alliés.
Situées au cœur de l’essence même du politique, les notions d’ami et d’ennemi se sont progressivement hybridées du fait de la globalisation. La notion de bloc n’a plus aucun sens à l’ère des relations à étages où se superposent intérêts croisés et rivalités farouches. Pire, elle fausse les données initiales du nouvel écosystème international et empêche de le comprendre. Les derniers camouflets diplomatiques français n’ont pas d’autre cause. Ce qui a souvent été pris pour des coups de poignards dans le dos n’est que l’application des nouvelles règles du jeu. Peut-être serait-il temps de les assimiler.
Raphaël Chauvancy
Source : Marianne
Une fois de plus, voilà une analyse parfaite, mais qui, cependant, reste superficielle.
Superficielle car se gardant bien d’évoquer un élément essentiel qui sous-tend pourtant son propos. Mais peut-être s’engager plus à fond nuirait-il aux la carrière de l’auteur ou de ceux qu’il cite?
Cet élément essentiel négligé ici se résume à UNE question : Quand l’auteur nous parle de blocs, d’Amérique, d’intérêts divergents à l’échelle de la planète, est-il – Oui ou Non ? – capable d’intégrer à son raisonnement un autre rapport de force ?
Est-il capable de prendre en compte l’existence de réseaux supranationaux se manifestant par Davos, par le Bilderberg, par les loges maçonniques, et qui sont les courroies de transmission de cet autre rapport de force, au fil des derniers siècles et à l’échelle du monde : celui opposant à la diversité des hommes, donc des cultures et des nations qui expriment cette diversité, l’objectif d’une hégémonie mondialiste sur un magma humain indifférencié et sous la domination d’une oligarchie financière assez puissante pour obliger les divers commentateurs à ne jamais la nommer ?
Toute analyse, telle celle que nous propose monsieur Chauvency, mérite notre attention, mais à condition de ne pas en masquer par des considérations exactes, mais secondaires, la seule vraiment déterminante, telle qu’exposée à l’Organisation des Nations Unies lors de la première prise de paroles de Donald Trump et spécifiant qu’il n’y avait, en définitive, au monde que deux forces en présence : D’un côté les nations soucieuses de conserver leur identité et leur indépendance, et en face les forces de l’hégémonie mondialiste.
Voilà quelles sont vraiment les deux forces en présence, toute autre analyse n’étant que superficielle… aussi brillante qu’elle soit par ailleurs !
Oui et .. …l’ hégémonie mondialiste vient de QUI ?…..un jour ou l’ autre il faudra bien cibler le Mal pour pouvoir s’ en débarrasser… ou bien à la méthode de Sun Tzu laisser ce Mal s’ anéantir lui même dans son hubris car après le paroxysme vient la chute
Massabielle…
Permettez-moi de vous répondre par trois citations :
– « Ceux qui ne cherchent pas à découvrir les véritables meneurs de jeu ignorent que les politiciens qui évoluent sur la scène publique ne sont souvent que des pantins dont d’habiles marionnettistes tirent les ficelles. » Henri Coston, penseur Nationaliste. (1910/201).
– « Pour savoir QUI vous dirige vraiment, il suffit de savoir QUI vous ne pouvez pas critiquer ! » Kevin Alfred Strom, auteur US contemporain.
– Et, pour finir, quelqu’un que nous aimons tous et dont la parole ne saurait être mise en doute que par d’ignobles antisémites : « On peut rêver de JERUSALEM devenant capitale de la planète, qui sera un jour unifiée autour d’un gouvernement mondial » Jacques Attali, (sur la chaine Public Sénat, le 16 févier 2010).
Ce ne sont pas nos amis les américains, malheureusement, nous sommes leurs vassaux. Quand à savoir qui dirige réellement, DISRAELI avait déjà vendu la mèche !